Livre. Qui ne connaît pas le Puy du Fou ? Avec 2 millions de spectateurs chaque année et ses multiples déclinaisons, est-il encore possible d’échapper à ce parc d’attractions ? Son succès est tel qu’il se lance maintenant dans le cinéma. Un film historique sera tourné cet été sur son site avec pour toile de fond, bien évidemment, la guerre de Vendée (1793-1795), épisode sanglant de la Révolution française, que le fondateur du Puy du Fou, Philippe de Villiers, ne cesse de dépeindre en génocide, contre toute vérité historique. Qu’importe, le long-métrage sortira en 2023.
Le parc célèbre, cette année, ses 45 ans, et la fête commence sur une fausse note. Un collectif d’historiens a fait la visite pour tenter de comprendre quel récit de notre passé est proposé. Ils en reviennent avec la conviction d’avoir assisté à une « falsification ». Le site ratisse large, des Gaulois à la seconde guerre mondiale. Pour en arriver à embrasser ce vaste paysage historique, de multiples points de vue étaient nécessaires.
Quatre chercheurs se sont donc réunis pour mener l’enquête : Florian Besson, médiéviste, Pauline Ducret, spécialiste de la Rome antique, Guillaume Lancereau, historien de la Révolution française, et Mathilde Larrère, dix-neuviémiste. Avant même de se rendre au Puy du Fou, on pourrait deviner le récit proposé en étudiant un peu les idées politiques de Philippe de Villiers. Inquiet de l’« islamisation » du pays, il fait partie aujourd’hui des soutiens officiels d’Eric Zemmour. Mais présumer est insuffisant, et mener un travail de terrain est nécessaire.
D’autant que le Puy du Fou organise un brouillage, en affirmant dans sa communication officielle ne pas prétendre « faire un travail d’historien ». Le spectacle ne serait rien de plus qu’un divertissement populaire. Pourtant, si l’on en croit Philippe de Villiers, le Puy du Fou n’aurait rien d’innocent, il aurait bien un usage militant. « Je pense que la métapolitique a plus d’influence que la politique, aujourd’hui. Par mes livres et mon Puy du Fou, j’ai fait passer beaucoup plus d’idées qu’en restant la énième écrevisse de la bassine », disait-il, en 2017, pour expliquer sa décision de ne pas se présenter une troisième fois à la présidentielle. En employant le mot « métapolitique », cher à l’extrême droite, il reconnaissait mener un combat culturel et militant.
Représentations flatteuses
La première impression des chercheurs en immersion est cependant favorable : ils reconnaissent que le spectacle est époustouflant et que cette promesse est tenue. De même ne sont-ils pas choqués par le fait que le parc ne cherche pas à faire une restitution à tout point juste du passé. Une licence artistique est d’autant plus facilement accordée que les différents spectacles présentés mêlent des éléments de fantastique au récit, il serait donc vain de s’attendre à une parfaite vérité historique. Néanmoins, le rapport aux faits reste, au mieux, équivoque.
L’AVIS DU « MONDE » – ON PEUT ÉVITER
En janvier 2021, Eric Zemmour suggérait sur Twitter que la guerre de Vendée « pourrait nourrir notre cinéma français en récits épiques, si celui-ci daignait s’intéresser un peu plus à l’Histoire de France, au lieu de nous proposer des films d’auteur sur les migrants véganes transgenres ! » Annonce qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd puisque, deux ans après, sort sur les écrans Vaincre ou mourir, film historique retraçant la vie tumultueuse de François Athanase Charette de La Contrie, chef de file de l’insurrection vendéenne contre l’armée républicaine – après trois ans de batailles sanglantes, celui qu’on surnomme le « Roi de la Vendée » sera finalement fusillé en 1797.
Depuis, Charette est devenu un fétiche pour l’extrême droite française qui voit en cette figure le symbole d’une contre-histoire de la Révolution française : depuis 2016, son récit fait l’objet d’un grand spectacle au Puy du Fou intitulé Le Dernier Panache, déjà vu – nous dit le dossier de presse – par douze millions de spectateurs. C’est donc tout naturellement qu’on retrouve le parc de loisirs fondé par Philippe de Villiers derrière Vaincre ou mourir, produit par Puy du Fou Films (entité créée en 2021 avec, à sa tête, Nicolas de Villiers, fils de Philippe) et Canal+ (propriété de Vincent Bolloré). En somme, le film se veut d’abord un objet idéologique et dissident, répondant au fantasme d’un cinéma français majoritairement acquis aux idées de gauche.
Un film historique de droite : après tout, pourquoi pas ? C’était sans compter le résultat, une bouillie audiovisuelle qui égrène tous les poncifs les plus éculés du film historique, remuant son imagerie christique et viriliste à coups d’effets visuels d’un autre âge. Tout se passe comme si une équipe de tournage avait été parachutée sans plan de travail dans l’arène du Puy du Fou tandis qu’un monteur dépassé tentait d’insuffler un peu de vigueur hollywoodienne à ces molles batailles entre figurants déguisés en paysans vendéens. Dès lors, il devient à peu près impossible d’entrer dans la fiction tant nous captive l’amateurisme de ce nanar d’idéologues. Avec tout le sérieux du monde, Vaincre ou mourir prétend rivaliser avec la technicité d’une épopée signée Ridley Scott – et c’est hilarant.
Film français de Paul Mignot et Vincent Mottez. Avec Hugo Becker, Rod Paradot, Gilles Cohen (1 h 40).
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