Gainsbourg, ses derniers jours de bonheur
Paris Match ||Mis à jour leIl y a 30 ans disparaissait Serge Gainsbourg. Six mois avant sa mort, le chanteur s’était retiré dans l’hôtel-restaurant du chef Marc Meneau en Bourgogne... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
Au soir de son existence, Gainsbourg avait trouvé refuge à l'Espérance, l’hôtel-restaurant du chef étoilé Marc Meneau aux confins de la Bourgogne. De juillet 1990 à janvier 1991, le chanteur a occupé la chambre n° 30, dans le pigeonnier du moulin. Un appartement privé de 85 mètres carrés où il avait installé deux toiles de maître, des bibelots, l’ours en peluche de son enfance et un piano électrique.
Loin du pesant microcosme parisien, Serge faisait sa promenade quotidienne le long du Val-Poirier, la petite rivière au bas du domaine de l'Espérance. Le soir, il avait sa place au bar, toujours la même. Après le dîner, il se mettait au piano, discutait avec les clients. Il était le copain de toutes les brigades, celle des cuisines de Meneau comme celle de la gendarmerie de Vézelay...
Entre le chef et l’artiste s’était tissée une amitié profonde. « C’était un grand frère à protéger », disait Meneau. En mai 1991, deux mois après la mort de Gainsbourg, le patron de l'Espérance s’était confié à Match. Pour notre hors-série « Gainsbourg, pile ou face » publié en janvier dernier, il avait ravivé ce témoignage exclusif avec de nouvelles anecdotes, des souvenirs qu’il gardait de Serge. Il nous a offert ses dernières pensées. Marc Meneau s’est éteint le 9 décembre 2020.
Voici le reportage consacré à la retraite de Gainsbourg chez Marc Meneau, tel que publié dans Paris Match en 1991, suivi des confidences de décembre 2020…
GAINSBOURG, TRENTE ANS APRÈS (1/8) – L’étrange maison rue de Verneuil, les collections d’instruments chirurgicaux, les provocations… L’alcool aussi. Trente ans après la mort de Serge Gainsbourg, l’actrice et chanteuse raconte qui était son père. Sans détours. Premier volet de notre dossier-hommage consacré à l’homme à la tête de chou.
Charlotte Gainsbourg allait avoir 20 ans quand son père est mort à la fin de l’hiver, le 2 mars 1991. La douleur l’a submergée, l’ampleur de l’événement également. « Gainsbarre » était alors au pic de sa gloire. Ses chansons passaient partout, tout le temps, sa disparition n’a fait qu’accentuer le mouvement. Les témoignages et les hommages se sont multipliés d’année en année. Sa fille, on ne l’entendait pas. Elle ne pouvait pas. « Je me sentais acculée, je n’ai pas su gérer mes émotions au milieu d’une telle effervescence. Il a fallu que je rejette tout en bloc. Je n’avais pas envie de partager. Je comprends maintenant ce besoin qu’ont les gens de me parler de lui et l’affection qui s’en dégage, mais quand j’avais 19 ans, il n’y avait que ma peine, et je me sentais agressée : “Comment peuvent-ils ne pas voir qu’ils me meurtrissent quand ils me racontent leurs souvenirs ?” »
Pendant trente ans, elle dit avoir fui les chansons de son père et n’avoir rien lu de ce qui s’écrivait sur lui. En 2014, elle est partie vivre à New York, après la mort de sa sœur Kate, fille de Jane Birkin et de John Barry. Elle revient aujourd’hui, plus tranquille, « différente », (presque) libérée d’un poids étouffant. « Je me sens plus légitime, je me demande moins si je mérite ou pas d’être sa fille, si je peux parler ou pas. » Elle le fait longuement, sans détours, un samedi matin dans son appartement de la rive gauche, pas loin de la maison de la rue de Verneuil, où elle a passé son enfance. Avec Gainsbourg.
“On ne reste pas allongé à côté d’un mort pendant plusieurs jours, moi je l’ai fait, et personne ne m’en a empêchée”À New York, vous vous êtes sentie enfin libre d’écrire en français et de chanter pour votre père : « Que j’étais seule à t’aimer/D’un amour pur de fille chérie ».
