dimanche 27 mai 2012

MYSTIC RIVER


Un film de Clint Eastwood


Je suis une inconditionelle…


Mystic River





Etats-Unis, 2003
De Clint Eastwood
Scénario : Brian Helgeland d’après le roman de Dennis Lehane
Avec Sean Penn, Kevin Bacon, Tim Robbins, Laurence Fishburne, Marcia Gay Harden, Laura Linney
Photo : Tom Stern
Musique : Clint Eastwood
Durée : 2h17
Sortie : 15 Octobre 2003



FESTIVAL DE CANNES 2003 - Jimmy, Sean et Dave sont trois amis d’enfance qui ne font désormais plus que se croiser. Lorsqu’ils étaient plus jeunes, Dave avait été kidnappé devant ses compagnons de jeu, puis violé pendant quatre jours, avant de s’échapper. Vingt-cinq ans plus tard, l’assassinat de la fille de Jimmy oblige les trois hommes à se retrouver.


ON ENTERRE NOS PECHES, ON NE LES EFFACE PAS









Nouvelle merveille signée Clint Eastwood et adaptée du roman éponyme de Dennis Lehane, Mystic River est une tragédie profondément américaine, s’interrogeant sur les marques que laisse un acte de violence sur sa victime et son environnement. Au premier plan, un meurtre; celui de Katie, la fille de Jimmy Markum – interprété par Sean Penn. Composant tout en finesse, Penn incarne parfaitement ce personnage torturé par une douleur intense, dont il est contraint d’accepter les conséquences. Alors qu’il essaye de l’apprivoiser, il se laisse consumer par un désir obsessionnel de vengeance qui ne sera assouvi qu’une fois qu’il aura trouvé et tué le coupable. Pour mener l’enquête: Sean Devine (Kevin Bacon qui signe une prestation sobre, intériorisée, remarquable et déconcertante), le seul des trois camarades à avoir quitté leur quartier d’enfance. Reconverti en inspecteur de police criminelle, sa vie se résume à aller d’un corps ensanglanté à un autre, tel un vampire monotone. En toile de fond, un viol; celui de Dave Boyle. Secret, renfermé, toujours sur la défensive, le trauma qu’il a subi dans son enfance l’a transformé en zombie errant. Jouant de son physique, Tim Robbins apporte une certaine humanité à ce personnage totalement anéanti. Ces trois protagonistes sont inévitablement liés par ces drames. Ils subissent chacun de leur côté une lente torture, sorte de maladie incurable révélée lors de l’enlèvement de Dave, et qui s’est étalée sur vingt-cinq longues années. Le passé qui les hante rattrape soudain le présent dans lequel ils se débattent pour se créer un avenir incertain. Comme dans Impitoyable, la fatalité dévastatrice guide les héros sur une voie sans retour. Se transformant en personnages "eastwoodiens" par excellence, ils doivent apprendre à composer avec les aléas de la vie, l’âge et leur entourage.
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Derrière ces trois fantômes humains, trois femmes s’activent dans l’ombre pour essayer de prendre part à leur existence, voire dans certains cas la diriger. Lauren Devine (Tory Davis) a quitté son mari et le harcèle jour et nuit par téléphone. Rarement présente physiquement - ni même oralement puisqu’elle reste inlassablement muette derrière le combiné - elle représente une agression morale pour Sean, le consumant peu à peu, le laissant en proie à tous les doutes et idées noires qui le rongent. Annabeth Markum et Celeste Boyle ont dans un premier temps une fonction de liant entre leurs deux maris. Cousines germaines issues d’une grande famille mafieuse, elles établissent un double lien entre les deux hommes qui ajoute une tension supplémentaire à leur relation. Annabeth Markum (surprenante Laura Linney) est un personnage à fort caractère. Fière, toujours sur ses gardes, elle a une influence primordiale sur son mari, allant jusqu’à prendre contrôle de la situation face à l’épuisement et l’égarement de Jimmy. Telle une Lady McBeth (à noter l’analogie des noms) elle l’élève au statut de roi dans un monologue final étourdissant. A l’opposé, Celeste Boyle, interprétée tout en nuance par la talentueuse Marcia Gay Harden, se voit submergée par les évènements. Face à un mari absent et énigmatique, avec lequel toute communication est impossible, elle est obligée de faire marcher son imagination, causant sans le vouloir la perte de celui qu’elle tente de protéger. Alors qu’elle n’a pas vécu, ni même eu connaissance, de l’épisode traumatique qui a volé la jeunesse de Dave, Jimmy et Sean, elle en est l’une des victimes au même titre qu’eux.


