Hommage devant le stade Vélodrome, dimanche. Photo Olivier Monge. Myop | |
BERNARD TAPIE, FIN DE PARTIE Marseille, jusque dans ses dernières volontés. Bernard Tapie, mort dimanche des suites d’un cancer, sera enterré ce vendredi à Marseille, après une messe célébrée à 11 heures en la cathédrale de la Major. Dès l’annonce de sa mort dimanche, une centaine de Marseillais s’étaient spontanément réunis sur les marches du stade, où une photo géante de «Nanard», ballon en main, avait été installée. Tapie et ses casseroles judiciaires (la cour d’appel de Paris a décidé de reporter au 24 novembre sa décision dans l’arbitrage controversé du Crédit Lyonnais), Tapie et sa grande gueule (ses relations avec Libé n’ont jamais été simples)... C’est plutôt cette image, celle de Tapie président olympien des grandes heures, qui a offert au club sa coupe d’Europe en 1993, que les Marseillais veulent garder en mémoire. Dès aujourd’hui, son cercueil franchira une ultime fois les portes du Vélodrome pour y être exposé entre 16 heures et 20 heures, en présence de sa famille, afin que les supporteurs puissent venir rendre un ultime hommage à leur «Boss». ► S.H. Notre reportage sur les marches du stade à lire ici |
Hommage à Bernard Tapie, héros de tous les Français, tué par un complot des juges
“Il faisait partie de la famille de tous les Français”, assure-t-on sur BFMTV. Un parent courageux, transgressif, exemplaire, pudique… Bernard Tapie a été comblé d’honneurs ce dimanche. Revue de détail, loin d’être exhaustive, où l’on découvre que “l’homme d’affaires” était le parfait croisement entre Gabin, James Bond et un “bon bonhomme”.
« Bernard Tapie, la mort d’un géant », titre modestement BFMTV, en « édition spéciale » tout ce dimanche. Jean-Baptiste Boursier questionne un témoin de première main, par ailleurs président du groupe LREM à l’Assemblée. « Christophe Castaner, il reste quoi de la façon de faire de la politique de Bernard Tapie ? » L’ancien ministre éborgneur – pardon, de l’Intérieur – livre le souvenir d’une campagne électorale de Tapie à Forcalquier. « Il avait un truc de dingue, il rentrait dans une boutique, il repérait tout de suite la photo de la petite fille de la boulangère, il prenait la photo, il parlait de la petite fille à la boulangère. » Quelle belle leçon de démagogie. Et ce n’est pas fini…
« Le soir, il y avait un match Marseille-Le Havre, des gamins viennent le voir, je lui dis : “C’est bête, M. Tapie, si on avait su, vous auriez apporté quelques places pour le match.” Et là, il me dit : “Alors, tu appelles Untel, tu lui dis que dans une heure je veux cinq cents places. C’était ça, Tapie. » Le clientélisme allié à la démagogie. Un cocktail modèle pour notre démocratie. Sur LCI, Ruth Elkrief nuance : « Pour Bernard Tapie, il y avait toujours un travail de conviction à faire parce que la politique n’était pas la politique politicienne, c’était de la conviction, c’était des valeurs. » Fluctuantes, les « valeurs ». « Sur le plan politique, note Laurent Delahousse sur France 2, on retiendra son combat qu’il a gardé jusqu’à la fin contre l’extrême droite. — Ouais, enfin, nuance Franz-Olivier Giesbert, l’extrême droite, c’était moins fort qu’au démarrage. » Le journaliste nommé patron de La Provence par Tapie (racheté avec l’argent reçu de l’arbitrage du Crédit Lyonnais), est bien placé pour le savoir : il ne manque pas d’épouser les thèses de l’extrême droite dans ses éditoriaux du Point.
Sur BFMTV, Christophe Castaner relève la même évolution. « Le combat contre Jean-Marie Le Pen, il devait le mener, il y a été physiquement. Est-ce qu’il ferait le même aujourd’hui, j’en suis pas sûr. J’ai eu des échanges avec lui, il était plus du tout dans la même approche parce que le temps a changé. » Aujourd’hui, on a un ministre de l’Intérieur qui juge Marine Le Pen trop « molle ».
En ouverture du 20 heures, Laurent Delahousse préfère prendre « les Français » par les sentiments. « Il avait entamé ce combat avec la maladie il y a quatre ans et il n’avait rien voulu cacher aux Français. » Ça m’avait bouleversé. Surtout sa manière de l’instrumentaliser pour servir ses intérêts judiciaires. « Même ses principaux adversaires avaient un temps baissé les armes, reconnaissant sa force et sa capacité de résilience. » Sauf les juges, ces abominables sans-cœur. « La maladie qui l’a emporté…, s’attendrit le présentateur. Jusqu’au bout, il tenait à s’adresser à ceux qui comme lui étaient en train de la combattre : “Battez-vous encore et encore.” » Les cancéreux au moral défaillant sont des mauviettes. « Il le redirait encore ce soir. » Laurent Delahousse pratique un journalisme visionnaire : il cite déjà des propos apocryphes du défunt.
