La France libre en Afrique, une période de l'histoire méconnue »
HISTOIRE. Enseignant chercheur à l'École normale supérieure de l'université Marien-Ngouabi à Brazzaville, Joseph Itoua lève le voile sur une page d'histoire partagée.
Le 27 octobre 1940, soit quatre mois après son célèbre appel sur les ondes de la BBC, c'est à Brazzaville, siège des institutions de l'Afrique équatoriale française (AEF), que le général de Gaulle implante la capitale de la France libre. Il y crée le Conseil de défense de la France libre, puis constitue son gouvernement. C'est de Brazzaville, avec l'appui des soldats du Tchad, de l'Oubangui-Chari, du Cameroun puis du Gabon, que s'amorce la reconquête.
Pour célébrer ce moment, Brazzaville a accueilli avec faste du 27 au 30 octobre dernier les manifestations autour de cette période si particulière de l'histoire de la France et de l'Afrique. L'AEF a joué un rôle important pour impulser la résistance en terre africaine parallèlement à celle mise en œuvre en métropole. Elle aura permis d'incarner quelque part l'appel du 18 juin sur une partie importante de l'Empire français. Cela n'en met que plus en évidence cette situation paradoxale d'un territoire colonisé participant à l'aspiration de liberté et d'indépendance de son colonisateur qui continue de l'asservir. Pour Le Point Afrique, Joseph Itoua a accepté d'évoquer dans le détail les faits historiques qui permettent d'envisager de construire une mémoire commune entre l'ex-Afrique équatoriale française et la France du début des années 1940.
Le Point Afrique : Durant le colloque, vous avez affirmé qu'en 1940 le général de Gaulle avait « besoin d'une terre » pour y implanter la France libre. Parmi toutes les colonies françaises d'alors, pourquoi a-t-il choisi l'AEF ?
Joseph Itoua : À cette époque, la France dispose en effet en Afrique d'un vaste empire colonial, acquis depuis le XIXe siècle. Au sud du Sahara, il se compose de deux fédérations : l'Afrique occidentale française (AOF), dont le siège est à Dakar, et l'AEF, donc, basé à Brazzaville. Quand le maréchal Pétain signe l'armistice le 22 juin 1940, ces territoires passent automatiquement sous le joug du régime de Vichy instauré en juillet. Le 18 juin pourtant, le général de Gaulle, exilé à Londres, prononce son célèbre appel à la non-soumission. Il trouve un écho en France, mais continuer la guerre sans territoire est impossible. Le général se tourne alors vers les colonies et cherche du soutien. Il ne le trouve ni en Afrique du Nord, ni en AOF, malgré une tentative à Dakar. Reste alors les colonies de l'AEF. D'autant plus que le gouverneur du Tchad, Félix Éboué, choisit de continuer le combat après l'appel du 18 juin.
Cependant, la capitale de la province Fort-Lamy, N'Djamena aujourd'hui, n'est pas le siège de la fédération. Il est à Brazzaville, où exerce le gouverneur Louis Husson, acquis aux Vichystes. Avec le soutien de l'Oubangui-Chari, qui s'est entre-temps rallié au général de Gaulle, les partisans de la France libre lancent une offensive par la force, autrement dit un coup d'État, pour faire partir le général Husson. Ils sont partis de Léopoldville, au Congo belge, dont le gouverneur général Pierre Ryckmans avait également fait le choix de continuer la guerre. Grâce aussi à la résistance qui s'était organisée à Brazzaville dans la clandestinité, les soldats français gaullistes et congolais renversent le gouverneur Husson et prennent le pouvoir. C'est par la prise de la capitale de la fédération de l'AEF, sur un territoire français, que les gaullistes ont acquis leur légitimité.
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Comment cette assise territoriale s'est-elle matérialisée sur le plan militaire ?
La France libre va recruter et former les hommes présents sur son tout nouveau territoire, au Moyen Congo, en Oubangui-Chari, au Tchad et au Gabon, après la prise de Libreville par les Forces françaises libres (FFL) en novembre 1940. Les gaullistes vont aussi chercher des hommes dans la partie française du Cameroun, ancienne colonie allemande et désormais sous protectorat partagé avec les Britanniques, sur décision du traité de Versailles en 1919.
