Au beau pays du carnaval
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An bel péyi Kannaval
Au beau pays du carnaval
La grande tradition
carnavalesque se nourrit essentiellement d’oralité, il est donc
difficile de retrouver son origine exacte. Fouiller dans l’histoire du
carnaval relève du jeu de piste qui nous entraîne dans les lectures les
plus diverses. Ainsi en se perdant dans les méandres de la littérature,
on retrouve des bribes d’indices qui aboutissent aux sources du
carnaval. Ceci dit la connaissance reste vague et non exhaustive car le
carnaval revêt un aspect planétaire. Il n’existe pas un seul et unique
carnaval, mais des carnavals à travers le monde. Je vais tenter ici de
développer quelques repères historiques et géographiques afin de
débroussailler le terrain. Nous débuterons ce voyage historique en
Gaule, puis nous partirons à Rome, pour mieux revenir vers la France et
refaire une escale en Italie… Nous ferons un petit détour étymologique
avant de traverser l’Atlantique. Nous resterons dans les îles afin de
voir le carnaval éclore. Nous pénètrerons dans le panthéon du carnaval
des Antilles pour découvrir la richesse des personnages qu’il met en
scène.
Les origines du carnaval
Kannaval d’an tan lontan : des racines multiples
D’emblée le carnaval
pose un dilemme sémantique. Il se référencerait soit au rythme des
saisons, soit à l’expression d’une polémique. Voyons dans quelle mesure
la fête est le prolongement de l’une ou l’autre souche.
Première option : le carnaval fête le printemps.
Le carnaval apparaît à
la jonction de deux cycles. En effet, le carnaval est célébré à la
lisière de l’hiver qui n’en finit pas et du printemps que l’on attend
avec impatience. Les contrées subissant des hivers rudes ont besoin
d’interpeller la saison à venir. L’hiver
est synonyme de mort, tandis que la résurrection de la nature arrive
avec le printemps. Le peuple désire se débarrasser de l’hiver qui
apporte misère et famine. Il guette fébrilement les premiers signes du
printemps. Les réjouissances de carnaval redonnent l’espoir au peuple.
Ainsi naissent des jeux figuratifs qui
enterrent, brûlent ou immergent le vilain hiver pour laisser la place à
la fertilité et à la richesse qu’offre le printemps. Les pays du Nord
fêtent le carnaval de cette manière. Par exemple à Binche, en Belgique,
les Gilles frappent de leurs sabots le sol pendant les jours de
carnaval. Cette marche à pour but d’enterrer l’hiver sous les pavés de
la ville, tandis que les clochettes des lourdes coiffes teintent au
moindre mouvement et appellent le printemps. La belle saison est aussi
symbolisée par la couleur vive des oranges qu’ils lancent dans la foule.
La plupart des carnavals brûlent leur effigie à la fin des festivités,
ils mettent fin symboliquement aux jours d’hiver…
Restons dans les pays nordiques et remontons le temps
La gaule compte ses saisons…
Le déroulement des festivités du
carnaval se retrouve tout au long de notre histoire. Il ne portait pas
ce nom, mais les pratiques rituelles utilisaient le déguisement. En
Gaule, le cycle mythologique était ponctué par l’apparition des saisons.
Chaque épisode de l’année était célébré à date fixe par des cérémonies
religieuses. Plus de sept siècles avant Jésus Christ la coutume gauloise
suivait un ordre calendaire. Le folklore populaire intimement lié aux
croyances en dieux naturels et saisonniers, utilisait des déguisements
qui symbolisaient le cours naturel des étapes de l’année raconté dans
les légendes séculaires.
Les légendes gauloises mettent en scène
une grande déesse mère qui épouse successivement le dieu du ciel,
Tanaris, et le dieu de la terre, Esus. L’un représentant la belle
saison, l’autre la mort et l’hiver. La légende relate la métamorphose
des divers protagonistes, en grues, en taureau, en cerf qu’il faut tuer
pour retrouver à la fois la saison porteuse de richesses et l’aspect
humain des Dieux.
De la légende au folklore
La légende qui est là pour imager la succession des
saisons met en scène des sacrifices et des transformations d’humains en
animaux. Chaque année la population s’adonnait à un jeu de mascarades et
de danses. Les hommes et les femmes se déguisaient en cerf et en biches
ou en taureaux et en génisses. Ils se livraient à des danses plus ou
moins lascives pendant des jours entiers. A la fin des libations, un
cerf était sacrifié.
Tous les ingrédients du carnaval sont
là : déguisement, fêtes, danses et sacrifice à la fin des festivités.
Aujourd’hui c’est une marionnette qui est brûlée…
Deuxième option : le carnaval soupape sociale et politique
Rome fête Saturne
Depuis
la plus haute Antiquité, le culte de Saturne s’est maintenu à Rome.
Vivace, il résista jusqu’à la fin de l’Empire. Malgré la longévité de ce
rituel, il n’est pas possible de cerner avec précision les contours du
personnage divin auquel il s’adressait. Par contre, les mécanismes de
ces festivités sont parvenus jusqu’à nous. Les Saturnales étaient
célébrées dans la deuxième quinzaine de décembre. Elles se déroulaient à
l’instar d’un carnaval où les hiérarchies sociales et les conventions
morales sont bouleversées. Les maîtres se mettaient au service des
esclaves. Ces fêtes étaient censées abolir la distance qui existait
entre hommes libres et esclaves. Les hommes libres s’abstenaient de
porter leur toge. Tous libres et esclaves, portaient sur la tête le
bonnet de l’affranchi, symbole de liberté. Dans la maison, les maîtres
offraient aux esclaves les repas rituels : viande rôtie et vin, avant de
manger eux-mêmes, à moins de partager le repas fraternellement avec
leurs serviteurs. Les esclaves ne travaillaient pas. Il leur était
permis de boire du vin jusqu’à l’ivresse et de s’abandonner aux jeux de
hasard. Ils jouaient en général des noix. Tout cela leur était
habituellement interdit. La débauche s’exprimait en toute liberté. La
foule se répandait dans les rues et scandait des cris rituels. Pendant
cette période festive, les hostilités devaient cesser, la justice était
en vacances, les prisonniers amnistiés, les écoles fermées. Les esclaves
qui avaient droit à une certaine liberté de parole scandaient
volontiers des propos pénibles à entendre pour la bourgeoisie de
l’époque. Ainsi, durant ces jours de liesse, les riches s’éclipsaient
volontiers à la campagne afin de s’épargner tumulte et humiliation. Il
est vraisemblable aussi que la fin des festivités se terminait par la
mort du roi… Un esclave ou un prisonnier était élu en tant que Roi de la
fête. Pendant cette période il pouvait tout demander tout exiger… A la
fin, il était sacrifié…
Et les orgies ?
Au
mois de février, les Romains célébraient un mois entier d’orgies. Ils
s’abandonnaient à la luxure et à la débauche. Loin d’être une pratique
choquante, elle revêtait à l’époque une notion purificatoire. En effet,
les Romains croyaient que l’orgie était comparable à l’eau de source qui
coule sans cesse et qui, pour cette raison reste pure, à l’encontre des
eaux stagnantes qui pourrissent. Le mois de février était ainsi
consacré aux « purifications ».
Rome célébrait l’inversion sociale en
décembre avec les Saturnales tandis que les orgies par leur symbolique
étaient sensées favoriser l’ensemencement de la terre et la venue du
printemps.
Mélange de genres et montée du christianisme
Les Romains qui conquirent la Gaule
laissèrent les vaincus à leurs rites ancestraux tandis que les nouveaux
venus célébraient les leurs. Peu à peu, le folklore gaulois se mêla aux
cultes romains. La confluence des genres a laissé quelques traces dans
son sillage. Si ces deux cultures avaient ouvert la voie aux festivités,
la montée du christianisme et la création d’un nouvel ordre religieux
allait changer beaucoup de choses, sans pour autant, tout faire
disparaître. Les
autorités ecclésiastiques ne pouvaient en effet censurer toutes les
fêtes que célébrait le peuple fraîchement converti. A l’époque elles ne
portaient pas le nom de carnaval, quel que soit leur nom, les festivités
étaient vécues comme un acte collectif. Un rendez-vous attendu qui
ponctuait la vie locale. C’était, comme ce l’est toujours, une attente
inconsciente de la population. Les interdire n’aurait pas provoqué leur
disparition, mais le rejet de ces évangélisateurs qui auraient eu une
idée aussi saugrenue. L’autorité de la nouvelle religion aurait été
proscrite. Les maîtres du culte chrétien étaient conscients des besoins
de divertissement de la population. Ils avaient compris que ces fêtes
agissaient comme une réelle soupape sociale. La fête est la parade
contre les émeutes populaires attisées par le mécontentement ou la
frustration générée par un pouvoir trop rigide. L’acceptation des
contraintes du quotidien passait entre autre par la thérapie du théâtre
de rue, par le regroupement de foule sous un même thème. Se divertir
veut dire se détourner de ses soucis en s’amusant. Quel meilleur
exutoire que celui de changer de peau ? Etre, pour quelques heures ou
quelques jours, dans la peau d’un autre, est un excellent antidote aux
problèmes !
Réguler le désordre ambiant…
Certaines pratiques, comme les orgies,
étaient, on ne peut plus contraires, à la morale chrétienne. Il fallait
donc mettre de l’ordre dans les pratiques ancestrales sans pour autant
les interdire. L’Eglise s’employa dès lors à modifier les mœurs dans un
sens plus chrétien. Ainsi,
les périodes de libations se muèrent en processions où le chant et la
pénitence offrent une distraction certes moins ludique mais plus en
phase avec la religion. Cependant, il fallait autoriser au peuple de
vrais dérivatifs et aménager des époques de divertissement dans le
calendrier liturgique. Si les saturnales influencent les mécanismes du
carnaval à venir c’est le calendrier des orgies qui sera respecté.
