«Je rends Narcisse Pelletier à son pays»
Inspiré d'une histoire vraie, le roman de François Garde se déroule au milieu du XIXe siècle. Il raconte l'aventure inouïe arrivée à Narcisse Pelletier, un jeune matelot vendéen, perdu pendant dix-sept ans sur île inexplorée australienne. Il a répondu à vos questions.
Noël. J'aimerais savoir comment vous avez rencontré Narcisse Pelletier ?François Garde. C'est à Nouméa que j'ai entendu parler de cette histoire, il y a une dizaine d'années. J'avais juste retenu l'essentiel, l'histoire d'un matelot oublié, et qui était devenu complètement étranger à sa culture d'origine. Cette histoire m'avait fasciné. Elle est restée dans un coin de ma tête, et est ressortie sous forme de livre. Je n'ai recherché des informations sur cette histoire qu'après avoir terminé la première version du manuscrit.
Colline. Par quel biais ? Les habitants ? Des ouvrages ?
F. G. Je crois me souvenir que c'est un article dans le journal local. L'histoire de Narcisse Pelletier est tès peu connue en France, sauf en Vendée. Par contre, elle est assez connue en Australie. Elle est considérée comme l'une des grandes histoires de destin maritime, comme les Révoltés du Bounty. Par contre, si l'on demande à des Australiens, un peu familier du monde maritine, ils citeront Narcisse Pelletier parmi les dix plus belles histoires des mers. Je m'aperçois qu'avec mon livre, je rend Narcisse Pelletier à son pays, et j'en suis bien content pour lui.
Prune. Avez-vous consulté les archives maritimes départementales pour savoir ce qui s'est vraiment passé à bord du Saint-Paul ?
F. G. Non, j'ai modifié les circonstances de l'abandon. Le véritable Saint-Paul avait fait naufrage. Les rescapés ont embarqué sur une chaloupe, passé plusieurs jours en mer, et comme Narcisse Pelletier avait été blessé dans un affrontement avec les indigènes d'une île de Micronésie, la chaloupe l'a délibérement abandonné en raison de ses blessures. Dans mon roman, Narcisse espère que le bateau va revenir, et cela change sa manière de réagir à l'abandon. Lui a de l'espoir, alors que le vrai Narcisse n'en a jamais eu.
Colline. Comment a-t-il été retrouvé et qui a décidé de le ramener en France ?
F. G. Il a été retrouvé par un bateau anglais qui s'appelle le John Bell. Les marins qui sont allés à terre se sont aperçus, comme dans le roman, qu'il y avait un blanc au milieu des sauvages. Ils l'ont capturé de force, et l'ont emmené d'abord à un petit poste militaire à l'extrême nord-est de l'Australie. Là, le vrai Narcisse a essayé de s'échapper. Il a été attrapé, emmené à Sydney, et confié au consul de France, qui a organisé son retour en France. Ils l'ont ramené parce que la présence d'un blanc dans une tribu sauvage était insupportable dans les représentations mentales du XIX siècle où régnait la certitude d'une hiérarchie des races.
Votre pseudo. Votre histoire est fantastique et mérite le détour, on remarque l'authenticité des faits relatés et nous plonge dans des abîmes enivrants.
Bernard. Bonjour, pas de questions mais des impressions. Une histoire étonnante, une très belle écriture, un attachement pour chacun des personnages. C'est selon moi le livre de ce début d'année. Un grand merci à François Garde pour ce grand moment de lecture.
F. G. Merci pour les compliments qui me font très plaisir. Je ne suis pas sûr que le fait que l'histoire soit vraie soit important. Je n'aurais jamais osé, sans doute, imaginer cette histoire, mais l'ayant connue, je me suis autorisé toutes les libertés de l'écrivain pour en faire ma création.
Colline. Existe-t-il des écrits sur sa réadaptation et sa «re-socialisation» au monde occidental ?
