mardi 8 décembre 2020

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N'OUBLIEZ JAMAIS QU'IL Y A  PIRE  !.....


Idées et débats

Pourquoi 2020 n'est, de loin, pas "la pire annĂ©e de l'histoire" 

Contrairement aux affirmations du magazine Time, 2020 fait pĂąle figure en termes de calamitĂ©s par rapport au passĂ©. On peut mĂȘme trouver des bonnes nouvelles.

La couverture du Time datée du 5 décembre 2020.

La couverture du Time datée du 5 décembre 2020.

Time Magazine.

Les quatre chiffres de 2020 barrĂ©s d'une croix rouge. Et un titre choc : "la pire annĂ©e de l'histoire". Avec sa derniĂšre couverture, trĂšs graphique, l'hebdomadaire amĂ©ricain Time Magazine s'est assurĂ© une promotion virale. Sous forme d'un long lamento, l'article signĂ© par la critique de cinĂ©ma Stephanie Zacharek recense les flĂ©aux de ce millĂ©sime : pandĂ©mie de Covid-19 bien sĂ»r, mais aussi dĂ©mocratie amĂ©ricaine fragilisĂ©e par l'Ă©lection contestĂ©e de Joe Biden, assassinat de George Floyd et tensions raciales, "rĂ©currences de dĂ©sastres Ă©cologiques qui confirment Ă  quel point nous avons dĂ©truit la nature", disparitions de Kobe Bryant, Ruth Bader Ginsburg ou Chadwick Boseman (Ă  croire que des cĂ©lĂ©britĂ©s ne meurent pas les autres annĂ©es...). 

"Depuis la diffusion du fascisme dans les annĂ©es 1930 - une menace que l'AmĂ©rique n'a activement reconnue qu'au dĂ©but des annĂ©es 1940 - nous n'avons pas dĂ» faire face Ă  de si nombreux Ă©vĂ©nements anormaux, qui ont Ă©tĂ© de maniĂšre flagrante distordus par un "leadership" aberrant" assure Time. De quoi dĂ©chaĂźner les rĂ©seaux sociaux. "C'est amusant de voir que cette gĂ©nĂ©ration pense qu'elle a vĂ©cu la pire annĂ©e de l'histoire alors qu'elle Ă©tait assise devant Netflix" a raillĂ© un utilisateur de Twitter. 

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Aux yeux des mĂ©dias, 2020 est la plus mauvaise annĂ©e de l'histoire depuis... 2016. Il y a quatre ans, une tribune du New York Times ou un article de Slate se demandaient si l'humanitĂ© venait de vivre les pires douze mois de son histoire. On se plaignait alors du... virus Zika, de l'Ă©lection de Donald Trump, du Brexit, de la tuerie d'Orlando ou de l'attentat de Nice. LĂ  aussi, on pleurait des cĂ©lĂ©britĂ©s dĂ©cĂ©dĂ©es (David Bowie, Prince, Mohamed Ali...). 

C'est Elisabeth II qui a popularisĂ© l'expression "annus horribilis". La reine faisait rĂ©fĂ©rence Ă  1992 et aux diverses mĂ©saventures de la famille royale (incendie du chĂąteau de Windsor, sĂ©parations du prince Andrew, de la princesse Anne, rĂ©vĂ©lations sur les turpitudes conjugales du Prince Charles et de Lady Di...). RĂ©trospectivement, cette annĂ©e a dĂ» lui paraĂźtre bien douce par rapport Ă  1997 et l'accident de Diana. 

Biais de négativité

Ce ton catastrophiste et cette amnĂ©sie collective sont une illustration, jusqu'Ă  la caricature, du biais de nĂ©gativitĂ© que ne cesse de dĂ©noncer Steven Pinker, cĂ©lĂšbre psychologue cognitiviste canadien. Comme le professeur Ă  Harvard le rappelle dans le Triomphe des lumiĂšres (Les ArĂšnes), les penchants alarmistes des mĂ©dias s'associent Ă  nos biais cognitifs pour nous faire oublier la rĂ©alitĂ© chiffrĂ©e de l'Ă©volution humaine. 

