débordé, le CHU redoute le pic de la quatrième vague
Depuis trois semaines, la Martinique fait face à une quatrième vague de Covid-19 particulièrement meurtrière. À l’hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France, tous les lits de réanimation sont occupés alors que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint.
Reportage.
Fort-de-France (Martinique).-
Trois corbillards sont stationnés à l’entrée de la morgue de l’hôpital Pierre Zobda-Quitman à Fort-de-France, chef-lieu de la Martinique. Sous un soleil brûlant, les employés des pompes funèbres vont et viennent pour régler des questions administratives et récupérer les corps des défunts, dont le nombre augmente chaque jour. Et dont les noms rallongent chaque matin les avis d’obsèques diffusés sur RCI la radio locale, qui s’étalent désormais sur une heure de temps.
Depuis trois semaines, la grande île fait face à une quatrième vague de Covid-19 particulièrement virulente. La population, dont moins de 20% a reçu ses deux doses de vaccin, est de nouveau strictement confinée, comme lors de la première vague. Mais la mesure tarde à porter ses fruits. Le dernier bilan hebdomadaire, publié mardi 17 août par l’agence régionale de santé, fait état de plus de 4 000 nouveaux patients positifs au virus. Et présente un taux d’incidence de 1 147 pour 100 000 habitants. Les médecins estiment que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint. Le variant Delta, très contagieux, vient à peine de prendre le dessus.
Les contaminations flambent, les décès suivent, la morgue déborde. Dominique Arade-Chenor, responsable depuis 2018 de cette unité de conservation des corps, raconte n’avoir jamais été confronté à une situation d’une telle ampleur. « En temps normal, on ne dépasse pas les 90 à 100 morts par mois. Là, on a eu 190 morts à l’hôpital alors que le mois n’est même pas fini ! Et 80% d’entre eux sont morts du Covid », précise le dirigeant, derrière son masque FFP2.
Dos à lui, deux hommes, combinaisons, masques et gants de protection, s’activent. Ils déplacent des cercueils entre la chambre froide et l’extérieur. Des corps inanimés seront transportés dans la journée. De quoi libérer un peu d’espace, dans cette zone qui reçoit en moyenne vingt morts par jour alors qu’elle n’est aménagée que pour vingt-cinq places au total.
« On a beaucoup d’arrivées mais les départs ne se font qu’au bout de vingt à quarante-huit heures, voire plus. Sans parler du problème des autopsies. Les corps atteints du Covid-19, même sans vie, restent contaminants, on est obligés d’attendre dix jours avant de pouvoir y toucher, mais on n’a pas de place pour les garder aussi longtemps », regrette Dominique Arade-Chenor, dont la fatigue se lit sur le visage.
Avant, les pompes funèbres prenaient le relais, mais aujourd’hui, elles aussi sont saturées. Alors face à cette surcharge, le personnel s’arrange comme il peut. À savoir, en laissant les corps inertes dans des endroits où la température basse permet de les préserver dans un bon état. Et en incitant les proches à les récupérer rapidement. « On a fait en sorte qu’au-delà de trois jours à la morgue, les gens doivent payer 180 euros par jour supplémentaire...»
Des patients sur des lits de camps militaires
L’index qui défile sur l’écran de son smartphone, Dominique Arade-Chenor montre les images du nouvel équipement qui lui sera livré ce soir depuis l’hexagone : une morgue mobile lui sera envoyée par l’armée française. Et lui permettra d’avoir douze places réfrigérées supplémentaires. « C’est une bonne chose, mais ça reste tout de même insuffisant », constate celui qui a du mal à réaliser qu’il doit avoir recours à des équipements militaires.
Et il n’est pas le seul à avoir ce sentiment au sein du personnel du centre hospitalo-universitaire de Martinique (CHUM). Quelques mètres plus loin, du côté des urgences, les soignants ont dû utiliser des lits de camps militaires face à l’afflux massif de nouveaux patients positifs au coronavirus. Quinze personnes étaient installées dessus. Une scène qui a marqué le docteur Yannick Brouste, chef du service des urgences. « C’est inhumain de devoir laisser les malades au sol comme cela. Je n’ai vécu ça que lors du tremblement de terre à Haïti. Faire ça pour le Covid, c’est difficile, mais on n’a plus le choix. Il n’y a plus de place. Désormais, c’est de la médecine de guerre », s’attriste le médecin.
