dimanche 24 mars 2024

 Adrien Goetz et Frédéric Mitterrand le 5 février 2020 à l’Académie des beaux-arts.© David Atlan

Frédéric Mitterrand avait été officiellement installé à l'Académie des beaux-arts par son confrère Adrien Goetz, membre de la section des membres libres, le 5 février 2020. Au cours de cette cérémonie sous la Coupole du Palais de l’Institut de France, Adrien Goetz a prononcé le discours d’installation de Frédéric Mitterrand. 



Monsieur, 

Lorsque dans le début du printemps de l’année 1981, au mois de mars, pour fêter les dix ans de votre cinéma l’Olympic, au Palace, vous êtes apparu déguisé en Lana Turner, sur un trapèze, pensiez-vous que vous seriez un jour "ancien ministre" et "membre de l’Institut" ? 

Je suis sûr que oui, quand bien même vous me diriez que non. 

Pirouette, double saut périlleux, contre-volée, salto arrière, piqué américain : vous y voilà. 

Si l’Académie des beaux-arts vous accueille aujourd’hui, c’est parce que vous êtes un artiste et pas un acrobate et que vous apportez ici, au fauteuil de Jeanne Moreau, l’expérience d’un stupéfiant destin. Dans cette section intitulée "créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel", vous avez été élu parce que nous avons vu vos films et vos nombreuses émissions - qui ont rendu si familière votre originalité profonde, vos idées, votre voix – aussi reconnaissable que celle de l’héroïne de Jules et Jim

Votre vie est un film. 

Vous en êtes le réalisateur, le régisseur, l’accessoiriste, vous y jouez tous les rôles, y compris les plus noirs, car nul ne vous égale dans la peinture ténébreuse de vous-même. 

Dans La Mauvaise vie, vous racontez en un lent traveling votre traversée de l’enfer, votre fréquentation de ce que vous avez appelé "les mauvais lieux". Vous dites comment vous êtes tombé, sans avoir jamais commis d’action criminelle – vous avez dû vous en justifier. Vous l’avez fait et vous avez eu raison de le faire, sans ambigüité, sans équivoque, parce que c’était nécessaire. Votre livre s’intitule La mauvaise vie, vous ne l’avez pas appelé Ah comme c’était bien. Il n’est pas inutile de le rappeler. 

Il y a dans ce récit, qui a touché des milliers de lecteurs, d’autres passages qui sont des moments de paradis, des fragments de pur bonheur : ils concernent presque tous le cinéma, vos rencontres avec des actrices, des films inoubliables, des réalisateurs admirés. 

J’aime ce que vous racontez de vos débuts comme acteur, aux côtés de Bourvil et de Michèle Morgan. Vous aviez treize ans. C’est bien plus qu’une anecdote. Vous avez lu 2 une annonce dans France Soir et vous allez vous présenter seul, dans ce qui n’était pas encore une agence de casting. C’est ce qui a stupéfait la production. Tous les autres enfants acteurs sont venus avec leurs parents. Vous réussissez à franchir les premières étapes, sans trop y croire, rêvant des caméras et en apprenant vos répliques.

Alors qu’on va vous donner le rôle, surgit un rival, un petit garçon de bonne famille, qui semble jouer mieux que vous. Vous auriez pu le haïr et rentrer en larmes à la maison. Vous devenez son ami et c’est vous qui êtes engagé. 

À peine vainqueur, vous vous trouvez mauvais, vous vous dites que vous ne devriez pas être à cette place, vous ne supportez pas non plus l’autorité du réalisateur. Votre mère, étonnée et ravie, vous voit déjà en nouveau Georges Poujouly, l’idéal de toutes les mères des années cinquante, le protagoniste de Jeux interdits. Vous détestez le texte qu’on vous fait dire avec tous les "C’est chouette" qu’on n’aurait pas toléré à la table familiale. On vous donne des ordres. 

Tout d’un coup, vous partez, et c’est Bourvil lui-même qui frappe à la porte de votre loge et vous rassure. Il respire, dites-vous l’expérience et la bonté. Il vous parle des déceptions de ses débuts. C’est une véritable amitié qui se noue. Michèle Morgan vous raccompagne dans sa Cadillac chez votre grand-mère, à Saint-Mandé, et vous appelle "mon lapin". 

Vous tournez une scène où elle est en chemise de nuit et vous en pyjama, dans un décor de chambre, vous écrivez : "Je ne sais plus si c’est ma mère de cinéma, ou la première femme qui me prend dans son lit". 

Elle vous taquine : "Le petit lapin se souviendra de son amoureuse" et vous concluez le récit de cette scène fondatrice : "Oui, il s’en souvient encore délicieusement et d’autant plus qu’il n’en a pas connu beaucoup d’autres." 

Extrait 

"Maurice fera du latin." Vous êtes alors élève à Janson, vous déchiffrez tant bien que mal Ovide et Virgile. Votre père, pourtant si sage et si sérieux, vous console avec indulgence, en vous confiant que son frère, le futur président, avait de bien plus mauvaises notes que vous. 

