Ce que l’on sait de l’incident au canal de Suez : un cargo toujours coincé et le commerce mondial ralenti

L’« Ever-Given », porte-conteneurs de 400 mètres, est échoué depuis presque trois jours à l’entrée sud du canal. Ce point de passage stratégique concentre à lui seul entre 10 % et 12 % du volume du commerce mondial.


Image satellite du porte-conteneurs « Ever-Given », bloqué dans le canal de Suez, le 25 mars.

Il bloque encore l’accès à l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde. Vendredi 26 mars, l’Ever-Given, un porte-conteneurs géant, était toujours échoué à l’entrée sud du canal de Suez. Le cargo, battant pavillon panaméen, se rendait à Rotterdam (Pays-Bas) en provenance de Chine quand il s’est retrouvé bloqué entre les deux berges de la route maritime, dans la nuit de mardi à mercredi.

Vendredi, ce sont plus de 150 navires qui attendaient son dégagement, y compris des bâtiments se trouvant près de Port-Saïd (Egypte) sur la mer Méditerranée, près de Port Suez sur la mer Rouge et ceux qui étaient déjà bloqués dans le système du canal sur le grand lac Amer en Egypte, a déclaré Leth Agencies, qui fournit des services pour le canal.

Le point sur les causes et les conséquences de cet incident.

  • Que s’est-il passé ?

Le navire de 400 m de long a dévié de sa trajectoire au milieu des fortes rafales de vent de sable qui avaient affecté l’Egypte et une partie du Moyen-Orient. L’Ever-Given s’est alors mis en travers du canal, bloquant toute navigation entre la Méditerranée et la mer Rouge dans les deux sens. L’exploitant du navire, Evergreen Marine Corp, établi à Taïwan, a expliqué que le navire s’est échoué « probablement après avoir été frappé par une rafale de vent ».



Pour les armateurs français, pas question de "squeezer" le canal de Suez pour l'Arctique 

La paralysie du canal de Suez pose la question de l'avenir de certaines routes maritimes. Pour le délégué général des armateurs français, Jean-Marc Lacave, Suez restera central. Interview.

Un pavillon égyptien flotte au vent, alors que navigue en arrière-plan un porte-conteneurs, sur le canal de Suez, en Egypte, le 14 octobre 2019

Un pavillon égyptien flotte au vent, alors que navigue en arrière-plan un porte-conteneurs, sur le canal de Suez, en Egypte, le 14 octobre 2019

afp.com/Khaled DESOUKI

Avec le blocage du canal de Suez par un porte-conteneurs depuis mercredi, ce sont plus de 200 navires et plusieurs milliards de dollars de marchandises qui sont coincés. Chaque armateur doit donc faire le point avec ses clients pour savoir quoi faire de la marchandise embarquée.  

A moyen terme, cet incident majeur pose la question de la dépendance d'une partie du commerce mondial à des détroits ou canaux parfois vulnérables. Alors que le Covid-19 met déjà sous pression les chaînes d'approvisionnement, les armateurs vont-ils devoir revoir leurs plans et répondre à l'invitation de Moscou qui propose ses routes de l'Arctique? 

Le délégué général des Armateurs de France, Jean-Marc Lacave (ancien directeur du port du Havre et ex PDG de Météo France) n'imagine pas une seconde que cette solution séduise les professionnels de la mer. Entretien.  

Jean Marc Lacave, délégué général des Armateurs de France

Jean Marc Lacave, délégué général des Armateurs de France

DR // Philippe Bauduin

L'Express : Quelle est la situation sur place ?  

Jean-Marc Lacave : C'est un incident sérieux, car le canal de Suez est un lieu de passage majeur : 12% du commerce mondial emprunte ce corridor, ce sont plus 50 navires par jour avec du tonnage et des valeurs importantes. Des incidents sur le canal il y en a de temps en temps, mais on se rend bien compte que ça peut déstabiliser immédiatement des chaînes de logistiques mondiales qui sont très sensibles. Nous voyons bien à quel point l'économie mondiale est basée sur la régularité. Imaginez bien que 90% des marchandises passent chaque année par la mer. C'est considérable.  

Depuis mercredi, les armateurs sont en contact avec leurs clients. Chacun dresse une liste de ses produits pour voir lesquels sont sensibles, lesquels peuvent attendre quelques jours que ça se débloque. Il faut procéder à une analyse fine pour ajuster les programmes : décharger les marchandises, faire des transferts par avion ou reprendre la mer en passant par le Cap de Bonne Espérance.  

