C’est une déclaration qui a eu l’effet d’une petite bombe médiatique. Interrogé sur l’état de la situation sanitaire à Marseille, le professeur Didier Raoult s’est montré ce mardi 6 octobre sur Cnews, moins rassurant qu’à l’été, lorsqu’il évoquait un virus moins virulent.

« On a l’impression que les variants [du coronavirus] n’ont pas la même sévérité. […] Le premier variant, qui circulait en juillet-août, donnait […] une sévérité moindre. […] Aujourd’hui, le variant 4 nous fait penser qu’il n’est pas aussi banal ni aussi bénin », a-t-il notamment déclaré.

Interrogé sur l’état de la situation sanitaire à Marseille, le Professeur Didier Raoult s’est montré ce mardi 6 octobre sur Cnews, moins rassurant qu’à l’été, lorsqu’il évoquait un virus moins virulent. (Photo : capture d’Écran Twitter / @CNEWS)

Le coronavirus aurait-il donc muté dans une forme plus agressive ? Si oui, cela présage-t-il d’un hiver dévastateur ? Cette mutation remettrait-elle en cause la découverte tant espérée d’un vaccin ?

Éléments de réponse avec Yannick Simonin, virologiste, maître de conférences en surveillance et étude des maladies émergentes à l’université de Montpellier.

Quand on dit qu’un « virus mute », qu’est-ce que cela signifie ?

Il faut savoir que quasiment tous les virus mutent tout le temps. Pour pouvoir se multiplier, le virus a d’abord besoin de rentrer dans une cellule. Quand il en ressort, il y a des millions de copies de ce virus qui sortent de la cellule. Parmi ces millions de copies, il y en a toujours qui sont différentes du virus qui est entré initialement.

Car quand le virus se multiplie, il fait des erreurs. Le virus a une protéine une polymérase, qui lui permet de se multiplier et c’est cette protéine-là qui fait des erreurs qu’on appelle mutation. On a parfois des erreurs qui sont neutres pour le virus et qui ne change rien. Dans ce cas-là, le virus qui va ressortir de la cellule ne sera pas tout à fait le même que le virus de départ mais il va se comporter de la même façon.

Dans d’autres cas, il y a des erreurs qui vont faire du virus, un virus plus dangereux, plus virulent. À l’inverse, il y a parfois des erreurs qui vont diminuer la dangerosité initiale du virus.

Le coronavirus mute donc comme les autres virus ?

Comme je vous le disais, les virus mutent tout le temps, en permanence. Ce n’est pas une nouveauté. Mais parmi l’ensemble des virus, il y en a certains qui mutent plus que d’autres.

On sait que les virus de la grande famille des virus à ARN (ceux qui ont comme génome de l’ARN et non pas de l’ADN comme nous) ont tendance à muter plus que les autres. Le coronavirus est un virus à ARN. Il mute donc plus que d’autres virus.

Néanmoins, on sait aujourd’hui que le coronavirus a tendance à muter moins vite que les autres virus de la famille des virus à ARN. Le coronavirus a en effet des systèmes dans son génome qui vont lui permettre de corriger les erreurs que d’autres virus à ARN font d’habitude.

Le coronavirus fait donc moins d’erreurs que les autres, et par conséquent il mute un peu moins que les autres.

Didier Raoult parle d’un « variant 4 » moins bénin que les autres. Qu’entend-il par « variant » ?

Un variant, on pourrait dire c’est une nouvelle version du virus. Le « variant 4 » dont parle Didier Raoult est donc une nouvelle version du coronavirus. Mais il y a plein de variants différents de ce virus, c’est un phénomène normal en soit.

Il y a d’ailleurs un site internet qui répertorie l’ensemble des différents variants du coronavirus et où l’on peut voir qu’il n’y a pas moins de 5 000 séquences différentes qui ont été déposées.

Site internet qui répertorie l’ensemble des différents variants du coronavirus et où l’on peut voir qu’il n’y a pas moins de 5 000 séquences différentes qui ont été déposées. (Photo : capture d’Écran / Gisaid)

Le virus mute, il change, il n’est pas toujours identique au virus de départ mais, encore une fois, c’est un phénomène normal.