Selon un cĂ©lĂšbre adage anglo-saxon, "When it bleeds, it leads" ("Quand ça saigne, c'est en Une"). Le journalisme se nourrit de crises et de dĂ©sastres plutĂŽt que de statistiques. À quoi il faut rajouter une prime morale au catastrophisme. Un journaliste qui dĂ©crit des calamitĂ©s va paraĂźtre sĂ©rieux et profond, tandis que celui qui rappelle des bonnes nouvelles sera perçu au mieux comme Ă©tant naĂŻf, au pire comme servant de suppĂŽt du pouvoir. "Aujourd'hui, pense-t-on, ĂȘtre un journaliste sĂ©rieux, c'est montrer ce qui ne va pas va. Si vous Ă©crivez un article positif, il sera perçu comme de la propagande Ă  la solde de l'establishment. Quel mĂ©dia parle des pays en paix, de la hausse de l'espĂ©rance de vie ou du dĂ©clin de la pauvretĂ© globale ?" nous confiait Steven Pinker, qui reproche Ă  notre profession de ne pas assez remettre en perspective l'actualitĂ© immĂ©diate. 

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Ce prisme pessimiste des mĂ©dias amplifie des erreurs de raisonnement naturels de leurs lecteurs et tĂ©lĂ©spectateurs. Comme l'ont montrĂ© les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky, le biais de disponibilitĂ© fait qu'instinctivement, nous basons notre jugement sur les informations frappantes immĂ©diatement disponibles en mĂ©moire. Une attaque de requin ou un crash d'avion vont marquer nos esprits, et ainsi nous tromper sur les risques rĂ©els.  

À travers la mondialisation et les mĂ©dias de masse, nous avons aussi Ă©largi notre cercle de sympathie. Cette Ă©volution, bien sĂ»r positive, nous fait nous sentir concernĂ©s pour des souffrances de plus en plus Ă©loignĂ©es gĂ©ographiquement de nous. Mais, en contrepartie, une empathie grandissante et une plus grande sensibilitĂ© face aux atrocitĂ©s nous fait aussi perdre de vue les Ă©volutions historiques, et notamment un dĂ©clin de la violence. "Aujourd'hui, nous considĂ©rons la guerre en Syrie comme une tragĂ©die humanitaire. On se souvient rarement de la mĂȘme façon des conflits des dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes, comme la guerre civile chinoise, la partition de l'Inde ou la guerre de CorĂ©e, alors qu'ils ont tuĂ© ou dĂ©placĂ© plus de personnes" note Steven Pinker dans Le triomphe des LumiĂšres

Liste noire non exhaustive

Il suffit d'un rapide retour en arriĂšre pour vĂ©rifier toute l'absurditĂ© de l'affirmation du magazine Time. Les annĂ©es bien plus coĂ»teuses en termes de vies humaines abondent. Un historien pourrait citer 1943. Outre le carnage de la DeuxiĂšme Guerre mondiale, l'extermination de la Shoah et les morts de Jean Moulin ou Simone Weil, la famine du Bengale a tuĂ© plusieurs millions de personnes et les Etats-Unis furent marquĂ©s par des Ă©meutes raciales. On peut aussi opter pour 1919, annĂ©e de la grippe espagnole (jusqu'Ă  50 millions de morts selon des estimations) et, encore une fois, de terribles violences raciales aux Etats-Unis. Ou pour 1348, avec la Peste noire qui dĂ©cima prĂšs de de la moitiĂ© de la population europĂ©enne. En plus d'une grande rĂ©cession Ă©conomique, de la dĂ©sertification des villes et de violences antisĂ©mites, la peste bubonique est en partie responsable du repli de la Chine ou de l'accĂ©lĂ©ration de la chute de l'Empire byzantin. Et si l'on veut un vrai film catastrophe, il est aussi possible de remonter Ă  66 millions d'annĂ©es en arriĂšre, quand la collision d'un mĂ©tĂ©ore dans la pĂ©ninsule du Yucatan fut sans doute la principale cause de la disparition des dinosaures. Il va sans dire que cette liste noire est loin d'ĂȘtre exhaustive.  

Consciente du ridicule de l'affirmation de la couverture du Time, Stephanie Zacharek tente d'argumenter que 2020 est au moins la pire annĂ©e au niveau de nos existences. Une preuve que les humains ont la mĂ©moire courte mĂȘme Ă  l'Ă©chelle des dĂ©cennies. Comme le montrent inlassablement Steven Pinker, le libĂ©ral suĂ©dois Johan Norberg ou l'Ă©conomiste spĂ©cialiste de datas Max Roser, les Ă©volutions en termes de santĂ©, de niveau de vie ou de bien-ĂȘtre ont Ă©tĂ© spectaculaires ces derniĂšres annĂ©es, mais elles ont rarement fait la Une des journaux. Plus de 40% de la population mondiale vivait dans l'extrĂȘme-pauvretĂ© (moins de 2 dollars par jour) en 1980. Ils Ă©taient encore prĂšs 30% au milieu des annĂ©es 1990, contre moins de 10% aujourd'hui. L'espĂ©rance de vie est passĂ©e de 65 ans en 1990 Ă  72 ans en 2016. Le nombre de morts dues Ă  des maladies infectieuses a Ă©tĂ© rĂ©duit de prĂšs de moitiĂ© depuis 1990. Comme a averti un rapport de la fondation Bill et Melinda Gates, la pandĂ©mie du Covid-19 risque de marquer un recul en matiĂšre de rĂ©duction de la pauvretĂ©, d'Ă©ducation, ou de lutte contre le sida ou le paludisme. Mais c'est lĂ  un contretemps, plus qu'une Ă©volution profonde. 