Des armateurs français sont-ils coincés ?  

Oui, à ma connaissance, CMA-CGM a deux navires dans le canal. Mais vous savez, repartir en faisant le tour de l'Afrique, ce n'est pas une solutin que les armateurs apprécient beaucoup car c'est beaucoup de temps supplémentaire. C'est pour cela qu'ils sont en contact avec leurs clients pour voir qui est pressé, qui peut patienter. 

Ce qui est sûr c'est qu'il faut tout le monde sur le pont, tous les agents sont en relation pour savoir où sont les boîtes, ce qu'il y a dedans. On fait le tour de tous les navires. Quand vous avez un incident de cette nature, on peut très bien imaginer de faire demi-tour et d'aller opérer une escale un peu plus loin pour filtrer et débarquer certaines marchandises. C'est effectivement un sujet de gestion de crise tout à fait majeur.  

Cet incident relance le débat sur les routes alternatives comme celle de l'Arctique. Qu'en pensez-vous ? 

Il y a dans le monde des goulots d'étranglements sensibles qui sont connus, le monde maritime les a largement identifiés depuis longtemps. La question c'est de savoir si la route est sûre et rapide. Pour un armateur, il faut prendre en considération les volontés des clients, les délais de livraison, savoir si la marchandise est urgente ou pas. A cela, s'ajoute la question du carburant, des jours de navigation. Après, on fait des arbitrages entre toutes ces questions et l'armateur livre ses services.  

Mais pour revenir à la route de l'Arctique, je suis plutôt réservé à titre personnel. Et je pense même que c'est partagé chez tous les armateurs français. Nous ne sommes pas du tout intéressés par les routes du nord pour des raisons écologiques et de navigabilité. Nous ne chercherons pas à squeezer le canal de Suez par la route du nord.  

L'épisode va-t-il laisser des traces pour le commerce maritime ?  

Vous savez, il navigue chaque année sur les mers l'équivalent de 14 000 milliards de dollars de marchandise (chiffre 2019, NDLR). C'est considérable. Cette industrie est bien huilée, elle a des procédures drastiques. Certes, et on l'a vu avec le Covid, on continue d'apprendre tous les jours. Mais j'ai l'impression que l'on parle plus de ce navire que des 400 000 marins qui se sont retrouvés bloqués pendant un an sur les mers sans pouvoir être relevé. Le canal de Suez est un point sensible des routes maritimes, et les Egyptiens ont des projets dans les parties non doublées pour permettre de passer de 50 bateaux par jour à une centaine dans quelques années. Tous les endroits stratégiques de la planète font l'objet de projet. 

Quand on voit la taille des navires qui grossissent d'année en années, ces infrastructures ne sont-elles pas quand même sous dimensionnées ? 

Nous sommes dans un système d'offre et de demande. Or la demande ne cesse d'augmenter. Le secteur connaît une croissance régulière de 3% par an au minimum. La mer, c'est le coeur du monde qui bat. Quand j'ai commencé ma carrière dans un port français, on accueillait les premiers porte-conteneurs de 8000 boîtes. Aujourd'hui, nous voyons des 23 000 boîtes qui naviguent. Les infrastructures, que ce soit bateaux, ports, canaux, il faut les adapter à la demande.  

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Donc pas question d'arrêter la course au gigantisme ?  

Nous n'avons pas la main là-dessus, nous sommes là pour offrir le meilleur service à nos clients. Il est quand même plus sain d'assurer une économie mondiale, plutôt que d'avoir des protectionnismes ici ou là. Sur la taille des navires, cela ne me choque pas. C'est surtout pour offrir une meilleure rentabilité à tous. Mais vous savez, tout cela est contrôlé, il y a des normes techniques très importantes. Je ne vois pas de risques accrus inconsidérés. 



 

Canal de Suez: une "erreur humaine" pourrait être à l'origine de l'échouement

Suez (Egypte) - Une "erreur humaine" pourrait être à l'origine de l'échouement du porte-conteneurs, a affirmé samedi le chef de l'Autorité égyptienne du canal de Suez, au moment où les efforts se multiplient pour renflouer le navire bloquant cette voie maritime parmi les plus fréquentées du monde.

Photo fournie par l'Autorité égyptienne du canal de Suez montrant le porte-conteneurs Ever given bloqué, le 26 mars 2021

Photo fournie par l'Autorité égyptienne du canal de Suez montrant le porte-conteneurs Ever given bloqué, le 26 mars 2021

afp.com/-

L'Ever Given, un porte-conteneurs de plus de 220.000 tonnes et de 400 mètres de long, est coincé depuis mardi dans le sud du canal, à quelques kilomètres de la ville de Suez, et bloque cette voie stratégique qui voit passer environ 10% du commerce maritime international, selon des experts. 