Toutefois le sacrifice humain n’est plus toléré. L’Eglise opère donc de
savants mélanges pour faire oublier certaines pratiques tout en gardant
une notion de fête…L’héritage gaulois subit lui aussi quelques
adaptations aux nouvelles normes religieuses. La symbolique de l’appel
du printemps n’était pas condamnée. Mais l’Eglise refuse d’entériner
l’usage des masques animaliers. Ils deviennent sacrilèges car ils
rappellent trop le culte voué aux Dieux gaulois. L’Eglise explique que «
l’enveloppe charnelle qui a été offerte par le Créateur ne saurait être
remise en question. Il serait criminel de refuser ce que dieu a donné. »
Il a offert sur un plateau doré l’aspect humain qu’on se le garde !
Adieu donc génisses, biches, et autres oiseaux ! Faites donc marcher vos
méninges pour trouver d’autres thèmes de travestissement…
Amnésique mais imaginatif…
Rome n’a pas été faite en un jour. Le
carnaval mettra longtemps à se nommer comme tel et à trouver sa place
dans les sociétés qu’il anime périodiquement. Tradition populaire par
excellence, il trouve peu à peu ses marques. Il s’inspire de ses
ancêtres. Il hume l’air du temps. Il s’enrichit du quotidien et ramasse
des miettes par-ci par-là. Il se nourrit de souches ancestrales et
contemporaines tout en devenant amnésique. Car il aurait pu porter en
lui des traditions qui remontent plus loin encore que la Gaule. Il
pourrait faire référence au mythe d’Osiris en Egypte, aux cortèges de
bacchanal ou aux mascarades mythologiques des Anthestérias d’Athènes, au
Sacea de Babylone, mais aussi à la Chine, à Israël, à l’Asie…
Le moyen-âge
Au
moyen-âge plus personne ne parle de Saturnales. Tout le monde a oublié
Esus. Qui est Osiris ? A cette période la fête populaire est en quête
d’identité dans un monde qui a été bousculé par de nouvelles valeurs
humaines. Elle subit des bouleversements, des mises en coupe, mais
jamais elle n’abdique. Au moyen-âge, elle renaît de ses cendres sous
l’aspect de la fête des fous. La fête des innocents est également un
défoulement attendu par la population. La fête trouve un second souffle
dans l’art de la caricature.
A cette époque, la figure humaine est
associée à un ordre universel. Beauté et laideur sont hiérarchiquement
représentatives des vertus et des vices. Ces deux pôles évoquent le Ciel
et l’enfer. L’Eglise use d’allégories pour enseigner la genèse. A son
tour le peuple emploie le même procédé pour parodier le pouvoir en
place. Il invente un jeu basé sur les artifices qui conjureront le
mauvais sort et qui combattront la peur de l’Enfer. Il se cache derrière
des masques pour exprimer tout ce qu’il refoule quotidiennement. Tout
en se moquant des méthodes de l’Eglise, le peuple concocte le
contrepoison de l’angoisse existentielle. Peu à peu une nouvelle formule
de la fête voit le jour. Elle est tolérée par les autorités religieuses
et politiques. De plus les pratiques païennes jouent leur rôle
d’exutoire.
A l’aube de l’aire carnavalesque
apparaissent le Roi et son Bouffon. Le Roi devient mendiant ou ours, le
fou devient sage, la femme devient homme et réciproquement, le vieillard
se coiffe d’un bonnet de jeune enfant, la prostituée devient
religieuse… La roue du temps tourne, les cultes changent, mais la
pratique de la fête costumée demeure.
La suite…
Dans
la rue le peuple s’amuse, invente de nouveaux personnages, s’inspire de
ces Grands qui le gouvernent. Il brocarde sous le couvert du masque le
pouvoir politique et religieux. A leur tour, les Grands initient leurs
fêtes. Dans les hautes sphères les bals costumés voient parader les
nobles et les riches. L’aristocratie organise des nuits fabuleuses où la
fantaisie et le luxe se disputent le premier rôle. Les siècles avancent
et les grandes familles italiennes s’imposent comme chef de file. Les
Médicis sont bientôt suivis par les Gonzague, les d’Estes et les Rois de
France… Les cours d’Europe s’adonnent au travestissement dans des fêtes
sans précédent où la beauté, la danse et la musique sont sacralisées.
L’excentricité n’a pas de limite et les dépenses qu’elle entraîne sont
extraordinaires. Dès
le seizième siècle la commedia dell’arte qui met en scène des
carrosses, des chevaux, des ânes, des gondoles, des fontaines, des
gerbes de feu, des statues articulées inspire les fêtes qui se veulent
dans le ton. Les personnages du répertoire italien s’expatrient partout
en Europe. Longue vie est promise aux capitans, pantalons, brighellas,
arlequins, pierrots et autres colombines. Les banquets prennent des
proportions qui dépassent l’intérieur des salles de réception. Ils se
magnifient et s’agrémentent de défilés de chars et de carrosses. Les
participants masqués sont à la fois spectateurs et acteurs. Les jeux,
les farces, les danses, la musique et les feux d’artifices deviennent
les ingrédients de fêtes somptueuses…
Tout est prêt, tout est là… qu’attend-il donc pour éclore ?
Posons la question tout net….
Quand le premier carnaval officiel a-t-il eu lieu ?
Petit détour étymologique
Difficile de connaître la date exacte
du premier carnaval. Seule certitude, le mot apparaît pour la première
fois en 1268 dans le « Livre des Mestiers » de Boileau. Monsieur Fousch
le signale également en 1549 dans l’Histoire des Plantes. Le terme est
dérivé du mot carnelevare qui signifie « ôter (levare) la viande (carne)
» Ce mot fait donc référence, dans son étymologie, à la période grasse
juste avant le carême. Mais les écrits ne mentionnent pas le premier
carnaval où grands et petits, riches et pauvres se jettent dans le même
bain de foule.
Arriverons-nous à décoder l’Histoire ?
Comme
toutes les traditions populaires le carnaval est le résultat d’une
lente évolution ! Il a mélangé les genres, les inspirations et les
envies du moment. On pourrait dire que le premier carnaval était fêté
par les Gaulois ou les Romains. Mais à l’époque il ne portait pas ce
nom. Il y avait un rendez-vous populaire, mais ce n’était pas le
carnaval. Par la suite l’évolution permanente des traditions populaires a
engendré les fêtes des fous, mais cela ne portait pas, non plus, le nom
de carnaval. La commedia dell’arte qui inspira les plus grandes fêtes
apparut dès le seizième siècle. Elle portait d’autres noms comme
commedia all’improviso (à l’impromptu), commedia a soggetto (à canevas)
ou commedia popolare (populaire), qui font référence à l’improvisation
et au caractère populaire de cette manifestation. L’interface entre le
carnaval et la commedia dell’arte est évidente. Autre point commun,
l’évolution de cette dernière se révèle longue et obscure tout comme le
carnaval. Mais la commedia dell’arte n’est pas le carnaval. Elle est
populaire certes, mais il lui manque son caractère désinvolte et son
effet de contrepoison au quotidien pernicieux… Impossible donc de donner
une date au premier rendez-vous de toute la communauté qui se perpétue
maintenant chaque année grâce à la volonté collective.
Les colons emportent l’esprit de la fête dans leurs bagages
Lors
de la découverte des îles, et de l’installation des premiers
gouverneurs dans les îles le carnaval existait-il déjà en France ? Ou
les colons se souvenaient-ils des fêtes prestigieuses données en
Métropole ? Nous avons une première réponse qui nous vient de
Martinique.
Le mariage de Du Parquet gouverneur et
sénéchal de Martinique dès 1635, fut l’occasion d’une première
démonstration de joutes de costumes sur les flans de la montagne Pelée.
En effet, les amis parisiens de Marie Bonnard, l’heureuse élue,
décidèrent de l’honorer en défilant, sous les fenêtres du château de la
Montagne, vêtus de costumes somptueux. Les compatriotes du marié, tous
Normands, ne désiraient pas en rester là. Ils organisèrent à leur tour
des mascarades en l’honneur de leur chef de file. Cette concurrence
badine engendra des fêtes fastueuses. Plus
tard, les colons construisirent, eux aussi, de belles demeures. Les
planteurs se divertirent comme ils le faisaient naguère en Métropole.
Dans toutes les îles des Caraïbes, le carnaval est apparu parce qu’il
était dans les malles des colons. Tous les planteurs de toutes les îles
organisaient d’élégants bals masqués auxquels les esclaves ne
participaient, en tant qu’acteurs, que pour divertir ou servir leurs
maîtres.
C’est ainsi que la première phase de
contagion atteint les affranchis ou esclaves libres. Ils se réunissent à
leur tour et réinventent la fête de fous. Ils n’ont pas les moyens de
se vêtir tel les colons. Ils font appel à leur imagination et utilisent
des riens pour s’inventer des costumes. Vieux vêtements, pyjamas et
fibres naturelles sont bienvenus. Ils introduisent dans la fête des
éléments ancestraux : expression du rythme, usage d’instruments à
percussion, l’art de la danse, un parlé spécifique, des masques. A ces
ingrédients festifs, se mêle leur tempérament gouailleur et satyrique.
Les premiers pas du carnaval…Pas sans mal
Le
carnaval apparaît dans les îles françaises dans le courant du
dix-huitième siècle. En 1765 il est interdit. Les affranchis défilaient
costumés dans la rue dans la période d’avant carême. Mais ils en
profitaient selon l’arrêté d’interdiction pour s’armer et défiler sous
le couvert de l’anonymat avec « des coutelas, des bâtons ferrés et des
couteaux flamands. » Toute personne de quelque qualité et condition que
ce soit ne pourra, sous peine d’un emprisonnement de 24 heures, circuler
masqué dans les rues de la ville. Ces interdictions sont renouvelées
quasiment jusqu’en 1850. L’abolition de l’esclavage a eu lieu en 1848.
