l’histoire de l’Askoy II, le bateau de Jacques Brel ?
« J’ai envie de faire autre chose que ce que je sais faire ». Nous sommes en 1974. Au faîte de sa gloire, Jacques Brel se passionne pour la voile et navigue de plus en plus, jusqu’à rêver d’acheter le « voilier idéal » pour larguer les amarres et partir faire le tour du monde. Un jour, il tombe sur une petite annonce. Le bateau en vente est à Anvers et il appartient à l’architecte Hugo Van Kuyck. Il s’agit de l’Askoy II.
C’est déjà un voilier de légende : lors de sa conception dans les années 1960, il était considéré comme le plus grand yacht construit en Belgique : avec une longueur de près de 20 mètres, ses deux mâts, sa coque en acier, ce yawl était particulièrement difficile à manœuvrer en raison de ses 42 tonnes et nécessitait au moins trois membres d’équipage.
Après l’avoir visité de fond en comble, le chanteur belge conclut l’affaire et achète l’Askoy II.
Le navire de ses derniers rêves
Avant de pouvoir courir les océans, le voilier nécessite pas mal de nouveaux équipements. Les voiles, par exemple, sont à remplacer. Brel entend parler des maîtres voiliers Wittevrongel, Staff Piet et leur père, Jan, établis à Blankenberge près de Zeebruges. C’est chez eux qu’il passera commande et les trois hommes noueront raidement des liens d’amitié. Le Grand Jacques dira de Jan Wittevrongel : « C’était un type fantastique et nous nous sommes entendus tout de suite. Il me suggéra de changer le ketch en sloop mais cela nécessitait un travail long et coûteux et je voulais partir en été pour être au début de l’automne sur la route des alizés ».
Brel était pressé. ll souffrait d’un cancer, diagnostiqué le 5 novembre 1974. Les Wittevrongel gréeront ses deux mâts en pin d’Oregon, mais ils ne modifieront pas son ketch en sloop. Le 24 juillet, il largue les amarres du port d’Anvers, seul avec sa compagne, l’actrice guadeloupéenne Maddly Bam et sa fille, France. Et il partira loin, très loin, jusqu’en Polynésie, à bord de son deux-mâts étincelant de cuivres et de bois vernis.
Les Marquises, l’ultime refuge
Après la traversée de la Manche et une escale à Coverack à la pointe sud des Cornouailles, viennent les Scilly et les Açores. Ensuite, les Canaries pour le grand saut vers les Antilles et le canal de Panama. Askoy II s’élance alors à l’assaut du Pacifique. Le 19 novembre 1975, le chanteur jette l’ancre tombe dans la baie de Tao Ku aux Marquises où il entame le dernier chapitre de sa vie. Il loue une maison à Hiva Oa en 1976 et revend son voilier pour acheter… son cinquième avion, un Beechcraft Twin-Bonanza. Passionné par les bateaux mais aussi les voitures et les avions, Brel est en effet un pilote dans l’âme.
Brel tourne définitivement la page de la voile et de la mer. Pendant trois ans, aux commandes de « Jojo », du nom de son grand ami disparu, Georges Pasquier, il rendra de grands services aux Marquisiens, assurant notamment régulièrement des évacuations sanitaires vers Papeete.
Le paradis du peintre Paul Gauguin inspire au chanteur belge, qui a fait ses adieux à la scène huit ans plus tôt, son treizième et dernier album studio, « Les Marquises », sorti en 1977 chez Barclay.
Le cancer de Jacques Brel ne lui laisse aucune chance. Le 8 juillet 1978, à Tahiti, des radios montrent des ganglions et des métastases. L’ensemble du poumon gauche est atteint. Le 27 juillet, à l’aéroport de Faaa, Brel et sa compagne Maddly prennent place dans un avion pour Paris et Bobigny, où le chanteur doit subir un traitement au cobalt et aux rayons X. C’est l’adieu avec les îles.
Le traitement échoue : le 9 octobre 1978, à 3 h 30, Jacques Brel meurt à l’hôpital Avicenne de Bobigny, quinze jours après avoir été hospitalisé pour une embolie pulmonaire, sous le nom d’emprunt de Jacques Romain. Après sa mort, le corps de Brel sera transporté aux Marquises, son Éden perdu au milieu du Pacifique Sud où il a choisi de reposer. Sa tombe se trouve à quelques mètres de celle de Gauguin.
Le sauvetage de l’Askoy II
Quant à l’Askoy II, près de 60 ans plus tard, il est retrouvé échoué sur une plage en Nouvelle-Zélande. Le bateau que le Grand Jacques appelait « Ma Cathédrale » est devenu une véritable épave. Il rouille, échoué sur une plage depuis de longues années à Baylys Beach, quelque part au pays du long nuage blanc. Les frères Wittevrongel décident alors de le sauver. Les mâts, le pont, le gréement, le moteur, l’intérieur et l’équipement de pont du voilier… tout a disparu. C’est avec leurs propres deniers que les deux admirateurs de Brel vont financer l’opération néo-zélandaise de déséchouage. Ils obtiennent des soutiens comme le transport à titre gratuit d’Askoy II vers Anvers où il reste deux ans. Puis, un jour, le propriétaire d’un chantier naval appelle les Wittevrongel et leur propose d’y installer le bateau. Marché conclu. L’Askoy II est remorqué par la route d’Ostende à Rupelmonde où la rénovation de la coque sera achevée.
À l’extérieur, le bateau est totalement identique au plan original, y compris les mâts en pin d’Oregon ainsi que pour la partie intérieure la cabine arrière, celle qu’occupait Brel à l’époque. Concessions à la modernité, l’installation d’un pilote automatique et d’un nouveau moteur moins encombrant et plus puissant.
Plusieurs fois reportée, la date de la remise à l’eau du voilier est désormais fixée à Zeebruges, au 8 avril 2023, jour du 94e anniversaire de la naissance de Jacques Brel. À suivre…
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