Votre livre préféré en ce temps-là, je l’ai retrouvé, et il dit lui aussi tout de vous : c’est Le Petit Roi d’André Lichtenberger, dans la Bibliothèque rouge et or, avec les illustrations de Pierre Le Guen. Vous en avez parlé, plus tard, avec François Truffaut, dont c’était aussi le roman d’enfance et qui rêvait de l’adapter un jour. Peut-être est-ce vous qui ferez un film de l’histoire de ce souverain imaginaire âgé de dix ans, perdu dans son palais trop vaste, les Quatre cent coups en Syldavie. 

Pour votre mère, vous êtes un prince. Elle commet l’erreur de vous le dire. Pendant que je préparais ce discours, j’ai trouvé ce livre que je ne connaissais pas, dans la rue, devant l’Institut national d’histoire de l’art, sur une pile de livres abandonnés. C’est la mode de relâcher des livres dans les rues. J’ai reconnu le volume dont vous m’aviez parlé. 

Tomber comme cela, tout de suite, sur votre Rosebud, c’était presque trop facile. Je vous ai soupçonné de l’avoir déposé vous-même à la sortie de mon séminaire du lundi soir. 

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Au collège, quand certains de vos amis se passionnent pour Les Cahiers du Cinéma, créés en 1951, vous gardez précieusement les numéros de Cinémonde qu’achètent vos frères, avec les photos des stars en noir et blanc. Vous feuilletez Paris Match, vous en discuterez souvent avec votre ami Roger Thérond, passionné comme vous de photographies du XIXe siècle, mais, au fond, vous préférez Point de Vue-Images du Monde. Vous gardez les vieux numéros, vous les découpez. Vous êtes déjà celui qui consacrera un film, La Rose de Tirana, à cette mystérieuse Géraldine Appony, la belle Hongroise qui épousa Zog Ier, roi d’Albanie – une aventure filmée dont vous avez tout retrouvé, qui fut comme l’esquisse d’avant-guerre du mariage devant les caméras du prince Rainier de Monaco et de Grace Kelly. Mais je pense que vous aimez mieux Géraldine et Zog, du vrai glamour pour spécialistes. Le film date de 2017 : vous continuez à butiner dans le jardin de votre enfance. 

Cette expérience d’acteur a été fondatrice. Pendant ces quelques semaines de tournage un peu rude, vous avez été très attentif à la vie du plateau, très malheureux aussi, sans ami à qui tout raconter. Vous avez découvert l’art de mener une autre vie à côté de la vie réelle. La force du cinéma est pour vous devenue si grande que désormais, à chaque situation difficile de votre existence, vous vivrez tout comme un film. 

À dix ans vous avez été Yul Bruner, dont l’image torse nu en pharaon sur l’affiche des Dix Commandements vous fascinait autant que le sourire de Fanfan la Tulipe. Parfois aussi vous êtes Elizabeth Taylor, mais personne ne le sait. Au début de votre film Hollywood, la vie rêvée de Lana Turner, diffusé sur Arte en 2019, vous avouez : ces monuments du cinéma américain, découverts dans les années 1960, vous ont donné, dites-vous, "le sentiment d’être moins seul". Sunset Boulevard et ses fantômes, les ragots des vipères de Los Angeles, le Dahlia noir, les gangsters de la prohibition et les fêtes de mauvais goût au bord des piscines vous enchantent. 

Lana Turner règne sur votre cœur, car, vous le dites dans ce film, c’est votre mère, c’est Édith. Elles ont le même âge à une année près. Elle joue Milady dans Les trois Mousquetaires avec Gene Kelly, erre entre les pavillons du Beverly Hills Hotel avant de se réfugier dans son paradis d’Acapulco. Elle se bat pour sa fille, elle la sauve. 

Votre mère ne s’est marié que quatre fois, Lana Turner a eu sept maris. Édith Mitterrand a cette grâce enjouée, ce courage, cette force d’âme et cette fragilité. 

Vous lui devez peut-être tout. 

Elle fut un professeur d’énergie, comme sa mère Henriette, votre grand-mère adorée, qui vous a dit : "J’ai encore tellement de choses à faire" avant de s’éteindre à 98 ans. 

Les Français connaissent votre mère, car elle a écrit ses souvenirs, un livre où on reconnaît, je trouve, votre style, et parce que vous avez beaucoup parlé d’elle dans vos propres textes ou sur le divan d’Henry Chapier. Elle n’aurait jamais accepté de vivre avec un homme qui n’aurait pas aimé ses enfants. Pour vous, elle a toujours été à la fois l’irrésistible Lana Turner, "égérie superlative" avez-vous dit, et Scarlett O’Hara, inébranlable, avec sa beauté, son élégance, sa force. Demain est un autre jour. Votre mère vous faisait vivre, vos frères et vous, dans un monde enchanté avec des maisons impeccables, des fleurs sur les tables, charmante avec chacun, intelligente et infantile, aimante et blessée. Vous dites qu’elle avait avant tout le sens du devoir et, compliment intéressant, qu’elle aurait, au fond, dû travailler, ce qui aurait surpris dans son milieu et dans sa génération. 