J’avais l’impression de m’approprier un langage. J’avais besoin d’oser écrire dans sa langue pour franchir une étape. Mais je n’ai pas son talent, je ne sais pas jouer avec les mots comme il savait le faire. Soit j’étais sincère en formulant ce que j’avais envie de dire, soit je ne parlais pas. Le seul intérêt était d’être dans la plus grande intimité possible. Les premières paroles ébauchées parlaient de mon père. L’image de lui sur son lit de mort qui est au cœur de la chanson Lying with You. Le souvenir d’un moment qui m’a semblé durer des mois où je suis restée à ses côtés, collée à son corps froid. « Tu n’aurais pas aimé/J’étais allongée contre toi/J’ai pris ce droit, sans foi ». Avec Bambou et ma sœur Kate, nous sommes restées sur le lit, nous ne pouvions pas nous séparer de lui. C’était étrange. Enfin non. J’étais encore comme une enfant, avec tout ce que cela avait de déraisonnable. On ne reste pas allongé à côté d’un mort pendant plusieurs jours, moi je l’ai fait, et personne ne m’en a empêchée.
Vous avez tourné le clip de cette chanson dans sa maison rue de Verneuil, fermée depuis trente ans et que vous souhaitez transformer en musée.
Y faire entrer une équipe de tournage était bizarre, j’avais tellement pour habitude d’y venir seule ! Quand j’ai acheté la maison après sa mort, je voulais respecter ses volontés. J’avais lu qu’il avait envie qu’elle devienne un musée. J’avais donc une mission, sans savoir grand-chose de ses souhaits. Il n’a pas rédigé de testament. Les premières années, j’ai essayé que l’idée prenne corps, ensuite il y a eu des hauts et des bas. Aujourd’hui, le désir se matérialise. Nous avions prévu d’ouvrir la maison pour le trentième anniversaire de sa mort, le Covid nous a fait prendre du retard, mais nous serons prêts avant la fin de l’année. J’ai choisi de ne toucher à rien, avec peu de visiteurs et une annexe pour prendre les billets, afin de ne pas toucher à la façade, couverte de messages et de graffitis depuis toujours. Il y aura des choses à voir et à entendre…
Longtemps la rue de Verneuil a été pour vous un lieu de recueillement.
L’endroit est très fort, j’y ai vécu une grande partie de mon enfance. J’y retournais pour le retrouver, passer du temps avec lui, même si ça ne me faisait pas beaucoup de bien. Au cimetière du Montparnasse, il y avait toujours du monde devant sa tombe, je me sentais gênée. Je passais donc des heures à l’intérieur de sa maison, où le temps est suspendu et l’atmosphère, étrange. Les murs sont recouverts de feutre, les bruits sont étouffés, le décor est chargé d’objets de collection. Je me réfugiais dans le silence. Je me suis détachée de ce rituel quand il a fallu faire des travaux. Des pièces de sa collection ont été volées lors de visites « secrètes », j’ai été choquée de l’apprendre. J’avais délibérément choisi de ne pas faire trop attention pendant trente ans. Je n’ai pas fait d’inventaire.
Le décor de son quotidien reflétait ses penchants esthétiques et son dandysme d’un autre siècle…
Le clip montre les objets dont il s’entourait. Il est filmé du point de vue d’un enfant, avec une tonalité fantastique car, en réalité, la maison faisait un peu peur. J’y ai fait beaucoup de cauchemars. Dans le salon, il y avait cet écorché, devant lequel il fallait passer pour aller aux toilettes, qui nous terrifiait. Une fille au pair nous avait raconté qu’il s’allumait la nuit et que ses yeux se mettaient à briller. Ma sœur Kate faisait pipi sous mon lit pour ne pas avoir à passer devant lui. Tout un étrange bazar s’est constitué au fil des années. Il fréquentait beaucoup les antiquaires, mélangeait les maisons de poupée, les instruments chirurgicaux, les objets pornos d’une autre époque, les photos de Marilyn, les flacons de Guerlain alignés dans sa chambre… Il était dans son univers, nous y vivions tous selon ses règles. Les collections, il ne fallait pas y toucher. Enfant, il n’était pas question de mettre les pieds dans le salon. Les univers communiquaient peu. On se levait à l’heure où ils rentraient de boîte de nuit.