Comment ces soldats ont-ils été recrutés ? Y a-t-il eu, comme cela a été dit à plusieurs reprises lors du colloque, des actes de « solidarité » ? Ou au contraire, des enrôlements sous la contrainte ?
C'est un sujet délicat car il concerne l'armée, un corps qui délivre peu d'informations et qui reste assez secret. Il y a peu de documentation en Afrique sur la manière dont ont été recrutés les tirailleurs sénégalais, ces soldats africains de toutes les colonies. Les chercheurs français, en revanche, ont davantage accès à ces données, compilées par leurs historiens. C'est pourquoi nous, les chercheurs africains, ne pouvons émettre que des hypothèses sur la manière dont les soldats ont été enrôlés.
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Quelles sont-elles ?
En période de guerre, il n'y a que deux modes de recrutement : volontaire ou contraint. Quelle que soit la manière dont ils ont intégré l'armée, ces soldats de l'AEF ont tous été formés au sein du camp Colonna d'Ornano de Brazzaville.
Cette implantation militaire d'ampleur était-elle doublée d'un volet économique ?
L'exploitation des ressources économiques de l'AEF a fait partie de l'effort de guerre. La vente du coton du Tchad et de l'Oubangui-Chari, celle du bois du Gabon et du caoutchouc du Moyen Congo, tout cela a permis de soutenir financièrement les batailles engagées par la France libre. Les mines d'Oubangui-Chari, riches en or et en diamant, ont aussi été mises à contribution.
Sans les ressources économiques de l'AEF, la France libre aurait-elle pu mener à bien ses objectifs de reconquête ?
Pour se lancer dans un projet de cette envergure, on se doit d'avoir des connaissances historiques et géographiques solides. Le général de Gaulle avait bien sûr appréhendé cette dimension. Il s'était renseigné sur la géographie des colonies françaises. Il avait aussi étudié la géopolitique du continent et cherché à savoir quelle partie pouvait être la plus réceptive à son appel.
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Pourquoi la capitale de la France libre a-t-elle été transférée à Alger en 1943 ?
Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, pour des questions géographiques : l'Algérie est juste de l'autre côté de la Méditerranée par rapport à la France. Ensuite, bien sûr, pour des raisons stratégiques. Ce transfert s'est fait quelques mois après l'opération Torch, nom donné au débarquement des Alliés en Afrique française du Nord.
Comment cette période de l'histoire de l'AEF a-t-elle influencé le processus de décolonisation quelques années plus tard ?
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés prennent le dessus. Le général de Gaulle, qui pressent la victoire, a déjà pensé à l'après. Il souhaite repenser la politique coloniale de la France et convoque pour cela la Conférence de Brazzaville, du 30 janvier au 8 février 1944. On y fait des propositions sociales, économiques et culturelles. Mais seuls les gouverneurs coloniaux prennent part à l'événement. Aucun Africain n'y est invité.
Les mesures proposées par cette conférence vont-elles se concrétiser ?
Peu de temps après, en 1946, le Général prend ses distances avec la politique. Donc l'Union française, établie par la Constitution de la Quatrième République et qui permet la création de partis politiques en Afrique, ainsi que la loi-cadre Defferre adoptée en 1956, ne se font pas sous son pouvoir. Quand il est rappelé aux affaires en 1958, il propose une nouvelle alliance entre la France et son empire colonial, sous l'égide de la communauté française. Selon moi, c'est avec cette association politique qu'il s'inscrit dans la dynamique de la décolonisation. Car deux ans après, tous les pays qui ont adhéré obtiennent l'indépendance. Pour moi, le général de Gaulle est, de fait, le père de la décolonisation de l'Afrique.
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D'autres historiens affirment pourtant que la Communauté française ne serait en fait qu'une ultime tentative de De Gaulle pour conserver, encore quelque temps, l'ascendant sur les colonies. Les statuts de la Communauté française réaffirment d'ailleurs la primauté de la France dans des secteurs clés tels que la Défense ou la politique économique.
Le fait est qu'elles sont tout de même devenues indépendantes en 1960. Au sein de l'AEF, seul le Cameroun avait eu des revendications indépendantistes avant cette date. Il faut bien distinguer les indépendances inhérentes à cette région de celles des pays d'Afrique de l'Ouest et d'ailleurs.
