Aujourd'hui, c'est dimanche. Vous êtes donc bien sur Radio Monbazillac (pour votre santé, attention à l’abus d’alcool), je suis le Dendrobate Doctor et nous sommes ensemble pour faire l'état de la recherche sur l'épidémie de Covid-19.
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FAKE DE LA SEMAINE
Ce qui tourne pas mal ces temps-ci, c’est une soi-disant étude de Stanford qui prouverait que les masques sont dangereux et démontrerait leur inutilité totale. Elle s’accompagne du blablabla habituel « les médias n’en parlent pas », « on cache cette révélation au grand public », « [insérez ici votre marronnier préféré] ». Sauf que rien ne va dans cette étude, mais genre vraiment rien.
*Elle n’est pas publiée par Stanford et son auteur n’y est pas affilié : l’étude est publiée dans Medical Hypotheses, dont l’éditeur explique qu’il s’agit de publications théoriques sur des « idées scientifiques radicales, spéculatives et non conventionnelles ». On est donc loin, très loin, de la preuve scientifique. Par ailleurs l’auteur, contrairement à ce qui est écrit, n’est pas affilié à Stanford et la prestigieuse université a demandé à ce que cette mention soit retirée de l’article.
*L’auteur n’est pas qui il prétend être : l’affiliation mentionne également que l’auteur est cardiologue au sein d’un hôpital de Palo Alto. Sauf que l’hôpital a une version légèrement différente, à savoir que, selon la déclaration faite à Associated Press (à lire ici https://apnews.com/article/fact-checking-629043235973) « L'auteur n'avait aucune affiliation avec le VA Palo Alto Health System ou Stanford au moment de la publication. »
*L’étude se base sur des informations dont on sait qu’elles sont fausses : une partie de la démonstration prend ainsi comme base que les masques génèrent de l’hypoxie chez les porteurs, un argument qu’on a déjà débunké je ne sais combien de fois et qui va à l’encontre des faits les plus évidents (comme le fait que les chirurgiens ne tombent pas comme des mouches aux blocs ou qu’une asthmatique comme moi puisse tout à fait faire 1h de vélo d’appartement avec un FFP2 sans la moindre crise).
*L’article continue à entretenir des confusions avec lesquelles on rame depuis des mois, et on n’a vraiment pas besoin de ça : c’est le retour du célèbre « les masques ne protègent pas du virus, c’est marqué sur la boite ». Et comme je commence vraiment à en avoir marre de cet argument, on va frapper fort. Imaginez un peu que les gens se baladent tous à poil et régulièrement se fassent pipi les uns sur les autres. Si vous mettez un pantalon, ça vous protègera un peu mais pas tant que ça si votre voisin vous fait pipi dessus, mais si c’est lui qui met un pantalon, alors vous resterez sec parce qu’il se sera juste pissé dessus. Si on met un pantalon à tout le monde, il y aura marqué sur l’étiquette « ne protège pas du pipi du voisin » mais plus personne ne sera mouillé par les arrosages intempestifs des autres, qui se contenteront de tremper leurs pantalons à eux. Voilà. J’espère que cette fois-ci c’est clair, parce que je suis à court d’idée sinon.
CQFD....
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DÉCOUVERTE DE LA SEMAINE
Déjà moins touchées et moins à risque que les hommes, les femmes seraient aussi mieux immunisées et plus longtemps. C’est une étude conjointe de l’Inserm et de l’Institut Pasteur avec les hôpitaux de Strasbourg (à lire ici https://apnews.com/article/fact-checking-629043235973) qui montre que le taux d’anticorps chez les femmes chute moins vite que celui des hommes : six mois après l’infection, il n’a pas bougé pour 38% des femmes contre seulement 8% des hommes.
Le facteur le plus évident, les hormones (les hormones féminines stimulent mieux le système immunitaire), joue sans doute mais ne suffit pas à expliquer ce facteur pour tous les âges de la vie. La raison avancée serait génétique, le chromosome X de la 23eme paire, particulièrement impliqué dans la réponse immunitaire, étant en double chez les femmes.
Des données importantes pour comprendre le taux plus faible d’hospitalisation des femmes (elles sont deux fois moins nombreuses en réanimation que les hommes) mais également pour évaluer correctement l’efficacité du vaccin dans le temps, dont il faudra peut-être trier les résultats (et les attentes) selon le sexe.