“Quand mes parents se sont séparés, je me suis immédiatement mise au piano. Sérieusement. Il en a été très fier.”Il a fait votre éducation musicale ?
La musique, il en écoutait tout le temps, et fort. Nous recevions sans cesse des plaintes des voisins. Ses goûts étaient tranchés. Il passait tout le temps les mêmes disques : Chopin, Glenn Gould, Elvis, David Bowie… Mais il ne m’encourageait pas du tout à devenir musicienne. Il voulait m’épargner les souffrances qu’il avait connues, enfant, quand son père pianiste le poussait à jouer. Il gardait des souvenirs atroces des cours, des moments passés à pleurer, de la brutalité de son père. Ma mère m’a offert un violon, il l’a jeté. Et son piano, il n’était pas question que j’y touche. Mais quand mes parents se sont séparés, je me suis immédiatement mise au piano. Sérieusement. Il en a été très fier. Je crois qu’il avait surtout très peur que je devienne allergique à un instrument.
“Je t'aime... moi non plus”, la chanson qui sentait le soufre Podcast Carole Lefrançois Son père musicien, vous ne l’avez pas connu…
Il est mort avant ma naissance, il a juste eu le temps de toucher le ventre de ma mère. Il était horriblement sévère avec son fils, mais on me l’a aussi décrit comme une crème d’homme, et j’adorais ma grand-mère Olga. Elle était l’emblème de la culture juive et russe de la famille, elle et Joseph Ginsburg avaient fui Odessa en 1919. Elle avait un fort accent pittoresque et racontait des histoires qui ont marqué mon enfance ; leur vie et leurs peurs sous l’Occupation, aussi. Elle n’en faisait pas des récits tragiques, au contraire, ils étaient toujours excitants. Mes grands-parents ont échappé à tout de justesse, y compris à la déportation. Elle adorait raconter comment elle avait caché les faux papiers sous la nappe, s’était assise dessus lors d’une visite de la Gestapo, ou comment elle s’était fait passer pour la femme de ménage.
Mon père aussi me parlait beaucoup de ses origines. Il m’emmenait chez Raspoutine, le cabaret russe des Champs-Élysées, ou chez Goldenberg, rue des Rosiers. Il faisait jouer des airs yiddish et se mettait à pleurer, avec un grand sens de la mise en scène. Il me chantait des mélodies russes. J’ai encore une cassette où il fredonne ces comptines. Il voulait transmettre sa culture mais pas l’aspect religieux. Quand ma grand-mère est morte, j’ai voulu absolument être juive, j’allais à la synagogue en cachette, je ne mangeais pas de porc. Quand il l’a découvert, il a été choqué, il ne comprenait pas. Il m’a quand même offert une étoile de David, il était fier du dessin qu’il avait fait graver chez Cartier. Quand il est mort, je la lui ai passée autour du cou et j’ai pris la chaîne qu’il portait au poignet.
“Je n’étais dérangée que par les réactions que mon père suscitait parfois, jamais par la noirceur de ses paroles ou les sujets qu’il abordait.”La mélancolie était très présente ?
Nous baignions dans la mélancolie ! Il y avait un côté sombre dans ce qu’il me transmettait, même si je n’en garde pas un souvenir triste. Il avait le goût du drame. De la passion. Ses relations étaient loin d’être apaisées. Plutôt corsées. Avec ma mère, ils se mettaient pas mal sur la gueule, j’en garde des souvenirs cuisants, et elle n’était pas en reste. Même après leur séparation, quand il venait nous voir chez elle, les assiettes volaient. Ils buvaient beaucoup. L’alcool ne le rendait pas violent, plutôt doux au contraire. Un peu larmoyant. Moi, je n’ai jamais eu le goût de ça. Adolescente, j’ai cherché un équilibre ailleurs. Je me suis aussi construite sans eux. Les tournages de cinéma sont devenus comme une autre famille. Et j’ai passé du temps en pension.
25 ans après sa mort, Serge Gainsbourg est encore très présent Musiques Stéphane Jarno Comment avez-vous vécu avec ses chansons ?