Elle regardait toutes vos émissions, voyait tous vos films, elle était avec vous dans toutes vos épreuves, elle a été heureuse que vous soyez devenu ministre, elle aurait aimé vous voir à l’Institut. 

À 24 ans vous repérez un ancien cinéma dans le XIVe arrondissement et vous fondez l’Olympic, deux salles d’art et d’essai, que vous allez rendre fameuses. Vous vous emparez d’un nouveau rôle - car le sage étudiant de Sciences Po que vous êtes n’a pas voulu aller aux oraux de l’ENA ni devenir professeur d’histoire, métier où vous auriez excellé. 

L’Olympic sera la salle de cinéma où vous projetterez vos rêves mais ce sera aussi un lieu de débats et de rencontres qui devint vite légendaire, un nom de code pour toute une génération qui s’y retrouve et s’y reconnaît. 

Votre programmation est audacieuse, originale, et ne doit rien à personne. À l’Olympic, vous montrez ces héroïnes dont vous aimeriez être le biographe, Vivienne Leigh, Ava Gardner ou Olivia de Havilland. Cette Olivia de Havilland qu’enfant vous aviez admirée aux côtés d’Errol Flynn dans Robin des Bois et qui apparaîtra à votre bras, à la surprise de tous ceux qui l’avaient oubliée, pour la soirée des Césars, alors que vous serez devenu ministre. 

Vous ferez applaudir debout cet amour d’enfance par toute la salle où le cinéma français s’était rassemblé - et je sais qu’elle aurait aimé être ici aujourd’hui, qu’elle vous est toujours très chère. 

Vous aimez les comédies musicales arabes que personne ne considère à cette époque. Vous comprenez parmi les premiers le génie d’Oum Kalsoum. Vous lui consacrez des nuits de projection. 

Vous offrez à Ozu, génie absolu pour vous, une première rétrospective à Paris. 

Parfois, vous tenez la caisse. Vous voyez arriver René Dumont, un soir de 1974. Il est candidat écologiste à la présidentielle. On l’a vu à la télévision. Vous ne lui parlez pas et ne lui proposez même pas un verre d’eau alors que vous êtes convaincu qu’il a tout compris avant les autres. Vous l’avez raconté en 2016 dans ce livre en forme de litanie qui s’intitule Mes regrets sont des remords

Arrêtez avec cette ritournelle des regrets, l’Olympic a été un immense succès, - mais comme vous réussissiez trop bien vous avez acheté d’autres salles, mauvaise idée. Vous n’étiez peut-être pas fait pour une carrière d’exploitant de cinéma ni pour diriger "un groupe". Vous auriez dû rester à la caisse et n’en faire qu’à votre tête. 

La fameuse fête des dix ans au Palace, ce jour où vous vous êtes pris pour Lana Turner – votre psychanalyse me semble trop facile, cela me préoccupe - a été ce capitole, temple de Jupiter olympien, jamais loin de la roche tarpéienne, votre Solutré à vous, cette soirée de délire et de joie, a donné de vous une image au fond assez fausse. Le Palace, boîte à souvenirs où Roland Barthes s’asseyait dans un coin, avec son carnet, pour noter des idées de Mythologies à écrire et des numéros de téléphone, vous n’y êtes guère allé plus d’une dizaine de fois, - à peine plus qu’à l’Élysée sous les deux septennats de François Mitterrand. Mauvais gestionnaire, selon les banques, mauvais acteur selon vous, vous vous trouvez plutôt bon à la télévision où vous débutez à 32 ans. Ce qui vous plaît sur un plateau, c’est d’improviser. Les Français aiment Du côté de chez Fred, ils se sentent acceptés dans votre bande. Certains se souviennent de ce direct avec Juliette Binoche et Leos Carax où ils ne sont pas venus et où vous avez fait l’émission tout seul en répondant à leur place aux questions que vous leurs posiez. Dans l’Alhambra de Grenade illuminé, devant une foule en délire, pour une émission intitulée l’Hymne à la Voix, vous vous lancez en espagnol, langue que vous pensiez connaître, et c’est un triomphe. Le direct, c’est du trapèze. 

Plus la situation est catastrophique, plus vous êtes à l’aise. Votre vie devient une émission dont le scénario parfois vous échappe. Vous jubilez quand vos livres suscitent de grandes irritations. Vous vous construisez m’avez-vous dit en souriant, sur un système d’échec. 

C’est faux, bien-sûr, car vous avez bâti une œuvre avec vos films, vos émissions et vos livres. Vous avez vos trois enfants, que vous avez élevés seul, ils plaident, cher Frédéric, en votre faveur. Ils comptent plus que tout. Ils vous entourent aujourd’hui. Vous avez vos deux frères, Olivier, qui sous son apparence austère cultive la liberté et Jean-Gabriel, le gentilhomme de l’art contemporain. 