Tous les hommes sont libres, cependant ils ne sont pas égaux. La fortune
ne sourit pas à tous, et il faudra encore une longue évolution avant
que le carnaval ressemble à celui que l’on voit aujourd’hui.
Plus
les descendants d’esclaves s’approprient cet événement annuel, plus les
planteurs s’en exilent. Après l’abolition de l’esclavage, les
affranchis extériorisent leurs sentiments face à l’oppression
économique, sociale et politique dont ils ont été et sont encore, à
cette époque, les victimes. Ils s’affublent de masques et leurs
travestissements parodient leurs anciens maîtres. Ils introduisent ainsi
dans la fête leur tempérament satirique, malheureusement les sarcasmes
s’allient parfois à la violence. Avant la catastrophe de la Montagne
Pelée, Saint-Pierre était le siège du carnaval de la Martinique. Son
carnaval dépassait les bornes en toutes choses. En 1885, un avis édité
par le maire de Saint-Pierre traduit l’ampleur que prend le carnaval.
Les autorités sont notamment obligées de réglementer les divertissements
du Carnaval. Ils ont dû limiter la sortie des masques à certains jours :
le "dimanche, les jours gras et le mercredi des cendres" et à certaines
heures. Le port du masque est interdit avant midi et après huit heures
du soir.
A
ce sujet un spectateur écrit, en 1900, dans le journal l'Opinion :
"Mais il faut le voir mes amis ! Il faut le voir à Saint-Pierre où le
Carnaval est plus animé que partout ailleurs, où c'est un délire qui
empoigne les cerveaux les mieux équilibrés, à Saint-Pierre où
l'avalanche est telle qu'elle devient sublime et émouvante. Je suis
resté, ajoute-t-il, des fois cinq minutes sans le souffle, ahuri, une
fois notamment près du Théâtre, dans cette rue Victor Hugo si
mouvementée qui se précipite depuis la maison Croquet jusqu'au marché du
Fort, devant deux mille masques, un flot humain inconcevablement
bariolé et vivace, une inondation d'hommes et de femmes et d'enfants,
électrisés par un orchestre infernal"...
Citons
aussi le vice-recteur Garaud, qui nous décrit le Carnaval de
Saint-Pierre : "J'ai précise-t-il, été témoin du carnaval ensoleillé de
l'Italie dans diverses villes ; je l'ai admiré à Nice, j'ai assisté au
carnaval sans façon des petites communes de France. J'ai vu le carnaval
de Paris... Rien de tout cela ne ressemble au carnaval de Saint-Pierre.
Ici, la ville entière est descendue dans la rue, la ville entière a pris
le masque; elle chante, elle danse, elle agite ses grelots. Jamais les
saturnales à Rome, jamais en Grèce les bacchanales n'ont offert un
pareil spectacle; jamais la fête des fous, au moyen-âge, n'a étalé cette
débauche de joie. L'imagination ne peut rêver: de semblables folies
humaines un délire aussi envahissant, une pareille marée de gaieté
écumante et montante"
Un carnaval bipolaire
Plus les années s’éloignent du temps de
l’esclave, plus le désordre s’amplifie. Plus personne ne parvient à
canaliser la machine infernale conduite par le bwa-bwa. Les blancs se
retranchent, à l’approche des fêtes du carnaval, dans leur demeure. Les
békés mais aussi les mulâtres puissants trouvent leur plaisir dans les
réceptions mondaines à huis-clos, où les femmes se parent de leurs plus
beaux atours et les hommes se costument. Pendant ce temps, le peuple
organise peu à peu son carnaval. Et les planteurs se travestiraient
volontiers en autruche…
Qu’est-ce qui effrayait tant les bourgeois ?
Bwa-Bwa digne héritier des Griots….
L’esprit frondeur des affranchis est
directement importé d’Afrique de l’Ouest. Les Griots étaient des
personnages appartenant à la caste des poètes et des musiciens. Ils
étaient chargés de transmettre la tradition orale. Ils
étaient redoutés, car ils étaient capables de couvrir d’éloge ou
d’accabler d’insultes ceux qu’ils interpellaient. Héritier directe de
cette pratique, le carnaval des Antilles est le siège de la liberté
d’expression. Il est semblable au désordre ordonné d’une ruche. Telle
une vague ingérable, elle s’organise spontanément pour recréer ses
propres lois. La foule souveraine absolue, protégée par l’anonymat des
masques, s’autorise tous les débordements. Pendant plusieurs jours, les
participants défilent sous l’égide du bwa-bwa qui représente chaque
année une personne particulièrement peu appréciée par la population.
Politicien véreux, commerçant avide, contremaître brutal, toute personne
malhonnête aux yeux du peuple est susceptible de se voir brocardée.
Ainsi la haute société des îles s’exilait pendant cette période de
liesse. Cet ostracisme délibéré des planteurs trahit donc la peur de la
satire figurée par le bwa-bwa et chantée dans les biguines. Ces chansons
populaires pouvaient en fait acculer les victimes des paroles acerbes à
l’exile ou même au suicide. L’aristocratie insulaire entendait donc ne
pas participer aux joutes oratoires du carnaval plébéien.
Pour
mieux se démarquer encore de l’embryon de carnaval populaire, le
carnaval des « riches » finissait le mardi gras, tandis que celui du
peuple jouait les prolongations jusqu’au mercredi des cendres. Les békés
interdisaient à leurs enfants de sortir ce jour là. Ils auraient été
considérés comme des dévoyés. En effet, le mercredi est jour des
guiablesses. Ces filles, belles, semblaient ne participer au carnaval
que pour détourner les hommes du droit chemin !.
Que reste-t-il de la gouaille d’antan ?
Aujourd’hui,
le carnaval est moins violent qu’il ne l’était du temps de la splendeur
de Saint-Pierre. Le grand écart économique entre Blancs et Noirs, s’il
ne s’est pas refermé totalement, s’est considérablement resserré en
comparaison de ces années d’esclavage et d’après l’abolition. Si
certains carnavals des Antilles sont devenus de réels récitals, où l’on
parque les spectateurs derrière des barrières ou pire derrière des
vitres, d’autres sont restés des actes collectifs.
Dans
la plupart des îles françaises des Antilles, le carnaval est resté cet
art simple et vrai qui s’exprime au grand jour, dans la rue. Grands et
petits, tout le monde attend l’événement carnavalesque. C’est un rituel
inéluctable. Aux Antilles le carnaval est plus attendu que Noël. Chaque
année la magie opère, tout recommence avec le même enthousiasme. Tout le
monde se retrouve dans le même engouement, chacun choisi d’être acteur
ou spectateur. De
toute manière il n’y a aucune barrière entre les deux. L’improvisation
est la loi constitutionnelle du carnaval d’outre-mer. Chacun à sa guise
peut se mêler au carnaval. Chacun peut s’exprimer au travers de son
costume voire d’une simple pancarte.
Le sentiment général exprimé par le
bwa-bwa est panaché par une joyeuse cacophonie de considérations
personnelles. Parfois, les revendications expriment des aspects
douloureux de la société : des angoisses de contagion, de virus, de
maladie, de pauvreté, de violence. En somme, la peur du lendemain
défraye la chronique carnavalesque, mais jamais de manière dramatique,
toujours sur un ton caustique.
Le
plus souvent c’est la politique qui est brocardée, le social est
interpellé, le judiciaire est vilipendé, les « people » sont
caricaturés. La voix du peuple dénonce, critique, exagère tous les faits
marquants de l’année. Les intrigues que l’on croyait enfouies sous le
sceau du secret, rejaillissent sous les paillettes dorées. Si les
visages sont masqués, la critique ne souffre aucun déguisement. Les
opinions de tout bord martèlent l’asphalte des rues de la ville. Tout se
fait en rythme et fracas. Certains propos sont brandis sur des
banderoles, ils peuvent choquer par la crudité de leur représentation.
La panoplie des costumes s’agite et danse sur des airs bon-enfant, mais
personne ne s’y trompe, les paroles qui brodent la musique sont
cruelles. Tout s’organise de manière très aléatoire, pour créer un
ensemble espiègle et perturbateur.
Sa’w pas sav gran pasé’w (un homme averti en vaut deux)
Tout le monde est bienvenu. Tout le
monde participe. Sauf peut-être quelques notoriétés, qui préfèrent
encore éviter ce bain public. En effet, on imagine mal, le Ministre de
l’Intérieur, traditionnelle tête de turc des carnavaliers, flâner au
milieu de la foule en liesse. En général, les responsables politiques,
préfèrent participer à l’élection des reines, organiser des concours de
chants traditionnels pendant les tours de chauffe du carnaval. Puis,
soudainement, à l’approche des jours gras, messieurs les politiques
s’éclipsent à leurs affaires courantes. La ville est laissée à la libre
imagination des gens du carnaval. Il est certain qu’il faudrait à nos
dirigeants, une bonne dose d’humour et de flegme pour prendre part à la
fête sans s’irriter.
I sanfouté lo boufonnay la i karisivwè a…* (Il se fiche de toutes les moqueries qu’il reçoit)
Attention, le carnaval n’est pas un acte démocratique !
Si
le corps travestit devient un médiateur social, un revendicateur de
tout poil, le déguisement a l’unique prétention de jouer un rôle
d’inversion. Cette dernière permet d’évacuer les tentions
socioculturelles inévitables dans toute société. Le carnaval n’a jamais
été le cœur de réels mouvements sociaux. Jamais aucun carnaval n’a
métamorphosé la vie sociale et politique. C’est une simple fête, dont
les fondements sont enracinés dans le terreau de l’exutoire et du
détournement de faits socioculturels et politiques.
Le carnaval est une parade en marge du
quotidien. Le carnaval mime la vie et la théâtralise. Il vampirise le
quotidien et il s’évade dans les rythmes endiablés. C’est une fête
généreuse, débordante de vitalité où l’amalgame est commis d’office. La
confusion politique et populaire établit un nouvel ordre burlesque.
