vendredi 19 mars 2021

ÇA VIENT DE SORTIR..📖📖📖

 Alain Duhamel dĂ©crypte la politique depuis plus d’un demi-siècle. Dans son dernier livre, il dresse le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron et rappelle les consĂ©quences de la pandĂ©mie de coronavirus sur toutes les dimensions de notre vie.


Alain Duhamel, passionnĂ© par la politique française depuis sa tendre enfance, en est l’un des plus fins connaisseurs. © StĂ©phane Grangier pour Le Pèlerin

Dans quel Ă©tat social et politique la France sortira-t-elle de la crise de la Covid ?

Alain Duhamel : Il faudra sans doute attendre la rentrĂ©e de septembre pour le savoir. Tous ceux qui le souhaitent devraient alors avoir Ă©tĂ© vaccinĂ©s, le nombre de cas devrait baisser, on aura une idĂ©e plus prĂ©cise du contenu du plan de relance. Ce sera le moment de vĂ©ritĂ© pour l’après-Covid. Mais d’ores et dĂ©jĂ , on peut dire que la France en sortira plus fracturĂ©e.

Une fracture sociale ?

GĂ©nĂ©rationnelle, surtout. Si tout le monde a subi le confinement et l’isolement qui en rĂ©sultait, les moins de 35 ans ont particulièrement souffert des restrictions de circulation et de sorties, des difficultĂ©s d’Ă©tudier ou de trouver un emploi, mĂŞme un simple stage. Autant d’atteintes Ă  leur lĂ©gitime envie de vivre. Les plus de 65 ans, de leur cĂ´tĂ©, souhaitent ĂŞtre protĂ©gĂ©s de la maladie et retrouver leurs proches. Ils s’agacent des retards de la vaccination. Soif de libertĂ© et impatience pour les jeunes ; dĂ©sir de protection et de lien social pour les anciens. On n’avait pas vu un tel dĂ©couplage entre gĂ©nĂ©rations depuis la guerre de 1914-1918, quand il y avait « ceux qui avaient fait la guerre » et en avaient souffert, et les autres, restĂ©s Ă  l’arrière ou trop jeunes pour y participer. Ă€ cela s’ajoutent les clivages provoquĂ©s par la crise Ă©conomique et sociale : entre secteurs d’activitĂ©s dits « essentiels » et les autres ; entre salariĂ©s qui peuvent travailler et ceux qui en sont empĂŞchĂ©s ; entre les mĂ©tropoles soudain fuies par leurs habitants et les campagnes et villes moyennes redevenues attractives ; entre un Nord qui rĂ©clamait un confinement et un Midi qui ne le souhaitait pas face aux mĂŞmes chiffres de contamination, etc. 

Emmanuel Macron Ă©tait-il l’homme de la situation ?

Il n’y a pas de sauveur suprĂŞme. Mais ses caractĂ©ristiques personnelles correspondent bien Ă  la pĂ©riode, qui exigeait un apprentissage rapide de la gestion de la dĂ©tresse. Jeune, dynamique, il a le goĂ»t de l’autoritĂ© et le sens du risque, sans craindre la rupture. C’est pourquoi je le dĂ©cris dans mon livre comme « bonapartiste ». On ne l’avait pas Ă©lu pour ça mais il s’est dĂ©brouillĂ© aussi bien, sinon mieux, que la plupart des autres dirigeants du monde face Ă  la pandĂ©mie. Son quinquennat sera jugĂ© d’abord et avant tout Ă  l’aune de sa gestion de la crise sanitaire.

Une fois la pandĂ©mie terminĂ©e, les dĂ©bats prĂ©cĂ©dents, sur les retraites ou les gilets jaunes, etc., ne reviendront-ils pas au premier plan pour l’Ă©lection prĂ©sidentielle de 2022 ?

Plus que ses prĂ©dĂ©cesseurs, Emmanuel Macron n’a connu qu’une succession de crises. Il les a parfois provoquĂ©es par ses tentatives de rĂ©formes, sur les retraites ou la fiscalitĂ© verte notamment, qu’il a mal gĂ©rĂ©es. C’est le destin de tout rĂ©formateur en France. Mais je le rĂ©pète, la crise de la Covid est si globale qu’elle concerne chaque Français dans toutes les dimensions de sa vie. Elle Ă©crasera les autres thèmes Ă©lectoraux en 2022.

© StĂ©phane Grangier pour Le Pèlerin

Emmanuel Macron ne peut-il pas, tout de mĂŞme, mettre Ă  son crĂ©dit le redĂ©marrage de l’Europe, par l’adoption d’un vaste plan de relance ?

Il s’agit d’une donnĂ©e essentielle… qui ne jouera aucun rĂ´le dans l’Ă©lection. Ce coup d’accĂ©lĂ©rateur formidable que l’Europe a connu, avec le principe d’un endettement commun acceptĂ© par l’Allemagne, apparaĂ®t pourtant comme la seule vraie bonne nouvelle de cette pĂ©riode de Covid. Macron pourra s’en prĂ©valoir devant l’Histoire. Mais les Français ne s’intĂ©ressent pas Ă  l’Europe. Seuls les vaccins et le plan de relance, dont on verra les effets Ă  la rentrĂ©e prochaine, auront un vĂ©ritable impact Ă©lectoral.

Vous expliquez dans votre livre qu’il doit sa victoire de 2017 Ă  la surprise, Ă  la chance et Ă  l’audace. Le « dĂ©gagisme » dont il a profitĂ© peut-il lui ĂŞtre fatal en 2022 ?