Le service enregistre entre quarante et cinquante nouvelles hospitalisations liées au Covid par jour. Le tableau des admissions affiche complet. Et pourtant, en cette matinée d’août, la liste risque encore se rallonger. Les trois chapiteaux aménagés à l’entrée pour tester et trier les malades ne désemplissent pas. Les camions de pompiers, le Samu et les voitures des particuliers arrivent à la chaîne. Avec, à leurs bords, des personnes, souvent dans un état déjà avancé de la maladie.
Axel Andolfo est urgentiste à Médecins sans frontières (MSF) à Lille. Il n’a pas hésité à s’inscrire pour la réserve sanitaire, et vit ses premiers instants en renfort au CHUM. Sous les chapiteaux, il teste, mesure la tension artérielle et la saturation en oxygène, avant d’orienter les patients. Ceux atteints du Covid et en manque d’oxygène, seront admis aux urgences.
Mais impossible de les accueillir tous. Les couloirs sont déjà remplis de lits de malades en attente de chambres. Et un record a été atteint la veille, le lundi 16 août : 186 passages aux urgences pour un service avec une capacité de 100 par jour. « On a manqué de brancards, de prises pour l’oxygène et de place », énumère le chef de service. Avant d’évoquer la délicate question du « choix » des patients, non sans émotion. « Étant donné que nous sommes en médecine de catastrophe, on applique des principes moraux différents de ce qu’on fait en temps normal. On est obligés d’arbitrer, voir qui a le plus de chance de survivre, pour déterminer qui peut être interné... ».
Face à un tel afflux, le corps médical est débordé. Un médecin qui préfère rester anonyme sort, essoufflé, « pour respirer un peu ». « Je ne veux pas que mon nom soit dans la presse. Les personnes opposées à la vaccination nous menacent, on n’ose même plus dire qu’on est médecins. » Il fait des allers-retours rapides en bas de son unité pour décompresser. « On n’est pas assez » lance-t-il à son collègue, pendant sa pause cigarette. Mais pas le temps de bavarder, le répit est de courte durée. Le spécialiste remonte assister les patients.
La virulence de cette vague surprend tout le monde. Y compris le corps médical. « Pendant les précédentes vagues, on a été confinés en même temps que la métropole, avant que ça n’arrive chez nous. Donc on y a échappé. C’était assez faible. Mais ce que l’on vit aujourd’hui, on n’a jamais vu ça ! », s’exclame le docteur Yannick Brouste. « Chaque jour, on a l’impression de toucher le fond, chaque jour, on creuse encore... »
Le désespoir dans les paroles du chef de service se comprend une fois passée la porte du service de médecine polyvalente, transformé en unité Covid. Toutes les chambres sont occupées. Sur les portes, de petites fenêtres vitrées laissent apercevoir les malades. À moitié nus, habillés de couches gériatriques, ils ne sont plus qu’un corps flasque qui lutte tant bien que mal pour rester parmi les vivants.
« Étant donné que la réanimation est saturée, c’est nous qui récupérons des formes déjà graves, qui en temps normal n’auraient pas été dans ce service. Il y a certains patients, nous savons qu’ils ne survivront pas plus de deux jours. C’est terrible », regrette Audrey Lagier, infirmière.
Derrière les petites fenêtres qui donnent sur les lits des malades, les âges se confondent. Liste de patients entre les mains, Pierrette Liard Bonnet, cadre de santé, indique que la majorité a moins de 55 ans, et la plus jeune 19 ans. Elle a été transférée en réanimation.
Dans cette unité, « 100% des lits sont occupés, et quand ça se libère, ce n’est pas pour longtemps », raconte le chef de service, Cyrille Chabartier, qui appréhende le moment où la vague atteindra son pic. « On est déjà submergés et dépendants des renforts nationaux. On n’a jamais ouvert autant de lits. Je ne sais pas comment on va faire », confie-t-il dans un rire nerveux.
Derrière lui, les alarmes sonnent en permanence au niveau du poste de soins, où deux écrans affichent les suivis de chaque personne hospitalisée en réanimation. Les tonalités alertent sur l’état de santé des malades. Infirmiers, médecins, et aides soignants fourmillent dans le hall et dans les chambres pour réguler les besoins des patients, reliés à la vie via de nombreuses machines. Et positionnés sur le ventre, « pour décomprimer les poumons et aider à la respiration », explique le médecin.
Pour soulager les hôpitaux martiniquais, et permettre plus d’entrées en réanimation, des évacuations vers la métropole sont organisées. Trois nouveaux patients ont été envoyés mardi matin dans des établissements parisiens. Et six autres samedi dernier. « Mais encore faudrait-il que les malades soient en capacité de voyager dans un avion... Ils sont très peu vu leur état », commente le chef de service des urgences. Pour l’heure, les places libérées sont surtout liées aux décès.