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PISTE DE LA SEMAINE
*Grossesse : on a enfin des données sur la vaccination chez les femmes enceintes. L’étude en question porte sur les vaccins à ARNm administrés à 30.000 femmes enceintes (disponible ici https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2104983), soit qui étaient enceintes au moment de leur vaccination, soit qui ont découvert leur grossesse entre la première et la seconde injection. Sans grande surprise, la fréquence, la nature et la sévérité des évènements indésirables signalés n’étaient pas supérieurs à la moyenne, à deux exceptions : les nausées et vomissements. Il est également signalé, sans doute dû à l’état hormonal des patientes qui les rend plus sensibles, que la douleur ressentie au moment de l’injection était en moyenne plus importante chez les femmes enceintes que chez celles qui ne l’étaient pas. Aucun impact sur le fœtus n’a été relevé.
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IMPASSE DE LA SEMAINE
*Déconfinement : alors, soyons honnêtes. Je suis une férue de musées, de théâtre et de gastronomie, j’ai de superbes robes qui n’attendent qu’un dîner romantique pour enfin sortir du placard, il faut vraiment que les hôtels et les spas rouvrent pour que je puisse enfin prendre des vacances et j’ai, comme la quasi-intégralité de mes collègues, diablement besoin d’une pinte fraiche sur un comptoir. On a TOUS envie que ça rouvre. Mais décréter la fin des restrictions alors qu’on continue à avoir 30.000 cas quotidiens, que la saturation de la réanimation stagne à 115%, que le R0 lutte pour rester sous 1 (on a fait 0.95 – 0.96 – 0.98 – 0.95 cette semaine, je vous jure qu’on flippe), qu’on a franchi la barre des 100.000 morts (et, pour se souvenir qu’il y a des gens derrière les chiffres, je vous laisse le très touchant article-portrait que France info a fait de certaines des victimes ici https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-ils-s-appelaient-giuseppa-jacqueline-mohammed-et-font-partie-des-100-000-morts-de-l-epidemie-en-france-voici-leur-histoire_4373089.html) et que 12 départements sont au-dessus du seuil de 400 cas pour 100.000, sans un seul territoire qui soit dans les clous, est une impasse, on va juste gagner le droit d’y retourner dans 2 mois (ou de laisser les soignants livrés à eux-mêmes, au choix). Annoncer une réouverture à 15 jours/3 semaines est terriblement prématuré, c’est sans doute des fermetures supplémentaires qu’il faudrait réclamer, si cela était encore sociétalement possible. Rouvrir dans ces conditions est un suicide collectif. Ça n’amuse personne les restrictions, j’avais pas spécialement envie de fêter mon anniversaire confinée deux fois de suite et, comme tout le monde, j’ai vraiment, vraiment envie de récupérer ces choses qui faisaient le sel de ma vie d’avant. Mais pas au prix de 300 morts par jour.
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MAUVAISE NOUVELLE DE LA SEMAINE
*Variant : un nouveau venu dans la famille des variants du Sars-Cov2, le variant indien. Alors, contrairement à ce qu’on lit partout, il n’est pas « doublement mutant » (ça ne veut rien dire, dans les variants il y a toujours plusieurs mutations), il a en revanche plusieurs mutations sur des endroits critiques pour nous. S’il fait des ravages dans son pays d’apparition (voir section « Qu’est-ce que putain de quoi ? ») il est déjà à nos portes : un groupe d’étudiants infirmiers, arrivés en Belgique via Roissy, est actuellement en quarantaine stricte après avoir été déclaré positif au variant. L’origine de la contamination est inconnue, puisque tous ont présentés un test PCR négatif avant d’embarquer et leurs tests à Roissy étaient négatifs également. L’hypothèse est que l’un des étudiants, porteur d’une charge virale encore indétectable au moment du vol, est un supercontaminateur, ses camarades l’ayant donc attrapé avec lui dans le bus entre Roissy et la Belgique.
Source : Office du Bourgmestre d’Alost, Belgique.
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BONNE NOUVELLE DE LA SEMAINE
*Vaccination : avec 20% de primo-vaccinations, un français adulte sur quatre est désormais au moins partiellement protégé. Et, pour la première fois depuis le début de la campagne (on partait de juin 2024 quand même je crois), la date théorique de fin de la vaccination pour l’ensemble de la population adulte est passée en 2021. Le jour de Noël plus précisément, à l’heure où j’écris ces lignes.
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« QU’EST-CE QUE PUTAIN DE QUOI ? »
On a beau savoir qu’une bombe à retardement finira par exploser, ça laisse toujours surpris quand ça arrive. C’est exactement ce qui se passe en ce moment avec l’Inde.
