Dans le Finistère, le cairn de Barnenez a résisté au temps et au vol de ses pierres
C’est le plus grand site funéraire de l’Europe occidentale et l’un des plus anciens. Le cairn de Barnenez, à Plouezoc’h (Finistère), aujourd’hui géré par le Centre des monuments nationaux, est vieux de plus de 6 000 ans. Il a pourtant bien failli disparaître dans les années 1950. Une bonne partie du monument avait commencé à être utilisée pour la construction d’une route.
Déjà, le panorama mérite largement de pousser jusqu’à Plouezoc’h, quelque 1 500 habitants, pas très loin de Morlaix (Finistère). Les sentiers côtiers qui tournicotent permettent de contempler la baie de Morlaix sous tous les angles, ses rochers en dentelles et ses îlots qui émergent au gré des marées. « La vue est magnifique », glissent ces deux promeneuses.
C’est un premier voyage, et il y en a un autre, juste à côté, qui remonte loin, très loin dans le temps, à l’époque du néolithique, il y a plus de 6 000 ans, lorsque nos ancêtres commencent à se sédentariser et deviennent agriculteurs et éleveurs.
Pour continuer à mieux comprendre cette époque, le cairn de Barnenez, immense monument en pierre (75 mètres de long et 28 de large) recouvrant des sépultures, le plus imposant dans son genre de toute l’Europe occidentale, l’un des plus anciens aussi, est un précieux témoignage. Il a encore beaucoup de choses à dévoiler. Il a beau avoir traversé ces temps si anciens, il est pourtant un survivant.
Pillé pour construire une route
On n’imagine pas un jardinier, soucieux d’apporter une touche personnelle à son carré de gazon, allant faire ses courses à Carnac (Morbihan) et ses fameux alignements pour ramener un ou deux petits menhirs dont il pense qu’ils feront le meilleur effet dans son jardin. Pourtant, d’une certaine façon, c’est ce qui est arrivé au cairn de Barnenez.
Sur une partie du cairn, qui compte en tout onze chambres funéraires, il y a comme un vide, un trou. On pourrait parler d’un saccage qui remonte à plus de soixante ans. En 1955, un entrepreneur de travaux publics doit construire une route. Il a besoin de pierres et ne trouve pas une meilleure idée que de se servir de celles du cairn.
L’écrivain Michel Le Bris (disparu en janvier 2021), fondateur du festival Étonnants voyageurs, à Saint-Malo, est du coin. Il est né à Plougasnou, presque à un jet de pierre de Plouézoc’h. Dans l’un de ses ouvrages, Pour l’amour des livres, il raconte cet outrage à la très lointaine mémoire humaine. « L’entrepreneur chargé de fournir en pierres une route touristique, passant au pied de Barnenez, avait trouvé son bonheur dans un monticule herbeux qu’il avait commencé d’éventrer », raconte-t-il. « C’est un désastre », poursuit l’écrivain.
Le cairn, plus de 6 000 ans d’existence, aurait pu être ainsi dévoré petit à petit pour les besoins de travaux publics. Heureusement, à l’époque, un journaliste d’Ouest-France, Fanch Gourvil, a vent de l’affaire et alerte Pierre-Roland Giot, le directeur de ce que l’on appelle à l’époque les Antiquités préhistoriques de Bretagne. Aussitôt, c’est le branle-bas de combat. L’extraction des pierres du site néolithique est stoppée sur-le-champ. Le cairn est sauvé même s’il a été amputé. L’affaire se terminera devant la justice, qui condamnera le chef d’entreprise à une amende et des dommages et intérêts.
Une construction très élaborée
« Ce sont 5 000 tonnes de pierres qui ont été enlevées, un cinquième du cairn », précise Estelle Riouallon, du Centre des monuments nationaux, qui assure des visites du site et anime des ateliers pour découvrir et comprendre cet endroit unique.
Sur place, les dégâts sont bien sûr toujours visibles. À défaut d’une intégrité préservée, ces tonnes de si vieilles pierres déplacées pour construire une route permettent alors de révéler l’intérêt majeur du cairn de Barnenez, d’y entreprendre des fouilles et de le préserver. Bien sûr, le site n’était pas totalement inconnu. Il était juste recensé comme un tumulus, et largement sous-estimé.
Si à quelque chose malheur est bon, toutes ces pierres déplacées permettent de mettre au jour la structure du cairn, son architecture élaborée et de dévoiler à tout le monde quatre des chambres funéraires. Cette leçon d’histoire est riche. Voilà pourquoi on parle finalement d’une « coupe pédagogique ».
Depuis, le site de Barnenez a été fouillé et étudié. On sait désormais qu’il ne s’agit pas seulement d’un monument funéraire mais aussi d’un signal adressé à des visiteurs agressifs pour les inciter à passer leur chemin. Le cairn est construit avec de la dolérite, une pierre trouvée sur place, plus foncée, et aussi des pièces de granit, plus clair, qu’il a fallu déplacer de plus d’un kilomètre à une époque où les engins de levage et de transport n’existaient pas. Ces éléments de différentes couleurs apportent ces teintes si particulières au cairn qui pouvait ainsi être vu de loin. Comme un immense avertissement délimitant le territoire des habitants d’alors. Surtout que sa hauteur lui permettait de se détacher dans le paysage.
Encore plein de choses à découvrir
« Baissez la tête » , conseille Estelle aux visiteurs qui doivent se plier en deux pour traverser l’étroit couloir qui mène à l’autre côté du cairn. Elle attire aussi l’attention, par exemple, sur ces petits dessins, en forme de U, gravés dans une pierre, qui pourraient évoquer la puissance d’un animal élevé au rang de divinité.
Au regard de sa très longue histoire, le cairn de Barnenez n’a été ouvert que récemment au public, en 1971. Le vaisseau de pierre laisse des visiteurs songeurs. « Un tel monument qui a été construit sans moyens techniques, c’est impressionnant », glissent Olivier et Isabelle, deux touristes. « Tout ce volume… » admirent Sarah et Vincent. « On a du mal à s’imaginer qu’un tel monument a été construit pierre par pierre. On ne s’attend pas à cela », disent aussi Christian et Jeanine. « Cela me fait penser aux chantiers des cathédrales qui ont duré pendant plusieurs siècles. Et puis, autour, il y a ce paysage à couper le souffle », poursuit Sara, d’origine italienne.
Les fouilles et les travaux universitaires sur le site de Barnenez ont déjà permis de savoir beaucoup de choses sur le cairn. Pour autant, il est loin d’avoir livré tous ses secrets. Les archéologues se doutent bien que des personnes importantes y ont été enterrées, des guerriers ou des religieux par exemple. Seulement, ce sol breton, en raison de son acidité, n’a gardé prisonnier aucun ossement. On a pu établir la signification des signes gravés dans des pierres mais ils sont aussi toujours l’objet de questions. On s’interroge encore sur des pratiques religieuses ou rituelles qu’il pouvait abriter. « Il y a encore plein de choses à découvrir pour les générations futures », glisse Estelle. Et il n’y a plus de routes à construire dans les environs…
Les poissons rouges ne vivent pas que dans les aquariums et pour certains, il faut bien plus qu’un bocal ! 😳 | ||
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