Recul du terrorisme et défaite de Trump

On peut mĂȘme trouver des bonnes nouvelles en 2020. Pour la cinquiĂšme annĂ©e consĂ©cutive, le nombre de morts provoquĂ©s par le terrorisme a diminuĂ©. Selon le Global Terrorism Index, 2020 a reprĂ©sentĂ©, avec moins de 14 000 morts dans des attentats, une dĂ©crue de 15% par rapport Ă  2019. La dĂ©faite Ă©lectorale de Donald Trump est un revers cinglant pour le populisme, et en dĂ©pit du ridicule dĂ©ni de l'actuel locataire de la Maison-Blanche, la transition dĂ©mocratique se fait dans de meilleures conditions que ne le craignaient de nombreux experts. Avant le scrutin, ceux-ci annonçaient un risque Ă©levĂ© de violences, et envisageaient mĂȘme un coup d'Etat. Le 31 octobre, un article de The Atlantic recensait ainsi trĂšs sĂ©rieusement les stratĂ©gies Ă  adopter dans l'hypothĂšse d'un putch du prĂ©sident sortant.  

Surtout, 2020 est inĂ©dite dans l'Histoire pour la façon dont l'humanitĂ© s'est mobilisĂ©e face Ă  une Ă©pidĂ©mie. Comme l'avait annoncĂ© Johan Norberg en avril Ă  l'Express, c'est bien la "meilleure annĂ©e pour faire face Ă  une pandĂ©mie". La vitesse Ă  laquelle le gĂ©nome du coronavirus a Ă©tĂ© sĂ©quencĂ© et mis Ă  disposition des scientifiques de la planĂšte entiĂšre fut impressionnante. Tout comme la rapiditĂ© de la rĂ©ponse vaccinale pour une maladie Ă©mergente. 2020 marque ainsi la consĂ©cration de la technologie des vaccins Ă  ARN, longtemps cantonnĂ©s dans les laboratoires de recherche. Selon Bruno Pitard, directeur de recherche (CNRS) interrogĂ© dans un article du Monde, "c'est une histoire de fou. Aucun produit Ă  base d'ARN messager n'avait dĂ©passĂ© la phase 2 d'un essai clinique, ni en cancĂ©rologie, ni en immunologie, ni en virologie. Et lĂ , premier essai de phase 3, jackpot ! J'ai beau vanter le potentiel de cette technologie depuis des annĂ©es, je n'imaginais pas un tel scĂ©nario (...) Cette aventure est d'ores et dĂ©jĂ  extraordinaire." Parions que dans quelques annĂ©es, la biochimiste hongroise Katalin Kariko, fille de boucher dont les recherches sur l'ARN messager ont jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant, se verra dĂ©cerner un prix Nobel. 

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Reste une tendance de fond des plus inquiĂ©tantes : le rĂ©chauffement climatique. 2020 s'annonce comme l'une des trois annĂ©es les plus chaudes jamais enregistrĂ©es, avec 1,2 degrĂ© au-dessus des tempĂ©ratures de l'Ăšre prĂ©industrielle. C'est d'autant plus alarmant qu'un Ă©pisode La Nina est en cours, provoquant un refroidissement du Pacifique Ă©quatorial. Il y a "au moins une chance sur cinq" que la tempĂ©rature mondiale dĂ©passe d'ici 2024 l'objectif de l'accord de Paris, Ă  savoir une hausse de 1,5°C, a averti Petteri Taalas, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l'Organisation mĂ©tĂ©orologique mondiale (OMM). Le ralentissement Ă©conomique provoquĂ© par la pandĂ©mie n'a mĂȘme pas freinĂ© l'augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphĂšre. À l'humanitĂ© donc de rĂ©agir pour que 2020 ne soit, dans un avenir proche, pas Ă©voquĂ©e avec nostalgie comme ayant reprĂ©sentĂ© le crĂ©puscule... des jours heureux. 

























 























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