Chacun se trompe de genre et de sexe. Chacun endosse le costume de
l’autre qu’il s’amuse à brocarder. Le carnaval des Antilles colle à la
peau des îles, au tempérament des insulaires. C’est une pagaille immense
ordonnée au gré de l’imagination, de l’humour et de l’exubérance de
chacun.
Le
carnaval donne le meilleur de lui-même, lorsque intuitivement, les
attentes inconscientes de la communauté sont satisfaites. Cette
concrétisation passera inévitablement par ce que le bwa-bwa et les
chansons du carnaval refléteront. Sous l’égide de ces deux maîtres, le
carnaval peut alors exulter et déverser sur le bitume de la ville tout
ce qu’il a sur le cœur. Le but est atteint… Ce but même, toléré par les
instances ecclésiastiques, plusieurs siècles auparavant : un exutoire,
qui permettra à chacun de revenir, une fois le carnaval fini, vivre une
année au sein d’une société balisée par les normes politiques et
religieuses. Le carnaval a rempli sa mission, il faut donc en finir et
lorsque Vaval ou le bwa-bwa sera brûlé, chacun retournera au sein de la
collectivité qui reprendra son cours normal.
Les trois moyens d’expression du carnaval
La chanson : un ouragan musical
Le bwa-bwa ou Vaval : l’effigie de la grogne
Les costumes : imagination et improvisation
La Chanson du temps de Saint-Pierre
Chanté an tan lontan
La
chanson créole puise ses racines dans le parlé créole qui véhiculait la
gouaille et la satire dont étaient capables les esclaves d’autrefois.
Dès l’apparition du carnaval aux Antilles, la chanson y a joué un rôle
prépondérant. Fernand Yang-Ting, avocat, publiciste, romancier de
Saint-Pierre avant 1902, écrivait : "La chanson créole, sans quoi, il
n'y aurait pas de carnaval martiniquais, c'est un colibri au plumage
scintillant, chatoyant, volant de fleur en fleur dans le ruissellement
d'or de notre gai soleil. C'est l'éclat du rire "fusant entre les dents
nacrées et les lèvres brunes de nos insouciantes et folâtres filles du
peuple". C'est l'ironie, la moquerie, la rancune et parfois la
mélancolie qui s’exhale de leur cœur, en mazurkas cadencées, en biguines
suggestives, en galops effrénés"
Selon Salavina, dans son ouvrage
"Trente ans de Saint-Pierre", la chanson créole est faite comme le
langage, de menaces fugitives et multiples, d'allusions piquantes et
libertines. Elle est gaie, perfide, sarcastique et mordante, voire même
canaille en ses sous-entendus. A chaque événement marquant, elle
jaillit, fraîche, pimpante, alerte d'entre les pavés des rues, souvent
composée par Monsieur ou Madame "tout le monde".
Toutefois, du temps des splendeurs de
Saint-Pierre, les femmes étaient le plus souvent les auteurs des
chansons du carnaval. Celles-ci étaient souvent beaucoup plus satiriques
et audacieuses que les chansons qu’on entend de nos jours. Tout en
finesse, elles jonglaient avec la perfidie et l’insolence. Moqueuses,
elles tournent en dérision un fait, un thème (jalousie, médisance,
violence, injustice, infidélité, …) Elles brocardent un personnage peu
aimé. Malheur à lui, car ces chansons survivent longtemps après que
Vaval ait été brûlé. De sortes que le personnage victime des allégations
burlesques se verra ridiculiser jusqu’au bout de l’éternité !
Malheureusement, déjà, en 1922, une
certaine influence américaine et sud-américaine s'exerce sur la chanson
populaire martiniquaise. Peu à peu, les rythmes traditionnels : valse,
mazurka, biguine et rengaine des vidés disparaissent du carnaval. Les
jazz et autres rythmes de salsas, rumba supplantent la chanson créole.
Les Martiniquais fiers de leur patrimoine se battront pour la réanimer.
Certaines associations créèrent des concours de chanson traditionnelle.
Mais la modernité suit son cours, implacablement ! Dans les années 80,
le zouk recueille tous les suffrages de la jeunesse, au grand dam des
anciens qui estiment que le rythme du carnaval se trouve aseptisé par ce
nouveau mouvement musical. En ce début de 21ième siècle le zouk fait
figure d’ancêtre, il sera peut-être toléré dans les concours de chants
comme réminiscence d’une musique devenue traditionnelle. ( ?) Ceci est
une boutade bien entendu. Mais ce qui fut nouveau un jour, devient
tradition et se fait détrôner par les nouveaux. La roue tourne pour
tous…
Un ouragan musical
Chanté jòdijou : Ambians an la ri-a ! (chanson d’aujourd’hui, ambiance dans la rue)
Les
concours de chansons traditionnelles sont encore à l’ordre du jour. A
cette occasion, de nouvelles voix sont repérées et promues à une
notoriété qui restera locale ou qui dépassera les contours de l’île. Le
patrimoine de la chanson créole est réanimé. Malgré l’écho diffusé par
les médias locaux, ils sont souvent supplantés par les chansons qui
seront les « tubes » des carnavals modernes. Le rythme est de plus en
plus rapide, et nous assistons à des générations entières de chanteurs
et de musiciens kleenex. Adulés une année, ils seront complètement
oubliés au lendemain du carnaval. Peu importe chaque année ça
recommence. Dès le lendemain des fêtes de fin d’année, la chanson de
carnaval fleurit sur les ondes radios. Le public, à l’écoute, élit
spontanément sa ou ses chansons préférées. Elles seront de simples
divertissements ou revêtiront un caractère satirique et perpétueront
ainsi l’art de la parodie. Elle abordera un thème qui répond aux
attentes inconscientes du public. Un rythme ki mété defié an la ri-a
(qui met le feu à la rue) trouve son auditoire carnavalesque. Le mariage
des deux constitue un réel ouragan sonore relégué par les médias.
La chanson est le détonateur qui va «
ambiancé » Vaval. Elle devient le porte-parole de monsieur tout le
monde. Elle va le convier à la fête, avec sa bonhomie apparente, son
rythme léger et entraînant. Mais, personne ne s’y trompe et chacun rit
franchement à ses sous-entendus.
Mi bel tambou gwo ka !
Le carnaval ne se limite pas à
transmettre l’écho d’une seule chanson, d’un seul son. Les vidés sont
les orchestres à pied du carnaval. Ils sillonnent toute la ville en
dansant au rythme de leur musique. C’est
un cortège de percussions endiablées. Le son est peut-être uniforme de
vidé en vidé cependant, les instruments traditionnels refont surface.
Les percussions sont les maîtres de cérémonie : tambours, ti-bwa,
tam-tam, timbales, calebasses… Tous les instruments rappellent
l’influence africaine introduite dans le carnaval des Antilles. Les
souffleurs de conque sont de plus en plus présents ainsi que les
trompettes. Les percussionnistes martèlent leurs instruments à se
déboîter les bras. Ils tapent et frappent de plus belle. Ils envahissent
l’espace sonore et entraînent dans leur sillage une troupe de danseurs
en costume. Les rythmes sont si suivis, si puissants, qu’ils font sauter
les organes à l’intérieur du corps.
Tout’ ti bwa déwò
La
qualité des instruments varie d’un orchestre à l’autre. Les groupes
organisés, issus de comités carnavalesques sont munis d’instruments
esthétiques, presque professionnels. Mais le défilé compte aussi des
vidés spontanés. Les musiciens jouent sur des instruments improvisés.
Ces orchestres paraissent hétéroclites. Ils utilisent des vieux
trombones, des ti-bwa et frappent sur des boîtes de conserves vides. Ils
reconditionnent les batteries de cuisines, des bonbonnes en plastiques,
des bidons. Ils vont chercher dans la nature les éléments
indispensables au rythme du vidé : calebasses, bambou, bois, peau… Pour
autant, chaque orchestre joue avec brio.
Parfois, vidé nostalgique fait revivre
les vieilles biguines, mazurkas, polkas et valses créoles.. C’est un
petit orchestre, composé de guitares, de trompettes, d’une batterie. Ils
sont installés dans la remorque d’un camion, et jouent leur répertoire
le temps du parcours du carnaval. Tout un pan de la tradition refait
surface. Chapeau bas ! C’est trop beau !
Sé woulé yo ka woulé ! Bagay-la ké kraché difé
Ca roule sans cesse ! L’ambiance sera chaude…
Le carnaval oscille entre tradition et
modernisme. Les vidés ou orchestres à pied sont nombreux, mais il leur
faut de la ténacité pour ne pas être littéralement absorbés par les
supers sonos qui déversent un cocktail redoutable de décibels. Moins
gracieuses, que les vidés, ce sont des murs d’enceintes empilées à
l’arrière d’un camion. Ces sonos sont souvent sponsorisées par des
entreprises. Les banderoles qui couvrent le camion n’évoquent plus du
tout l’esprit frondeur du carnaval, mais le sponsoring d’une kermesse
ordinaire. Les sonos des camions déversent un flot de chansons modernes
qui attirent les jeunes. Derrière ces camions, une cohorte de gamins aux
visages dissimulés par des bandanas suit sous une chape de décibels.
Ils dansent, sautent, crient pendant 5 jours. Tout ceci est
admirablement résumé dans cette phrase percutante de Rochais et
Bruneteaux :« Les arabesques et les déhanchements des polkas-marches,
mazurkas, biguines ont abandonné la rue aux contorsions pelviennes sur
fond de doum, doum, doum. » Après tout, chacun trouve dans le carnaval
son moyen préféré pour s’éclater…
Bwa-bwa, le Roi de la dérision - Que signifie le Bwa-Bwa ?