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«C’est la merde en Martinique, la merde !»
par Christian Lehmann, médecin et écrivain
Retrouvez ici les précédents épisodes du Journal d’épidémie de Christian Lehmann.
Olivia, 37 ans, est infectiologue en région parisienne. De retour de Martinique où elle est née, elle a voulu témoigner, «de façon spontanée, déstructurée, totalement émotionnelle», de ce qu’elle a vu là-bas. Elle s’adresse à ceux et celles qu’elle connaît, dont la défiance compréhensible envers l’Etat est attisée par ceux et celles qui n’existent qu’en rajoutant du chaos au chaos.
«La situation en Martinique est gravissime. Une dizaine de morts par jour du Covid rien qu’à l’hôpital, en plus des autres causes habituelles. Ramené à la population française, cela ferait plus de 1 000 morts du Covid par jour rien qu’à l’hôpital. La morgue déborde. A la radio, les avis d’obsèques durent près d’une heure chaque jour depuis quelques semaines, au lieu des quinze, vingt minutes habituelles. Parfois plusieurs membres d’une même famille sont annoncés d’un jour à l’autre : la mère le premier jour, la fille le deuxième jour, le frère le troisième jour, et ainsi de suite. Les gens hospitalisés dans un état grave ont entre 35 et 60 ans. Ils sont jeunes. C’est dramatique et jamais vu dans aucun département français depuis le début de l’épidémie en 2020. Et je n’aurais jamais imaginé un tel déni face à une situation aussi dramatique.
«Alors oui, 10% de la population dans ce département est diabétique, soit deux fois plus qu’en Métropole. Oui l’obésité et les maladies cardiovasculaires sont également surreprésentées. Mais ce n’est pas nouveau ! Et les gens ne mouraient pas autant !
«Alors oui aussi, l’hôpital va mal, très mal, depuis des années, clairement. Mais pareil : jamais les gens ne sont morts à ce rythme, même avec un hôpital dans un état catastrophique !
«Gestes barrières faillibles»
«Qu’est-ce qui a changé ? Le Covid. Et qu’est-ce qu’on peut faire là, maintenant en urgence : corriger vingt ans de gestion hospitalière nationale et locale catastrophique ou empêcher les gens de saturer un système déjà fragile de base ? A votre avis, qu’est-ce qui est factuellement réalisable maintenant devant cette urgence absolue ?
«Envoyer des «moyens» ? C’est fait. C’est déjà fait. Normalement, la réanimation du Centre hospitalier universitaire de Martinique c’est dix lits, et ça suffit pour l’île. Depuis la fin juillet, cinquante-cinq lits de réanimation sont opérationnels en Martinique, avec le personnel, le matériel et l’oxygène nécessaires. Mais combien de temps pensez-vous que cela peut durer ? Combien de temps le personnel venu en renfort pour s’occuper de ces «lits» au lieu de partir en congés bien mérités va rester ? Qui va les remplacer quand ils vont devoir repartir vers leur poste habituel ? Ce «plus de moyens» est concrètement limité dans le temps. Plus de places, OK, plus d’oxygène, OK, mais le but du jeu n’est-il pas plutôt de ne pas avoir besoin d’oxygène ? De ne pas arriver en réanimation ? De ne pas avoir besoin de plus de places à la morgue ?
«Et pourtant, on a un moyen d’éviter ou de limiter ça au maximum : la vaccination, associée aux gestes barrières.
«Les gestes barrières sont des moyens «humains» : ils dépendent de la volonté, de la motivation, de la chaleur, des «oublis». Ils sont faillibles, surtout quand on en a marre et qu’il fait 35 °C avec 100% d’humidité et que «les autres» ne les respectent pas. Contrairement aux gestes barrières, l’efficacité de la vaccination ne dépend pas de vous ni des autres, elle est ce qu’elle est. Elle n’est pas fiable à 100%, jamais, mais elle évite en très grande partie les formes graves, l’hospitalisation ou la réanimation. La combinaison de ces deux moyens est indispensable pour atteindre un niveau de protection individuelle ET collective maximal.
«Empoisonnement organisé et cautionné par l’Etat»
«Alors pourquoi les Martiniquais ne se vaccinent-ils pas malgré l’hécatombe en cours, dont la population est bien consciente ? Un élément de réponse tient certainement dans l’histoire récente de l’île, la perception de cette histoire par la population, et la perte totale de confiance en «l’Etat», aussi bien les élus locaux que nationaux, suite à ce qui est vécu comme l’empoisonnement de toute une population au chlordécone.
