vendredi 22 mai 2015

JAMES COOK




 
James Cook, l’insatiable
 
 
 
Nous sommes le 13 février 1779 sur une plage de sable blanc de la plus grande des îles Sandwich. Une noix vient d’éclater un crabe des cocotiers à nos pieds. James Cook retire sa veste d’apparat de capitaine de vaisseau et reprend le fil de son histoire…
 
Voyage CookLe HMS Resolution et le HMS Adventure en baie de Matavai sur la côte Nord de Tahiti (peinture de William Hodges)
 
James Cook : Où en étions-nous ?
 
 Nous venions d’achever votre premier périple à bord de l’Endeavour…


James Cook :
 
 Yes ! Alors la Royal Society ne tarde pas à me proposer une autre expédition pour compléter la découverte de l’hémisphère austral. Cette fois-ci, avec plus de moyens puisque nous partions à deux navires. Encore fallait-il choisir les mieux adaptés. J’avais préconisé des bâtiments du même type que l’Endeavour. Comme mes vues coïncidaient avec celles de lord Sandwich, très impliqué dans le projet, l’Amirauté décida d’acheter et de rebaptiser le HMS Resolution jaugeant 462 tonnes, et l’HMS Adventure annonçant lui, 336 tonnes. Je prenais le commandement du premier. Le second étant confié à Tobias Furneaux, un ancien lieutenant du capitaine Samuel Wallis. Après plusieurs mois de préparatifs, nous avons quitté Plymouth fin juin 1772, accompagnés de scientifiques et du peintre paysagiste William Hodges. Embarquant les meilleurs instruments de navigation tel le chronomètre de Kendall, de la nourriture adaptée aux longs périples, un matériel de réparation conséquent. Et tout le saint-frusquin comme des munitions et des marchandises destinées aux échanges avec les naturels contre des vivres, ou pour simplement gagner leur estime.
 
James CookPortrait de James Cook réalisé par John Webber, embarqué sur l’HMS Resolution lors du troisième voyage
 
 
 Quelle était votre mission cette fois-ci ?


J.C. : Je reçus mes instructions le 25 juin. Elles me demandaient de rallier Madère avant de continuer ensuite jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Ceci pour rafraîchir les équipages avant de plonger vers le Sud pour chercher le cap Circoncision découvert il y a une trentaine d’année par le Français Charles Bouvet de Lozier. Le but était de savoir si ce cap faisait partie de la Terra Australis ou s’il n’était qu’un simple bout de caillou. Dans ce cas, je devais le visiter et faire route dans le Sud aussi longtemps qu’il y aurait quelque chance de rencontrer le continent. Si oui, j’avais à me maintenir dans de hautes latitudes et poursuivre mes découvertes aussi près du pôle Sud jusqu’à ce que j’aie accompli la circumnavigation du globe.


Le cap Circoncision était la pointe d’un continent ?
J.C. : Nos observations ont coupé court à cette idée. Nous étions début janvier. Ce qu’avait découvert Bouvet n’était autre chose que des montagnes environnées de bancs de glace flottants. Par la suite, notre progression s’est déroulée vers l’Est dans un froid intense et humide. Les rations de boissons fortes, des braies, des jaquettes magellaniques ainsi que des chausses de drap Fearnought réchauffaient nos marins. Outre quelques forts coups de vent, nous étions la plupart du temps dans le brouillard. Le pis était que depuis des semaines la glace adhérait si bien aux agrès, voiles et poulies qu’on ne pouvait les manier sans de vives douleurs. Nos matelots surmontèrent cependant ces difficultés avec fermeté et persévérance. C’est aussi dans cette brume épaisse que nous avons perdu contact avec l’Adventure, le 7 février 1773, malgré les nombreux coups de pierrier-de-quatre pour qu’il nous entende et nous positionne

Votre route dans ces contrées glacées se termine comment ?
J.C. : Vers le 18 mars, je mis le cap au Nord, ayant décidé de quitter les hautes latitudes méridionales et de cingler vers la Nouvelle-Zélande afin de retrouver Furneaux et de reposer mes hommes. Dix jours plus tard, nous mouillâmes dans la baie de Pickersgill (nom d’un des lieutenants de James Cook, ndlr.) Nous avons aperçu quelques naturels mais ces derniers ne semblaient pas s’intéresser à nous malgré les brimborions que nous essayâmes de leur offrir. Nous n’avons eu par la suite que très peu de contacts réels. En bordure de la mer, toutes les terres sont couvertes de bois épais propres à construire des navires. Alors que la flore n’offre guère de fruits comestibles, en revanche, la faune y est abondante. Comme différentes espèces de canards dont une semblable à la sarcelle. La petite mouche noire des sables, une vraie plaie, demeurant l’animal le plus malfaisant de ces contrées. Un peu de lait de coco ?
 
île de PâquesCarte de l’île de Pâques réalisée par l’expédition de La Pérouse. Elle tient son nom du navigateur hollandais Jakob Roggeven qui y accosta le dimanche de Pâques 1722.
 