Dans
son dictionnaire, Raphaël Confiant cite M-Th. Lung-Fou qui a écrit un
admirable livre sur le carnaval. Raphaël Confiant nous parle d’abord en
ces termes : « le bwabwa est un pantin (de carnaval), pantin
représentant l’adversaire au soir d’une victoire électorale « A
Saint-Pierre, tous les ans, le dernier jour du carnaval, avait lieu une
cérémonie bizarre, appelée l’enterrement du Bois-bois. Le Bois-bois
était un mannequin qui caricaturait l’incident le plus impopulaire de la
ville ou dans la politique. Après avoir été promené avec solennité à
travers toutes les rues de Saint-Pierre, le Bois-bois était enterré ou
noyé et jeté à la mer ».
Bwa-bwa ou Vaval ?
Le bwa-bwa était le nom
utilisé dans les carnavals du dix-neuvième siècle. Après la
catastrophe, et lorsque Fort-de-France prit le relais, le mot Vaval
apparut. Aujourd’hui en Guadeloupe et en Martinique on utilise
indifféremment les deux mots.
La tradition du bwa-bwa
An
tan lontan, le bwa-bwa était un mannequin fait de chiffons, de cartons,
de papier et bourré de paille. Il était porté au bout d’une perche. Au
siècle dernier, chaque quartier confectionnait son bwa-bwa. En général,
c’était une femme qui l’imaginait. Le jour de sa sortie, le bwa-bwa
était une surprise totale y compris pour la victime qui découvrait à ses
dépens son effigie. Souvent le pantin était très ressemblant. Pour ne
pas s’y tromper, les attributs habituels de la victime l’accompagnaient :
sacs, chapeau, vêtements… Si la personne visée avait assez d’humour,
elle restait dans l’assemblée, et prenait part au carnaval en se moquant
d’elle-même. Si par contre, la blessure causée par les sarcasmes était
trop vive, elle s’enfuyait sous les quolibets.
Aujourd’hui, le bwa-bwa est pensé et
conçu dans le plus grand secret par les comités locaux du carnaval.
C’est un mannequin gigantesque qui se promène dans la ville sur une
remorque de camion.
Ses origines ?
Son origine remonte tantôt aux rites
africains ancestraux, tantôt il est le digne héritier des pratiques
carnavalesques européennes. Son nom est africain, certes. Mais ce qu’il
représente et sa conception est inter-communautaire. Tous les carnavals
de la chrétientés ont un Roi des fous, qui est sacrifié avant le carême.
Aujourd’hui encore, bwa-bwa est la figure mythique du carnaval. Roi
éphémère et fantoche, son effigie burlesque se moque de tous et de tout.
Il est le symbole de la joute sociale où le peuple s’exprime sans
pudeur.
Le mercredi des cendres est le Jou ki tout bwabwa brilé.
Même si tous les carnavaliers
idolâtrent bwa-bwa dès sa première sortie, chacun sait qu’il est
condamné dès ses premiers pas. Par sa disparition, il déculpabilise les
participants de s’être adonné sans vergogne à la danse, aux chants, aux
refrains irrévérencieux et aux abus. L’incinération de Vaval agit comme
une purification de toutes les âmes. Ce moment est chargé d’émotion. Il
est impressionnant ! Les diablesses pleurent et crient pour tenter
d’empêcher l’inéluctable. La foule sanglote bruyamment. La cohésion est
bouleversante. Au moment où Vaval part en fumée, les cris s’arrêtent et
un silence immense fait frissonner tous les participants. C’est une
chape de plomb qui s’abat sur l’assistance, une tristesse sincère
imprègne l’ambiance.
Solèy pòkò fini kouché, Vaval pa kité nou… (le soleil n’est pas couché, Vaval ne nous quitte pas)
Joute de costumes et bagarres de confettis…
Pa ni pli bel bagay, manmay-la !(rien de plus beau)
Avant de faire défiler tous les
personnages du carnaval, je veux ici évoquer un ingrédient
incontournable de carnaval : le confetti. Point de carnaval sans
confetti… Mais d’où vient-il ?
Les
confettis étaient de petites dragées rondes de sucre candi que l'on
jetait au début du XIXème siècle, pendant le Carnaval. Mais à l'époque,
toutes sortes de projectiles pouvaient faire l'affaire : œufs pourris ou
remplis de suie et de sable, farine, plâtre, pois chiches. Parfois le
bon goût refait surface, et ce sont les fleurs qui sont lancées à la
tête des spectateurs… Cependant, mieux valait être bien équipé pour
tenter une incursion sur le corso ; certains n'hésitaient pas à se doter
de masques grillagés à la façon des escrimeurs, afin de se protéger le
visage.
D'autant plus que, peu à peu, les
confettis de plâtre tendaient à remplacer ceux en sucre candi, plus
onéreux. Dès la fin du XIXème siècle, un ingénieur italien, Ettore
Fendel, eut alors l'idée de remplacer ces projectiles trop dangereux par
d'autres en papier multicolore. Les lanceurs de confettis seraient une
survivance de costumes et de croyances très anciennes, faisant référence
aux poignées de noix ou de friandises que l'on jetait sur la foule,
lors des "fiançailles printanières" du Carnaval, au Moyen-Age, tout
comme on lance encore aujourd'hui des poignées de riz (symbole de
fertilité) ou de dragées, sur les jeunes mariés.
z’abitans pèyi Vaval
Certains personnages datent des
carnavals de Saint-Pierre : déguisements de bébés pour les femmes, de
pages pour les hommes, Pierrots, diables, nègres "gros-sirops", médecins
d'hôpital. On le voit, le Carnaval si réputé de Saint-Pierre usait de
costumes fort simples. Avant, on les achetait certes, mais le plus
souvent, on les confectionnait en toile, en carton. Les hommes se
peignaient le visage de roucou. Ils
portaient des nattes de crin, des barbes, des moustaches qui les
rendaient méconnaissables. Il fallait qu'ils puissent faire peur aux
petits, mais aussi aux moins jeunes. Pour les travestis, pas de costumes
luxueux mais des vieux habits trop grands ou trop petits, déchirés,
rapiécés. Il est de tradition que l'homme se déguise en femme, en ne
négligeant aucun détail.
Chaque année, le panthéon des
personnages du carnaval accueille de nouveaux venus. Les déguisements
sont le résultat d’un brassage culturel. Les personnages des carnavals
des Antilles sont inspirés de l’Afrique, de l’Europe, des métiers, de
blessures historiques, de faits sociaux. Certains personnages portent en
eux un fond tragique et évoquent des événements traumatisants, comme
l’esclavage, l’éruption de la montagne Pelée. L’identité du carnaval
antillais s’affirme dans un glossaire pittoresque et complexe. Chaque
personnage porte un nom qui l’immortalise dans la tradition
carnavalesque, même si pour un temps il est délaissé. Chaque nom porte
en lui l’image exacte du personnage : tet’ zozo, raché pwel, karolin zyè
kloki, mass lan mô, brossé soulié, moko zombi, weliwelo matelo, medecin
lopital, marianne lapo fig, manawa, nèg gwosiwo, margrit an renyon…
Du samedi au mercredi, la fête laisse
libre court à l’imagination. La coutume carnavalesque impose quelques
figures traditionnelles. Les personnages anciens et modernes se mêlent à
la fête : le bwa-bwa (déjà évoqué précédemment), les Reines,
Mini-Reines, Reines-Mères leurs dauphines, les mariés burlesques, les
diables rouges, les guiablesses et de nombreux caractères réunis sous la
bannière des travestis makoumès.
Vini anlè balcon-an wè nidé pasé ! (Aller au balcon voir le vidé passer)
Au
carnaval, le spectacle est partout : au centre de la rue où défilent
les vidés « officiels » et « officieux » ; sur les trottoirs où les
spectateurs se prennent au jeu. Entre les défilés, les travestis
makoumès s’imposent, marginaux, comme trait d’union entre un programme
établit et l’improvisation débridée. Chaque groupe organise son carnaval
dans le carnaval. Tout ce petit monde ne respecte qu’une seule règle,
celle du code des couleurs du carnaval : samedi, jour de sortie des
reines tout le monde est libre ; dimanche, jour de sortie de Vaval
toutes les couleurs sont de sortie, lundi pour les mariages burlesques
chacun fait ce qu’il lui plaît ; mardi tous en rouge pour accompagner
les diables, mercredi, tous en noir et blanc pour honorer les
guiablesses et suivre l’enterrement du Bwa-bwa.
Kannaval, mas déwò ! Au carnaval les masques sont de sortie
Le
dimanche est sans doute l’un des plus beaux jours du carnaval. Les
vidés défilent au pas cadencé, chaque visage est grimé, chaque acteur de
la troupe porte un costume qui contribue à l’harmonie du groupe. C’est
magique et féerique. Le spectacle est envoûtant, il vous rend boulimique
de l’image. Chaque visage, chaque parure, chaque groupe, chaque char
est digne d’une photographie. C’est une déferlante de tableaux colorés
tout en rythme. Les rues de la ville sont inondées de parades volubiles
de fleurs d’hibiscus, de pousses de cannes à sucre, de feuilles de
bananiers, de colibris, de sirènes, de lutins, de fous…. Les influences
africaines et européennes se croisent parfois sous le même costume,
ainsi ce masque vénitien sur un costume de touloulou guyanaise. Dimanche
gras, jour multicolore fait briller les paillettes dorées et argentées
qui souligneront les bleus, les verts anis, les oranges, les jaunes, les
mauves… Un arc-en-ciel humain auréole la ville. Les rues n’existent
plus, ce sont des rivières qui voient se répandre un flot de joie,
d’élégance et de splendeurs.
Les figures emblématiques du carnaval des Antilles.
Election des reines et le carnaval des écoles.