«Le chlordécone est un pesticide extrêmement toxique largement utilisé dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe de 1972 à 1993. Initialement interdit en raison de sa toxicité et de sa persistance dans l’environnement, le produit est finalement autorisé en 1972. C’est un perturbateur endocrinien, neurotoxique, pouvant altérer la fertilité et classé comme cancérogène possible en 1979 par l’OMS. Il faudra attendre 1990 pour que la France l’interdise, mais à coups de décrets, l’utilisation en sera poursuivie jusqu’en 1993. Les conséquences aujourd’hui encore sont dramatiques : tous les sols contaminés seront inutilisables pendant des siècles (littéralement), la nappe phréatique est polluée, les rivières sont polluées, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes racines… tout est contaminé. Et surtout les taux élevés de chlordécone dans le sang dans la population Martiniquaise et Guadeloupéenne sont associés, triste record, à une incidence de cancers (prostate, seins) ou d’autres pathologies (endométriose) parmi les plus élevées au monde.
«Pourquoi avoir autorisé ce produit en 1972 ? Pourquoi avoir continué son utilisation malgré l’avis de l’OMS ? Et après son interdiction officielle en 1990 ? Qui a voté les décrets pour la prolongation jusqu’à 1993 ? La population locale voit ce pan de l’histoire comme un empoisonnement organisé et cautionné par l’Etat. Quant à lui dire «d’oublier» ça alors que c’est actuel, pas passé, que des centaines de personnes développent encore aujourd’hui des cancers à cause de cette période ? Oublier ? Passer à autre chose ? Sérieusement ?
«Ceux qui les traitent de «débiles» et disent qu’ils «peuvent crever sur place» : on vous voit. Et c’est pas joli joli… Imaginez une seconde que cela se passe dans un département de métropole. Mais là, ce sont les Martiniquais/Guadeloupéens. Tout prétexte est bon pour les traiter d’imbéciles. Ils ont juste peur. Et c’est normal. Tout le monde a peur de quelque chose. Et traiter les gens d’idiots n’a jamais fait avancer le schmilblick.
«La machine de la désinformation fonctionne à pleine puissance dans ces deux régions, et la population antillaise est déjà méfiante de base et à juste titre. Le cocktail est explosif. Et donc garder son calme, fournir une information fiable, être respectueux, c’est primordial. Les insultes ne font qu’envenimer la situation.
«La vaccination n’est pas politique»
«C’est la merde en Martinique, la merde ! Merci aux équipes qui se sont déplacées et qui se prennent des torrents d’insultes et de «on n’a pas besoin de vous ! Rentrez chez vous !» Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font, comme dirait l’autre…
«Ce que je vois, c’est que la Martinique et la Guadeloupe sont en train d’accomplir un «auto-génocide» pour s’opposer à un Etat dont elles pensent qu’il veut les supprimer… C’est tordu mais c’est bien réel, et gravissime. Oui l’Etat français vous l’a fait à l’envers pendant vingt ans et vous a empoisonnés sciemment. Mais la vaccination n’est pas politique. La vaccination n’appartient pas à l’Etat. La vaccination c’est la science, c’est la neutralité, c’est du factuel. C’est la seule solution à ce jour, combinée aux gestes barrière, pour stopper l’épidémie. Ce n’est pas le président de la République ou l’Etat qui vous demandent de vous faire vacciner, ce sont des gens qui ont juré de soigner leur prochain, ces gens que vous avez tant applaudis en avril 2020, ces gens épuisés qui sont encore sur le pont, et ne comprennent pas une telle opposition à la seule aide prouvée efficace disponible. Des gens que l’Etat a également méprisés et usés jusqu’à la moelle depuis vingt ans, et encore plus ces dix-huit derniers mois.
«On entend deux versions, on sait pas laquelle croire» C’est totalement faux. Vous n’avez pas deux versions équivalentes : vous avez 99,9% de la communauté scientifique qui est d’accord et 300 hurluberlus qui nagent à contre-courant. Quels sont leurs intérêts ? Que vendent-ils ? Des livres ? Des vitamines ? Des médicaments qui ne fonctionnent pas ? Et arrêtez aussi avec cette fable qu’on a interdit aux médecins de prescrire les bons médicaments. Aucun médecin n’a interdiction de prescrire quoi que ce soit, c’est un mythe. Ceux qui prescrivent des traitements inutiles ne risquent absolument rien et ne sont pas des «résistants» ou des «rebelles», ils touchent le prix de la consultation, et elles se multiplient en ce moment… Si la majorité des médecins ne prescrit pas ces traitements, c’est simplement parce qu’il n’y a, au mieux, aucune preuve qu’ils fonctionnent, voire dans certains cas qu’ils peuvent aggraver la situation. Sauf si vous avez la gale ou un autre parasite, là ça fonctionnera…
«La science n’est pas une affaire d’opinion, la science ne se fait pas à celui qui parle le plus fort à la télé : la science ce sont des faits, démontrés. Que l’on aime le résultat ou non, la science s’en fiche : ça marche ou ça ne marche pas. Point. Il faut arrêter de relayer ces personnes mal intentionnées, ou juste mal informées et incapables de reconnaître leurs limites. Dans un monde idéal, on pourrait chercher à savoir le pourquoi du comment ils font ça, mais là on n’a pas le temps… Des gens crèvent à cause d’eux !