Lors de la cérémonie d'ouverture du colloque, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré que « l'Afrique n'avait pas la lumière qu'elle mérite » sur cette période de l'Histoire. Le président Denis Sassou Nguesso a parlé, lui, d'une Afrique « oubliée ». Étant donné que l'Afrique, à l'époque, était sous domination française, ne devrait-on pas plutôt parler de « tirailleurs », de « soldats oubliés » ?
Non, car si l'on parle de « soldats africains oubliés », on oublie par là même les autres soldats alliés qui ont permis de l'emporter sur l'ennemi. Parler seulement des soldats est assez réducteur.
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En tant que professeur, que pouvez-vous nous dire du regard que portent les étudiants congolais sur cette période ?
Il faut parler des jeunes Congolais, mais aussi des jeunes Français. Car le thème du colloque, c'est « une mémoire partagée ». Je pense que, globalement, il y a un manque de connaissances sur cette période de l'histoire. Elle est méconnue, à cause du manque de documentation. Hormis le livre de Jérôme Ollandet, Brazzaville, capitale de la France libre, paru en 2013, il y a peu d'ouvrages qui couvrent ces événements. Si nous pouvions accéder à la documentation nécessaire, nous pourrions alors écrire sur ce sujet.
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Par notre envoyée spéciale à Brazzaville, Marlène PanaraLe visage du général de Gaulle s'affiche partout dans Brazzaville en cette fin de mois d'octobre 2020. Sur des panneaux publicitaires comme sur des pagnes bleu et orange à son effigie. Devant la Maison commune, la basilique Sainte-Anne du Congo ou la gare, de grandes bâches blanches, avec photos d'époque à l'appui, racontent l'histoire de ces lieux et le lien qui les unit au « Grand Charles ». Celui-là même qui, il y a 80 ans, a fait de cette ville du Congo français la capitale de la France libre. À l'époque, le général est seul. Et, même si certains ont répondu à son appel du 18 juin lancé sur les ondes depuis Londres, la France libre est sans territoire. Pour combler ce manque sur le chemin de la libération de la France, Charles de Gaulle sait qu'il lui reste la possibilité de s'appuyer sur l'empire colonial, notamment en Afrique. Alors que l'Afrique-Occidentale française (AOF), avec le gouverneur général Boisson, se refuse de rejoindre la France libre, l'Afrique-Équatoriale française (AEF), sous l'impulsion du gouverneur du Tchad, Félix Éboué, a décidé de se rallier à sa cause.
L'exploitation des ressources et l'enrôlement des hommes de ces territoires – les effectifs des Forces françaises libres vont quintupler, de 7 000 hommes en juillet 1940 à 35 000 fin août – lui permettent d'avoir une assez bonne assise pour organiser la résistance française en Afrique, dans l'empire colonial.
Mais « l'exemple du plus méritoire effort français », selon les propres mots du Général, a-t-il récolté les fruits de ses sacrifices ? Au sortir de la guerre, le général le sait : le système colonial d'avant la guerre ne peut continuer. Il doit être réaménagé. Car partout, déjà, les revendications nationalistes se font entendre. « Aux Antilles, au Sénégal, à Madagascar, dans les comptoirs des Indes ou en Polynésie, c'est la même dynamique qui s'enclenche. Partout, une forte volonté de liberté s'affirme », explique Pascal Blanchard, historien spécialiste de l'empire colonial français. Pourtant, elle ne trouvera satisfaction que 15 ans plus tard, au bout d'un long processus engagé dès 1944.
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La conférence de Brazzaville, des avancées en trompe-l'œil ?
En janvier de cette année 1944, l'arrestation du leader indépendantiste marocain Ahmed Balafrej et la répression des manifestations de Rabat-Salé laissent peu d'espoirs aux défenseurs de la liberté. « Très vite, un processus de répression s'engage au Maroc, mais aussi en Algérie, en Syrie, à Madagascar, en Indochine et, dans une moindre mesure, aux Antilles et en AOF et AEF, raconte Pascal Blanchard. Les espoirs de la guerre en commun et du combat pour la libération de la France sont très vite déçus face à la chape de plomb coloniale qui s'abat de nouveau, dès 1944-1945, dans les territoires coloniaux. » Le 30 s'ouvre pourtant au Moyen-Congo la conférence de Brazzaville appelée à définir les orientations futures dans l'empire.
