Notre-Dame-de-la-Clarté (en breton : Itron Varia ar Sklaerder) est le nom donné à une chapelle dédiée à la Vierge Marie, située dans le bourg de La Clarté sur la commune de Perros-Guirec en Côtes-d'Armor (Bretagne)
La légende/la chapelle
Une légende costarmoricaine
du XVe siècle, dont personne ne soutiendrait
aujourd'hui l'absolue véracité, raconte qu'un certain seigneur de Barac'h, en Louannec,
faillit s'échouer avec son escadre près des Sept-Îles. La brume était si épaisse que
la mort des marins semblait inéluctable. Tous, à genoux, firent un vœu à Notre-Dame
: le commandant lui élèverait une chapelle si elle opérait une trouée
salvatrice dans le brouillard. Le miracle eut lieu et le seigneur de Barac'h
fit édifier la Chapelle de Notre-Dame de la Clarté.
Beaucoup plus tard, en août 1944,
les troupes américaines avaient projeté de bombarder Mez Gouez, un camp
retranché à 200 mètres de la chapelle. En représailles, les 600 Allemands
pointant leurs canons sur Perros menaçaient de bombarder la ville. Les 7, 8 et 9 août, la
brume couvrit Perros-Guirec empêchant les destructions. Le 10 août,
les Allemands se rendaient sans opposer de résistance.
La question du fondateur
La tradition locale a toujours
maintenu que la construction de la chapelle fut ordonnée en 1445 par Pierre de
Tournemine, sieur de Barac'h, d'origine anglaise. Les Tournemine de Barac'h
étaient-ils de la famille de l'évêque de Tréguier,
Geoffroy de Tournemine, qui nomma saint Yves recteur de Louannec en 1293 ?
La voûte restaurée et la tribune ornée des deux bannières de
N.-D. de la Clarté.
Toujours est-il qu'un des leurs,
Édouard, vicomte de Pléhérel, eut dans sa descendance des barons de La Hunaudaye
qui s'allièrent aux Chateaubriand et aux du Guesclin.
Sa dernière héritière, Geneviève de Coskaër épousera Louis Le Peletier, président à mortier du Parlement de Paris.
Cependant, en 1627, deux témoins
chargés de constater les droits de la famille Coskaër sur la chapelle, Jean Loz
de Coatgourhant et Dom Yvon Pezron affirment que les armoiries du fondateur
figurent en la maistraisse viltre de la chapelle ainsi que son écusson
en bosse au hault du pignon du Levant. Or, armoiries et écusson sont ceux
de Roland IV de Coëtmen, parti en croisade en 1458.
On peut donc affirmer, avec les archives départementales des Côtes
d'Armor, que Roland IV, fondateur de la collégiale de Tonquédec
et seigneur de Ker Uzec en Pleumeur-Bodou fut aussi le fondateur de la chapelle
de la Clarté. A sa mort survenue à Rhodes vers 1470, son bien passa aux Coskaër de Rosanbo, dont une
des descendantes fut Aline, comtesse de Combourg, la
belle-sœur de François-René de Chateaubriand[1].
L'extérieur
Notre-Dame-de-la-Clarté appartient
au style flamboyant breton. On remarque d'emblée
certaines irrégularités qui contribuent à son originalité sans nuire à
l'harmonie : un seul transept méridional ; une tour carrée surmontée d'un clocher
ajouré en granit
rose qui semble ne pas faire corps avec l'ensemble architectural. L'église est
entourée d'un enclos comportant, en son centre, un socle de
granit du XVIIe siècle
orné d'un tronc en bois ferré pour les offrandes. Plus loin, une croix érigée
par Mre Guillaume Salaün qui la fit ériger en 1630[2].
Le linteau du porche est remarquable. On ne peut trouver
plus chargé de symbole que cette Annonciation
faisant face à une Pietà, comme un rappel de la prédiction du vieillard Syméon : «
Toi-même, une épée te transpercera l'âme ! »[3] On peut voir aussi, autour d'une
fenêtre à meneaux,
l'inscription « Le Carro », des armoiries devenues illisibles et, plus haut, une Vierge-Mère.