«Non le vaccin n’est pas dangereux. Il n’empêche pas complètement d’attraper le Covid mais il empêche les gens d’aller à l’hôpital ou en réanimation. Et ça tombe bien, c’est ce qu’on lui demande : empêcher les formes graves, aller moins à l’hôpital, ne pas mourir.
«Non on ne devrait pas vacciner pas seulement les gens fragiles. Les gens non fragiles non vaccinés sont en contact tous les jours sans le savoir avec les gens fragiles. C’est une société, les choix que vous faites ont des conséquences sur les autres. Si vous voulez faire uniquement ce que vous voulez pour vous sans vous soucier de personne d’autre, il va falloir aller vivre sur une île déserte. En attendant, réfléchissez plus loin que votre petite personne.
«Vingt ans de recherche»
«Le vaccin n’entraîne pas l’apparition des variants. Un virus qui circule mute. C’est la vie. S’il ne circule pas, il ne mute pas. Et les gens vaccinés sont moins contaminants, et moins longtemps, donc le virus circule moins. Et les vaccins fonctionnent contre tous les variants identifiés circulant actuellement.
«Le vaccin n’a pas été «fabriqué trop rapidement» : il est le résultat de vingt ans de recherches sur les coronavirus, mais vous n’étiez pas au courant que c’était en cours (2001 avec Sars-Cov 1 puis d’autre coronavirus). Il a «juste» fallu vérifier si ces recherches pouvaient s’appliquer au Sars-Cov-2 (Covid-19) quand il a été identifié en 2019 : et heureusement, ça marchait ! Donc oui, le vaccin a été créé rapidement, si on oublie les vingt ans de recherche qui ont permis de le trouver… La technique ARN messager est le résultat de quinze ans de recherche, avec des tests sur des petits groupes, et une utilisation à grande échelle sur les animaux depuis dans années. Et rien à signaler. Il a «juste» fallu paramétrer la technique pour fabriquer le vaccin anti Covid.
«Le vaccin n’est pas une «thérapie génique». Il ne modifie pas vos gènes. Le contenu reste au niveau du site d’injection, il est dégradé et disparaît de votre corps très vite. En quelques heures il ne reste plus rien. Juste les défenses que votre corps lui-même a fabriquées. Alors que si vous attrapez le Covid, le virus, lui, circule dans tout votre corps, touchant tous vos organes par la circulation sanguine.
«Et enfin le vaccin n’est plus en «période d’essai» : après trois milliards de doses administrées sur la planète depuis plus d’un an (les premiers essais ayant débuté dès mars 2020), ce n’est plus un essai, c’est une réussite.
«Née en Martinique où j’ai vécu jusqu’au baccalauréat, je suis spécialiste des maladies infectieuses en France «métropolitaine» depuis dix ans. Je retourne en Martinique plusieurs fois par an et suis en contact constant avec ma famille sur place. Toute ma famille proche est vaccinée, sur mes conseils en partie, voire sur mes ordres… J’étais sur place en vacances trois semaines cet été, fin juillet début août, et j’ai assisté impuissante à l’arrivée inévitable de la catastrophe, complètement abasourdie par la défiance et le déni de la population. J’ai envisagé de rester en renfort, évidemment, mais j’ai vite été rattrapée par la réalité : l’impossibilité de prolonger une absence qui avait déjà duré près de trois semaines (Olivier Véran a fait sa vidéo d’appel aux renforts quarante-huit heures seulement avant la date prévue pour mon retour), et le refus de mettre dans la merde mes collègues hospitaliers (suivant cette action bien connue du service public hospitalier sous le nom de «déshabiller Paul pour habiller Jacques»). Reste le sentiment de culpabilité inévitable après ce départ. Je sais que j’ai laissé mon île, et les miens, face à un immense danger. J’aimerais juste qu’ils comprennent qu’ils ont à portée de main les moyens de s’en protéger.»
