vendredi 17 juillet 2020

COUP DE GUEULE



«Inutile» pour le grand public en mars, le masque devient «obligatoire» en juillet

GRAND RÉCIT - Cette saga du masque restera comme LE feuilleton de la crise sanitaire.


L’autodiscipline aura fait long feu. Le port du masque, a affirmé le premier ministre Jean Castex jeudi matin devant les sénateurs, sera désormais «obligatoire dans tous les établissements recevant du public clos, en particulier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, les commerces». Terminée, la «recommandation chaleureuse» encore prônée quatre jours plus tôt par le ministre de la Santé Olivier Véran. Il faut dire que les Français n’y ont pas tous mis du leur: les enquêtes CoviPrev, menées par Santé publique France depuis la fin mars, montrent une baisse continue du respect des mesures barrières, ainsi que du port du masque, dont la fréquence, après une forte progression jusqu’à fin mai, a baissé avant de se stabiliser à à peine plus de 50 %.
Que les Français le veuillent ou non, le masque n’attend désormais plus qu’une chose pour s’imposer sur leur nez: un décret, dont on espère au ministère de la Santé qu’il sera publié demain pour une obligation d’ici «lundi ou mardi», a précisé Olivier Véran à l’Assemblée nationale jeudi. Commerces, établissements médico-sociaux, banques, administrations, salles de spectacle, cinémas, mais aussi marchés couverts… La liste des établissements potentiellement concernés est «interminable», glisse-t-on au ministère. L’obligation s’appliquerait «à partir de 11 ans» et «sans exception prévue», ajoute l’Élysée. Qui précise cependant: «Nous devons encore travailler sur le secteur privé et les files d’attente.» La responsabilité devrait reposer sur les établissements, et non les usagers, croit-on savoir au ministère de la Santé. Sans apporter plus de précisions sur les sanctions encourues ni les personnes à même de verbaliser les contrevenants.

Il ne faut pas porter de masque quand on n’est pas professionnel de santé.
Jérôme Salomon lors de son point presse quotidien
Il en aura pourtant fallu, des tribunes, des interviews et des coups de sang d’experts, dans les colonnes de journaux comme sur les plateaux de télévision, pour aboutir à ce résultat. Il faut dire que cette saga du masque restera comme LE feuilleton de la crise sanitaire… Début mars, Emmanuel Macron présentait comme «très symbolique» la réquisition des stocks et production de masques de protection. La France ne comptait encore que 4 morts, mais les pharmaciens avaient déjà observé une ruée discrète et inhabituelle des Français sur les masques. Des vols étaient signalés dans les cabinets médicaux et jusqu’au sein des blocs opératoires, tandis que les soignants (bientôt rejoints par les pompiers, policiers et autres «personnels essentiels» privés de confinement) rageaient de ne pas disposer d’assez de masques pour se protéger. «Il ne faut pas porter de masque quand on n’est pas professionnel de santé», serinait le directeur général de la Santé Jérôme Salomon lors de son point presse quotidien ; «L’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis (…) et ça peut même être contre-productif», lançait Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement. «Porter un masque dans la rue ne sert à rien si on n’est pas malade», répétait Olivier Véran.

Des clients réfractaires

À la décharge des autorités, la doctrine scientifique n’a longtemps pas été claire sur la question. Protecteur, le masque? Mais pour qui? Celui qui le met, celui qui lui fait face? Ils sont conçus pour bloquer les projections de celui qui porte le masque, et l’on a longtemps pensé qu’il n’était utile que porté par les personnes présentant des symptômes. L’Organisation mondiale de la santé elle-même ne le recommandait pas au grand public. Mais on sait désormais qu’une personne infectée est contagieuse même sans symptômes, et que le virus se transmet aussi par de toutes petites gouttelettes de salive, capables de rester longtemps en suspension dans l’air et d’aller contaminer à distance de l’émetteur ; le masque semble donc bel et bien indispensable en milieu clos.
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Il ne faut pas pour autant croire que son utilité pour la population générale est une découverte. Preuve en est, le plan pandémie de 2009 l’évoquait déjà: «Pour les personnes indemnes, le port d’un masque anti-projection pourra être préconisé dans les espaces publics à titre de précaution.» Les autorités devaient aussi bien imaginer que le masque chirurgical était protecteur, puisqu’elles l’ont longtemps conseillé aux soignants, faute de pouvoir leur fournir les FFP2 conçus à cet effet…
Mais derrière cette longue dénégation de l’utilité du masque pour le grand public, il y a aussi (surtout?) une faille apparue au grand jour au beau milieu de la crise sanitaire: les stocks stratégiques d’État, notamment censés garantir des masques en quantité suffisante pour faire face à une épidémie d’ampleur, se sont avérés bien moins fournis qu’ils ne l’auraient dû. Et la France s’est trouvée bien en peine de passer des commandes: le monde entier lui faisait concurrence dans la même fièvre acheteuse alors que les usines productrices, pour une large part chinoises, ont longtemps été à l’arrêt à cause de la pandémie.

Se fabriquer son propre masque

Début avril, alors que sur internet fleurissaient les astuces plus ou moins abouties pour se fabriquer son propre masque, l’Académie de médecine se prononçait en faveur du port par tous du masque «même alternatif»«addition logique aux mesures barrières actuellement en vigueur». Jérôme Salomon se rangeait timidement à cette idée que le grand public pourrait, «s’il le souhaite», porter ce type de masques. Le déconfinement se profilant, les collectivités locales se sont mises à commander des masques en tissu, l’obligation de s’en revêtir dans les transports publics était actée et Édouard Philippe, alors premier ministre, jugeait «préférable» de le porter dans les autres lieux clos. «Un commerçant pourra subordonner l’accès de son magasin au port du masque», expliquait-il ; omettant peut-être que ces derniers, éprouvés par une longue fermeture imposée, pourraient rechigner à refuser des clients réfractaires.
Mi-juillet, une tribune de médecins dans Le Parisien, suivie d’une autre dans Libération, réclamaient le port du masque obligatoire dans les lieux clos. «La question se posait avant la une du Parisien, précise-t-on au ministère de la Santé. À partir du moment où on s’est rendu compte qu’il y avait une baisse de la vigilance, et une hausse des indicateurs épidémiologiques, la question a été sur la table.» «Le travail des médias a eu un rôle, presque de lanceur d’alerte, admet-on cependant à l’Élysée. Le gouvernement a mesuré l’impatience. On aurait peut-être dû aller plus vite, il y a peut-être eu une petite erreur de réglage de notre part. Le premier ministre a immédiatement rectifié.»


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