F. G. Hélas, Octave de Vallombreu – ce scientifique qui s'intéresse à Narcisse et réfléchit à son retour au monde civilisé – n'a jamais existé. Le vrai Narcisse n'a suscité aucun intérêt de cet ordre. Un érudit local lui a fait raconter son aventure, pour en tirer un petit livret qui a été vendu pour lui constituer un pécule. Le vrai Narcisse Pelletier a refusé la proposition d'un cirque qui voulait l'exhiber comme cela se faisait à l'époque. Les outils scientifiques qui auraient permis de comprendre en profondeur l'histoire de Narcisse n'ont été forgés qu'au début du XXe siècle, notamment, et ce n'est pas un hasard, dans le Pacifique, avec les grands noms de l'anthropologie.
Geneviève. Savez-vous s'il existe une réédition de «Chez les sauvages» de Narcisse Pelletier ?F. G. Je ne sais pas. Je n'ai pas souhaité la lire.
Colline. Mais on ne sait pas comment Narcisse Pelletier a fini sa vie ? C'est vraiment une histoire étonnante et je vais m'empresser d'aller acquérir votre ouvrage cet après-midi!
F. G. Le vrai Narcisse Pelletier, à son retour, on lui a trouvé par charité un emploi de gardien de phare, à Saint Nazaire. Il est mort à cinquante ans.
Hanna. Votre roman se situe au XIXe siècle. Pourquoi avez-vous choisi des tragédies de Racine parmi les lectures faites par Vallombrun à Amglo (Narcisse) ?
F. G. Parce que la langue de Racine est un modèle indépassable d'élégance et de classicisme. A choisir un livre, pour la sonorité du français, j'ai mis dans la bibliothèque du gouverneur ce qui me semblait un idéal de perfection de la langue française.
Bernard. Pendant la lecture du livre, je n'ai pu m'empêcher de penser à «l'Enfant sauvage» de François Truffaut, inspiré aussi d'une histoire vraie. C'est pour moi le choc des cultures; le moment ou l'on bascule d'un côté ou de l'autre : troublant non ?
F. G. Oui, à la différence radicale que l'Enfant sauvage a été, semble-t-il, élevé par des loups, et que Narcisse a été adopté par des êtres humains! L'Enfant sauvage de l'Aveyron est un cas unique, où aucune culture n'existait. Narcisse, lui, n'est pas confronté à l'absence de culture, mais a une culture qui lui est fondamentalement étrangère. D'autant plus que Narcisse a fait deux fois ce voyage, puisqu'il était de son temps et de son monde occidental. Il a fallu qu'il le désaprenne pour pouvoir survivre comme aborigène, et faire ensuite, dix-huit ans plus tard, le voyage du retour.
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Papa, maman, je ne suis pas mort, je suis vivant ». Ce 13 juillet 1875, les parents de Narcisse Pelletier ont du mal à croire la lettre qu'ils viennent de lire. Elle est pourtant signée de leur fils, porté disparu en mer. Problème : c'était il y a dix-sept ans ! Narcisse Pelletier avait alors 14 ans. Il en a désormais 31 et tout le littoral vendéen attend désormais le retour de l'enfant miraculé...
Les Ohantaalas
Tout commence il y a 150 ans, le 6 août 1858 au départ du trois-mâts le Saint-Paul. Vingt hommes composent l'équipage, dont le mousse Narcisse Pelletier de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Le bateau fait escale à Hong Kong puis repart avec des travailleurs chinois, qui comptent travailler dans les mines australiennes. Au Nord-Est de l'Australie, le bateau heurte un récif et se brise sur l'île Rossel. Une chaloupe parviendra à atteindre le Cap Flattery mais, sur place, il n'y a, a priori pas de quoi survivre. Ils repartent sans le jeune Narcisse Pelletier, jugé trop faible pour tenir. Laissé à son triste sort sur le rivage, il attire l'attention des autochtones, la tribu des Ohantaalas. Ceux-là l'adoptent et l'histoire rapporte que Narcisse se maria avec la fille du chef.
Une grande fête
Dix-sept printemps plus tard, le 11 avril 1875, le bâtiment anglais le John Bell mouille dans les parages. Des membres de l'équipage s'aperçoivent qu'un blanc vit dans la tribu des Ohantaalas. Ils le kidnappent et le conduisent en Australie. On lui réapprend à parler et à écrire. Pris en charge par le consul de France, Narcisse Pelletier retrouve Saint-Gilles-Croix-de-Vie le 2 janvier 1876. « Il y a une grande fête au petit pays pour accueillir le revenant », écrit, cette année-là, l'auteur Malex Bernard. « Toute la population, précédée du vieux recteur qui, il y a trente ans, baptisait Narcisse, accompagne la maman à la rencontre de celui qu'elle a tant pleuré, tout en l'espérant toujours vivant ».