Vous avez vos grandes amies, elles sont toutes ici, mais si je cite Roselyne, Ariel, Doris, Marie-Louise, Liria, vous me reprocherez d’oublier les autres, et l’une d’elle, celle que j’aurais dû citer d’abord, est en habit vert et vous remettra tout à l’heure votre épée. 

Malgré vos amis et vos triomphes, vous aimez, au fond, vous voir vous-même comme un de ces Aigles foudroyés que vous avez dépeints dans ces inoubliables films consacrés à la crise des monarchies européennes au début du XXe siècle. 

L’archiduc François-Ferdinand, neveu d’empereur, c’est forcément un peu vous et Sissi vous a fait rêver presque autant que Lana Turner. Dans les cours de récréation, grâce à vous, on vit au rythme des cours royales, on commente les émissions, les professeurs d’histoire en parlent aux élèves. La France de 1997 se passionne pour celle de 1917, pour les révolutions, pour Lénine et pour Foch. 

Frédéric Mitterrand le 5 février 2020 à l’Académie des beaux-arts pour son installation.
Frédéric Mitterrand le 5 février 2020 à l’Académie des beaux-arts pour son installation. © David Atlan

Vous avez inventé une manière nouvelle d’écrire l’histoire, vous avez, avant tout le monde, transformé le feuilleton en "série", vous rendez vivant le passé sur une chaîne du service public. Dans les années qui suivent, vont s’ouvrir des musées de la Grande Guerre conçus sur votre principe, des romans et des films vont s’emparer de cette période et même, horribile visu, des films colorisés – alors que vous aviez, vous, toujours respecté la réalité matérielle des documents. 

Vous avez réussi cet exploit parce que vous êtes fidèle à vous-même, vous demeurez toujours le lecteur du Petit Roi - et en racontant la grande aventure de l’Europe vous ne parlez que de votre enfance. Vous êtes un aigle à deux têtes. 

Depuis deux ans alors, votre oncle n’est plus chef de l’État, vous appartenez enfin à ce qui s’appelait jadis, dans les pages de l’Almanach de Gotha, une "famille anciennement régnante", ce qui est, me semble-t-il, le sommet de l’élégance. 

L’archiduc qui agace son oncle tout-puissant et fatigué, au début du premier épisode, c’est évidemment vous ; le tsarévitch si fragile, que sa mère protège toujours trop, vous aussi ; Ernst Ludwig de Hesse Darmstadt marié par la reine Victoria pour faire taire les rumeurs à son sujet, il vous ressemble. Ou plutôt vous lui ressemblez, vous auriez pu jouer son rôle. 

Les désarrois de l’élève Rodolphe, archiduc héritier qui aime trop les plaisirs, marqué par le dégoût de soi, étouffant dans la ville où éclate partout la gloire de sa famille, et qui rencontre Marie Wetsera, il était fait pour vous plaire et pour finir à Mayerling, interprété un jour par Omar Sharif. 

Les Aigles foudroyés sont votre opéra intérieur. 

Alternent de grands airs, comme l’assassinat de François Ferdinand, qui vous fournit une spectaculaire ouverture de film d’action, ou la mort de Raspoutine, ou encore le couronnement d’Edouard VII, que Méliès avait reconstitué dans un hangar. Vous prenez le temps de déployer les plus beaux chœurs, avec le mariage de l’archiduc Charles et de Zita de Bourbon Parme magnifiquement filmé sur la terrasse de Schwartzau, vous ajoutez de lents récitatifs, pour respirer, les vacances du tsar à Livadia ou les promenades au Prater. Vous mettez en scène des duos imaginaires, le dialogue des morts entre le fragile et saint Charles de Habsbourg et le méphistophélique Kaiser, dans la statue duquel les Allemands plantent des clous "en économisant leurs derniers rutabagas". 

Vous excellez dans le ciselé quand paraît Edouard VII, homme du monde, "du grand par ses manières et du demi par ses indulgences", le Kaiser justement, "vieux cabot en tournée en province", Sissi, "artiste de sa propre beauté qui se dérobe à ceux qui la désirent", vous pensez à Romy Schneider dans Ludwig, ou, percutante formule, vous évoquez "le trône éjectable d’Athènes, installé sur le perpétuel tremblement de terre que sont les passions grecques". 

Dans ce crépuscule des dieux et des idoles, les seconds rôles sont admirables, Sixte de Bourbon Parme, Aristide Briand, le président Wilson cramponné à ses quatorze points pour la plus grande joie des professeurs de Terminale, le Kronprinz qui "a laissé ses levrettes au vestiaire et ses maîtresses à Berlin", que je trouvais prêt à être ridiculisé par Arsène Lupin dans 813

Passe un instant la comtesse Grefulhe pour nous suggérer que ce monde est celui du temps perdu et retrouvé. 

Les décors sont d’époque mais vous les avez tous visités, du château de Sinaïa en Roumanie, hanté par les fantômes du roi Carol et les poèmes de Carmen Silva, aux architectures de Louis II de Bavière qui n’attendent que d’être réveillées par Visconti. Défilent les minarets de Sarajevo, le port de Trieste, le Gödele des Magyars, les jolies tours de Miramare chez Maximilien et Charlotte, l’Achileion de Corfou et les tapis turcs des corridors de Buckingham. 