J’ai refusé de les écouter après sa mort, mais je connaissais déjà son répertoire par cœur. On entendait tout le temps ses chansons chez nous. Surtout les disques sur lesquels il travaillait. Je trouvais drôle qu’il s’écoute lui-même. Il me demandait mon avis avant de choisir les titres qu’il allait enregistrer. Pendant mon adolescence, une intégrale est sortie et j’ai tout écouté. Avec Bambou, on se passait surtout la période Initials B.B. J’ai aussi eu une phase yéyé, à l’époque de L’Effrontée, avec L’Appareil à sous par exemple, ce qui ne lui plaisait pas beaucoup. Enfant, je ne jurais que par L’Ami Caouette, il ne supportait pas d’être réduit à cette chanson ! Autrement, j’ai toujours un faible pour la période où il a écrit Je suis venu te dire que je m’en vais.
Comment entendiez-vous le côté sulfureux et l’humour misogyne des paroles ?
J’étais dans l’admiration totale. Peut-être que je ne comprenais pas tout, mais quand même, jusqu’à mes 19 ans, j’ai eu le temps d’assimiler. Les textes ne me choquaient pas du tout. De même, je n’ai vu Je t’aime moi non plus que peu de temps avant sa mort, et j’ai trouvé le film magique. Je n’ai pas été gênée par sa crudité, pas embarrassée de voir ma mère filmée ainsi. En fait, je n’étais dérangée que par les réactions que mon père suscitait parfois, jamais par la noirceur de ses paroles ou les sujets qu’il abordait. Je n’ai jamais fait l’expérience de sa misogynie. J’étais plutôt heurtée par l’alcool, par les états dans lesquels il se mettait. Je sentais qu’il se faisait du mal. Il s’accrochait à moi pour monter dans les taxis, je ne comprenais pas où il voulait aller, ce qu’il cherchait. C’était douloureux d’accepter qu’il se brûle.
“Est-ce qu’il serait encore possible d’enregistrer aujourd’hui ‘Lemon Incest’ ?Lui le ferait. Et moi aussi...” Lui le ferait. Et moi aussi...”Lors de votre dernière tournée, vous repreniez Lemon Incest sur scène…
J’aimerais me souvenir plus précisément de l’enregistrement et de la manière dont il m’a présenté cette chanson. J’avais 13 ans, j’étais sur un tournage au Canada, et Bambou est venue pour me conduire dans une maison près de New York, où était installé le studio. Nous étions en été, il y avait une piscine. Je me baignais, on est venu me chercher pour que j’enregistre les voix. Est-ce qu’il m’a fait lire les paroles avant ? Quelle perception en avais-je ? Je m’en veux de ne pas avoir retenu ces instants.
En tout cas, je me sentais à l’aise. Quelle expérience intense de me retrouver soudain derrière un micro, avec lui à mes côtés qui me donnait des indications à la façon d’un metteur en scène ! Il était ému quand il réécoutait les prises, ravi par les moments où ma voix déraillait un peu. C’est ce qu’il cherchait. Ensuite, je suis repartie en pension. Et je n’ai aucune idée de ce qui se passe quand le disque sort. Je suis à l’abri du scandale. Un tel disque ferait-il encore plus de bruit aujourd’hui ? Sûrement. Est-ce qu’il serait encore possible de l’enregistrer ? Lui le ferait. Et moi aussi. Lemon Incest est une déclaration d’amour pure et innocente d’un père pour sa fille. Bien sûr, il joue avec les mots et les interdits, mais n’était-ce pas sa force ? Évidemment, il y a des actes terribles qu’il faut condamner, mais la provocation artistique, je la trouve utile.
Votre collaboration a continué sur son film et son disque Charlotte Forever…
Le cinéma était devenu mon univers et j’avais l’impression qu’il s’y immisçait. J’avais du mal à trouver mes marques à ses côtés. Il était bruyant sur le plateau, un peu frimeur, alors que j’aimais être discrète. Je n’arrivais pas à être moi-même en sa présence. Je n’ai pas revu le film, mais je me rappelle que certaines scènes m’ont gênée. Il fallait que je touche les seins d’une actrice ou que je me mette torse nu. Un cauchemar devant lui, surtout à 15 ans. Je prenais un peu mes distances avec lui et son esthétique, ces années-là.