Un reportage à Marseille permet de perpétuer les clichés sur l’homme et la ville. Un fan éploré : « À Marseille, y a la Bonne Mère, l’OM et Tapie. » Laurent Delahousse appelle une envoyée spéciale « devant son domicile de la rue des Saints-Pères. De l’émotion déjà. — Oui, même ici, à Paris, on a vu des anonymes déposer des écharpes et des maillots de l’OM ». Sacrilège. « On a vu des personnalités, Jean-Louis Borloo, son ami de quarante ans, Jacques Séguéla, le publicitaire. » Avec des écharpes et des maillots de Valenciennes.
Laurent Delahousse entreprend de retracer « ses soixante ans de vie commune avec les Français ». Ah non, pardon, je ne me suis jamais marié avec Tapie, je ne l’ai même jamais eu comme colocataire. « On y a croisé un entrepreneur, un comédien, le boss d’une équipe de foot mais aussi un détenu. » Pauvre détenu… Encore un peu et on va croire qu’il a été condamné. Franz-Olivier Giesbert livre une révélation. « Mitterrand m’avait dit, entre deux brouilles et deux mauvais livres que je faisais sur lui : “Vous devriez voir ce Bernard Tapie, il va aller loin, il a vraiment du charisme…” Et je me souviens de la phrase : “Si les petits cochons le mangent pas, ça va le faire.” » Ça me rappelle une anecdote rapportée par FOG sur BFMTV : « C’est Mitterrand, entre deux brouilles et deux mauvais articles que j’écrivais sur lui, il me dit : “Vous devriez voir Bernard Tapie, quel charisme, c’est incroyable. Je me souviens de la phrase : “Si les petits cochons le mangent pas, il va faire une carrière énorme.” » Aussi énorme que celle de Giesbert en thuriféraire.
Le journaliste Jeff Wittenberg se charge de retracer le glorieux parcours. « Le succès pour ce Parisien au talent hors du commun, il va le connaître dans les affaires. Sa spécialité, racheter des sociétés pour 1 franc symbolique et les revendre au prix fort : Terraillon, La Vie Claire, Testud et les piles Wonder. » Après avoir dégraissé des effectifs pléthoriques. Sur LCI, François Lenglet livre son point de vue d’économiste : « C’est le symbole que quelqu’un qui part de bas peut réussir. On pourrait dire ça de François Pinault ou de Bernard Arnault. » De Martin Bouygues, de Vincent Bolloré. « Chez Tapie, il y a quelque chose en plus, c’est le côté Robin des Bois. » Farouchement anticapitaliste. « C’est le type modeste qui arrive chez les riches et qui redistribue. » Aux salariés de Terraillon, de Wonder, de Testut ? Presque, quoique « pas forcément monétairement, il redistribue avec le football, avec la politique, il s’intéresse à la vie de la cité ». Au point de baptiser son yacht Le Phocéa, c’est vous dire s’il aime la cité marseillaise. Olivier Mazerolle précise : « Il admirait profondément Nicolas Sarkozy pour la façon dont il avait géré… » Son contentieux avec le Crédit Lyonnais ? Non, « la crise mondiale de 2008 ». Ouf, j’ai eu peur.
Laurent Delahousse sollicite Nathalie Saint-Cricq, éditorialiste maison. « Vous connaissiez Bernard Tapie depuis combien de temps ? — Depuis trente ans. — Y a une légende, c’est que si un journaliste ne s’est pas un jour embrouillé ou fâché avec Bernard Tapie, il a raté sa vie. Vous n’avez pas raté votre vie. — Ah non, j’ai jamais raté ma vie. » Ça me fait chaud au cœur. « Il m’a hurlé dessus mais, comme j’ai hurlé également, après ça s’est normalisé. » Laurent Delahousse admire : « C’était toujours un peu transgressif. » Voire illicite. « Franz-Olivier Giesbert, pour vous aussi, ç’a été des hauts et des bas avec Bernard Tapie. — J’ai travaillé avec lui à La Provence, y avait des engueulades absolument sismiques, on montait dans les tours. » Encore un journaliste qui n’a pas raté sa vie. Le présentateur lance un sujet sur les magnifiques « transgressions » de l’escroc insultant des journalistes trop curieux de ses démêlés avec la justice. « L’ancien présentateur Daniel Bilalian se souvient d’une relation très musclée avec l’homme d’affaires. » Décidément, France 2 est pleine de journalistes qui n’ont pas raté leur vie.
Laurent Delahousse suggère : « Nathalie, il a cassé les codes, Bernard Tapie. » Notamment le code pénal. « Il considérait que l’argent était la preuve d’une réussite, explique Nathalie Saint-Cricq, donc il avait une relation relativement saine. » Relativement. Le présentateur propose : « Revenons sur ces affaires qui se sont accumulées au fil des années. » Curieusement, sa condamnation dans l’affaire des comptes de l’OM n’est pas évoquée (pas plus que sur les autres chaînes). Laurent Delahousse appelle une envoyée spéciale « au Palais de justice de Paris. Que va-t-il se passer ? — Bernard Tapie décédé, l’action judiciaire s’éteint ». Devant un Palais de justice désert dans la nuit d’un dimanche soir, il fallait s’y attendre.