Il est encore trop tĂ´t pour savoir s’il se qualifiera pour le second tour et y affrontera Marine Le Pen…

Vous ĂŞtes donc si sĂ»r qu’elle passera le premier tour ?

Sauf Ă©norme surprise, Marine Le Pen sera au second tour.

Et celui ou celle qui l’affrontera gagnera l’Ă©lection, comme Ă  chaque duel contre l’extrĂŞme droite ?

Pas certain cette fois-ci ! Plus que jamais, l’Ă©lection se jouera entre deux Ă©motions : la peur et la colère. Peur de ceux qui Ă©viteront de prendre des risques et voteront Macron s’il se prĂ©sente. Ou colère de ceux qui le rejetteront. Si la colère l’emporte sur la peur, Marine Le Pen pourrait gagner.

Depuis un demi-siècle que les Français vous Ă©coutent, vous prenez toujours autant de plaisir Ă  commenter la vie politique. D’oĂą vient cette passion ?

J’ai toujours eu cela au fond de moi. Gamin, je faisais rire ma famille car j’expliquais la vie politique Ă  mon arrière-grand-mère nonagĂ©naire que j’allais voir chaque semaine, elle qui avait connu NapolĂ©on III ! Des discussions sur la politique, l’Ă©conomie, la religion… rythmaient la vie Ă  la maison. J’aimais en ĂŞtre l’arbitre, mĂŞme si c’Ă©tait au dĂ©part un peu enfantin. Ă€ 10 ans, je lisais dĂ©jĂ  Le Figaro et, Ă  13 ans, j’ai demandĂ© que l’on s’abonne au journal Le Monde pour diversifier les points de vue. Ce fut une petite rĂ©volution !

PassionnĂ© d’actualitĂ©, vous restez attentif au temps long…

On ne peut comprendre la vie politique de notre pays que si l’on maĂ®trise Ă  la fois son histoire et sa littĂ©rature. Adolescent, je me rĂŞvais en normalien agrĂ©gĂ© d’histoire ; ma mère, elle, voulait que je sois diplomate. Mais un accident survenu dans ma jeunesse et mon peu d’appĂ©tence pour les langues en ont dĂ©cidĂ© autrement. La chance aussi. Étudiant Ă  Sciences-Po, j’ai dĂ©clinĂ© le stage que mes parents m’avaient dĂ©nichĂ© dans le pĂ©trole… « Alors dĂ©brouille-toi ! » m’ont-ils dit. J’ai aussitĂ´t envoyĂ© une candidature au journal Le Monde. Nous Ă©tions dĂ©jĂ  en juin, mais le stagiaire qui devait commencer le lendemain s’Ă©tait cassĂ© une jambe et Jacques Fauvet, le rĂ©dacteur en chef, m’a dit : « Venez. » Il surplombait l’analyse politique de cette Ă©poque. Nous avions la mĂŞme passion, il m’a pris sous son aile.

En quoi la politique a-t-elle changé depuis cette époque ?

Elle a cĂ©dĂ© beaucoup de terrain Ă  l’Ă©conomie. Les plus brillants de ma gĂ©nĂ©ration rĂŞvaient Ă  une carrière politique, aujourd’hui ils se prĂ©cipitent vers le secteur privĂ©, oĂą ils gagnent beaucoup plus d’argent et sont moins insultĂ©s. Les rĂ©seaux sociaux et les chaĂ®nes d’information en continu mettent les politiques sous pression constante. Il leur est d’autant plus difficile d’agir dans ces conditions que leurs marges de manĹ“uvre ne sont plus les mĂŞmes. Pour imprimer des changements, il faut donc de très fortes personnalitĂ©s. Des gens « hardis » comme Emmanuel Macron aujourd’hui, Nicolas Sarkozy hier, ou Pierre Mendès France avant-hier.

Les leaders politiques ne sont-ils pas le produit d’une sociĂ©tĂ© ?

La politique me fascine parce que c’est elle qui façonne la sociĂ©tĂ©, et non l’inverse. De ce fait, chaque annĂ©e apporte son lot de surprises. Qui aurait imaginĂ© qu’Emmanuel Macron devienne un jour prĂ©sident ? Qui aurait pu prĂ©voir les gilets jaunes, un phĂ©nomène que seule la France a connu ? De mĂŞme, en 1968, la France fut le seul pays au monde Ă  subir une grève gĂ©nĂ©rale en plus du soulèvement Ă©tudiant et culturel. Nous sommes toujours diffĂ©rents des autres, en dĂ©calage, avec un coup d’avance ou un coup de retard. Nous sommes le peuple qui a inventĂ© la politique. FascinĂ©s par le pouvoir, les Français sont aussi les plus critiques Ă  son Ă©gard. C’est ce qui les rend Ă  la fois si ingouvernables… et intĂ©ressants !

En coulisses

© StĂ©phane Grangier pour Le Pèlerin

Dans son appartement proche du jardin du Luxembourg, Ă  Paris, les livres s’Ă©lèvent jusqu’au plafond sur les Ă©tagères de l’entrĂ©e. Dans le salon, si les murs sont rĂ©servĂ©s Ă  de belles gravures encadrĂ©es, l’Ă©norme table basse est presque entièrement recouverte d’ouvrages. Ce membre de l’Institut dĂ©vore tout avec gourmandise. L’homme qui incarne l’audiovisuel en France reste d’abord et avant tout un grand papivore devant l’Éternel.

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