Dans son discours, le général de Gaulle semble avoir pris conscience du changement qui s'opère ainsi que du désir d'émancipation des territoires de l'empire. « En Afrique française […], déclare-t-il dans son discours d'ouverture, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever un peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi », déclara-t-il.
Pour Frédérique Neau-Dufour, historienne spécialiste de Charles de Gaulle, le chef de guerre « pressent bien qu'une évolution de la gestion des colonies est indispensable. C'est un homme qui a une grande culture historique, il sait par définition qu'un peuple opprimé cherchera toujours à se défendre ».
Les conclusions de la conférence, une semaine plus tard, douchent pourtant tous les espoirs, car « les fins de l'œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d'autonomie », peut-on lire dans le texte. Les participants à l'événement, tous de hauts fonctionnaires blancs à l'exception de Félix Éboué, tuent dans l'œuf les aspirations indépendantistes post-conflit. « Pour les militants les plus aguerris, la déception est immense, souligne Pascal Blanchard. Mais le général de Gaulle prendra assez vite conscience du décalage entre les conclusions de la conférence et les attentes des militants des mouvements nationalistes, notamment en AOF et à Madagascar », ajoute-t-il. Dès juillet 1944, il déclare que « chaque territoire sur lequel flotte le drapeau français doit être représenté à l'intérieur d'un système de forme fédérale […] ». Puis, le 25 octobre 1944, lors d'une conférence de presse reproduite par le journal Combat, il prononce enfin les mots attendus : « La politique française consiste à mener chacun de ces peuples à un développement qui lui permette de s'administrer et, plus tard, de se gouverner lui-même… » C'est là que naît déjà dans l'esprit de De Gaulle l'idée d'un système fédéral, d'une grande communauté de territoires.
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De l'Union française…
Celle-ci prendra forme avec l'Union française, en octobre 1946, dix mois après sa démission. Si ses statuts disposent que « la France et ses possessions d'outre-mer forment un ensemble fondé sur l'égalité des droits et des devoirs sans distinction de race ni de religion », la répression des velléités indépendantistes est toujours en marche. Au Cameroun, ancien allié de la France libre de De Gaulle, une véritable chasse à l'homme s'organise sous les ordres du haut-commissaire au Cameroun, Pierre Messmer, ancien de la France libre. Objectif ? Neutraliser les indépendantistes à la tête desquels Ruben Um Nyobè, fondateur de l'Union des populations du Cameroun (UPC). Les forces françaises y mènent une guérilla, usant des mêmes stratagèmes qu'en Indochine, par exemple avec l'utilisation du napalm. Le 13 septembre 1958, le leader camerounais est abattu par l'armée française, son corps est traîné dans la boue.
… à la Communauté franco-africaine
C'est dans ce contexte que Charles de Gaulle revient aux affaires en 1958. En douze ans, les temps ont bien changé. Malgré la répression, une génération d'hommes politiques locaux a émergé dans les territoires sous administration française. Les députés Félix Houphouët-Boigny de Côte d'Ivoire, Lamine Guèye et Léopold Senghor gagnent en popularité. La loi-cadre de Gaston Defferre adoptée en 1956 et qui instaure le suffrage universel dans les colonies nourrit elle aussi les aspirations d'émancipation. Pour contrer le délitement de l'empire qu'on pressent, l'Union française passe le relais à la Communauté le 28 septembre 1958. Onze colonies d'Afrique subsaharienne et Madagascar votent « oui » au référendum qui leur propose d'intégrer cette nouvelle entité « fondée sur l'égalité et la solidarité des peuples qui la composent ». Mais la France n'en abandonne pas pour autant son autorité sur ses colonies : elle en conserve la gestion de la politique étrangère, de la défense, de la monnaie, de la politique économique et financière et de l'enseignement supérieur. Des départements clés.