Tout’ lé bèlté an la ri-a èk tout’ ti manmay déwò
Le
samedi gras, est premier jour de sortie des reines. Pendant les
semaines comprises entre l’épiphanie et les jours gras, les communes ont
organisé des concours de reines façon music-hall. L'élection des reines
est une manifestation qui apparaît à la renaissance du Carnaval
martiniquais au lendemain de la seconde guerre. Il
fallait sauver de l'oubli les costumes dont se paraient les femmes
créoles dans l'ancien temps. Ces costumes ne sont plus guère portés que
dans les mariages et cérémonies exceptionnelles. Pour les élections de
reines du carnaval, les tenues locales anciennes sont exigées. Les
candidates défilent devant un jury sur une scène. Elles se présentent
dans trois costumes différents : costume traditionnelle, tenue de
soirée, travesties. Le jury a la tâche délicate d’élire celle qui
représentera le mieux le carnaval de l’année. Les reines sont des jeunes
filles qui ont une vingtaine d’année. Il est dommage que les jeunes
femmes des îles françaises se détournent de plus en plus de cette
tradition. En effet, en 2006, il n’y avait guère un choix immense pour
le jury. Espérons que les mini-reines, ces fillettes de 10 ans, plus
assidues que leurs aînées soient encore au rendez-vous d’ici dix ans (
?) Enfin, les reines-mères sont les gardiennes de la tradition créole.
Toutes les reines sont accompagnées de dauphines. Les reines-mères
présentent une cour de travestis. Tout ce petit monde défile à pied pour
les plus jeunes ou sur un char richement orné.
Lékol kannaval tout’ti diab’ déwò
Le
samedi est premier jour de sortie des Reines, elles sont accompagnées
par les enfants qui ont préparé leur défilé avec les maîtres d’école.
Chaque école définit un thème autour duquel, la créativité des enfants
est mise à contribution. Tous les enfants sont de sortie, avec leurs
costumes, pour la joie de tous et la fierté des parents. C’est un régal
de voir respecter les coutumes.
Dès le dimanche, les reines auront pour
lourde tâche de faire partie du cortège du bwa-bwa. La Reine du
carnaval est l’antithèse du bwa-bwa. Elle représente le charme, la
beauté, l’élégance, la jeunesse et la pureté. Tandis que nous savons que
le bwa-bwa est tout le contraire… Nous assistons à l’adaptation de la
Belle et la Bête. Au dernier jour du carnaval, le mercredi des cendres.
Les reines se travestissent en guiablesses.
Les costumes traditionnels
Gran’Rob d’an tan lontan
Aujourd’hui
certains défilés de personnes d’un certain âge s’immiscent au carnaval.
De grands airs nobles, des tenues traditionnelles rompent le rythme
décousu des vidés. C’est une pose sans musique, sans gesticulations
obscènes, sans défoulement en grande transpiration, dans le carnaval
tapageur. Des couples assortis défilent. Madame protégée d’une ombrelle
tient le bras de Monsieur. Tous très dignes dans leurs postures, tous
très calmes, ils apportent une ambiance sereine d’an tan lontan. Ils
sont là pour nous rappeler qu’avant, les grands-mères sortaient dans les
rues se parant de leurs plus beaux costumes. Grand'robes, jupes, madras
et foulards étaient leurs attributs. Ils en étaient fiers. Aujourd’hui
certaines associations sont là pour nous rappeler comment s'habillaient
les anciens. Porter la grand'robe ou la jupe, la tête calendée (kalanndé
: se parer d’un joli chapeau très coloré) ou le foulard, oui, mais il y
a certaines règles qu'il convient de respecter. Elles le sont dans ces
défilés qui ressemblent à un album de photos anciennes. Merci de les
rendre vivantes pour le plaisir de tous.
Les diables rouges
Djab-la dèyè’y. (R. Nazaire, Ti kako.Le diable est à sa poursuite.)
Ils
se mêlent au défilé du dimanche gras. Mais ils restent discrets ce jour
là. Car le jour des diables rouge est le mardi gras. Ce jour là, ils
imposent leur couleur à tous les défilés ainsi qu’aux spectateurs, c’est
l’invasion du rouge ! « Kon un nich de foumi wouj » !
Ces personnages diaboliques, mangeurs
d’enfants, tueurs d’hommes, occupent une place prépondérante dans la
tradition du carnaval des Antilles. Les pistes qui mènent aux origines
de ce personnage sont multiples et chaotiques. Le diable rouge est un
être carnavalesque complexe.
Le vrai costume traditionnel du « Djab
wouj » était délicat à porter. La tête énorme et lourde était composée
d’une mâchoire de requin, d’un visage fait de peaux de cabris ou de
moutons, d’une chevelure composée d’une crinière de cheval et agrémentée
de multiples cornes de bovidés au bout desquelles des grelots étaient
suspendues. Ce masque hideux qui ne laissait pas voir le visage du
porteur était extrêmement lourd, et sous les climats tropicaux, le
travesti étouffait sous son déguisement. Aujourd’hui,
les masques ressemblent aux anciens, mais les matières plastiques
allègent considérablement « l’édifice » figuratif. Outre ce masque, le
travesti est vêtu d’une salopette rouge truffée de petits miroirs. Dans
sa partie postérieure, une longue queue est greffée. Le travesti la tien
dans la main tandis que de l’autre il brandit une fourche. Autrefois,
celle-ci était en fer forgé, aujourd’hui des matériaux plus légers sont
utilisés. Ils sont accompagnés de diablotins. Ceux-ci ne portent que la
salopette, la fourche, et leur visage est grimé. Tout’ ti djab’ déwò…
Mais d’où vient ce personnage ?
Abi ! Abi ! Mi djab-la déwò
Certains
diront que le diable rouge vient tout droit de la mythologie africaine.
Les Noirs déportés dans les îles ont besoin de renouer avec les esprits
de leurs ancêtres. Ils se disent que les esprits profitent du carnaval
pour prendre apparence humaine et venir profiter de la fête avec leurs
descendants. Le carnaval est l’occasion de retrouvailles avec une
famille mythologique ancestrale. Le diable rouge est issu de cérémonies
initiatiques sénégalaises, par ses cornes et ses miroirs. Mais il est
également originaire de Casamance par la physionomie de son masque. Par
sa présence au carnaval, le diable rouge rend les rites africains
pérennes.
Mais non, diront les autres, le diable
rouge est un personnage typiquement chrétien ! Selon eux, le diable
rouge serait carrément sponsorisé par l’Eglise elle-même ! Pour elle,
l’usage des masques venus d’Afrique était un sacrilège. Afin, d’en
proscrire l’utilisation, elle intégrait l’image du masque à celui du
diable tant redouté par les Africains déportés. Dès les débuts de leur
conversion, les esclaves apprennent que le diable est leur ennemi.
L’Eglise fait d’une pierre deux coups. D’une part, elle inculque la peur
du diable, ce qui permet de réfréner les pratiques tendancieuses de ses
ouailles. D’autre part, elle décourage les Africains de revenir aux
rites ancestraux. Le diable rouge déambule dans les rues de la ville et
profère des menaces contre les parents qui n’ont pas baptisé leurs
enfants. Ils apeurent les enfants qui seraient tentés de ne pas
respecter les règles…
Dernière interprétation. Le diable
rouge est issu de l’esprit malicieux des affranchis. Ils osent sous le
couvert de l’anonymat, protégé par le masque, parodier l’Eglise,
démystifier l’enseignement catholique et se moquer de la peur du Malin.
Mas lanmo, péyi moun san chapo
Le royaume des morts
J’ai
trouvé ce personnage sous diverses orthographes, sans doute celle-ci se
travestit-elle au gré de l’imagination comme tout déguisement digne du
carnaval…. Ainsi, le masque lan mô, mass lanmo ou mass lan mo voire mass
lamow est un déguisement représentant la mort. Ce masque figurait dans
tous les carnavals parisiens au dix-huitième et dix-neuvième siècle.
Largement repris dans le carnaval de Saint-Pierre, il peut paraître,
après coup, prémonitoire… Le
rire du mas lanmo se perpétue dans un écho éternel. C’est souvent un
squelette drapé de blanc ou de noir. Il porte un masque funéraire. Il
déambule, fantomatique dans le vidé. Il semble ne pas marcher, mais se
mouvoir comme sur un nuage qui évoluerait entre terre et ciel. Tout le
monde en a peur, car sans prévenir, il peut vous envelopper. Il peut
aussi vous piquer d’une épingle habilement dissimulée. Représente-t-il
vraiment la mort ou plus vaguement le mal ? lé Basile ka pasé…
Les échasses – Moko Zombis
Dès le début du vingtième siècle, le
carnaval antillais s’enrichit d’influences diverses et notamment
brésiliennes avec l’introduction des échasses dans le défilé. Les
échasses sont en fait la réminiscence de rites africains.
Marianne lapo fig
Ce personnage est l’emblème de
l’originalité faite de n’importe quoi. Il s’oppose aux grands étalages
de costumes onéreux. C’est le résultat du mariage de la créativité et
l’ingéniosité à utiliser les fibres naturelles. Lapo fig signifie peau
de banane. Nombreux carnavaliers créent ainsi des costumes somptueux à
peu de frais. Souvent cet art semble avoir des influences africaines.
Costumes en feuilles se cannes, en feuillent de bananier ou de
cocotiers, tenues réalisées en bakoua ou en papier journal. La marianne
lapo fig ne manque pas d’imagination.
Nèg gwo siwo en liberté
Nwè kon an fon kannari (noir comme le fond d’un pot)
Les
neg gwosiwo sont des éléments subversifs du carnaval. Ils chahutent et
effrayent les passants. Vêtus de simples pagnes, ils sont complètement
enduits de sirop de batterie mélangé à de la suie. Cette mélasse
nauséabonde les rend particulièrement repoussant. Pourtant, ils
s’ingénient à vouloir séduire ces dames, tentant de communiquer leur
goût pour leur saleté volontaire. Ils sourient largement, laissant voir
leurs dents rougies par le roucou (fruit oléagineux). Actuellement,
quelques femmes se parent de la sorte également. Autant dire qu’elles
peuvent déambuler quasiment nues dans les rues de la ville, elles
n’auront à subir l’assaut d’aucun prétendant ! Leur tranquillité est
assurée.
