Vingt pépites du cinéma américain à (re)découvrir en VOD...
Depuis le début de la crise sanitaire, les sorties ciné, et particulièrement les sorties américaines, nous manquent ! Pour nous consoler un peu de leur absence, nous sommes partis sur les plateformes de VOD à la recherche de films US pas si connus et/ou sous-estimés.
cinq beaux films réalisés par quelques grands noms du cinéma outre-Atlantique et pourtant restés plutôt confidentiels.
“Le Temps de l’innocence” (1993), de Martin Scorsese
Une vraie curiosité dans l’œuvre de Scorsese. Un film souvent oublié par ses thuriféraires, comme s’il n’était point de lui. Et pour cause : pas de masculinité triomphante (ou piteuse) ici, pas d’amitié virile ni de duels armés. Le Temps de l’innocence est sans doute son seul film « féminin » (avec Alice n’est plus ici). Mais à l’image du générique sublime, signé Saul Bass, où l’on voit un feu d’artifice de fleurs qui s’ouvrent derrière un écran de dentelles et de mots écrits, la douceur épouse la violence. Le tableau, somptueux en apparence, recèle bien des cruautés. Le film est adapté d’une romancière subtile, Edith Wharton (1862-1937), pionnière d’un féminisme pas encore né, qui portait un regard gorgé d’ironie implacable sur les conventions de la gentry new-yorkaise.
Au centre se tient Newland Archer (Daniel Day-Lewis), avocat et dandy précieux qui semble plus éveillé et courageux que ses congénères. En vérité, ce personnage tend vers la grande lâcheté, incapable de choisir entre la femme anticonformiste qu’il aime passionnément (Michelle Pfeiffer, rayonnante et fiévreuse) et la jeune aristocrate promise par sa caste (Wynona Ryder, géniale en fausse ingénue). C’est un film terrible sur l’enfermement, le faste inouï du décor, des tables dressées, des dorures, des bijoux, des tenues de bal, n’étant que la parure d’un piège. Film de mise en scène virtuose sur le théâtre vertigineux de la vie, Le Temps de l’innocence fait se confondre la beauté et la vulgarité, la volonté et l’aboulie, la liberté et le carcan. Le dernier quart d’heure, qui se déroule à Paris (au jardin du Luxembourg et rue de Furstemberg) en nous projetant des années plus tard, au début de la vieillesse de Newland, offre un grand moment d’émotion aux accents proustiens.
Sur UniversCiné et Canal VOD
“Fièvre sur Anatahan” (1953), de Josef von Sternberg
Esthète et rêveur devant l’éternel, Josef von Sternberg ne fut pas seulement le pygmalion de Marlene Dietrich, avec laquelle il réalisa un tir groupé de sept films dont pas mal de chefs-d’œuvre (Morocco, Shanghai Express…). Pour preuve, ce Fièvre sur Anatahan, petit joyau très original tourné dans les studios de Kyoto avec des acteurs japonais, avant-goût brillant de sa fin de carrière (il réalisa encore Les Espions s’amusent). En esprit fin, épris d’art et de culture d’Extrême-Orient, Sternberg rend ici hommage au vaincu de la Seconde Guerre mondiale tout en distillant des motifs et des mythes qui lui sont chers. Le film, inspiré d’une histoire vraie, raconte comment un groupe de pêcheurs et de soldats japonais échoue sur une île en 1944 et y continue la guerre pendant plusieurs années, en attendant un ennemi improbable. Sur cette île vit un homme en compagnie d’une femme très sensuelle qu’il protège et brutalise à la fois, sans qu’on sache exactement la nature de leur lien.
Cette femme (Akemi Negishi, qui réapparaît ultérieurement chez Naruse et Kurosawa) est ici élevée au rang de déesse de l’amour. Elle est source de discorde, de sacrifices mais aussi de stabilité. C’est une victime et une sauveuse à la fois. On la voit s’habiller d’un rien (un parachute, par exemple !) ou s’éclipser furtivement en tenue d’Eve. À travers elle se joue un théâtre de la passion, teinté d’érotisme suggestif. L’atmosphère est moite et confinée, comme à l’intérieur d’un aquarium. Parmi les curiosités du film, il y a ces courts dialogues en japonais non traduits, secondés par une voix off sèche et vive (celle du cinéaste lui-même), qui éclaire le récit en même temps qu’elle médite sur ses implications, ses ressorts enfouis, ses parts invérifiables. Réflexion sur le mal, l’obéissance, la lutte entre bestialité et humanité, Fièvre sur Anatahan ne serait rien, enfin, sans son noir et blanc expressionniste, ses jeux étourdissants d’ombres, de lumière et de cache-cache. Les persiennes, les filets, le lichen, les lianes ou les palmes de la jungle, le moindre élément sert d’amorce pour contenir la vue et décupler le désir.