Mais j’ai adoré le travail sur le disque, je me sers encore de ces souvenirs quand j’enregistre : les choix qu’il faisait, son goût pour les accidents, les moments de fragilité plutôt que de maîtrise. Il n’aimait pas les interprétations propres, il a amené à la chanson des actrices dont ce n’était pas le métier pour cette raison. Par contre, j’ai détesté le travail de promotion, les interviews, les émissions de télé, les couvertures de magazine. Lui, en revanche, en a toujours raffolé. Il avait un côté mégalo, il fallait toujours qu’on le regarde à la télévision, qu’on achète les journaux dont il faisait la couverture. Il prenait plaisir à être aimé, il était toujours ému, je ne l’ai jamais connu blasé.
C’est que le grand succès lui est venu tard, après la cinquantaine. Avant, ses chansons marchaient quand elles étaient interprétées par d’autres, mais ses albums restaient confidentiels. Il y avait des graffitis injurieux sur les murs de sa maison. À l’école, on me disait : ton père est un drogué, ta mère est une pute. Je l’entendais toujours se plaindre d’être dans le rouge. Il vivait au-dessus de ses moyens, il flambait, il donnait beaucoup. Parfois, des chauffeurs de taxi me racontent qu’il a payé leur toiture ou leurs frais de dentiste. Qu’il n’ait pas été reconnu quand il aurait dû l’être me bouleverse.
“À chaque tournée, je m’autorise une reprise, ce sont les chansons que je préfère au monde.”La rumeur bruisse sans cesse de chansons inédites, vous les publierez un jour ?
Je ne sais pas. J’ignore même comment elles sont archivées. Je devrais m’y intéresser, mais ça me dépasse complètement. Je laisse faire la maison de disques. Je suis heureuse de voir des gens fascinés à l’idée de ce qui pourrait exister, mais quand on me fait entendre des choses, j’ai plutôt l’impression de fonds de tiroirs, sa voix simplement posée sur un instrumental. Il faut trier, je ne saurais pas par où commencer, et pendant longtemps je n’ai pas eu la force de mettre le nez dans son répertoire. Pour l’album qu’il s’apprêtait à enregistrer quand il est mort, j’ai un peu hésité. Dans sa mallette, il y avait des débuts de textes que je garde précieusement, mais ce ne sont que des ébauches, je ne sais pas s’il aurait aimé qu’on les montre. J’ai l’impression qu’il partait dans une inspiration très russe, mais peut-être que je me trompe.
Vous pensez enregistrer un jour ses chansons ? Frotter la génération de musiciens qui vous accompagne à ses compositions ?
Formulée ainsi, l’idée pourrait me séduire mais elle ne m’est jamais venue. À chaque tournée, je m’autorise une reprise, ce sont les chansons que je préfère au monde, mais j’ai toujours pensé qu’il fallait que je m’en éloigne, que je fasse mon propre chemin. C’est ma mère qui faisait vivre son répertoire, elle le chantait sur scène, elle était son porte-parole. Ça ne semble pas être ma place, c’est déjà tout nouveau pour moi de parler de lui, je suis encore à la frontière.
Charlotte Gainsbourg : “J’ai grandi avec l’idée que le malheur est séduisant” Cinéma Laurent Rigoulet
"Les assiettes volaient" : Charlotte Gainsbourg revient sur les disputes "corsées" de ses parents
L'actrice de 49 ans s'apprête à ouvrir un musée Gainsbourg au sein de sa demeure familiale, située rue de Verneuil, à Paris. Elle s'est confiée dans la dernière édition de Télérama, publiée le mercredi 24 février, sur le «côté sombre» de Serge Gainsbourg, et les conflits de ce dernier avec Jane Birkin.
«Drame», «passion», «alcool»... Tel était le cocktail explosif de la relation entre Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Leur fille Charlotte, qui s'apprête à ouvrir un musée dans la mythique demeure de son père, située rue de Verneuil à Paris (VIIe arrondissement), s'est confiée sur ce couple hors-norme dans la dernière édition de Télérama, parue le mercredi 24 février. L'actrice de 49 ans a soutenu que son père «baignait» autrefois dans la mélancolie.
«Il y avait un côté sombre dans ce qu'il me transmettait, même si je n'en garde pas un souvenir triste, a-t-elle déclaré. Il avait le goût du drame. De la passion. Ses relations étaient loin d'être apaisées.» Elle évoque ainsi les disputes «corsées» survenues entre ses parents : «Avec ma mère, ils se mettaient pas mal sur la g***le, j'en garde des souvenirs cuisants, et elle n'était pas en reste. Même après leur séparation, quand il venait nous voir chez elle, les assiettes volaient. Ils buvaient beaucoup. L'alcool ne le rendait pas violent, plutôt doux au contraire.»
