vendredi 11 septembre 2020

11 septembre

soixante-huit ans 

ou "La Mémoire et la Mer" 

à Blue Anchor ...

P1200181bisMerci à tous pour vos bons souhaits d'anniversaire ! 
P1200180La marée, je l'ai dans le cœur qui me remonte comme un signe. Je meurs de ma petite sœur, de mon enfance et de mon cygne. Un bateau, ça dépend comment on l'arrime au port de justesse. Il pleure de mon firmament des années lumières et j'en laisse. Je suis le fantôme Jersey celui qui vient les soirs de frime te lancer la brume en baiser et te ramasser dans ses rimes comme le trémail de juillet où luisait le loup solitaire. Celui que je voyais briller aux doigts de sable de la terre.
P1200183bisRappelle-toi ce chien de mer que nous libérions sur parole et qui gueule dans le désert des goémons de nécropole.
P1200184bisJe suis sûre que la vie est là avec ses poumons de flanelle quand il pleure de ces temps-là, le froid tout gris qui nous appelle.
P1200185Je me souviens des soirs là-bas et des sprints gagnés sur l'écume. Cette bave des chevaux ras, au ras des rocs qui se consument.  Ô l'ange des plaisirs perdus. Ô rumeurs d'une autre habitude. Mes désirs dès lors ne sont plus qu'un chagrin de ma solitude.
P1200185terEt le diable des soirs conquis avec ses pâleurs de rescousse. Et le squale des paradis dans le milieu mouillé de mousse.
P1200187bisReviens fille verte des fjords. Reviens violon des violonades. Dans le port fanfarent les cors pour le retour des camarades.
P1200188terÔ parfum rare des salants dans le poivre feu des gerçures. Quand j'allais, géométrisant mon âme au creux de ta blessure, dans le désordre de ton cul poissé dans des draps d'aube fine.
P1200190terJe voyais un vitrail de plus, et toi fille verte, mon spleen.
P1200193bisLes coquillages figurant sous les sunlights cassés liquides, jouent de la castagnette tant qu'on dirait l'Espagne livide.
P1200198bisDieux de granit, ayez pitié de leur vocation de parure, quand le couteau vient s'immiscer dans leur castagnette figure.
P1200105Et je voyais ce qu'on presse quand en pressant l'entrevoyure entre les persiennes du sang et que les globules figurent une mathématique bleue, sur cette mer jamais étale d'où me remonte peu à peu cette mémoire des étoiles.
P1200106Cette rumeur qui vient de là, sous l'arc copain où je m'aveugle. Ces mains qui me font du fla-fla, ces mains ruminantes qui meuglent.
P1200126quaterCette rumeur me suit longtemps comme un mendiant sous l'anathème, comme l'ombre qui perd son temps à dessiner mon théorème.
P1200127terEt sous mon maquillage roux s'en vient battre comme une porte cette rumeur qui va debout dans la rue aux musiques mortes.
P1200128bisC'est fini la mer c'est fini. Sur la plage le sable bêle comme des moutons d'infini... Quand la mer bergère m'appelle.
P1200129bisTexte et musique sont de Ferré. Ce texte émminemment poétique tient dans le répertoire de Léo Ferré une juste place à côté des poèmes de Baudelaire, Rimbaud, Aragon ... On ignore la véritable nature d'un poème. La poésie est d'abord et surtout dans la musique des mots.
P1200130bisParue sur le volume 1 de l'album "Amour Anarchie" (1970),  La Mémoire et la Mer est une chanson emblématique de Léo Ferré, considérée souvent comme l'une de ses chansons les plus mystérieuses et fascinantes.
P1200131bisCe texte est considéré à juste titre comme étant difficile à comprendre. En effet, l'écriture de Ferré fait ici appel à des images complexes et à des éléments autobiographiques que l'artiste imbrique dans un fil d'Ariane difficile à suivre pour le profane. Mais Dieu que c'est joli et troublant ce balancement des mots ...
P1200132terDans ce poème, le lyrisme de Ferré atteint la maestria et sa versification est empreinte d'une grande rigueur. L'artiste se sert d'une palette marine pour établir, tout au long de la chanson, des parallèles entre la vie portuaire et insulaire et ses propres souvenirs. 
P1200138bisCette chanson éblouissante de sensualité nous raconte le rivage breton mais c'est aussi un chant d'amour déchirant. Dans un double sens filant, Léo Ferré emmêle la mer envoutante et l'amour impudique et pourtant mystique, conjuguant le mystère de la chair à celui de la mer dans chaque image.
P1200139On entend dans la musique des mots, le déferlement des vagues bien sûr, mais aussi la complainte d'amour d'une femme, et de leur écho mutuel émerge une mémoire organique et originelle de la Vie, une mémoire matricielle que Ferré contemple du haut de ses années, avec mélancolie, comme le fruit de sa jeunesse, les réminiscences chimériques de son existence. 
P1200142La mer est omniprésente dans le texte, comme une déchirure, comme pour rappeler ces marins fatigués, aux mains et aux lèvres gercées mais qui reviennent heureusement à bon port. Pour eux aussi, la mer, nourricière, est une matrice comme le ventre d'un femme. Cette mise en parallèle persiste tout au long du poème.
P1200143Pour comprendre le sens primaire, quelques bribes d'explication ... Un "trémail" est un filet de pêche. Le "loup solitaire" est un poisson autrement nommé "bar" qu'un jour Ferré a pêché ou a vu être pêché puis ce poisson a été rejeté à la mer. Son texte fait allusion au "Fort du Guesclin", bâtisse située sur une minuscule ile au large des côtes bretonnes dont il a fait l'acquisition en 1959. Léo Ferré plante donc le décor d'une partie de pêche où est capturé un bar, dont les écailles sont brillantes par la magie de l'éclat lunaire.
P1200145Le fantôme Jersey est un phénomène naturel, une ligne brumeuse que l'on aperçoit au lointain quand on se trouve sur l'île Du Guesclin, et qui laisse à penser qu'il s'agit là d'une émanation fantômatique de l'île anglo-normande qu'est Jersey. 
P1200165La "mathématique bleue" est peut-être le tableau des horaires des marées affiché devant les plages sur un fond bleu tellement typique des côtes françaises. Mais certains pensent que "mathématique bleue","mémoire des étoiles"et"théorème" font référence à Pythagore qui avait une philosophie basée sur l'universalité, l'harmonie des sphères et les mystères. Ici Ferré nous montre une mer qui ne se définit pas à la seule perception humaine que nous pouvons en avoir. Il nous fait ressentir la mer comme faisant partie de quelque chose de bien plus vaste, comme un élément naturel d'où la Vie est apparue un jour, un corps vivant du Cosmos : la mer qui donne la vie comme la mère qui donne la vie.
P1200168C'est l'exemple type du texte "Ferréien" qu'on dit hermétique, parce qu'il comporte plusieurs niveaux de compréhension, dont certains ne sont accessibles qu'avec les clés biographiques de la vie de l'artiste, d'autres avec la simple sensibilité poétique qui nous conduit de rime en rime, de ligne en ligne, de mot en mot. Le rattachement de mots qui ne font pas toujours sens, fait en effet appel à une mémoire. Cette écriture imagée, évocatrice, intègre notre propre mémoire, met en mouvement des reminiscences. La mer fonctionne comme une mémoire, par réminiscence.  En cela, au sens littéral, c'est la plus émouvante chanson de Ferré. Son testament poétique, énigmatique ... Lui-même a dit un jour, que cette chanson (ou ce poème) ne pouvait être compris que par lui-même ou quelqu'un de très proche, qu'il s'agissait d'un rébus avec des clefs biographiques.
P1200176bisPersonnellement, bien qu'ayant lu assez récemment le roman autobiographique de Léo Ferré (paru en 1970, "Benoît Misère"), je n'ai aucune envie d'aller plus avant dans le décryptage de "La mémoire et la mer". Nul besoin de faire de la chirurgie littéraire, aussi l'énigme et le mystère seront pour moi à jamais des composantes intrinsèques de la beauté de ce poème.
P1200178bis"La mémoire et la mer" a été maintes fois reprise. De nombreux artistes l'ont interprétée, avec plus ou moins de bonheur. 
Citons 
Catherine Lara,