Grandes espérances, embellies fragiles, orages désirés, crépuscules panoramiques et moments inattendus où cela s’appelle l’aurore : votre récit vole sur l’enchaînement méticuleusement réglé des images. 

Comment avez-vous fait ? 

À partir d’un texte écrit, vous improvisez dans la cabine d’enregistrement, votre cockpit, pour que le récit tombe juste sur la bonne image. Votre phrase s’achève en piqué sur un nom, au moment où un visage apparaît. 

Parfois, c’est l’image qui prime et vous la commentez, quand l’émir de Bukhara, protectorat russe d’Asie centrale, envoie la fumée de sa cigarette à la figure de la tsarine. 

Votre voix, musicale s’exalte par instants, puis chuchote. La langue claque sur certains mots, "morganatique", "stoïque" ou "diadoque". 

L’alexandrin perce sous la prose, ce que Chateaubriand eut réprouvé comme une facilité : 

"Au fait, tout est opaque à la cour de Belgrade", "Il calculait le temps pour revenir en Hesse", "Le tsar est cependant un homme de grand air", mais sur Antenne 2 à 20 heures 35 ces alexandrins sans apprêts sont un éclat inattendu, laissant la France stupéfaite. 

François-Joseph était votre roi Lear dans les premiers épisodes, apparaissant, l’été 14, "dans une aura de majestueuse éternité", entouré d’archiducs sortis de "l’usine à princes Habsbourg" qui au mois de juillet n’ont plus peur, dites-vous, de ne plus lui parler à la troisième personne. 

Mais à la fin, huit ou neuf heures plus tard, je ne sais plus, j’ai tout revu en une lente nuit d’Idumée, - c’était comme un rêve à vrai dire un peu agité -, c’est l’autre empereur, votre vieux Kaiser, le Hohenzollern exténué, qui, après que son grand-père a ravi l’Alsace-Lorraine à la France voulait, dites-vous, "voler l’océan à la Grande-Bretagne", qui paraît, ridé et portant barbiche, filmé pour une fois en civil vêtu d’un extravagant macfarlane. Il semble malgré tout goûter l’exil. 

C’est lui qui conclut votre guerre des étoiles en une morne saison, sur la digue de Schwenningen : "Tout ça, ce sont de vieilles histoires qui n’intéressent plus personne." 

Les musiques accompagnent le récit, le sextuor de Brahms, celui des Amants de Louis Malle, se superpose au récit de la mort de l’impératrice Élisabeth, le troisième acte de Tosca salue le premier baiser de Zita et de Charles, Beethoven et Verdi racontent à grands coups d’archet l’Europe des empires qui se fissurent. 

Les costumes qui brillent en noir et blanc, les brandebourgs et les pelisses, les bottes glacées et les dentelles, comme dans Le Prisonnier de Zenda de Richard Thorpe, vont avec les drapeaux qui flottent en haut des yachts, comme dans les toiles de James Tissot.

À Corfou apparaît l’île des morts, et le cadrage en fait un Böcklin. Votre regard d’artiste a saisi ces moments. Vous les découpez dans ces vieux films. Vous les montez, vous les placez au bon endroit dans votre symphonie, vous les faites vôtres. 

"Montage, mon beau souci", a écrit Jean-Luc Godard dans Les Cahiers du Cinéma en 1965, citant Beauté mon beau souci de Valery Larbaud, qui reprenait lui-même un vers de Malherbe : collage de citations qui relève bien du montage ou des poupées russes, parce que le cinéma a une histoire aussi passionnante que celle de la littérature et que ces découpages et ces décalages sont la base de ce que j’appellerai votre méthode, votre technique de création. 

Vous composez avec des ciseaux. 

Vous êtes un historien, un archiviste, un archéologue, vous exhumez les bouts de toutes ces bobines oubliées, au fort de Saint-Cyr, la citadelle de la cinémathèque française, dans les silos de Bois d’Arcy ou dans des fonds privés - à l’époque on ne numérise pas encore - , vous collectionnez des photos achetées aux puces avec votre vieil ami Jean-Pierre, des cartes postales, des pages de journaux illustrés… 

Vous aimez réunir des indices, accumuler les preuves de l’existence des royaumes perdus, mener des enquêtes, à la poursuite de cette cité disparue de l’antique Albanie, Apollonia des Épirotes qui fait l’objet du film que vous avez tourné ces derniers mois et qui n’est pas encore sorti, un chantier où fouille en ce moment une équipe française. 

L’Épire, le royaume de Pyrrhus, l’inventeur malgré lui d’un type de victoire qui semble avoir été créé exprès pour vous… 

De votre propre vie aussi vous êtes l’archéologue. Je ne citerai qu’un exemple. Vous vous souvenez de Berthe, la femme de chambre de votre mère, qui vous choyait quand vous étiez petit. Ce souvenir, vous voulez le sortir de sa gangue, l’isoler dans sa strate chronologique, le voir briller. 