Le pays semblait jusque là épargné, et était cité en exemple triomphant par tous les orchidoclastes pro hydroxychloroquine/pro ivermectine/anti masque/anti confinement/pro artemisia/ce que vous voulez, on les connait. Alors, outre le fait que c’était passablement énervant de devoir réexpliquer mille fois la même chose sur la situation différente des pays qui produit des résultats différents, l’inquiétude était réelle. Un peu comme le Brésil qui avait pu sembler épargné, ou comme l’Afrique qui a, en plus, des problèmes de recensement des malades, on savait que ça allait prendre feu. Et que, comme le Brésil et l’Afrique du Sud, ça allait sans doute gratifier le monde d’un variant charmant de plus au passage. Mais on était pas prêts pour ça.
« Qu’est-ce que putain de quoi ? » est précisément la phrase que j’ai dite quand les chiffres sont arrivés pour l’Inde et que j’ai cru qu’il y avait des zéros en trop partout. 300.000 cas par jour (350.000 au moment où j’écris ces lignes). Un taux de contamination multiplié par 10 en un mois. 2.000 morts par jour (2.500 au moment de la rédaction de cette chronique). A New Delhi, les médecins traitent les patients dans la rue, faute de place dans l’hôpital tant les cas sévères sont nombreux et tant ils ont été pris par surprise. Le système de santé a explosé en à peine un mois, le pays est lui aussi en pénurie d’oxygène, les proches des malades écument les hôpitaux et les réseaux sociaux à la recherche d’un lit disponible, et le variant local se répand plus facilement qu’une nappe de pétrole dans une réserve naturelle. Si la situation était annoncée, c’est sa violence qui laisse tout le monde soufflé.
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POINT METHODE DE LA SEMAINE : le Grand Voyage autour de la Science – 3.4 : Vérifier la Science – Le Consensus scientifique
Cette semaine, nous terminons le troisième gros tronçon de notre voyage autour de la Science, nous terminons de vérifier les résultats de notre recherche.
Car une fois que c’est relu, que c’est vérifié, que c’est encadré, se pose alors une question : est-ce que ça matche avec tout le reste qu’on avait déjà ?
Lorsqu’on cherche la pièce qui remplit le trou de notre puzzle, on regarde les quelques pièces autour, mais pas forcément l’image générale. Une fois notre pièce trouvée, il faut donc voir si ce qu’elle apporte est cohérent avec le dessin tel qu’il est. Et ce grand dessin, du grand puzzle, c’est ce qu’on appelle le Consensus Scientifique. C’est en gros « le plus proche qu’on puisse être de la Vérité avec les informations qu’on a en ce moment ». Et donc, quand arrive une nouvelle info, il y a trois possibilités.
*Conforter le consensus : la pièce est ce qu’on s’attendait à trouver là où on s’attendait à la trouver. Elle apporte un peu de précision sur l’image qui va dans le sens de ce qu’on prévoyait. Tout roule. Les chercheurs refont du café.
*Bousculer le consensus : la pièce n’est pas tout à fait ce qu’on s’attendait à trouver, ça reste quelque chose de cohérent dans l’ensemble, mais il y a un hiatus quelque part. C’est généralement un moment passionnant, parce que ça indique que quelque chose dans le modèle n’est pas bien compris, ou qu’il y a une inconnue pas prise en compte quelque part, ou que le modèle est bon, mais on a pensé de travers avec. Il faut faire plus d’études sur les sujets, les trous qui entourent la pièce qu’on vient d’ajouter deviennent des priorités. On veut comprendre. Les chercheurs passent au double espresso.
*Renverser le consensus : c’est un évènement très rare mais c’est déjà arrivé. Et ça arrivera encore. La pièce qu’on ajoute montre qu’il y a un problème majeur dans l’image telle qu’on l’avait jusqu’à présent. Peut-être qu’on tient tout à l’envers depuis le début, peut-être qu’un pan entier de pièces cohérentes entre elles ne va pas du tout là où on les a mises, peut-être qu’en fait toutes les pièces ne viennent pas du même puzzle. C’est le branle-bas de combat dans la discipline concernée et les collègues d’autres domaines font des stocks de pizzas, de bières fortes et de plaids en pilou. Il faut comprendre avant que tout tombe, la zone concernée devient une urgence scientifique. Les chercheurs concernés passent à l’irish coffee et leurs collègues se transforment en standard téléphonique pour maris nerveux et épouses inquiètes parce que, quand même, ça fait 3 jours, est-ce qu’il faut pas que je passe lui apporter des sandwichs ?
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En espérant avoir pu apporter un peu de lumière dans le chaos ambiant, je rends l'antenne, et on y retourne la semaine prochaine, car l'épidémie ne se termine pas avec le rereconfinement. En attendant, prenez soin de vous et des chercheurs qui bossent dur, et, autant que possible, restez chez vous. Bisous.
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