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De la décolonisation sous contrainte…
Les mots du général de Gaulle, prononcés le 24 août 1958 à Brazzaville, livrent pourtant un tout autre discours. « Si quelque territoire, au fur et à mesure des jours, se sent, au bout d'un certain temps que je ne précise pas, en mesure d'exercer toutes les charges, tous les devoirs de l'indépendance, eh bien, il lui appartiendra d'en décider par son Assemblée élue. […] Un accord réglera les conditions de transfert entre ce territoire, qui prendra son indépendance et suivra sa route, et la Communauté elle-même », déclare-t-il. Un double langage qui s'explique par « l'espoir qu'avait de Gaulle de maintenir l'empire », assure Frédérique Neau-Dufour. « Il y a cru mais il ne voulait pas revivre une deuxième Algérie en Afrique noire. En 1958, il sait déjà qu'il ne pourra pas la garder. Il sent le vent de l'histoire tourner, d'autant que la France est, à cette époque, sous le feu des critiques de la communauté internationale pour sa politique coloniale. » « On voit clairement que ce sont les événements qui s'imposent à lui, assure lui aussi Pascal Blanchard. De Gaulle arrive trop tard au pouvoir pour véritablement changer le cours des choses. » Après un peu moins d'un an d'existence, et la proclamation d'indépendance de ses membres – hormis les Comores, Djibouti, La Réunion et l'Algérie –, la Communauté est enterrée.
… à la construction de la Françafrique
S'ouvre alors une autre ère de la coopération franco-africaine. « Quand il crée la Communauté, de Gaulle, pragmatique, est en fait déjà dans l'après, explique l'historienne Frédérique Neau-Dufour. L'intérêt pour la France, pense-t-il, est d'accompagner les colonies vers l'indépendance pour construire une future coopération économique et militaire. » Et « poser les bases de ce qu'on appellera plus tard la Françafrique, mode de gestion de la France en Afrique, jusqu'aux années 1990 », complète Pascal Blanchard. Une stratégie « néocolonialiste » qui fait de l'homme du 18 Juin « un génie politique », indique ainsi Lecas Atondi-Monmondjo, ancien enseignant-chercheur en littérature et civilisations africaines de l'université Marien-Ngouabi, lors du colloque consacré au 80e anniversaire du manifeste de Brazzaville. Après 1960, l'Afrique francophone devient en effet le précarré de la France. Et c'est à Jacques Foccart, un ancien de la France libre, que revient la tâche de s'assurer de cette « nouvelle amitié franco-africaine » qui servira les intérêts de la France aux dépens des populations africaines.
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Et maintenant ?
Au regard de leur implication au sein de la France libre, les anciens territoires de l'Afrique française peuvent s'interroger. D'où l'amertume de certains Brazzavillois pour cette période de l'histoire. « C'est important de parler du rôle du Congo dans la France libre, ça fait partie de nous. Mais on n'en a pas beaucoup bénéficié par la suite. Regardez à quoi ressemble la ville, déplore Prosper, retraité de 63 ans, en pointant du doigt un bâtiment abîmé du quartier de Bacongo. Aujourd'hui, je suis fatigué du bleu-blanc-rouge. J'aimerais qu'on nous parle plus de nos hommes politiques à nous. À chaque coin de rue de Brazzaville ou presque, on trouve un panneau, une stèle au nom de De Gaulle. Et aucun hommage à l'abbé Fulbert Youlou, le père de l'indépendance du Congo. »
Un constat partagé par Christian*, étudiant en gestion. « On parle beaucoup du général de Gaulle jusqu'au lycée. C'est normal. Mais il prend parfois un peu trop de place, au détriment d'autres personnages historiques de l'Afrique. » Pour Patrice-Jean, policier à la retraite, cette période de l'histoire a une incidence plus personnelle. Son père, ancien combattant de l'AEF, a servi en Indochine. « Il a eu plein de médailles et a risqué sa vie pour la France. Et moi, quand je demande un visa pour la France à l'ambassade, on me le refuse. » « Les affiches, les conférences, tout ça, c'est bien, mais ce qui serait mieux, ce serait de vraiment impliquer les jeunes et d'alimenter le débat sur cette époque », indique Joseph, 68 ans. Pour que la mémoire de ces événements soit partagée par tous.
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* Le prénom a été changé.
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