Vous m’en aviez parlé, alors que je ne vous connaissais pas et que vous m’aviez invité rue de Valois parce que vous aviez lu un de mes romans. Cela m’avait sidéré. 

Alors que, dans ce Ministère de la culture, vous enchainiez les réunions, vous faisiez tout, en parallèle, pour tenter de la retrouver. Qu’est devenue Berthe ? Aucun de vos conseillers que vous avez décrits dans La Récréation, certains sont ici, n’aurait pu vous le dire. 

Qu’est-ce qui était une récréation ? Être ministre ? Cela vous changeait en effet de cette recherche fondamentale : "Qu’est devenue Berthe ?" Vous ne saviez qu’une chose, elle venait de Sarreguemines. Là-bas, on vous parle d’elle, mais l’image est floue. Berthe était Mennonite et vous ne le saviez pas. 

Vous retrouviez des bribes et vous preniez des notes sur Berthe à la manière d’un Patrick Modiano, sur les fiches qu’on vous préparait pour le conseil des ministres. Une adresse sur un dossier, mais notée à la va-vite dans le Salon Murat. 

Il fallait agir, décider, nommer n’importe qui à la tête de l’Ecole des beaux-arts et parler aux intermittents du spectacle, vos frères, vos semblables. Berthe, l’unique objet de tous vos sentiments, résistait pendant ce temps à votre enquête. Pour Les Aigles foudroyés, vous vous étiez, de la même façon, attaché à retrouver les raisons pour lesquelles chacune des images d’archive que vous vouliez exhumer avait été tournée. 

Votre démarche reste celle de l’historien qui cherche le contexte exact de chaque situation. Chacun des héros de cette série retrouvait ainsi grâce à votre voix sa dignité et sa place. 

Le tsar Nicolas II sur le pont de son navire apparaît nimbé de cette vraie gentillesse que la grande histoire, comme l’on dit, avait fini par gommer. Vous avez ce qu’Arlette Farge a nommé "le goût de l’archive". Vous filmez pendant dix heures le président Giscard d’Estaing, qui vous parle avec confiance et chaleur. Vous consacrez un film à Christian Dior et à la naissance de la célèbre maison de couture, vous devenez, en images, le biographe de Tolstoï, vous osez dédier un documentaire à la figure controversée de Donald Trump - et ce que vous trouvez est neuf et passionnant. 

En passant, vous décrivez une Madeleine Dior qui élève Christian comme vous avez été élevé vous-même, "un enfant qui devine des choses qui ne sont pas de son âge", un homme qui, au cinéma, comme vous, est bouleversé par le visage de Falconetti dans la Jeanne d’Arc de Dreyer. Le monde du jeune Dior, celui de Cocteau, de Bérard, d’Henri Sauguet, de Marie Laure et Charles de Noailles aurait dû être le vôtre… 

Que dira l’historien de votre ministère quand il voudra travailler avec les documents que vous avez, j’imagine, soigneusement préparés pour lui ? 

Dans La Récréation, il se demandera si certaines scènes comiques, avec votre cher Pierre Combescot dans l’ascenseur du Palais Garnier, ont réellement eu lieu. Il s’interrogera sur le personnage que vous appelez "Tancrède", qui était-il ? En visionnant les images de cette installation sous la Coupole, arrivera-t-il à reconnaître son visage, si toutefois il est présent ? 

C’est la première fois depuis Malraux, qu’il y a, rue de Valois, grâce à la confiance du président Sarkozy, un homme qui a fait des films. 

Votre bilan est éloquent, mais je ne confondrai pas, rassurez-vous, discours académique et rapport d’activité. 

Vous avez décoré Arnold Schwartzeneger. Je vous imagine hésitant une seconde devant cette large poitrine avant de l’épingler. Plus sérieusement, vous vous êtes battu pour maintenir le budget du CNC malgré les attaques de vos amis de Bercy. Vous les avez désarmés à force de bienveillance. 

Vous avez cru dans le projet de Bertrand Tavernier qui voulait adapter Madame de Lafayette, auteur cher à Nicolas Sarkozy, et vous avez sauvé son film, La duchesse de Montpensier, où Mélanie Thierry et Grégoire Leprince-Ringuet sont excellent. 

Vous autorisez Werner Herzog à faire un film dans la grotte Chauvet, là où le cinéma a été inventé il y a 35.000 ans. Le film, absolument délirant, vous a beaucoup plu. 

Sans vous, Alain Resnais n’aurait pas tourné son dernier film, et vous êtes allé le voir sur le plateau, parlant à tous avec une attention dont ceux qui étaient là se souviennent. 

Vous avez nommé Florence Malraux à la présidence de la Commission d’avances sur recettes, et vous avez dû batailler pour convaincre qu’elle serait la meilleure. 

Vous nommez une productrice tunisienne, Dora Bouchoucha, à la tête du Fonds Sud, qui aide efficacement les cinéastes du tiers monde… 

Ministre de la culture et de la communication, vous ajoutez un rôle au film de votre vie. Cinéma et écriture vont toujours de pair, car vous avez commencé à écrire avec une caméra. 