Le nèg gwo siwo malgré son apparence
répugnante participe à redonner une dignité aux esclaves dissidents.
Leur couleur fait en effet référence aux nègres marrons (nèg’ marrons).
Le roucou symbolise la force du marronnage. Ces esclaves échappaient à
la vigilance de leurs maîtres et tentaient de retrouver une certaine
liberté en gagnant dans la forêt. Le carnaval reste un lieu mythique de
commémoration des actions d’éclats des combattants pour la liberté.
Coupeur de canne le Kongo ou Congo
«
Le Congo est la reproduction exacte du costume que les Nègres portent
sur les plantations. Pour femmes, il se compose d’une chemise grise en
calicot, d’une jupe en percaline ordinaire et de deux mouchoirs
(mouchoirs fatas), l’un pour le cou, l’autre pour la tête au-dessus de
laquelle on arbore un monstrueux chapeau de paille. La femme va nu-pieds
ou porte les rudes sandales de fabrication indigène: elle tient une
houe à la main. Pour l’homme, le costume se compose d’une chemise grise
d’étoffe grossière, de pantalons de canevas bleu, d’un large mouchoir
fata et d’un chapeau bakoua, immense coiffure faite en fibre de palmier
de la Martinique. Il est pieds nus et il porte un coutelas. » (M-Th.
Lung-Fou, Carnaval A.)
Hommes d’argiles
Ces
personnages sont apparus dans le défilés de l’an 2000 à Fort-de-France.
Modernes, car nouvellement créés, ils traînent dans leur sillage toute
la tradition africaine. Personnage pacifique à la différence du neg gwo
siwo, il ne s’exprime que dans des poses esthétiques qu’il garde
suffisamment longtemps pour être les travestis les plus photogéniques du
défilé. Les réminiscences de l’Afrique rejaillissent dans le port du
pagne et dans le recours à la terre pour se parer. En effet, les peuples
africains enduisent leur corps de terre pour se protéger du soleil.
Ici, cette protection est une parure de carnaval. Ces groupes ponctuent
le carnaval et ne sont pas accompagnés de musique. C’est un instant de
paix et de repos dans la cacophonie ambiante.
Le joueur de conque
Il
n’est pas à franchement parler un travesti, mais plutôt un musicien qui
fait partie du vidé. Il fait partie des soufflants par opposition aux
percussions. La conque de lambi était utilisée autrefois pour
communiquer les décès dans le quartier ou une catastrophe naturelle. Les
pêcheurs l’utilisent encore pour annoncer leur arrivée. Aujourd’hui de
plus en plus d’orchestres à pied ont leur section de conques de lambis.
La conque est un instrument qui fait
partie du patrimoine martiniquais. Elle est utilisée depuis plus de 6000
ans par les premiers occupants, les amérindiens. On peut dire que le
21ième siècle aura réveillé la conscience de l’existence du patrimoine
des îles. En Martinique de nombreuses traditions ressurgissent.
L’Histoire et la culture de l’île sont ranimée et enseignée à tous par
le biais de l’amusement.
Caroline karolin ou Karolin zyé kloki
Boulé an sann (ivre mort)
Ce déguisement est une composition
originale qui met en dérision la relation homme/femme. Il représente
l’homme et la femme en même temps. Par une habile conception le travesti
donne l’impression d’être deux : la femme laide et vieille portant son
mari sur son dos, lui aussi très laid et visiblement complètement ivre.
En réalité une seule personne « habite » les deux personnages. Ce
personnage est un peu comme un coup de crayon simple et efficace d’une
bande dessinée. Par son agencement, il raconte que Caroline, la pauvre
femme est obligée de partir à la recherche de son soûlard invétéré de
mari et de le ramener à la maison.
Les touloulous : Séductrices ou jalouses ?
Mi taw, mi ta mwen…
La
touloulou fait partie du folklore Guyannais. C’est une femme déguisée
de la tête aux pieds. Aucune partie de son être n’est dévoilée, même pas
ses mains. Il faut qu’elle soit totalement méconnaissable. Le
personnage se prépare d’ailleurs dans le plus grand secret. Le jour de
sa sortie, la touloulou se débrouille pour ne pas être vue par ses
proches. Elle part seule à la fête. Certaines boîtes de nuit organisent
des soirées très prisées. Le bal des touloulous est le rendez-vous des
belles. La touloulou sous la protection d’un anonymat à toute épreuve
peut s'enivrer de plaisir. Elle s'oublie dans la danse, elle oublie ses
ennuis, ses soucis. Ce jour là, elle n’est plus mère de famille, épouse
ou amante, elle est touloulou ! Elle vit, dans la rue, elle explose,
elle peut jouer de ses reins (mi taw, mi ta mwen), de sa voix vivre son
"vidé". Ce personnage permet des rencontres agréables. Mais il peut être
redoutable pour les époux. En effet, quel meilleur moyen de tester la
fidélité de son homme qu’en l’observant sous le couvert d’un déguisement
? Stratégie de rencontre ou mise à l’épreuve de l’être aimé, la
touloulou a plus d’un atout sous ses jupons ! Gare à ce que le carnaval
ne se termine en pugilat matrimonial…
Les mariés burlesques : Viv’ lan mayé…
Le
lundi gras, les vidés qui ont défilé la veille dans la ville principale
de l’île profitent de cette journée consacrée aux mariés burlesques
pour rentrer dans leur commune et défiler chez eux. Quelques vidés
restent néanmoins dans la « capitale » afin d’ordonner un peu le
désordre coutumier au thème du jour. Aujourd’hui, la ville est le
royaume d’éléments dissipés qui se libèrent par le rire. Chaque défilé
est laissé à l’initiative des habitants. Ils improvisent des mélis-mélos
de défilés décousus. Le carnaval du lundi gras obéit aux règles les plus élémentaires du chaos ordonnancé par la fantaisie.
Le principe des mariages burlesques est
celui des couples mal assortis. Thème imposé du jour qui laisse une
latitude particulièrement vaste. L’imagination s’affranchit des carcans
du quotidien. Ce jour revêt une ambiance bon-enfant. En effet, la
plupart des défilés sont improvisés par des familles, qui se réunissent
dans la rue après avoir cogité une mise en scène burlesque de leur
mariage. Tous se préparent, chacun y va de sa petite invention
personnelle… Et voici parents, tontons, tantines, grands-parents,
enfants, petits-enfants qui défilent dans la rue, s’amusant du regard
des badauds. Qui est spectateur ce jour là ? Certains groupes
s’organisent comme de réelles petites troupes de théâtres.
Cortèges désopilants
Vini couri vidé ya
La
mariée aura sans nul doute fêté Pâques avant le Carême. Elle défile en
robe longue et blanche, voilant son visage maquillé avec extravagance,
la couronne d’oranger symbole de sa pureté orne sa chevelure. Pourtant,
elle ne peut dissimuler un ventre si proéminent qu’il trahit à coup sûr
un accouchement imminent. Elle est grande, démesurée par rapport à son
mari qui lui frêle et gringalet se fait sans cesse houspiller par sa
jument de future femme. Le cortège des mariés est aussi disparate que
les époux. Chacun y va de son inspiration pour parodier la tantine, le
chef d’état civil, le prêtre, les enfants illégitimes de tous et de
chacun… Le maire est souvent représenté avec un chapeau haut-de-forme
monstrueux. Il parle seul car personne ne l’écoute. Son chapeau fait
référence aux métropolitains qui débarquaient au début du vingtième
siècle des bateaux à vapeur. Ils étaient coiffés de ces chapeaux qui
inspirèrent immédiatement l’esprit moqueur du carnaval. C’est un
spectacle original, où la recherche du costume aberrant et cocasse sont
de mise. L’inversion est reine ! Les enfants sont habillés en vieillards
et l’on verra un adulte vêtu en couches culotte se faire promener dans
un landau.
Les mariés burlesques et leur suite
font partie de ce que l’on appelle les travestis makoumès. En effet,
tous les participants se trompent de sexe. L’homme est en mariée ou en
dame d’honneur, tandis que la femme sera le marié ou le père de la
mariée voire le tonton…
Les makoumès
Certains
jours, les rues sont travesties en galerie de makoumès qui paradent. Ce
sont des petits groupes informels et marginaux. Ils ne font pas partie
du programme carnavalesque. Pourtant ils sont là et viennent se
surajouter aux carnavaliers officiels. Par leur présence, le carnaval
prend un rythme à double détente. La cadence des vidés est interrompue
par l’apparition des makoumès. Ils provoquent un temps d’arrêt dans le
carnaval. Une pose où le regard, comblé par le déhanchement et la
vivacité des vidés, s’arrête sur ces apparitions étonnantes que sont les
makoumès.
De tout temps on a vu les hommes se déguiser en femmes pendant le carnaval. Le terme makoumè en créole signifie homosexuel. Les
travestis makoumès ne sont pas nécessairement des homosexuels et le
carnaval n’est pas devenu une immense Gay Pride ! Le personnage est le
symbole d’une relation homme/femme déviée. Ce terme regroupe plusieurs
catégories de personnages. Le plus souvent ce sont des hommes qui se
déguisent en femmes. La plupart d’entre eux n’ont aucun message, leur
démarche est bon-enfant. Ce sont des tontons qui se sont dit un jour «
aller, on se déguise en filles ! ». Ils empruntent les affaires de
madame, les assortissent à contre sens du bon goût. Ils
mettent une perruque afro aux couleurs excentriques, ils s’habillent
d’un bodie rehaussés de prothèses bricolées de balles de tennis. La
clope au bec, ils sortent dans la rue, l’air goguenard. Sous leurs jupes
des baskets pour le confort de la marche. Leur visage est vulgairement
maquillé, ils se fichent de tout et sont dans la rue pour s’amuser. Des
orchestres entiers décident de s’habiller en filles, ils défilent au pas
cadencé, portant d’énormes caisses et tambours frappant de manière
virile leurs instruments. C’est ça l’acte carnavalesque.
