L'hommage rendu à la profession n'est-il pas en décalage avec la réalité qui est celle d'une profession déclassée et abandonnée par l'État ?
Christophe Boutin : Nous retrouvons ce que nous venons de dire, et, effectivement, entre le texte de Jaurès datant de 1888 et le discours d'Emmanuel Macron de 2020, c’est une eau de plus en plus boueuse qui a coulé sous les ponts de l'Éducation nationale. Peut-on comparer le « hussard noir de la République », respecté et craint au moins autant qu’aimé, qui imposait sans problèmes à sa classe une autorité qu’aucun élève n’aurait osé remettre en cause sous peine d’être doublement puni, par son maître à l’école d’abord, par ses parents à la maison ensuite, à la triste chair à canon envoyée au massacre dans les zones d'éducation prioritaire ?
Confrontés à des élèves n'ayant pas connu l'autorité dans le cadre familial, refusant de s'intégrer au cadre national, soutenus dans leurs revendications les plus délirantes par leurs familles, par nombre d'associations et par certains syndicats, ces derniers en sont réduits à faire du gardiennage. Lorsque l'enseignant passe en effet une part non négligeable de son temps à tenter de rétablir l'ordre dans sa classe, face a des les élèves dont l’attitude, le ton de voix, les gesticulations sont une permanente provocation, et qui sont de toute manière, dans leurs rares périodes calmes, beaucoup plus attentifs à leur smartphones qu’à ce qu’il peut dire, on voit mal comment se ferait cet apprentissage républicain vanté par le Président. Jaurès, lorsqu’il rédigeait sa lettre aux instituteurs, n’imaginait sans doute pas voir un jour des professeurs de collèges et de lycées insultés, menacés et méprisés. Il n’aurait jamais imaginé non plus les voir recrutés en abaissant chaque année un peu plus le seuil requis, puis, quand ils ne démissionnent pas dans leur première année, ou se font porter pâles, attendre que leur ancienneté - ou leur syndicalisation - leur permette de quitter ces zones sinistrées.
Certes, du travail a été fait au sein de l’Éducation nationale pour tenter une reconquête, un travail bel et bien appuyé sur des enseignants, qui ont une vocation et qui se battent chaque jour de toutes leurs forces – car, contrairement à l’image facile que l’on peut donner, tous les enseignants ne sont pas nuls et/ou démissionnaires, et ils ne l’ont pas plus été lors de la crise sanitaire qu’avant, luttant avec bien peu de moyens pour tenir la tête de leurs élèves hors de l’eau. Mais l'arrivée permanente d'élèves ne parlant pas le français, tonneau des Danaïdes de ces zones, la violence endémique à l'extérieur de l'établissement, qui pousse ses métastases à l'intérieur, et, plus que tout, l'affirmation claire et nette d'une part non négligeable de cette jeunesse dite « scolarisée », quand tout cela n’a plus grand chose à voir avec ce recouvre le concept, de son refus de s'intégrer à une communauté nationale dont elle déteste l'histoire et méprise les membres historiques, tout cela rend cette reconstruction voulue de l'école de Jaurès bien délicate.
Guylain Chevrier : Si on se réfère à l’accroissement de l’attractivité de l’école privée vis-à-vis de l’école publique ou encore, à l’impossible recrutement des enseignants dont on cherche désespérément de plus en plus les candidats chaque année, on peut mesurer le fossé entre le discours et la réalité. L’enseignement catholique associé à l’État par contrat, scolarise un élève français sur cinq. Il a enregistré une progression de 67 000 élèves entre 2011 et 2018. En 2018, les écoles privées hors contrat progressent accueillant en plus 6600 élèves.
La scolarisation obligatoire à partir de l’âge de 3 ans a été aussi un très beau cadeau à l’enseignement privé.
« Malaise enseignant », « crise des vocations », « métier qui ne fait plus rêver », sont les expressions clés de la situation, spécialement en ce qui concerne le recrutement dans l’enseignement secondaire, et encore plus particulièrement dans l’enseignement en lycée professionnel. En effet, les candidats au CAPES externe 2020 étaient 30 880, soit 7,8 % de moins que l’année précédente (ils étaient 33 490 en 2019). Cette baisse concerne particulièrement certaines disciplines comme l’allemand (– 17,4 %), les maths (– 16,8 %) et la physique-chimie (– 9,8 %). Mais c’est dans les voies technologique et professionnelle que la chute du nombre global d’inscrits aux concours est la plus marquée (– 16,6 % pour le CAPET et – 19,7 % pour le CAPLP). On sait combien en établissement professionnel la tâche est difficile, où dominent fréquemment des élèves issus de l’immigration qui cumulent les difficultés, des problèmes de niveaux à ceux de comportement. Des cours qui peuvent être un véritable enfer au quotidien avec seulement quelques vraies minutes d’écoute par heure.
On connait aussi la façon dont sont notés les examens, en surnotant, ce qui a fait plusieurs fois polémique. Lorsque bienveillance entend l’emporter sur l'exigence c’est tous perdants. On se rappellera à propos du Brevet des collèges « Le coup de gueule d’une correctrice contre la surnotation des élèves ». L’école de la réussite pour tous à tout prix ne fait pas autorité. Ce sont les parcours des élèves sur lesquels il faut travailler avec des accompagnements plus personnalisés et du soutien, mais faut-il là encore s’en donner les moyens. L’école ne peut pas non plus tout, c’est la dernière digue. Elle ne résoudra pas les problèmes d’absence de mixité sociale et ses conséquences qui ne dépendent pas d’elle. Il faudrait sans doute la replacer aussi dans un projet plus global de société.
