Les vacances des ministres en 1897: Deauville, Gérardmer, Vichy...ou Dakar
LES ARCHIVES DU FIGARO - Déjà en 1897, Le Figaro apprenait à ses lecteurs où trouver les membres du gouvernement durant leurs longs congés estivaux.
L’heure est aux vacances pour les membres du gouvernement. Cette année les ministres ont pour consigne de rester dans l’espace Schengen et de revenir à Paris pour le Conseil des ministres du 24 août.
Cette année les ministres ne franchiront pas les frontières de l’Hexagone. Sauf Jean-Yves Le Drian qui fera une escapade en Espagne avant de revenir dans le Morbihan. Sinon cette année Les Alpes ont la cote: Bruno Le Maire, Florence Parly ou Emmanuelle Wargon s’y rendront. Nice accueillera Éric Dupond-Moretti et Frédérique Vidal. Annick Girardin sera la seule à traverser l’Atlantique: elle se rend à Saint-Pierre et Miquelon, sa terre natale.
Le fort de Brégançon, déjà résidence de vacances des chefs d’État français
Le couple présidentiel prend lui ses quartiers d’été au Fort de Brégançon pour des vacances «calmes et studieuses» selon l’Élysée. Emmanuel Macron renoue pour la troisième fois avec cette tradition des Présidents de la Ve République. Depuis Charles de Gaulle tous les présidents ont séjourné dans ce fameux fort. Pompidou et sa femme ont été les plus fidèles résidents.
Comme Emmanuel Macron, le Président Félix Faure pose ses valises «au pays des cigales» en 1897. A cette époque, les ministres partent le plus souvent au bord de la mer ou dans les villes thermales: «Il est toujours bon de le savoir au cas où l’on aurait à leur écrire» précise Le Figaro. Le journal n’hésite pas à donner moult détails sur la vie personnelle des hommes politiques.
Article paru dans Le Figaro du 4 août 1897
Nos ministres en vacances
Les Parisiens se doutent-ils que tout le gouvernement, à l’heure qu’il est, est en province? Le Président de la République est au pays des cigales; deux ou trois ministres l’accompagnent, les autres sont à la mer ou aux eaux, car, dans le langage des villégiatures, la mer et les eaux, ça fait deux! Pendant ce temps, le char de l’État est remisé, et l’on répare les ressorts, toujours un peu faussés, de nos institutions. Où donc nos ministres passent-ils leurs vacances? Quels sont leurs projets pour cet été? Où sont-ils aujourd’hui et où seront-ils demain? Il est toujours bon de le savoir, pour le cas où l’on aurait à leur écrire.
M. Méline -à tout seigneur tout honneur- est à Luxeuil, que tous les géographes placent dans la Haute-Saône, et qui s’y trouve effectivement. Cette petite station est connue pour ses eaux réconfortantes, ce qui semblerait indiquer que c’est une cure ministérielle qu’est allé y faire M. Méline. Mais non, c’est comme père de famille et non pas comme président du Conseil qu’il a choisi cette villégiature. Les eaux de Luxeuil, en effet, ont été ordonnées à Mlles Méline, un peu éprouvées par l’éternel saumon et l’inévitable sauce aux câpres des grands dîners officiels, et le président du Conseil en profite pour refaire, lui aussi, son estomac soumis, tout cet hiver, aux mêmes exercices.
Promenades le matin, promenades l’après-midi, déjeuners et dîners à heures fixes,ce qui change diantrement de la vie de Paris.L’existence que mène à Luxeuil M. Méline est des plus simples et échappe totalement à la chronique mondaine. Promenades le matin, promenades l’après-midi, déjeuners et dîners à heure fixe, ce qui change diantrement de la vie de Paris, et le soir, un peu de musique avant de se coucher. On sait que M. Méline joue du violon; mais depuis qu’il est président du Conseil, il a un peu négligé cet instrument. On a beau faire sa partie, dans le concert européen, il s’y trouve plus de dépêches à déchiffrer que de partitions.
M. Barthou, ministre de l’intérieur, et Mme Barthou sont aux Eaux-Bonnes, un pays que Mme Barthou doit bien affectionner pour lui sacrifier ainsi, sans regret, l’installation charmante qu’elle a au Vésinet. M. et Mme Barthou, en effet, se trouvaient déjà aux Eaux-Bonnes lors des vacances de Pâques, et leur villégiature fut brusquement abrégée par la terrible catastrophe du Bazar de la Charité. Vie d’hôtel avec les longues excursions aux environs, les matinées dans le jardin, toutes sortes de lectures, sauf celle des journaux que le ministre s’interdit en vacances. Pour ne même pas recevoir la «valise», la terrible valise ministérielle qui gâte les villégiatures les plus charmantes, M. Barthou a délégué à un de ses collègues l’intérim de son ministère. Par conséquent, pas de pièces à signer, pas de dossiers à étudier, pas de décrets à préparer. C’est le calme le plus parfait Quant aux distractions, un ministre n’en manque jamais: il reçoit le préfet; le sous-préfet, le receveur des finances, le maire. On n’a pas le temps de s’ennuyer une minute. Après le 16 Mai, on demandait à Eugène Chavette* qui venait de passer six mois dans un petit trou de province:
- Comment diable avez-vous pu employer votre temps?