« Beaucoup de gens se sont laissés abuser par le personnage, déplore Franz-Olivier Giesbert, citant quelques-unes de ses bonnes actions, que le journaliste a révélées à l’insu du plein gré de l’intéressé. Il est tellement pudique. » Et FOG est fin psychologue. Pierre Arditi, convié pour avoir tourné avec le héros dans un film de Lelouch, vante : « C’est un type qui n’a jamais cédé à la culture de la plainte. » Sauf pour attribuer à l’acharnement de la justice la responsabilité de son cancer. Dans 20h30 le dimanche, Laurent Delahousse rediffuse « un moment de vie partagé avec Bernard Tapie en novembre 2017 ». « J’ai été martyrisé pendant cinq ans », se lamente le repris de justice à propos de l’affaire du Crédit Lyonnais.
Laurent Delahousse, qui semble ne pas tenir à réussir sa vie, cite un confrère qui n’y tient pas plus : « Un journaliste vous demande : “Vous êtes victime d’un acharnement ?” Et vous répondez : “Demandez à mon estomac.” — Oui, parce que je dis à mon cancérologue : “Mais pourquoi j’ai une tumeur aussi grave à l’estomac alors qu’en général c’est les gens qui boivent bien, qui fument bien, qui bouffent bien ?” Il m’a dit : “Vous avez entendu parler de se faire du mauvais sang ? Et l’expression populaire se faire de la bile ?” Je dis “oui”, il me dit : “Ben voilà, vous avez compris pourquoi vous avez un cancer.” Voilà. » À cause des magistrats scélérats aux ordres du gouvernement socialiste. « J’en suis à me demander si ceux [les gouvernants] d’aujourd’hui n’accélèrent pas parce que, pensant que je suis sur la fin, ils veulent profiter de ce moment où je suis très affaibli pour me porter l’estocade. C’est ça que je crois. » Le décès de Bernard Tapie est donc le funeste résultat d’un complot cancérogène.
Pierre Arditi insiste : « Je ne l’ai jamais ni vu ni entendu se plaindre. » Il se contenait d’insulter les journalistes assez outrecuidants pour l’interroger sur ses affaires. Des affaires ? Que nenni. Pour le comédien, « y a eu des affaires, je veux pas savoir. Ç’a toujours été le bon bonhomme ». Le bon proxénète (dans une émission d’Ardisson, il se vante de fournir du « matos » aux joueurs de l’OM à la veille d’un match pour qu’ils fassent une « partouze géante » dans leur hôtel). Nathalie Saint-Cricq conclut : « J’ai entendu Barbelivien parler de lui [sur BFMTV] en disant : “Il a banni le principe de précaution toute sa vie.” Ça le résume super bien. » Laurent Delahousse valide : « Bannir ce principe de précaution, dans l’époque, c’est une leçon à retenir. » Surtout quand on présente une demi-heure de JT hagiographique.
Sur BFMTV, Jean-Baptiste Boursier entreprend le rédacteur en chef de L’Obs. « Serge Raffy, vous disiez : “Bernard Tapie fait partie de la famille de tous les Français.” » Comme dit la chanson, on choisit ses copains mais rarement sa famille. « Oui, admet Serge Raffy. Cette émission est incroyable. » J’en conviens. « On a l’impression de parler de notre oncle, de notre père, de quelqu’un de très, très proche. » Pardon, Serge Raffy, mais je ne vous ai pas autorisé à insulter ma famille. Le tweet de Cyril Hanouna m’a suffi : « Je suis sûr qu’un jour votre mère vous a dit : “Il faut que tu deviennes Bernard Tapie.” » Non content de dérouler le tapis rouge à l’extrême droite, l’animateur de TPMP se permet de traiter ma mère.
Serge Raffy poursuit : « C’est un peu comme Belmondo, c’est des gens qui ont tellement pénétré l’inconscient collectif d’une manière tellement puissante, tellement joyeuse… » À chacune de ses apparitions télévisées, mon cœur bondissait d’allégresse. « Y a eu Gabin et après y a eu Belmondo et après y a eu Tapie. » Nul ne peut nier la continuité historique. Laurent Neumann approuve : « Johnny, Bébel, Tapie. Trois personnages qui parlaient au cœur de tous les Français. » Je sens que je fais de l’arythmie. Sur France 2, avant la rediffusion de son entretien sans concession avec Tapie dans 20h30 le dimanche, Laurent Delahousse présente le sommaire : « Daniel Craig nous présente ce soir le dernier opus de la saga James Bond. Avec un titre qui résonne fortement ce dimanche, Mourir peut attendre. Comment ne pas penser ce soir à la résonance de ce titre ? Cela faisait quatre ans que Bernard Tapie affirmait que la mort pouvait bien attendre. » En résumé, Bernard Tapie, c’était Gabin, Belmondo, James Bond, Robin des Bois et mon tonton réunis.