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En Martinique, «tout le monde ne pourra pas être sauvé du Covid»
par Anaïs Moran, envoyée spéciale à Fort-de-France
Le pompier déboule dans la tente, pantelant et essoufflé. «On a une dame dans un camion au fond, je crois que ça ne va pas du tout !» La docteure Miller (1) jette un regard dehors : sous la pluie battante, lundi, huit ambulances et deux camions de pompiers stationnent en file indienne, les portes arrière ouvertes, laissant apparaître les pieds des malades, inertes. Puis balaie d’un coup d’œil la situation sous sa toile blanche : quatre patients allongés sur des brancards, un cinquième avachi dans un fauteuil, deux bouteilles d’oxygène, une infirmière. «Ok, go, je viens, tranche l’urgentiste. Elle est où exactement cette dame ? Qu’on me trouve un autre brancard bordel, vite, vite !» Il n’est même pas midi au CHU de Martinique. Le parvis de l’hôpital Zobda-Quitman, devenu «zone de tri» et passage obligé avant toute entrée aux urgences, chancelle déjà face à l’invasion vertigineuse des cas Covid. Yannick Brouste, le chef de service, est venu mettre le nez dehors avant de s’enfermer dans son bureau pour la troisième réunion de crise du jour. «Bienvenue en enfer.»
Sarah Miller, 38 ans, seule médecin en poste pour coordonner cette turbine, s’affaire auprès de la patiente. «Il faut faire un test antigénique, ou elle est officiellement positive ?» Elle l’est depuis neuf jours, annonce le pompier. «71 ans, diabète, hypertension artérielle, 120 kilos. Non vaccinée», complète-t-il. La septuagénaire est à bout de souffle. Allongée et incapable de communiquer. Ses mains nouées sur son ventre oscillent à un rythme effréné. Son menton est en l’air, ses yeux tournés vers le ciel. Elle lutte. «Madame, on va vous mettre sur le ventre, d’accord ? C’est pour vous aider à mieux respirer, lui dit l’urgentiste. On va vous donner une bouteille d’oxygène aussi, vous vous sentirez mieux. Et après, je vous emmène à l’intérieur de l’hôpital, dans une chambre avec un lit.» Y en a-t-il encore de libre ? Miller sait que la réanimation lui répondra non. «En temps normal, je l’enverrais directement là-bas. Seulement, aujourd’hui, elle n’a aucune chance d’être acceptée, elle a trop de comorbidités. Les critères sont devenus trop stricts», glisse-t-elle. Ce sera donc les urgences, sas obligatoire avant toute prise de décision plus poussée. Débordées ce matin-là, elles aussi. «Dès qu’une place se libère dans un de leur box, tu emmènes la dame en priorité, dicte la médecin à un brancardier. Les autres patients de la tente attendront.»
«C’est un cataclysme»
Installé voici quelques jours, le nouvel avant-poste de l’hôpital repose sur deux structures en bâche épaisse. L’une est destinée aux non-Covid, envoyés illico dans un autre bâtiment. L’autre réceptionne les malades positifs et les cas de suspicion, testés sur place, qui, une fois confirmés, sont «fléchés» comme les autres vers l’une des 28 places en chambre du service des urgences entièrement dédié à la pandémie. Sur le papier, le dispositif est carré. Une organisation de médecine de catastrophe. Sauf qu’ici, la catastrophe est humaine mais aussi structurelle. Les urgences et sa «zone de tri» manquent de tout. De médecins, de paramédicaux, de matériel. A l’image de l’ensemble du CHU, en temps normal plus galion que paquebot, dérouté face à l’immensité de la quatrième vague et le fracas du naufrage. Mercredi, 217 personnes étaient hospitalisées pour Covid-19, 48 étaient en soins critiques.
Suivre Sarah Miller dans cette machinerie donne le tournis. Elle va et vient entre les deux tentes, zigzague parmi les véhicules embouteillés depuis vingt minutes, consulte un patient, dirige les pompiers, les aide-soignants, les brancardiers, alterne empathie et autorité, court jusqu’aux urgences pour voir si un lit ne s’est pas libéré. Et répète cela à l’infini, au milieu de sollicitations incessantes. «Une ambulance vient de téléphoner, elle ramène un homme de 55 ans, positif à J7, qu’il faudra prendre très vite à son arrivée. C’est bon pour toi ?» lui lance un collègue du Samu descendu de la salle de régulation des appels. «Tu sais où je peux trouver une bouteille d’oxygène ? Ça fait cinq minutes que le numéro de la logistique sonne dans le vide !» l’interpelle une interne venue l’épauler. «La petite est négative, on la met où en attendant ? l’apostrophe sa binôme infirmière. Et le monsieur là-bas, son taux d’oxygène baisse super vite, on fait quoi ?»
