dimanche 28 mai 2023

CANNES 2023

 Pour la première fois, on est sorti de la période de convalescence post-Covid où tout le monde était prudent, conscient que le cinéma et tout le secteur qui tournait autour de lui avait pris un sérieux coup dans l’aile. La résilience générale et les bons chiffres de fréquentation des salles en Europe, et en tout particulièrement en France, ont rallumé la flamme et vu réapparaître une envie générale d’en découdre. 

En lien direct avec le reste du pays – c’est possible, Justine Triet l’a prouvé en recevant son prix, déterminée et inattendue, abrégeant les politesses pour en venir au politique : «Le pays a été traversé par une contestation historique, extrêmement puissante, unanime, de la réforme des retraites, cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante. Et ce schéma de pouvoir dominateur, de plus en plus décomplexé, éclate dans plusieurs domaines. Evidemment, socialement, c’est là où c’est le plus choquant. Mais on peut aussi voir ça dans toutes les hautes sphères de la société. Et le cinéma n’y échappe pas. La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception culturelle française. Cette même exception culturelle sans laquelle je ne serais pas là aujourd’hui devant vous. Ce prix, je le dédie à toutes les jeunes réalisatrices, jeunes réalisateurs et à ceux qui n’arrivent pas aujourd’hui à tourner. Cette place que j’ai prise il y a quinze ans dans un monde un peu moins hostile qui considérait encore possible de se tromper et de recommencer.» 

Tous ceux qui craignaient que la mobilisation sociale, historique, se fasse oublier à Cannes en auront eu pour leur compte. Ceux qui craignaient qu’elle perturbe le Festival ou réémerge avec esclandre aussi.

Telle la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, qui a réagi au discours avec une extraordinaire rapidité (comme elle l’avait fait, le 24 avril, lors de la cérémonie des Molières). «Heureuse de voir la palme d’or décernée à Justine Triet, la dixième pour la France ! Mais estomaquée par son discours si injuste. Ce film n’aurait pu voir le jour sans notre modèle français de financement du cinéma, qui permet une diversité unique au monde. Ne l’oublions pas.» L’inquiétude d’un démantèlement du modèle de l’exception culturelle gronde depuis des mois dans le milieu du cinéma, défiant le rêve macroniste d’une Silicon Valley à la française. Initialement envisagé comme un projet de série, Anatomie d’une chute témoigne du meilleur de ce que la recherche et le tâtonnement peuvent produire hors de tout souci de recettes ou d’efficacité. C’est une vision d’artiste souveraine, toujours en chantier, préservée de la mode, des diktats toujours plus bruyants que des thuriféraires du modèle américain de «réussite» et de mise aux normes du marché (généralement escorté d’un discours anti-subventions) essayent petit à petit d’imposer en France.

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