Sur LaCinetek
“À cause d’un assassinat” (1974), d’Alan J. Pakula
Qui dit Pakula, dit Les Hommes du président (1976). Mais ce digne représentant du Nouvel Hollywood ne se résume pas à ce film sus-cité, son plus connu. Sorti deux ans auparavant dans un climat national de suspicion (scandale du Watergate et guerre du Vietnam sur le point de finir), À cause d’un assassinat appartient pleinement au courant du thriller paranoïaque alors en pleine vigueur. Le film démarre sur la mort d’un sénateur lors d’une mini-conférence de presse organisée autour d’un buffet, sur les hauteurs d’un gratte-ciel. L’action s’inspire directement, en les combinant, de deux meurtres fameux, celui de JFK, en 1963, et celui de son frère, Robert, en 1968. Les circonstances de l’événement sont troubles, interrogent sur l’existence d’un second tireur et d’un complot. Mais une commission d’enquête conclut finalement qu’il s’agit d’un acte isolé. Trois ans plus tard, un journaliste d’investigation marginalisé, Joseph Frady, qui a laissé pas mal de plumes dans cette affaire au point de ne plus vouloir en entendre parler, est ébranlé par le décès soudain d’une consœur. Celle-ci venait justement de l’alerter sur plusieurs disparitions suspectes de personnes ayant été présentes le jour de l’assassinat.
Le film est captivant, tout en étant dépouillé, presque épuré. Peu de dialogues, pas mal d’ellipses et une très belle musique lancinante de Michael Small. Le scénario est parfois invraisemblable, sans pour autant nuire à l’atmosphère de plus en plus inquiétante. L’interprétation impassible ou désabusée de Warren Beatty concourt à l’opacité du récit. A-t-il encore des ressources, cet ancien alcoolique ? A-t-il vraiment les moyens de déjouer ce qui ressemble à la vaste conspiration d’une société secrète ? Plus son enquête avance, plus son rôle d’infiltré fait glisser le film vers des zones d’obscurité, vers l’abstraction. Dans le dernier tiers, fascinant, Pakula ne filme plus que des filatures, un ballet de silhouettes de passage, dans des couloirs sombres ou d’immenses halls déserts. Des décors vides. Un monde de surveillance déshumanisé.
Sur Canal VOD
“Bug” (2007), de William Friedkin
Un grand film horrifique, largement méconnu, adapté d’un spectacle off de Broadway. Parmi les géants des « seventies », William Friedkin (French Connection, L’Exorciste) a connu un léger coup de mou dans les « nineties », mais s’est sacrément repris par la suite (Traqué et Killer Joe sont aussi très bons). L’horreur tient ici dans le décor quasi unique d’une chambre de motel perdu, à la lisière du désert. Une barmaid (Ashley Judd, extra), Agnes, y fait la rencontre, un soir de petite fête improvisée avec une amie, d’un vétéran de la guerre du Golfe (Michael Shannon, impressionnant, trois ans avant Take Shelter). Ce type dégage un truc, a l’air intelligent, s’exprime d’une voix douce et paraît timide, tout le contraire de son ex-mari, une brute qui la persécute encore. Le hic, c’est que cet ancien soldat est persuadé d’avoir servi de cobaye : on lui aurait inoculé un virus contenant des insectes microscopiques. Détraqué total ou victime d’une machination ? Le film ne tranche pas totalement, même s’il penche plutôt vers la première hypothèse.
L’angoisse devient contagieuse et monte dans un crescendo dramatique hallucinant. Bug est un thriller mais c’est aussi une histoire d’amour fusionnel. Amour dément à la beauté terrifiante qui voit Agnes, accro à son homme, plonger dans sa parano galopante pour ne pas le perdre. Entre pucerons nichés dans la coke et sac d’œufs caché sous la dent, le pétage de plombs est tel qu’il touche au grotesque. Le passage de l’ex-mari (Harry Connick Jr) nous vaut des répliques savoureuses. Découvrant la chambre envahie d’insecticides et de papier tue-mouches, le visiteur lâche : « Si j’étais un cafard, je recevrais le message cinq sur cinq. » Friedkin en profite pour railler le caractère fumeux des théories complotistes ou paranormales qui contaminent le cinéma américain et les séries fantastiques. La force du film est de mêler constamment dérision et sérieux, à travers la chambre réaménagée et évolutive, tenant à la fois de l’« installation » plastique dernier cri, du sarcophage du futur et de la chapelle ardente. Avec à l’intérieur un couple qui grouille.
“John McCabe” (1971), de Robert Altman
D’abord il y a les ballades inoubliables du premier album de Leonard Cohen. Trois morceaux (The Stranger Song, Winter Lady, Sisters of mercy) en apesanteur qui dialoguent ouvertement avec l’insolite récit de ce John McCabe, cavalier venu de nulle part, qui débarque dans une bourgade minière au pied des montagnes. Cet étranger précédé d’une réputation de tueur à gages, joueur et vague homme d’affaires, y monte un bordel, en s’associant à une prostituée au fort tempérament mais désabusée, amatrice d’opium, dont il tombe malgré lui amoureux. Pas vraiment un héros, ce cow-boy, plutôt un type pataud, qui louvoie et se prend pour ce qu’il n’est pas, au risque de perdre gros, sa petite entreprise florissante attirant bien des convoitises, notamment celles des grands capitalistes de la région.
Des chansons de Leonard Cohen à l’activité socio-économique du village, des décors aux longues discussions, rien ne ressemble ici au western traditionnel. La galerie insolite de portraits (les prostituées et leurs clients), le sentiment d’immersion saisissante au temps du Far-West, la circulation constante de la caméra font de cette peinture d’époque un tournant du genre. Composée de tons tabac, gris, crépusculaires, l’image du grand chef op Vilmos Zsigmond fait des merveilles. Jamais la boue, le bois des charpentes, les cheveux, les fourrures, n’ont eu ces textures. Idem avec la neige, élément enveloppant le long et lent combat final, dans un silence surnaturel.
Sur Canal VOD et UniversCiné
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