L’un des patients allongés sous le chapiteau ne rate rien des affairements. «C’est l’anarchie. Je ne pensais pas que c’était l’anarchie», répète-t-il en boucle, les yeux hagards. Agé de 45 ans, il souffre de toux et de douleurs thoraciques. «Je croyais avoir contracté le pack complet du Covid-19. Mais regardez-moi tous ces gens, ils ont l’air de s’étouffer…» L’homme est en surveillance pour une demi-heure encore. «Moi, je prenais les choses à la légère, je n’y croyais pas à tous ces délires. Là, je n’hallucine pas pourtant. Si on n’a pas cette maladie, vaut mieux pas chercher à l’avoir. Vous avez vu ce cauchemar ?» Il n’est pas vacciné et n’y compte pas, même après cette journée. «J’ai trop peur. J’ai plus peur de ce poison que de me trouver dans ce brasier une nouvelle fois», formule-t-il. La demi-heure passée, il est ensuite renvoyé chez lui. A quelques mètres de là, un policier attend son père de 84 ans. Ce dernier a été hospitalisé aux urgences la veille et s’en sort «miraculeusement», sans complications majeures. «Je dis miraculeusement parce que c’est un cataclysme, il suffit de regarder autour de soi, lâche-t-il en dévisageant les pompiers couverts de la tête aux pieds. Jamais je n’aurais pu penser que je verrais ce parvis à feu et à sang. Je suis vacciné, mais mon père non. Oh mon Dieu, il s’en est sorti…» Sa voix tremble de soulagement. Ou peut-être de sidération.
«Le sentiment de batailler tout seul»
Derrière les portes battantes du rez-de-chaussée, inaccessible aux familles, le service des urgences intra-muros est tout aussi chaotique. Il y a trois semaines, les équipes ne comptaient que cinq patients dans leur box «d’isolement Covid respiratoire.» A 8 heures ce matin-là, 27 de leurs malades étaient en attente d’une hospitalisation dans l’une des huit unités Covid de l’établissement. Autrement dit : il ne restait plus qu’une seule place disponible en lit pour accueillir les nouveaux patients positifs de la «zone de tri», alors les urgentistes les ont mis là où ils le pouvaient. Alignés dans les couloirs, parqués dans les salles d’attente. Rattachés à des bouteilles d’oxygène d’appoint utilisées habituellement lors des transferts, qui se vident à vitesse grand V. «Tout l’hôpital est bouché, on est dans une quasi-paralysie du système, analyse Fanny André, médecin du service. Normalement ici, un patient Covid ne doit pas rester plus de vingt-quatre heures. Sauf qu’aujourd’hui, les box des urgences n’arrivent plus à être vidés, parce que les unités dans les étages censés accueillir nos malades sont remplies et que la réanimation ne peut plus prendre de patients.» Même la morgue est saturée. Son collègue Gérault Frossard : «On se retrouve à renvoyer précipitamment chez eux les patients moins graves, avec de l’oxygène à domicile. On fait de la médecine au plus vite, au plus grave, et la plus expéditive possible. Ce n’est plus le même métier.»
Sarita Goma, infirmière de 36 ans, prend la tension d’une femme installée sur un brancard dans le couloir. A 13 heures, cette patiente était sous la tente. Il est 16h30, et la soignante prend pour la première fois toutes ses constantes. «Elle se dégrade très très vite là, on va devoir la mettre sous cinq litres d’oxygène. Vous vous rendez compte si on l’avait laissée encore une heure de plus ?» Les dossiers de la bannette «non vue» s’accumulent. L’infirmière secoue la tête : «Tssss, quand je pense que les gens disent que ce nous vivons n’est pas réel ! Ce matin encore, j’ai reçu un SMS d’une amie qui me demandait si c’était de l’intox ce qu’on racontait sur l’hôpital.» Sarita Goma n’est pas pour autant vaccinée. «Je préfère attendre. Je me confine, j’applique les gestes barrières. Cette maladie me terrorise, mais l’absence de recul sur la vaccination plus encore.» Au CHU, 20 % des soignants paramédicaux ont commencé leur schéma vaccinal, soit la moyenne de la population martiniquaise. Tous les médecins ou presque l’ont terminé, créant une ambiance légèrement électrisée. «On a le sentiment de batailler tout seul, en fait», lâche l’urgentiste Florian Negrello.