Plus de 300 bateaux sont actuellement coincés aux deux extrémités du canal reliant la mer Rouge à la mer Méditerranée, a déclaré Ossama Rabie, le chef de l'Autorité égyptienne du canal de Suez (SCA). 

Alors que des vents violents combinés à une tempête de sable avaient d'abord été pointés du doigt pour expliquer l'incident, il a affirmé que les conditions météorologiques n'étaient pas la seule raison de l'échouement. 

"D'autres erreurs, humaine ou technique, ont aussi pu entrer en jeu", a affirmé M. Rabie lors d'une conférence de presse à Suez. 

Le blocage entraîne d'importants retards dans les livraisons de pétrole et d'autres produits, avec une répercussion sur les cours de l'or noir, en hausse vendredi. 

M. Rabie a estimé que l'Egypte perdait entre 12 et 14 millions de dollars pour chaque jour de fermeture du canal, tandis que la revue spécialisée Lloyd's list estime que le porte-conteneurs bloque chaque jour l'équivalent d'environ 9,6 milliards de dollars (8,1 milliards d'euros) de marchandises. 

Les responsabilités pourraient être difficiles à établir. Le fait que "la propriété et l'exploitation (du bateau) soient séparées entre plusieurs compétences juridiques et frontières nationales" rend difficile la désignation de responsables, notait vendredi Laleh Khalili, professeure à l'université Queen Mary de Londres, dans les colonnes du Washington Post. 

- Jours ou semaines ? - 

Les efforts se multiplient depuis mercredi pour remettre à flot le mastodonte, mais une opération de renflouement menée vendredi a échoué. 

"Nous pouvons terminer aujourd'hui ou demain, en fonction de la réaction du navire face aux marées. Nous avons mis en place d'autres scénarios de secours", a ajouté M. Rabie, précisant que 14 remorqueurs étaient mobilisés. 

Peter Berdowski, le directeur de Royal Boskalis --la maison-mère de la société néerlandaise Smit Salvage mandatée par l'exploitant du navire pour la remise à flot de l'Ever Given-- a pour sa part évoqué un renflouement possible "en début de semaine prochaine". 

Si cela ne suffit pas, il faudra procéder à l'enlèvement de conteneurs pour alléger le navire, a prévenu M. Berdowski, interrogé sur la télévision publique néerlandaise. 

Une option qui aurait pour conséquence "un très grand retard" pour la reprise du trafic, selon Nick Sloane, spécialiste du renflouement de navires. 

"Le plus rapide serait d'utiliser les dragues et de dégager le sable", estime-t-il. "Ce n'est pas une opération rapide (...) Ca va prendre des semaines, pas des jours", ajoute-t-il. 

- "Marée haute" - 

L'Ever Given "n'est pas uniquement échoué sur le sable en superficie, il s'est également coincé dans la berge", a expliqué à l'AFP Plamen Natzkoff, expert chez VesselsValue.  

Le propriétaire du navire s'est montré plus confiant. Yukito Higaki, président de la compagnie japonaise Shoei Kisen, a dit vendredi espérer un déblocage du navire samedi soir. 

Une importante marée haute prévue "dimanche soir" pourrait "être d'une grande aide", a indiqué M. Natzkoff. "S'ils ne parviennent pas à le débloquer lors de cette marée haute, la prochaine n'aura pas lieu avant deux semaines.

En attendant, le géant du transport maritime Maersk et l'allemand Hapag-Lloyd ont indiqué jeudi qu'ils envisageaient de dérouter leurs navires et de passer par le Cap de Bonne-Espérance, soit un détour de 9.000 kilomètres et au moins sept jours supplémentaires autour du continent africain. 

Les autorités syriennes --qui attendent notamment une cargaison de pétrole venue d'Iran et retardée par le blocage-- ont annoncé qu'elles "rationnaient" la distribution de carburant pour éviter toute pénurie dans le pays en guerre et confronté à une grave crise économique. 

Onze cargos partis de Roumanie et transportant du bétail vivant sont actuellement affectés selon les autorités sanitaires à Bucarest. L'organisation Animals International évoque un danger de mort pour les 130.000 animaux. 

Près de 19.000 navires ont emprunté le canal en 2020, selon la SCA, soit une moyenne de 51,5 navires par jour.