 Catherine Ribeiro, 





Christiane Courvoisier






Renée Claude, 







Ann Gaytan, 




Camélia Jordana, 





Annick Cisaruk, 




Ute Lemper, 




Mônica Passos (cette dernière étant remarquable, je vais y revenir). 



Citons aussi Bernard Lavilliers, 




Michel Jonasz, 





Ian Dayeur 




et l'extrêmement touchante version parlée de Philippe Léotard. 


Selon Wikipédia, cette chanson occupe la septième place d'un palmarès de chansons établi en 2012 par 276 artistes contemporains de la variété francophone et 69 critiques.
P1200179L'interprétation que je préfère est, de loin et haut la main, celle de Monica Passos, dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à la rédaction de ce billet. Fabuleuse découverte ! Pour l'expression, on trouve un phrasé impeccable, une sonorité gutturale des "r" qui fait opportunément son effet, en faisant glisser un souffe rauque et virtuose sur les mots "cette bave des chevaux ras, au ras des rocs qui se consument". Pour la musique, étonnante, une rumba froufroutante, virevoltante, carrément inattendue, fait cascader les mots sur l'auditoire "du haut des cimes où l'âme se tient, la tragédie n'est plus" (Nietzsche). La version de Monica Passos est à la fois suave et dansante, un goût sucré, non plutôt doux-amer. Sa revisite de Ferré m'enchante ...
Selon Paul Guimard, éditeur du seul roman autobiographique de Léo Ferré, "après avoir lu ce livre, on n'entend plus beaucoup de chansons de Léo Ferré tout à fait de la même oreille parce qu'on sait davantage d'où elles viennent". 
Retour à la version originale, tragique et torturée mais inoubliable, de Léo Ferré, avec cette voix qui lui vient des tripes et nous arrache les nôtres, "la marée, je l'ai dans le coeur ..."
L'analagie entre la mémoire et la mer se retrouve fréquemment en littérature, non sans raison ...
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