«Appelle les familles et mets de la morphine»
Dans la salle de staff, un gigantesque tableau blanc tapisse le mur. Chaque patient y est inscrit. En fin d’après-midi, ils étaient 35 : 21 hommes et 14 femmes, dont une mère et sa fille, un couple de grands-parents. Moyenne d’âge : 62 ans. Nombre de personnes vaccinées : zéro. «L’unité 7D a deux lits disponibles, la 7B en a trois et la 5C deux. Et la réanimation vient de m’appeler pour me dire qu’ils ne prendraient pas la dame du box 12. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On monte qui d’abord ?» interroge un urgentiste. Chaque décision pèse une tonne. Les équipes savent, au fond, que certains mourront sans doute avant d’être hospitalisés dans une unité. Yannick Brouste, le chef de service : «Clairement, on est dans le dur. La question qui va très vite se poser, c’est : est-ce qu’on va assumer si on n’est plus capable du tout ? Et si on n’est plus capable du tout, qu’est-ce qu’on fait ? Tout le monde ne pourra pas être sauvé.»
Deux bâtisses plus loin et trois étages plus haut, dans la moiteur d’un bureau décrépit, Thomas Poussot, 27 ans, interne en médecine générale propulsé dans l’unité Covid 5D, a du mal à quitter ses 21 patients pour la nuit. Il est 20h30, l’interne de garde est arrivé mais il tient à appeler lui-même la réanimation une dernière fois, sait-on jamais, les dix nouveaux respirateurs installés par les militaires nouvellement débarqués ont peut-être changé la donne. «Allo ? Oui, c’est le médecin du 5D. Je t’appelle pour te parler de quatre patients très graves…» Ils ont entre 60 ans et 74 ans, ont été montés la veille au soir par les collègues des urgences. La plupart souffrent de diabète et d’hypertension artérielle, l’un d’un myélome. Il raccroche. «Bon bah voilà, deux minutes trente de discussion robotique au téléphone et on vient de statuer sur quatre refus pour la réa. Au bout du fil, on vient de me dire : “Appelle les familles et mets de la morphine si les patients sont dans l’inconfort.” Voilà, ça veut tout dire.» Silence. Thomas peine à encaisser. «Le mari de l’une de mes patientes est décédé la veille un étage plus bas. Qu’est-ce que je vais dire au fils ? Comment on va sortir d’un truc pareil ?»
(1) Le nom a été changé à sa demande.
TÉMOIGNAGE
Elle s'inquiète pour son île, submergée par le Covid-19. Depuis plus de trois semaines, la Martinique lutte contre une quatrième vague de coronavirus. Alors que le pic n'est pas encore atteint, de nombreux habitants de l'île craignent la santé de leurs familles. C'est le cas de la journaliste du service public Karine Baste Régis. Née à Schœlcher en Martinique, la présentatrice a lancé un appel déchirant, mardi 17 août comme l'expliquent nos confrères de Public.
Sur Twitter, la maman de 38 ans n'a pu cacher son inquiétude : "Le covid tue nos proches et mon cœur saigne. ENSEMBLE nous sommes plus forts ; ne l’oublions jamais", a-t-elle écrit à 11h47. Avec ce message, la journaliste souhaite alarmer ses concitoyens sur la situation grave que l'île traverse : "À mes compatriotes #martiniquais, je ne suis pas médecin et n’aurai pas l’indécence de conseiller ou juger. Mais les drames s’enchaînent dans nos foyers.", a-t-elle conclu.
Karine Baste-Régis alertée sur la vaccination
Si la plupart de ses abonnés remercient chaleureusement la star du JT de France 2 pour son soutien : "Mon soutien absolu Karine pour votre message", "Pourvu que vous soyez entendue", "Merci pour ça", peut-on lire sous son post. D'autres n'ont pu s'empêcher de relancer le débat sur la vaccination. Parfois tumultueux, certains abonnés protestent : "Vous ne voulez pas les appeler à se vacciner !!!", "dire vaccinez-vous c'est pas un gros mot vu la situation actuelle". Loin des polémiques, la journaliste n'a pas tenu à répondre à ces propos.
Rentrée en juillet dernier, après quelques jours sur son île natale, Karine Baste-Régis avait alerté la France sur son manque de vigilance. Après être sortie de l'avion sans contrôle, la remplaçante d’Anne-Sophie Lapix a témoigné sur son compte : "Me voici donc à Orly, arrivée de Martinique (en état d’urgence sanitaire)… Aucun test covid demandé, ni au départ ni à l’arrivée. Aucun contrôle de motif impérieux (pourtant obligatoire)", s'était-elle étonnée sur Twitter.
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