L'intérieur
Le porche
Dallé de plaques de schiste de Brélévenez,
voûté de deux travées d'ogives, flanqué, selon la tradition, de deux
bancs de délibération en pierre, le porche vaut, avant tout, par sa statuaire du XVIIe siècle en bois polychrome
:
Le Christ en croix, statue de saint Yves et l'une des
stations du chemin de croix
- Sainte Anne, consacrée officiellement patronne des Bretons, le 26 juillet 1914, apprend à lire et à prier dans une Bible à Marie, sa fille.
- Les quatre évangélistes
- Saint Matthieu en homme ailé, symbole de la naissance
- Saint Marc, accompagné d'un lion, de la résurrection
- Saint Luc et son bœuf, de l'immolation
- Saint Jean en aigle, de l'Ascension
- Saint Jean-Baptiste portant une brebis
- Saint Pierre, la clef à la main
- La Vierge et l'Annonciation
- L'ange tenant en main le sceptre du pouvoir
- Saint Paul armé de l'épée avec laquelle on le décapitera
La nef et le bas-côté septentrional
Les anciennes descriptions font
état d'un jubé
du XVe siècle, détruit comme la plupart des
jubés bretons au XVIIe siècle,
sous le prétexte qu'ils empêchaient les fidèles de voir l'officiant. De la même
façon, la chaire a aujourd'hui disparu. Elle faisait
face au Christ en Croix du XVe siècle.
À l'entrée, un bénitier
du XVe siècle classé aux Monuments historiques, le 30 mars 1904, est orné de têtes
de Turcs ou de Maures, faisant
mémoire de la Prise de Constantinople en 1453. En bas, au
centre, une tête de lion rappelle la miséricorde.
À droite, un lapin, signe de la fertilité.
Au sol, sous le bénitier, une pierre sculptée représentant une croix, un calice
et un ciboire
marque l'emplacement de la tombe du chanoine Gouronnec, curé de
Perros-Guirec enterré sous le porche en 1939, initiateur de restaurations
importantes.
Le grave incendie du 7 janvier 1995 a causé de
multiples dégâts et exigé des réfections importantes, dont la voûte qui
s'effondre le 26
mai 2000.
Restaurée en 2006, elle est de bois, en forme de carène
renversée. À dominante jaune, rehaussée de motifs récurrents, elle est éclairée
par des luminaires
contemporains discrets, ce qui présente l'avantage de clarifier l'ensemble.
Parmi les nombreux ex-votos, on peut
remarquer, outre les plaques traditionnelles de marbre, de granit rose ou gris,
des maquettes
de bateaux, témoignages de dangers surmontés par leur capitaine et leurs marins
: un brick d'un certain L'Hériment, inscrit à
l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1994, un paquebot
inscrit en 1983, un wandera[4],
un yacht à vapeur,
un thonier et
un trois-mâts barque.
Le transept droit
Le fondateur en est Yvon de Lannion,
lieutenant général de l'amirauté du duc
de Bretagne. Briand II fut un compagnon fidèle de Bertrand du Guesclin. Après que les Anglais
eurent ravagé le Léon
et le Trégor,
en 1375, Charles V dédommagea la famille en
l'anoblissant. En 1445,
date de l'édification de la chapelle, Yvon est chevalier,
sieur de Cruguil par un mariage qu'a contracté Briand avec Marguerite de
Cruguil. Au moment de la réfection de la voûte au XXe siècle, on a découvert un papier caché
selon lequel les travaux auraient été exécutés grâce à la gabelle.
Le mobilier
- La statuaire, malgré sa variété, est remarquable et ne brise pas l'harmonie de l'ensemble. On remarque notamment, dans la partie principale, un Saint-Fiacre reconnaissable à sa bêche ;
Mgr Georges Gilson, Archevêque émérite de Sens-Auxerre,
Prélat émérite de la mission de France, pardonneur à La Clarté en 2009.
une Sainte-Anne
en bois peint, du XXe
siècle, oeuvre d'un couple d'artistes du Finistère et un Saint-Yves
entre le riche et le pauvre, représentation assez conventionnelle du
mondialement célèbre Yves Hélory de Kermartin. Dans le transept droit,
on remarque un Saint-Samson revêtu de ses ornements épiscopaux de l'abbaye de
Dol de Bretagne, un Saint-Nicolas,
patron des matelots, un Saint-Julien-l'Hospitalier
qui n'exista probablement jamais, mais auquel Gustave Flaubert
s'intéressa tout particulièrement dans ses Trois
Contes[5], un Saint-Hervé, le Finistérien de Plouzévédé,
protecteur de la volaille contre les renards, et des fidèles contre le démon et
enfin un Saint-Tugdual, pape du VIe siècle, vénéré à
Tréguier et à Laval.