THERE ARE STORIES A RIVER CAN TELL




Gardienne de tous ces secrets, à la fois menaçante et accueillante, la Mystic River du titre coule en arrière plan de l’œuvre. Symbole de Boston, elle cache en elle toute la violence de cette ville, qui apparaît peu à peu comme un élément déterminant de l’intrigue. Le quartier d’enfance des trois hommes, dans lequel habitent toujours Dave Boyle et Jimmy Markum, est marqué dès le début du film par un esprit communautaire très fort. C’est un lieu qui a sa propre conscience, sa propre identité, ses propres lois, le tout conditionnant l’existence de ses habitants. Il devient un protagoniste à part entière, un microcosme oppressant qui joue un rôle significatif dans les rapports entre les trois anciens camarades. Dans cette optique, le personnage de Whitey Powers (Laurence Fishburne) se pose comme un observateur de cette communauté et des évènements qui la bouleversent. Policier noir américain débarqué en territoire irlandais dominé par la mafia, il représente l’étranger venu de nulle part pour dénouer une situation conflictuelle que l’on retrouve dans la plupart des films du réalisateur. C’est grâce à sa complicité subtile avec son partenaire Sean Devine qu’il parvient à accéder à ce monde fermé. Tout en restant objectif, il essaye de comprendre et de découvrir les secrets que cache cette Mystic River.


Pour compléter cette ambiance bostonienne véhiculée aussi bien par les rapports entre les personnages que par leur accent, Clint Eastwood a créé une certaine atmosphère de décadence, soulignant l’aspect dramatique et mystique de la situation. L’automne précoce de la Nouvelle-Angleterre avec ses chutes de feuilles, son froid glacial et ses pluies incessantes apportent à l’action ce climat particulier de décrépitude. Les robes légères de première communion laissent place aux lourds manteaux sombres d’hiver. Le climat suit l’intrigue, imprègne ses personnages. Les jours raccourcissent, ne laissant bientôt place qu’au crépuscule et à ses fantômes. Ce dernier point est accompagné par un travail très précis de Tom Stern (le chef opérateur) sur les éclairages. Alors que Sean Devine et Whitey Powers avancent dans leur enquête mettant à jour tous les secrets du quartier, la lumière s’assombrie. La nuit tombe sur un nouvel acte de violence, remettant en route le cercle inexorable du destin. Cette importance de la luminosité est un point récurrent dans la carrière de Clint Eastwood. Tous ses films sont chargés d’un jeu incessant avec les éclairages comme éléments constitutifs d’une ambiance particulière.


LE CLASSICISME DE LA NOUVEAUTE




Cette intrigue puissante à la texture complexe est merveilleusement accompagnée par une réalisation classique et épurée. Signant une mise en scène limpide, permettant de suivre le moindre rebondissement, Clint Eastwood pousse son art jusqu’à ses limites, sans jamais tomber dans le trop-plein de sentiments ou le surplus d’effets. En témoigne le dénouement de la sublime scène d’affrontement entre Dave Boyle et Jimmy Markum. Un éclat de lumière blanche pour résumer en un électrochoc tous les tenants et aboutissants du drame que viennent de vivre ces personnages. Il propose un travail d’une grande virtuosité sur la valeur des cadres et l’enchaînement des plans. Alors qu’il filme une histoire intime, il garde une certaine distance par rapport à ses sujets, jouant sur l’alternance entre proximité et éloignement. A de nombreuses reprises, il filme certaines scènes en prises de vues aériennes comme pour signifier un œil extérieur omniscient, un être suprême qui dirigerait le destin de tous ces individus. Une marque de réalisation caractéristique du cinéaste. S’étant contenté de rester derrière la caméra, le maître fait également preuve d’une direction d’acteurs irréprochable. Chaque réplique sonne juste, chaque mouvement est à sa place. Le tout est accompagné d’une sublime musique en totale adéquation avec le sujet, écrite et interprétée par Clint Eastwood lui-même et son fils Kyle. Une unité qui fait de Mystic River un réel chef d’œuvre, et sûrement l’un des meilleurs films du réalisateur.

Julie Anterrieu
 voir aussi mon autre blog  "les voyages d'eolis" sur     http://barbarajo.blog2be.net