Lettres d’amour en Somalie est un premier livre et un premier film, tourné en 1981. Vous l’écrivez pendant le montage. Il n’y a pas une image qui ne vienne de vous mais ce qui s’impose, comme dans une chanson, c’est le rythme, le phrasé, votre style. 

Dans la cabine de montage, avec votre cher ami Luc Barnier, vous réécrivez vos textes. Vous êtes absent, jamais à l’image, mais toujours au premier plan – comme plus tard, dans un autre genre, dans Les Aigles foudroyés ou dans la suite, Mémoires d’exil. Le narrateur, en voix off, est en exil, dans ce pays ignoré et malheureux. 

On vous entend dire : "Tout était en place pour le naufrage : qu’il s’agisse de ce que j’ai vu de ce pays ou de ce que j’ai cru y comprendre de moi-même." 

Sur la musique de Jean Wiener, c’est un absent qui parle à un absent. 

La personne aimée, à qui cette lettre s’adresse, demeure, elle aussi, sans visage. Vos phrases sont restées dans bien des mémoires : "Parfois le désespoir est un sentiment calme". 

Je rapprocherai votre opéra historique de 1997 de ce chant a capella apparu sur les écrans en 1982 : quand vous parlez de vous, vous faites de l’histoire, vous parlez de l’Afrique et de la misère, exactement comme on vous devinera en filigrane, des années plus tard, quand vous parlerez d’histoire. 

Vous avez déjà cette habitude des citations : un discours du Duce filmé à contre-jour, car la Somalie est hantée par l’Italie coloniale, un extrait d’Uccelacci e Uccellini de Pasolini. Les chrétiens, là-bas, ne sont plus que 2000 et les petits oiseaux des Fioretti de saint François ne répondent pas au prêtre que vous filmez, "serviteur des Eglises du silence." Cette religion à laquelle vous ne comprenez pas grand-chose vous plaît par sa liturgie naïve, survivance des pays perdus dont vous suivez les chemins, avec des cités interdites, des dormeurs dans les rues au milieu de la foule. 

Là-bas, l’excision vous révolte. Vous filmez l’hôpital, ces femmes pour lesquelles une infirmière organise des conférences dans le dispensaire construit par les Chinois. 11 Dans ce film, vous êtes journaliste, historien, mais aussi géographe, un géographe incapable, qui avoue : "La carte du désamour, je ne sais pas la lire." Brusque crescendo de la voix, images chahutées par les cahots de la route… 

Les plans les plus poignants, ce sont peut-être ceux des chameaux, « Il est permis de tuer qui leur refuse à boire », images d’animaux maltraités que vous filmez comme s’ils étaient vos égaux, d’autres vous-même, blatérant à la mort, pris dans l’angoisse des cordes, bêtes qu’on finit par abattre. 

"L’abattoir sur la plage est une aubaine pour les requins, dites-vous, qui emportent parfois des femmes de diplomates." 

Aux images sautillantes succèdent des cadrages parfaits, proues de bateaux, plages sous le ciel, puis à nouveau des prises faites à travers des vitres sales, sur la route, en voiture, comme dans un film des Straub. 

La brutale accélération de l’amour revient à certains moments ; quand vous parlez de votre mort et de celle de l’autre, jamais nommé, en filmant des réfugiés et des malades. 

Dans certaines villes traversées, vous allez au cinéma, vous filmez les écrans en plein air où l’on projette de vieilles copies italiennes, des westerns spaghetti : "Je préfère encore ma blessure à toutes celles que recouvrent si mal les mots du réconfort."

Dans l’inconscience du premier film et du premier roman, vous devenez un réalisateur qu’on compare à Chris Marker, à Jean-Luc Godard ou à Agnès Varda. Vous vous adressez enfin à la Somalie, prosopopée d’un pays rêvé qui s’échappe et que vous quittez, comme si c’était lui, l’être aimé, le pays lointain : "Nous nous sommes croisés quelques semaines" - et un peu après : "Si je t’ai tant aimé, c’est que nos épreuves étaient les mêmes."

Paris est désormais pour vous terre d’exil ; vous êtes devenu le petit roi de Somalie. Il vous reste, à l’ombre de la Tour Eiffel, dernières images, vous êtes dans l’ascenseur, le mouvement horizontal est devenu vertical, le roman illustré que vous lisiez enfant. Le royaume s’éloigne. 

Avec ce film, vous avez été le Guilleragues des années 1980. 

Vos lettres ne sont pas une correspondance. Il n’y a jamais de réponse. La seule correspondance qui s’établit, avec des mots et des images, c’est avec la carte, amoureuse et précieuse, de ce pays - qui n’est pas Tendre. 

Personne ne saura jamais si cette lettre a été reçue, comprise, vue, par son destinataire, ni même de qui il s’agissait. Peu importe, sauf peut-être pour vous, ce que j’ignore. 