« Un cri à donner le frisson »
A Saint-Nazaire, Narcisse Pelletier refait sa vie à Port-Charlotte, une petite baie verdoyante, creusée sur la côte. Il se marie avec Louise Mabileau, mais le couple n'aura pas d'enfants. Spécialiste dans la manoeuvre de la « touline », sorte de filin que l'on jette de la terre ferme à l'équipage d'un navire, il travaille au feu de l'Aiguillon. « Il ne fallait surtout pas l'appeler le sauvage », raconte un vieux Nazairien.
« Cet homme sobre, bon garçon, un peu taciturne, avec un grand regard noir, perçant, était facilement irritable et tous ceux qui avaient affaire à lui pour le service le craignaient ». Il témoignait de sa notoriété par un petit cri à donner le frisson. Un jour, quelqu'un fit allusion aux moeurs anthropophages en sa présence. Narcisse se contenta d'un sourire en découvrant « une dentition digne d'un carnassier. Chacun conclut que l'ex-gendre du chef indien avait certainement mangé de la viande humaine ». Il ne démentit jamais cette assertion.
Nul doute que depuis son phare, Narcisse scruta longuement la mer, pensant avec nostalgie à sa famille adoptive à laquelle on l'avait arraché. il mourut le 26 septembre 1894 à son domicile au n°20, Grand'rue de Saint-Nazaire. Il avait 50 ans. Son épouse, qui se remaria, décéda dans les années 1950.
Les Ohantaalas
Tout commence il y a 150 ans, le 6 août 1858 au départ du trois-mâts le Saint-Paul. Vingt hommes composent l'équipage, dont le mousse Narcisse Pelletier de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Le bateau fait escale à Hong Kong puis repart avec des travailleurs chinois, qui comptent travailler dans les mines australiennes. Au Nord-Est de l'Australie, le bateau heurte un récif et se brise sur l'île Rossel. Une chaloupe parviendra à atteindre le Cap Flattery mais, sur place, il n'y a, a priori pas de quoi survivre. Ils repartent sans le jeune Narcisse Pelletier, jugé trop faible pour tenir. Laissé à son triste sort sur le rivage, il attire l'attention des autochtones, la tribu des Ohantaalas. Ceux-là l'adoptent et l'histoire rapporte que Narcisse se maria avec la fille du chef.
Une grande fête
Dix-sept printemps plus tard, le 11 avril 1875, le bâtiment anglais le John Bell mouille dans les parages. Des membres de l'équipage s'aperçoivent qu'un blanc vit dans la tribu des Ohantaalas. Ils le kidnappent et le conduisent en Australie. On lui réapprend à parler et à écrire. Pris en charge par le consul de France, Narcisse Pelletier retrouve Saint-Gilles-Croix-de-Vie le 2 janvier 1876. « Il y a une grande fête au petit pays pour accueillir le revenant », écrit, cette année-là, l'auteur Malex Bernard. « Toute la population, précédée du vieux recteur qui, il y a trente ans, baptisait Narcisse, accompagne la maman à la rencontre de celui qu'elle a tant pleuré, tout en l'espérant toujours vivant ».
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« Cet homme sobre, bon garçon, un peu taciturne, avec un grand regard noir, perçant, était facilement irritable et tous ceux qui avaient affaire à lui pour le service le craignaient ». Il témoignait de sa notoriété par un petit cri à donner le frisson. Un jour, quelqu'un fit allusion aux moeurs anthropophages en sa présence. Narcisse se contenta d'un sourire en découvrant « une dentition digne d'un carnassier. Chacun conclut que l'ex-gendre du chef indien avait certainement mangé de la viande humaine ». Il ne démentit jamais cette assertion.
Nul doute que depuis son phare, Narcisse scruta longuement la mer, pensant avec nostalgie à sa famille adoptive à laquelle on l'avait arraché. il mourut le 26 septembre 1894 à son domicile au n°20, Grand'rue de Saint-Nazaire. Il avait 50 ans. Son épouse, qui se remaria, décéda dans les années 1950.