La dernière réforme à options tire encore vers le bas, avec la possibilité même de ne plus faire de maths en terminale, sous prétexte de libre choix, sélection déguisée puisque l’on ne prend que les meilleurs. Pour faire bonne mesure, faute de multiplication d’options on les enseigne par binômes, obtenant ainsi des classes surchargées. Sans compter encore avec des options censées être trouvées dans un autre lycée pour compléter le programme, sans coordination entre les horaires des établissements, amenant à recourir au CNED (enseignement à distance), et si l’élève à plus de 16 ans c’est payant.
L’égalité des chances en prend encore un coup pour donner raison post mortem aux critiques les plus acerbes d’un Bourdieu jugé trop déterministe au regard de la notion de capital social, économique et culturel. Sans tirer l’école vers le haut en faisant passer les exigences avant le « tous le Bac », par un réinvestissement du contenu et du sens, cela risque bien d’aller de mal en pis. Les enseignants malgré tous leurs efforts ne pourront qu’amortir le choc d’une école en morceaux.
Emmanuel Macron ne risque-t-il pas d'être gêné dans sa lutte contre l'islamisme par des syndicats complaisants qui participent de facto à la cogestion de l'éducation nationale ?
Christophe Boutin : Effectivement, il y a face à l'islamisme des « idiots utiles ». Il y a ceux qui ne se rendent pas compte du danger qu'il peut représenter et veulent n’y voir qu’un phénomène très secondaire, qui se résoudrait de lui-même avec le temps et l’acculturation des populations, sans se rendre compte que cette acculturation n’existe plus. Il y a ceux qui acceptent, l’un après l’autre, des « accommodements », de petites et grandes concessions dont ils pensent qu’elles seront réciproques, ce qui n'est bien sûr jamais le cas. Il y a ceux qui se font gloire d’avoir lu le Coran et pensent que se piquer de culture musulmane leur permettra d'être mieux acceptés par leurs élèves – comme si les hussards noirs de Jaurès avaient appris le breton ou l’occitan pour complaire à leurs élèves ! -, une attitude qui, tout au contraire, ne leur attire souvent que le mépris de ceux qui ne comprennent pas ce qu'ils considèrent comme un reniement identitaire.
Mais à côté de ces « idiots utiles », il y a aussi de véritables « compagnons de route », qui entendent bien participer, aux côtés de l'islamisme, à la destruction de ces éléments dont le Président a rappelé qu'ils constituent notre nation : notre culture, avec son sens du débat et de la tolérance, notre littérature, notre musique ou notre histoire, inscrites dans ce qu'il a appelé « la chaîne des temps ». Théoriciens du genre, indigénistes, décolonialistes, il s'agit dans tous les cas avec eux d'introduire dans un système éducatif reposant sur des principes de liberté individuelle et d'universalisme les germes d’un communautarisme qui va parfois jusqu'au racisme pur et simple, avivant les tensions en soufflant sur les braises du ressentiment, de l’envie et de la haine. On ne peut pas reconstruire avec les tenants de la déconstruction, et l’on s’interroge donc sur les chances de réussites d’Emmanuel Macron…
Guylain Chevrier : Samuel Paty, enseignant, a été décapité au nom du respect d’une religion, par un jeune terroriste la mettant au-dessus de tout. Ce qui n’est pas étranger à l’hystérie contre toute critique de l’islam que génère le terme islamophobie, légitimant le délit de blasphème, le retour du sacré contre la raison, du pur dénonçant l’impur. Le 10 novembre dernier, la fameuse manifestation contre « l’islamophobie » organisée par le Collectif contre l’islamophobie en France, association dans le viseur du ministère de l’Intérieur au regard du rôle qu’on lui attribue dans ce climat, et par des militants notoires de l’islam politique comme Madjid Messaoudène ou encore l'ancien directeur de la structure incriminée, Marwan Muhammad, qui fera en fin de manifestation reprendre par la foule des Allah Akbar, était soutenue aussi par la Fédération Syndicale Unitaire, syndicat historique de gauche des enseignants. Ne parlons pas du syndicat Sud-Education 93 contre lequel Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education nationale lui-même avait annoncé porter plainte pour diffamation, pour avoir dénoncé un "racisme d’Etat" et justifié ainsi des ateliers interdits aux Blancs. Du beau monde qui s’est donc retrouvé lors de cette manifestation aux côtés de ceux qui crient que leur foi est au-dessus du droit et en font propagande, pire, l’imam de Brest pour lequel qui écoute de la musique, « créature du diable », il y a « un risque qu’Allah le transforme soit en porc soit en singe » indiquant un mélange entre intégristes religieux et racialistes dont l’alliance n’était qu’à ses débuts. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la chose est bien mal engagée. On pourrait rajouter à ce défilé la FCPE, association de parents d’élèves faisant la promotion du voile. Que des interlocuteurs avertis et ouverts à faire évoluer l’école vers plus de République et de laïcité, sans doute. Copie à revoir.
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