- Mais de la façon la plus charmante!
- Et qu’est-ce que vous faisiez donc?
-Je regardais changer le juge de paix!
M. Cochery est, de tous les membres du cabinet, celui qui s’absentera le moins. C’est que le budget est terriblement lourd à traîner en voyage.M. Darlan, ministre de la justice, a ses vacances complètement bouleversées, et ce n’est pas un des côtés les moins comiques de l’histoire du Panama. Le garde des sceaux, en effet, comptait aller en Angleterre y chercher son fils, le jeune François Darlan, qui se trouve à Brighton, dans une pension de famille. Mais un ministre de la justice qui s’aventurerait en ce moment au pays qu’habite Cornélius Herz** ne serait plus bon, comme on dit en langage parlementaire, qu’à jeter aux chiens. Il a donc fallu renoncer au voyage, et le jeune François Darlan devra rentrer tout seul. Il a d’ailleurs une ressource: c’est de s’en revenir avec le jeune Vallé, fils du président de la Commission d’enquête, qui est, lui aussi, à Brighton. En voyageant ensemble, ils éviteront tous les soupçons.
Quant au garde des sceaux, privé des vacances qu’il s’était promises, il s’est consolé en faisant faire son portrait par l’excellent peintre Paul Saïn qui n’avait jamais pu le saisir une minute pendant les sessions, et il s’en ira, comme tous les ans, à son retour du voyage présidentiel, passer quinze jours chez son frère, à Nérac, où se trouve déjà Mlle Darlan. Le ministre de la justice terminera ensuite ses vacances à Vichy, où, pour un grand chancelier de France, la source de L’Hôpital est tout indiquée. M. Cochery est, de tous les membres du cabinet, celui qui s’absentera le moins. C’est que le budget est terriblement lourd à traîner en voyage. Le ministre des finances, tout entier à ses projets de réforme, ne s’échappe de Paris durant vingt-quatre heures que pour aller voir ses enfants qui sont à Deauville, chez leur grand-père, M. Hunebelle, maire de cette ravissante station balnéaire dont il a contribué à faire la fortune.
M. Cochery, on le sait, a un fils et une fille dont l’éducation, depuis la mort de sa jeune et charmante femme, a été confiée à sa belle-sœur, Mme Pallain, femme du directeur général des douanes, qui s’en acquitte avec un soin et une affection maternels. C’est dans cet intérieur familial en cette aimable ville de Deauville où M. Hunebelle réunit, durant la saison, ses enfants et petits-enfants, que M. Cochery va passer les courts instants où il peut s’éloigner de Paris.
M. Hanotaux est à Vichy, prenant des forces pour les fatigues et les émotions du voyage en Russie.M. Henry Boucher, qui est un des membres les plus cossus du cabinet, s’empresse, chaque année, dès qu’il en trouve le loisir, de se rendre dans sa magnifique propriété de Gérardmer, située à quelques kilomètres de la ville où il a ses fabriques de papier. On y mène la vie de château, chasse, pêche, excursions, lawn tennis. On y joue même la comédie, et les séries d’invités s’y succèdent, animant ce coin des Vosges qui est une des plus agréables villégiatures estivales.
M. Hanotaux est à Vichy, prenant des forces pour les fatigues et les émotions du voyage en Russie, et préparant son estomac aux agapes diplomatiques et officielles qui l’y attendent. M. Turrel passe les vacances en sa belle propriété de Blazens, dans l’Aude, où il surveille ses vendanges avec le soin jaloux d’un homme qui a su mettre les raisins secs à leur place.M. le général Billot est au château de Puy, à une quinzaine de kilomètres de Gien, dans un charmant domaine où l’on est admirablement pour se reposer et qui dépend d’une petite commune bien tranquille et bien ignorée, la commune de Lion-en-Sullias, où l’on ne sait peut-être même pas que M. le ministre de la guerre est dans les environs.
M. Rambaud profitera de la session du Conseil général du Doubs pour excursionner quelque temps dans cet admirable pays de villégiature, qui est la plus belle concurrence que l’on puisse imaginer à la Suisse. M. Lebon, ainsi que les journaux l’ont déjà annoncé, s’est précautionné pour les vacances d’un «petit trou pas cher» qui n’ait pas de casino ni de petits chevaux, et il se rendra à Dakar, charmante villégiature d’où l’on peut, très facilement, venir tous les deux ou trois mois passer quelques jours à Paris. Quant au ministre de la marine, il restera durant presque toutes les vacances à Paris. Il est, en effet, un des rares Parisiens qui peuvent se croire aux eaux sans quitter leur balcon:
- As-tu fait choix d’une plage pour cet été? demande, dans les revues de fin d’année, le compère à un boulevardier.
-Oui, fait l’autre, la plage de la Concorde!
Par Pierre Durand.
*Eugène Chavette (1827-1902) écrivain français qui a écrit pour Le Figaro.
** Cornélius Chavette (1845-1898) médecin et homme d’affaire impliqué dans le scandale de Panama.
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