Oui, merci. Vous avez retrouvé l’Adventure ?
J.C. : Effectivement. Le 18 mai, alors que nous étions au travers du canal de la Reine-Charlotte. Il était là depuis six semaines. Nous avons enfin pu continuer notre périple de conserve le 7 du mois suivant. Nos routes, malheureusement, se sont à nouveau séparées vers la fin novembre après une tempête. Pour ma part, l’option était de progresser jusqu’à la longitude de 140 à 150° Ouest, et si aucune terre n’était découverte, de continuer vers Tahiti avant un retour vers la Nouvelle-Zélande. C’est ce qu’il advint. Nous sommes restés quelques temps dans l’archipel de la Société (nom donné par James Cook en hommage à la Royal Society de Londres, ndlr.) Soignant les malades du scorbut dans un premier temps, et surtout visitant les nombreux îlots et leurs populations. Nous sommes même allés jusqu’aux îles de l’Amitié (les Tonga de nos jours, ndlr.) avant de rejoindre à nouveau la Nouvelle-Zélande le 21 octobre.
 
 Le retour vers l’Angleterre s’annonçait ?
J.C. : Loin de là ! Nous avons continué notre recherche du continent méridional. Louvoyant parmi d’immenses îles de glace. Certaines dépassaient la portée du regard. Il fallait plus de deux yeux pour voir leur longueur ! Je ne crois pas qu’on ait vu dans les mers du Groenland de montagnes semblables. Je n’ai rien lu, ni entendu dire de tel. Notre progression vers le Sud devenait périlleuse. Nous fîmes route vers l’île Davis ou île de Pâques. Les indigènes sur place, peu nombreux, ressemblent étrangement à ceux des îles plus occidentales. C’est d’ailleurs extraordinaire que la même race se soit répandue sur ce vaste océan faisant près d’un quart de la circonférence du globe. Nous ne connaissons pas leur religion. Là-bas, pas de Trinité ! Les gigantesques statues de pierre grise que les naturels appellent Moï, si souvent mentionnées, ne sont pas des idoles mais semblent plutôt des sépultures. Le travail en est grossier mais les visages ne sont pas mal indiqués. En particulier le nez et le menton, les oreilles quant à elles étant d’une longueur démesurée.
 
Moaï de PâquesLes Moaïs de l’île de Pâques demeurent toujours un mystère quant à leur signification…
 
Voilesetvoiliers.com : Le diable est dans les détails ! Et ensuite ?
J.C. : Après le passage aux îles Marquises, découvertes par Álvaro de Mendaña en 1595 si ma mémoire est bonne, nous avons tracé la route vers la haute terre de Tahiti atteinte le 21 avril. L’accueil fut chaleureux, et les échanges, surtout pour l’équipage, des plus généreux comme je vous le laisse imaginer… Là-bas, une chemise a autant de pouvoir qu’une pièce d’or en Angleterre. Peu de vols à signaler. Le seul pris sur le fait à l’aiguade, reçu deux douzaines de coups de queue-de-chat avec l’assentiment des chefs coutumiers... Je décidais de rester quelques temps pour radouber le bâtiment, le calfater et réparer les agrès si sollicités dans le Sud. Et pour faire le plein de vivres avant de rallier les îles de l’Amitié, puis l’île de Mallicolo au sein des îlots des Nouvelles Hébrides que nous abordâmes en août.
 
Voilesetvoiliers.com : Votre voyage est aussi ethnographique. Les peuplades rencontrées se ressemblent-elles ?
J.C. : A peu près. En revanche, lors de notre découverte de la Nouvelle Calédonie, nous avons rencontré des indigènes particuliers. Plus robustes. J’en ai remarqué quelques uns qui avaient les lèvres épaisses et le nez épaté, des joues pleines et jusqu’à un certain point les traits et l’aspect des nègres. Si j’avais à donner mon opinion sur l’origine de ce peuple, je le considérerais comme une race intermédiaire entre les habitants de Tanna et les Néo-Zélandais ; ou encore un mélange des trois. Leur caractère, en revanche, les surpasse en aménité et en probité.
 
Port RésolutionEntrée de la baie de Port Résolution, découverte par le capitaine James Cook à l’extrémité Sud-Est de Tanna, dans l’archipel des Vanuatu (gravure de Campbell)
 
Le retour en Angleterre a lieu quand ?
J.C. : Nous avons mouillé à Spithead le 29 juillet 1775 après un passage par le cap Horn. L’Adventure était là depuis un an. Furneaux était rentré par le cap de Bonne-Espérance. Comme je l’ai appris plus tard, dix de ses hommes avaient été massacrés en Nouvelle-Zélande
.
 
Charles ClerkePortrait du capitaine Charles Clerke réalisé par Nathaniel Dance.
 