Votre Madame Butterfly est devenu, lui aussi, des années plus tard, ce qu’on appelle, pour aller vite, un film culte. 

C’est un succès. Alors qu’il est sorti au milieu des grandes grèves de 1995, il a été vendu dans 42 pays. Il s’inscrit dans cette série de films opéras dont votre ami Daniel Toscan du Plantier a emporté le secret. Pour moi, c’est la suite de Lettres d’amour en Somalie, les deux films se répondent secrètement. Vous avez été séduit par cette 12 histoire qui est déjà un scénario, vous respectez scrupuleusement chaque note de la partition mais vous vous appropriez le destin de l’héroïne. 

Un décor avait été commencé en Chine. Les difficultés des premiers jours découragent l’équipe. Coup d’audace, vous décidez de déménager tout le monde en Tunisie. Vous étiez le matin à Shanghai et vous arrivez le soir à Tunis, puis sur les rives d’un lac près de Bizerte, que vous aviez repéré car la Tunisie est pour vous une seconde patrie. Vous y reconstituez le Japon à la manière d’un peintre orientaliste. 

Vous donnez sa chance à une jeune cantatrice, choisie par vous, bouleversante, Ying Huang, qui n’avait jamais fait de cinéma. Elle chante, en une seule prise que vous gardez, la première, "Un bel di", l’air le plus célèbre de Puccini. C’est magnifique. 

Ces images, que j’ai voulu montrer, vous vont bien, avec ce côté "Un jour mon prince viendra" toujours recommencé. Le hasard m’avait conduit trop vite à Rosebud et j’avais oublié Butterfly. 

L’héroïne abandonnée par Pinkerton ne pouvait que vous émouvoir, cette Japonaise somalienne. Vous êtes un poète de l’élégie et du regret. Vos héroïnes retiennent leurs larmes, comme vous lorsque vous parlez d’elle. 

Ceux qui vous ont connu à la Villa Médicis vous décrivent, errant dans le salon des Tapisseries, comme Philippe II au dernier acte de Don Carlo, avec en fond sonore le plus beau solo de contrebasse écrit par Verdi. Ils se souviennent de vos petits cigares sur le Pincio et de votre regard perdu – alors que cette période, lorsque vous en parlez aujourd’hui, semble avoir été votre âge d’or. 

Vous y avez rassemblé, dans un élégant pavillon au fond des jardins, et disposés sur un fond bleu inspiré par le musée de Copenhague, les moulages d’après l’antique collectés déjà au temps de l’Académie royale de peinture et de sculpture, ancêtre de la nôtre. 

C’est toujours pour le public un des moments forts de la visite des lieux, une source d’inspiration pour les jeunes artistes. 

L’un d’entre eux m’a dit en riant qu’il préférait de loin la Gypsothèque Frédéric-Mitterrand à la bibliothèque François-Mitterrand, mais je ne devrais pas rapporter cette facétie en présence de Dominique Perrault, votre confrère désormais. J’observe en revanche que, depuis des mois, la Villa n’a pas de directeur et que vous n’y avez au fond résidé qu’un an, puisque vous avez été nommé ministre. Peut-être cela ne serait-il pas une si mauvaise idée, maintenant que vous êtes membre de l’Académie des beaux-arts, comme Ingres et comme Horace Vernet, comme Guillon-Lethière, peintre métis que vous admirez qui fut à la tête de la Villa quelques années avant eux, sous l’Empire et la Restauration, de vous y renvoyer pour achever glorieusement votre directorat. 

Ce qui vous a plu, à Rome, c’est cette vie dans les ruines, ces palais où il y a encore des princes, ce léger désespoir qui aiguillonne les artistes. Tous les jeunes gens qui étaient là avaient compris que vous étiez des leurs. 

Vous aimez les désastres et les causes perdues. Austerlitz vous ennuie. Waterloo vous paraît un peu exagéré. L’île d’Elbe, peut-être, a de jolies plages. 

Vous vous sentez dans votre élément et pleinement vous-même quand les choses tournent mal, c’est votre principal travers – un travers que vous partagez avec SaintSimon et Chateaubriand, dont vous êtes un grand lecteur. Vous recevez un Sept d’or, mais vous le posez à terre, là où se trouve, dites-vous, le service public, avant de vous en excuser le lendemain, personne ne l’a oublié. 

Vous êtes ministre, vous ne voulez rien changer à votre manière de vivre, et vous roulez dans Paris à moto. Vous dérapez, vous chutez. Le ministre aura le bras en écharpe pendant des mois, un mauvais point pour les photos du service de la communication qui voudrait illustrer votre dynamisme. 

Vous êtes en danger partout. 

Bourvil et Michèle Morgan ne sont plus là pour vous protéger. Je tremble évidemment, en voyant votre triomphe d’aujourd’hui, en pensant à ce qui peut vous arriver. 

Heureusement, il y a dans ce palais Jeanne Moreau, qui vous regarde, et nous tous, qui vous souhaitons la bienvenue. C’est votre voix, Monsieur, que nous voulons entendre maintenant.

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