- Le retable du XVIIe siècle, dont la construction a commencé le 4 juillet 1767,est ainsi décrit sur l'acte de commande : « (un autel retable et un tabernacle surmonté d')une niche en bois non vicié afin d'y placer l'image de la sainte Vierge de Notre-Dame de la Clarté au milieu de l'autel, avec, sur le côté droit de la dite niche une pareille figure que celle du côté gauche ». La statue de la Vierge, du XVIe siècle a été classée en 1999.
- Les vitraux, du XXe siècle sont de l'atelier de Sainte-Marie de Quintin. On remarquera surtout la grande maîtresse-vitre.
Le Chemin de croix
Œuvre du célèbre Maurice
Denis (1870-1943), les quatorze
tableaux du Chemin de Croix ont été réalisés par le « Nabi
aux belles icônes », dans sa propriété de « Silencio » achetée en 1891 à Trestrignel[6].
C'est après la fondation des Ateliers d'art sacré, en 1919, que devenu le
théoricien du groupe, Maurice Denis travaille sur son Chemin de Croix.
Yvonne Jouan rapporte ainsi le
commentaire d'un spécialiste qu'elle omet d'identifier :
Les quatorze tableaux se
développent presque unanimement dans des tonalités claires, sinon pastel. On y
retrouve l'essentiel de ses conceptions, décorateur et peintre chrétien, dans
un curieux mélange de notations historicistes (les costumes des légionnaires
romains) et d'orientalisme (les remparts et les ruelles de Jérusalem)[7]
Protection et sauvegarde
Notre-Dame-de-la-Clarté (et le mur
entourant le cimetière attenant) fait l'objet d'un classement au titre
des monuments historiques depuis le 30 mars 1904[8].
Cette protection est modifiée par décret du 28 mai 1915.
Le Pardon
Historique
Le pardon de Notre-Dame de la
Clarté en Perros-Guirec correspond chronologiquement à deux réalités
concomitantes du XVe siècle : la
construction de la chapelle et l'instauration, comme dans toute la Bretagne,
d'une cérémonie religieuse appelée communément « pardon » en français. En
effet, à partir du XVe siècle, la
noblesse bretonne construit des églises. Les pèlerins se réunissent alors en
foule pour obtenir le pardon de leurs péchés.
Donc, dès l'origine, il s'agit
bien, à Perros comme ailleurs, d'un culte pénitentiel
et non d'une simple fête mariale. Cependant, suite aux événements d'août 1944,
imputés à l'intercession miraculeuse de la Reine de
la Paix, Notre-Dame de la Clarté fut couronnée,
et le Pardon prit une autre dimension.
Le Tantad
Traditionnellement, le pardon
commence le 14 août vers 21 heures, dans la chapelle, par une veillée de prière
où se mêlent cantiques,
lectures, sermon, et parfois scènes mimées. Depuis
quelques années, l'ensemble des cérémonies est axée sur un thème, le plus souvent
moral et religieux. C'est souvent l'occasion pour les fidèles de prendre
contact avec le principal officiant, appelé « pardonneur », soit l'évêque du
lieu, soit un évêque invité.
À l'issue de la cérémonie, la foule
se rend en procession, avec croix, statues et bannières,
sur le tertre où après la lecture d'un passage de l'évangile,
commenté au cours d'un prêche, le « pardonneur » se rend au milieu du plateau, pour
mettre le feu à un amas d'ajoncs disposés en cône. C'est le « tantad »,
l'équivalent du feu de la Saint-Jean très apprécié de la foule
par les belles nuits d'été. Puis quelques fidèles regagnent la chapelle en
procession après le chant du Salve Regina pour assister à la messe de vigiles.