 Encore une fois, votre soif de découverte prend le dessus ?
J.C. : J’avais été nommé Captain et la Royal Society, après m’avoir décerné la médaille Copley, m’avait accordé une retraite honoraire en tant qu’officier au Greenwich Hospital. Malgré tous ces honneurs, la mer me manquait. Me voilà donc à la tête de cette nouvelle aventure. Toujours avec mon fier HMS Resolution, avec comme maître d’équipage Willian Bligh (rendu célèbre plus tard par la mutinerie de la  Bounty, ndlr.). Cette fois-ci, c’est le HMS Discovery qui nous accompagne avec à sa tête Charles Clerke, l’un de mes fidèles lieutenants. Nous avons quitté Plymouth le 12 juillet 1776. Les navires étaient chargés de cadeaux pour les habitants de Tahiti. Sa Majesté avait même ordonné que l’on emmenât quelques animaux utiles, un taureau, deux vaches et leurs veaux, et des brebis. Rien ne nous fut refusé de la part du Bureau de l’Amirauté pour le confort de l’équipage, nous fournissant également nombre d’instruments astrologiques et nautiques. Après un passage au cap de Bonne-Espérance, nous avons atterri en Nouvelle-Zélande via les îles Marion, Prince- Edward (Crozet de nos jours), Kerguelen et la Tasmanie.
 
 
 
une tempête. Devant à la Providence leur survie alors que dix-sept autres compagnons d’infortune avaient péri. Les nouvelles liaisons qu’ils y avaient formées sur place suffisaient à justifier leur refus de repartir avec nous. Dix jours après avoir abandonné ce lieu désolé, nous avons croisé les petites terres basses que j’avais nommées Palmerston lors de mon précédant passage (Lord Palmerston était à l’époque à la tête de l’Amirauté britannique, ndlr.). Nous sommes le 13 avril 1777. La base en est partout une roche de corail. Le sol est formé de sable et de corail où presque partout les débris végétaux pourris se sont mêlés en formant une sorte de terreau. Il y a donc de fortes présomptions pour que ces petits espaces de terre ne soient pas très anciens. Excusez-moi mais je grelotte de soif, encore une rasade de lait de coco ?
 
 
Pirogue maoriPirogue maori en appareil cérémoniel, vue par Sydney Parkinson, compagnon de James Cook
 
 Je veux bien, merci. Vous atteignez ensuite le principal but du voyage ?
J.C. : Nous sommes d’abord passés par les îles de l’Amitié. Selon les renseignements pris, elles seraient au nombre de cent-cinquante. Les plus importantes étant Hamoa, Vavaou et Fidji mais je ne les ai pas visité. Nous avons gagné Tahiti début août où nous avons fait nos adieux à Omaï. C’est là d’ailleurs que j’avais pris goût au lait de coco il y a quelques années. J’essayais même un stratagème pour convertir mes hommes à ce breuvage. Arguant que pour la découverte d’un passage entre le Pacifique et l’Atlantique dans l’hémisphère septentrional, ce qui aurait pour conséquences de larges récompenses, ils devaient se priver de rations de boissons fortes pendant au moins un an. Ma proposition fut approuvée sur-le-champ. On ne servit plus de grog excepté le samedi. L’alcool devenait « Tabou » comme on dit dans ces contrées de tout ce qui est interdit. Nous filons après vers l’île Christmas que je découvre la veille de Noël 1977, puis les îles Sandwich avant faire route plein Nord
.
 
 Il vous fallait trouver votre fameux passage ?
J.C. : Le 6 mars, nous avons vu deux veaux marins et plusieurs baleines. Les difficultés commencèrent à s’accroître. Et notre tâche a été impossible. Nous avons même dû relâcher pour remplacer le mât de misaine et les mâts majeurs après dix jours de mauvais temps. Toutes nos tentatives ont été vaines, et ce malgré les cartes de Vitus Behring. Je nommai le cap du Prince-William l’extrémité la plus orientale présentement connue de toute l’Amérique. Elle est par 65° 54’ de latitude et 191° 45’ de longitude. Un temps, je décidais d’hiverner sur place mais le 26 octobre dernier, j’ordonnais de faire route à nouveau vers les îles Sandwich.
 
 Le climat y est agréable et les autochtones semblent sympathiques ?
J.C. : Nous ne sommes là que depuis le 16 janvier. L’équipage ne semble pas regretter notre échec pour regagner l’Atlantique Nord. La compensation d’enrichir notre voyage par une découverte qui, bien qu’elle fût la dernière, paraît être à bien des égards la plus importante qu’eussent faite jusque-là les Européens, sur toute l’étendue de l’océan Pacifique…
 
Mort de CookLa mort du capitaine James Cook dans la baie de Kealakekua à Hawaï en 1779 (aquarelle de John Cleveley)
 
 Je vous remercie pour votre patience Captain.
J.C. : Appelez-moi James !
 
 
Propos libres recueillis par Serge Messager le 13 février 1779, veille de la mort de James Cook à Hawaï.