"Je suis à l'abri du scandale"
La chanteuse est, par ailleurs, revenue sur le titre Lemon Incest, sorti en 1985. Le morceau qu'elle entonne alors aux côtés de Serge Gainsbourg, à l'âge de 13 ans, décrit un amour fusionnel entre un père et sa fille. Son clip a fait scandale, car l'artiste y apparaît torse nu, sur un grand lit, auprès de l'adolescente en chemise et culotte. À ce propos, Charlotte Gainsbourg s'interroge : «Est-ce qu'il m'a fait lire les paroles avant ? Quelle perception en avais-je ? Je m'en veux de ne pas avoir retenu ces instants. En tout cas, je me sentais à l'aise.» Avant de poursuivre : «Quelle expérience intense de me retrouver soudain derrière un micro, avec lui à mes côtés qui me donnait des indications à la façon d'un metteur en scène ! Il était ému quand il réécoutait les prises, ravi par les moments où ma voix déraillait un peu. C'est ce qu'il cherchait.»
La jeune fille n'aurait, par ailleurs, eu aucune idée de la polémique qui en a résulté. «Ensuite, je suis repartie en pension, s'est-elle souvenue. Et je n'ai aucune idée de ce qui se passe quand le disque sort. Je suis à l'abri du scandale. Un tel disque ferait-il encore plus de bruit aujourd'hui ? Sûrement. Est-ce qu'il serait encore possible de l'enregistrer ? Lui le ferait. Et moi aussi. Lemon Incest est une déclaration d'amour pure et innocente d'un père pour sa fille. Bien sûr, il joue avec les mots et les interdits, mais n'était-ce pas sa force ? Évidemment, il y a des actes terribles qu'il faut condamner, mais la provocation artistique, je la trouve utile.»
En vidéo, l'hommage de Lou Doillo à sa mère Jane Birkin
"Il a fallu que je rejette tout en bloc"
Interrogée sur le décès de son père survenu le 2 mars 1991, Charlotte Gainsbourg s'est remémorée ses difficultés à composer avec ses états d'âme et ceux du grand public. «Je me sentais acculée, je n'ai pas su gérer mes émotions au milieu d'une telle effervescence, a-t-elle expliqué. Il a fallu que je rejette tout en bloc. Je n'avais pas envie de partager.» Depuis, la chanteuse a pris du recul. «Je comprends maintenant ce besoin qu'ont les gens de me parler de lui et l'affection qui s'en dégage, mais quand j'avais 19 ans, il n'y avait que ma peine, et je me sentais agressée : “Comment peuvent-ils ne pas voir qu'ils me meurtrissent quand ils me racontent leurs souvenirs ?”»
Charlotte Gainsbourg en cinq dates 1971 Naissance à Londres. 1986 Charlotte Forever, le disque et le film avec son père, et césar du meilleur espoir féminin pour L’Effrontée. 2001Ma femme est une actrice, d’Yvan Attal. 2006 5:55, premier disque enregistré sans son père. 2018 Meilleure interprète aux Victoires de la musique pour l’album Rest. GAINSBOURG, 30 ANS APRÈS, LE SOMMAIRE DE NOTRE DOSSIER-HOMMAGE ♦ Lundi 22 février : “Mon père prenait plaisir à être aimé…”, entretien avec Charlotte Gainsbourg ♦ Mardi 23 février : Critique de l’intégrale des enregistrements studio 1958-1987 de Gainsbourg et Le top 10 des chansons de Gainsbourg ♦ Mercredi 24 février : “Délit de fuite”, entretien avec Serge Gainsbourg (“Télérama”, 1987) ♦ Jeudi 25 février : Le génie de Gainsbourg vu par Arnaud Viviant ♦ Vendredi 26 février : Gainsbourg, initiales BO ♦ Samedi 27 février : Les dessous de “Melody Nelson”, l’album culte de Gainsbourg ♦ Dimanche 28 février : Gainsbourg et ses hommes de l’ombre