Une autre catégorie de makoumès
regroupe les manawas, les malpwops, les mas bésé rob… Les premiers sont
plutôt artistiques, les suivants sont plutôt obscènes. Les makoumès sont
contestés et paradoxalement, d’année en année leur nombre augmente. Les
makoumès se singularisent du reste du défilé. Bien que grimés, ils
demeurent toujours reconnaissables.
Les manawas
Ces makoumès se
prennent pour les reines de la rue. Habillés de dessous féminins
sophistiqués. Leur maquillage est appuyé et recherché : faux-cils,
vernis à ongles, lèvres soulignées boucles d’oreilles, colliers, bagues,
sacs à main. Ils déambulent lentement perchés sur des escarpins à très
hauts talons. Souvent, ils s’abritent sous une ombrelle et prennent des
poses sensuelles. Ils attirent le regard. Ils se débrouillent toujours
pour faire le vide autour d’eux. Très solitaires, ils entendent être
seul sur la photo. Loin d’être gênant ce déguisement est plutôt de
qualité voire artistique. L’homme met son corps en valeur dans des
dessous ou dans des habits féminins. Le torse est serré dans un corset
en dentelle. Une chemise fine et transparente souligne leur silhouette
harmonieuse. Il y a une certaine fierté dans son port de tête. Il
adaptera son déguisement chaque jour au code des couleurs. Le mercredi
des cendres les Manawas font de très belles guiabless.
Malpwops
Kokofiolos djol malélivé
Dans
la catégorie obscène des makoumès on trouve les malpwops. Au départ les
malpwops ne prenaient part qu’aux défilés du lundi gras. Leur présence
était justifiée par les mariages burlesques. Depuis quelques années ces
personnages apparaissent tout au long du carnaval et se conforment même
au code des couleurs. Souvent habillés de dessous féminins agrémentés de
pastiches évocateurs, ils simulent parfois l’acte sexuel. Ils se
retrouvent fesses à l’air dans un string ou en mini-jupe cachant tout
juste le bas ou le haut ( ?) Ils laissent presque toujours apparaître
les poils et des muscles saillant. Certains se veulent revendicatifs.
Ils portent sur eux une pancarte ou des photos suggestives. Ils se font
porte-parole de courts jeux de mots, d’insanités, de blagues ou de
pastiches de revendications sociales et politiques. Ils ont un humour
audacieux. L’injure et la prise à parti est leur véhicule préféré. Ils
théâtralisent un monde impudique et bariolé. Ils se nomment eux-même «
Miss lippo-suçon » ; « Reine du cunnilingus » et j’en passe.
Mas bésé rob (masque baissé robe)
Les
malpwops sont souvent associés aux mas bésé rob. Au début du siècle ces
masques malpropres étaient portés uniquement le dimanche gras, par des
hommes habillés en chemises. Aujourd’hui sous la bannières des malpwops
on trouve ces gros bébé hors d’âge. Ils portent une énorme couche
culotte et brandissent sous le nez des spectateurs un pot de chambre
remplit de … mélasse et de confiture de couleur glauque, qu’ils
dégustent à longueur de défilé. Ils miment aussi la défécation au milieu
de la rue. Dans le mélange de genre de mauvais goût, on voit aussi le
gros bébé tenant tout au long du parcours sa poupée… gonflable ( !) Il
porte autour du coup une pancarte qui rien moins qu’une insulte à la vie
privée de telle ou tel personnage public…
Bwadjaks
Annou ba’y chabon ! Plein gaz !
Parallèlement
à l’émancipation des makoumès, les bwadjaks s’immiscent dans le défilé.
L’orthographe créole toujours aussi imaginative nous donne un panaché
qui va de bwadjak à bradjak et Bwajak. Terme qui veut dire tacot. Le
bwadjak est le prolongement des revendications burlesques de makoumé.
Peints à l’emporte pièce ou de manière artistique, elles traînent des
banderoles suggestives et parfois choquantes. Les bwadjaks sont de
vieilles guimbardes retapées pour l’occasion. Elles traversent le
carnaval dans un concert assourdissant de klaxons. Les makoumès logent
par dizaine sur le toit, dans l’indifférence totale du devenir de ces
pauvres amortisseurs. Elles fument, elles toussent, elles ne se meuvent
que dans un fracas assourdissant de pot d’échappement percé. Les
chauffeurs interrompent régulièrement sa marche, pour abreuver le
radiateur éventré. Peu importe leur état, leur dernier souffle de fumée
sera pour l’enterrement de Vaval ! A ce moment seulement, elles pourront
s’éteindre.
La jenès an la ri-a
Depuis
une vingtaine d’année, les jeunes antillais mettent pendant la période
du carnaval des vêtements ou des accoutrements qui sortent de
l’ordinaire pour eux, mais qui vu de l’extérieur ne paraissent pas être
de vrais accoutrements. Ainsi, ils se parent de jambières, de jupettes,
de nœuds dans les cheveux, mais aussi plus récemment de bandanas. Ils se
distinguent ainsi des vêtements qu’ils mettent tous les jours, mais
sans participer au faste des maquillages ou des costumes. La plupart du
temps, ils respectent le code des couleurs.
Guiabless – Diablement belles pour un Vaval d’enfer !
Les
diablesses appartiennent au folklore antillo-guyannais. Elles sont les
personnages incontournables du mercredi des cendres. Les journaux, la
littérature met abondamment en scène ce personnage qui a gagné ses
titres de noblesses dans le carnaval. Il se trouve sous diverses
orthographes : Djables, guiabless, diabless, ladjables, c’est une
diablesse ! Attention ! Ne la confondez pas avec les vilaines sorcières
des carnavals européens… Ici, pas de nez crochu, pas de verrues sur la
joue ! Les guiabless sont l’apologie de la beauté et de la grâce…
Laissons les écrivains nous la décrire : c’est une « femme fatale
portant robe longue qui dissimule un pied de bouc, cette apparition de
rêve surgit la nuit à un endroit désert et propose au passant ses
services amoureux, telle Circé ensorcelant Ulysse. Celui qui succombe au
charme ne manque pas d’être précipité du haut d’une falaise. Quelques
rescapés narrent son rire démoniaque, le « voum-tac » caractéristique de
son pas, sa voix nasillarde, quand pris de doute, ils ont allumé une
cigarette, dont la belle créature redoute la fumée. » (H. Migerel,
Migrat. Z.)
La diablesse porte en elle toute une
tradition de légendes antillaises. C’est l’auxiliaire de rêve du démon.
Cette femme enchanteresse détourne les âmes au profit du diable.
Pourtant, dans le carnaval, la diablesse se détourne du diable, pour
honorer le Bwa-bwa. Vaval, le roi fantoche, l’effigie de carton, devient
son maître absolu, celui qui détrône le diable. En ce dernier jour de
carnaval, elle est la reine démultipliée de la fête. C’est une explosion
de musique, la danse est endiablée… Aujourd’hui tous célèbrent la mort
de Vaval dans un dernier cri d’amour pour le KANNAVAL. Les makoumès, les
reines, les spectateurs et tous les vidés se parent de noir et blanc.
Tout le monde se met au diapason. Tous les travestis glorifient cette
créature au charme ensorcelant. Les manawas mettent leurs plus beaux
atours. Aujourd’hui leur séduction touche l’apothéose. Elles sont autant
de vengeresses solitaires qui défilent et resplendissent plus encore
que les autres jours.
Mi djabless an la ri-a
Les
Reines diaboliquement belles exultent dans leur tenue traditionnelle.
Celle-ci « doit comporter, pour la femme, un jupon blanc, sous une jupe
noire, avec une chemisette blanche, ornée de rubans noirs, chapeau
pointu fait d’une serviette de table empesée dont la pointe se lève vers
le ciel, une chaussure noire et l’autre blanche. Les enfants se
barbouillent le visage de farine blanche. » (Michel Boursat, Vaval, le
carnaval des Antilles et ses spécificités) Dans cette énumération, il ne
faut pas oublier la feuille de corossol. Toutes les diablesses tiennent
à la main une feuille de corossol, qui est sensée éloigner le malin ou
calmer le diable ?
Simié ri passé pléré (Préférer rire que pleurer)
La
mission des diablesses est de pleurer Vaval qui va mourir au coucher du
soleil. Cependant tout au long du cortège mortuaire, elles oublient
leur vocation et elles participent joyeusement à la fête. Plus le jour
avance, plus la musique monte d’un ton. Mais déjà, le soleil amorce sa
descente. Le cortège des grandes prêtresses accompagne Vaval vers son
destin funeste. Vaval est détrôné de son char, un bûcher se prépare… Un
éloge funèbre fait taire toutes les musiques. Les diablesses crient,
pleurent, sanglotent à vous déchirer le cœur. Certaines récitent la
triste car brève vie de Vaval. Comment arrêter l’inéluctable, si ce
n’est en pleurant, en tentant d’amadouer ce sort qui frappe si
soudainement Vaval ? Aujourd’hui se révèle au grand jour leur relation «
étroite » avec leur Roi… Toutes étaient épouses, maîtresses ou amante
de cette fripouille de Vaval … Elles tentent de le retenir de ce côté de
la vie… « Vaval pa kité nou » Rien n’y fait, la flamme naît sous les
pieds de Vaval. « vwéyé dlo ! vwéyé dlo ! » (Envoyez de l’eau !) La fin
est là, les diablesses se taisent, le char des belles endeuillées
s’éteint…
Vaval mô, Kananval fini…
An lot soley Vaval !
Mési anpil…
Vaval mort, le carnaval est fini ! A la prochaine et merci beaucoup !
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