La grand-messe et la procession
La messe
épiscopale du 15 août est le moment le plus solennel du pardon de
Notre-Dame de la Clarté. Tous les prêtres de la région sont conviés à la concélébrer
autour de l'évêque « pardonneur ». La cérémonie commence par une procession de
la chapelle au podium dressé sur le tertre qui domine la mer. Chaque paroisse (ou
relais paroissial) porte la statue de son saint
patron, son reliquaire ou ses ex-votos, en costumes traditionnels
bretons, précédés ou suivis des bannières.
La statue de Notre-Dame de la Clarté couronnée et le cortège des prêtres et de
l'officiant clôt la procession. D'emblée, les touristes néophytes sont surtout
attirés par les costumes noirs des femmes mariées et blancs des jeunes filles.
La grand-messe revêt une solennité que les organisateurs entendent donner à
l'événement. Elle est célébrée en français, très peu en breton
pour les cantiques,
et souvent, pour honorer les hôtes étrangers de passage, en quelques mots de
langues étrangères.
Bannière dessinée par Maurice Denis et qui porte le vœu du
seigneur de Barac'h : « Notre-Dame de la Clarté, Priez pour nous. Sauvez-nous.
Ave Maria 1924 ».
L'après-midi, la foule se presse à
nouveau sur le tertre
pour la procession et la récitation du chapelet. L'ordre des processionnaires est quasi immuable. Le Trévou-Tréguignec ouvre la marche suivi de Trélévern.
Vient ensuite Louannec
avec les reliques
de saint Yves, puis Pleumeur-Bodou,
Trébeurden,
Trégastel,
Kermaria-Sulard,
Perros
et Notre-Dame de la Clarté. On y récite cinq dizaines de chapelet, entrecoupés de cantiques.
Traditionnellement, les trois derniers « Ave Maria »
de chaque dizaine sont dits en breton. La procession se termine sur la place de
la chapelle par un Salut au Saint-Sacrement célébré devant les
porteurs de bannières rangés en demi-cercle. Le pardon se termine par les
remerciements du recteur au pardonneur, la bénédiction
des enfants et le chant breton traditionnel Kantig ar Bugel d'ar Werc'hez
(« Cantique de l'Enfant à la Vierge ») qui alterne avec le Cantique du
couronnement, en langue française.
Le pardon en 2010
Le « pardonneur », Monseigneur Lucien
Fruchaud[9], évêque du
Diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier
depuis le 8 juin
1992, a présidé la
messe solennelle, la célébration mariale et la procession.
Notons en outre, cette année
encore, la présence habituelle à toutes les cérémonies, depuis vingt ans, de l'écrivain
Bernard Bonnejean[10].
Le pardon en 2011
Notes et références
-
François-René de Chateaubriand, Les Mémoires d'Outre-Tombe, X, 8.
-
Archives départementales des Côtes d'Armor (E 1483).
-
Matthieu, 2, 35.
-
Description du wandera [archive]
-
Édition originale : Paris, G. Charpentier, Éditeur, 1877. Un cœur simple,
La légende de Saint-Julien l'hospitalier, Hérodias.
-
Avec Trestraou, l'une des deux grandes plages de Perros-Guirec
-
JOUAN, Yvonne, op.cit. infra, pp. 55-56.
- Ministère de la Culture, base
Mérimée, « Notice no PA00089380 [archive] » sur www.culture.gouv.fr [archive].
-
Annonce de la
renonciation au Pape [archive]. Un ouvrage collectif intitulé À cause de
Jésus et de l'Évangile, phrase tirée de l'Évangile de Marc qui sert de
devise à Mgr Fruchaud, édité par l'association diocésaine de Saint-Brieuc
et Tréguier, a été tiré à 4 000 exemplaires pour rendre hommage à l'évêque
-
Les liens du Mayennais Bernard
Bonnejean avec les Côtes d'Armor sont très étroits. Il les a
traduits notamment dans le chapitre III de Clio et ses poètes (éd.
du Cerf, 2006, pp. 149-167), « Du règne de Satan à la victoire de Dieu. Renan, l'Antéchrist,
corrupteur de la France », où il relate, non sans humour, l'« affaire Renan » à
Tréguier (l'inauguration de la statue, place du Martrais, et la revanche
du parti catholique avec l'érection du "Calvaire de
protestation")