Le virus a donc muté parce que c’est dans sa nature de muter… Vous dites en outre qu’il mute légèrement. Cela signifie-t-il que le virus actuel n’est pas plus virulent que celui qu’on avait au début de l’épidémie ?

Ça, on ne peut pas totalement le savoir. On sait que le coronavirus a muté au tout début de l’épidémie de telle façon à devenir probablement plus contagieux. Il a eu une mutation au niveau de sa protéine d’enveloppe, la « protéine Spike », qu’il utilise pour s’attacher aux cellules.

Mais pour les mutations actuelles, on ne peut pas encore savoir. Pour savoir si un virus est plus virulent ou moins virulent il faut vraiment faire des études poussées en laboratoire, il faut étudier le virus, le comprendre et regarder s’il est capable d’infecter de façon plus efficace des cellules ou des systèmes un peu plus complexes.

En outre, une mutation peut aller dans les deux sens : il ne faut pas croire qu’une mutation rend toujours le virus plus dangereux.

Certains scientifiques expliquent que le virus n’a pas muté, quand d’autres parlent d’une mutation qui rend peut-être le coronavirus plus agressif. Comment expliquer ces différences d’analyse ?

C’est peut-être une question d’appellation. Quand certains spécialistes expliquent que le virus n’a pas muté, ce qu’ils veulent dire, je pense, c’est que le virus n’a pas muté de telle sorte à devenir plus virulent ou moins virulent. Mais tous les spécialistes savent que les virus mutent.

Tout dépend de ce qu’on entend par « mutation ». Si ce sont des mutations « classiques » qu’on a l’habitude de voir avec les virus et que ça ne change pas la virulence du virus et son agressivité, ce n’est en effet pas un sujet en soi. Si en revanche on met en évidence un jour une mutation qui va changer la virulence du virus, là on va dire que le virus a muté pour devenir plus ou moins agressif.

Je pense donc que lorsque des spécialistes disent que « le virus ne mute pas », c’est davantage pour simplifier, pour dire : « on ne sait pas s’il est plus méchant ou moins méchant ». Et ça, on ne peut pas le savoir tant que l’on n’a pas fait d’études poussées en laboratoire.

La mutation de ce virus peut-elle entraver la recherche d’un vaccin ?

Les vaccins sont faits de telle façon à pouvoir cibler plusieurs souches d’un même virus. Dans la mesure où le coronavirus est un virus qui mute comme tous les autres virus et cela sans apporter de modifications très importantes à son génome, cela ne va pas en théorie changer l’efficacité du vaccin.

Là où l’on pourrait remettre en cause l’efficacité du vaccin, c’est s’il y avait de très importantes mutations qui changeraient considérablement le génome du virus et sa structure.

Actuellement, on n’a pas de raison de se dire que l’existence de plusieurs variants de coronavirus risque d’entraver l’efficacité future du vaccin. Ce ne sont pas des modifications suffisamment importantes pour que le vaccin ne marche pas.

Est-ce qu’on peut s’attendre, comme on a pu le lire, à ce que le coronavirus soit plus agressif en hiver ?

Que ce soit l’hiver ou l’été, le changement de saison ne modifie en rien le mécanisme de virulence propre d’un virus.

Par contre, on peut imaginer que lorsqu’il fait froid, le virus peut se conserver plus longtemps dans le milieu extérieur. Donc la transmission potentielle par des objets ou la présence du virus dans l’air risquent de durer plus longtemps.

En hiver, on a par ailleurs tendance à être moins à l’extérieur et plus à l’intérieur. On peut multiplier ainsi les risques de transmettre le virus. Notre système immunitaire est en outre plus affaibli. On est donc théoriquement plus exposé en hiver qu’en été sur les virus respiratoires. Mais cela n’est pas lié à la virulence même du virus. C’est plutôt lié à nous, à notre corps, notre comportement. Ce n’est pas le virus en lui-même qui est plus ou moins agressif.