mardi 30 novembre 2021

JOSÉPHINE BAKER

 

Le calendrier n'avait pas été calé en fonction d'Eric Zemmour, mais il faut avouer que son annonce de candidature présidentielle ne pouvait que rendre plus pertinente encore l'entrée, le même jour, de Joséphine Baker au Panthéon. Lors de son discours en hommage à l'artiste, résistante, bisexuelle, féministe et antiraciste, Emmanuel Macron a bel et bien - en creux - envoyé un message à la partie de la France qui se retrouve dans les discours du polémiste multi-condamné, aux antipodes du symbole «Joséphine». Mais pas que.


Car le Président a aussi profité de l'occasion pour attaquer - toujours en creux mais en des termes transparents - ce qui fait actuellement figure de kryptonite de tout individu de droite : le wokisme. Il avait d'ailleurs prévenu de cette intention, dans un aparté avec son conseiller «mémoire» Bruno Roger-Petit, rapporté par l'Obs la semaine dernière : «Les woke français ne vont pas être contents !». À Libé, un conseiller de l'exécutif prévenait : «On dit que la campagne présidentielle se jouera sur le projet de société qu’on veut présenter aux Français. Mardi, c’est l’occasion pour Macron de dire quelle France il veut.» 

LR approuve ce message

Appliquant à la lettre son plan de jeu, le chef de l'Etat a donc salué : «Joséphine Baker ne défendait pas une couleur de peau, elle portait une certaine idée de l’homme, et militait pour la liberté de chacun. Sa cause était l’universalisme, l’unité du genre humain. L’égalité de tous avant l’identité de chacun. L’hospitalité pour toutes les différences réunies par une même volonté, une même dignité. L’émancipation contre l'assignation.»

L'adversaire n'a pas de nom, mais la diatribe contre toute revendication considérée comme «communautariste» ou «racialiste» est claire. Et le chef de l'Etat de fustiger tout ce qui, ne collant pas exactement à ces critères bakeriens, son «manifeste humaniste» et son «épiphanie de l’universalisme», serait finalement anti-républicain et anti-français : «Elle était plus française que jamais. Infiniment juste, infiniment fraternelle, infiniment de France. Et que nul aujourd’hui ne fasse mentir ou ne détourne son combat universel !» Puis : «Ce n’était pas un combat pour s’affirmer comme noire avant de se définir comme Américaine ou Française ; ce n’était pas un combat pour dire l’irréductibilité de la cause noire, non. Mais bien pour être citoyenne, libre, digne. Complètement. Résolument.»

On ne sait pas ce qu'aurait pensé Joséphine Baker de ce sous-texte, préférant pour notre part éviter de faire parler les morts et l'intéressée ne s'étant pas elle-même prononcée sur ces concepts inexistants à son époque. On peut en revanche affirmer que certains, dans la classe politique française actuelle, ont dû applaudir des deux mains. De Jean-Michel Blanquer à la tête de son think-tank anti-woke aux candidats au congrès LR. Hier soir, Valérie Pécresse (entre autres) a elle aussi rendu hommage à la 6e femme (et première noire) à entrer au Panthéon en agitant tous les chiffons rouges possibles à la veille du vote des militants de droite : «C’était une patriote mais pas une communautariste, une antiraciste mais pas une indigéniste, une féministe mais pas une wokiste, elle n'était pas enfermée dans les idéologies.»



Elles y entrent au compte-gouttes et semblent exclues par la formulation même de la devise apposée au fronton. Peut-être est-il temps de remettre au goût du jour ce monument qui invisibilise dès son seuil la moitié de la population.

par Virginie Ballet
publié le 26 novembre 2021 à 21h13

C’est une devise qui, hissée au-dessus de l’entrée principale des lieux, de plus en plus, interpelle : «Aux grands hommes, la patrie reconnaissante.» Apparue une première fois au XVIIIe siècle, puis voilée, elle fut de nouveau inscrite pour de bon en 1837, en même temps que fut dévoilée la sculpture de David d’Angers mettant en scène la patrie remettant des couronnes à ses héros : Voltaire, Rousseau, Lafayette ou Bonaparte. Au Panthéon, qu’en est-il des grandes femmes ? Tandis qu’avec Joséphine Baker, elles seront désormais six à y être honorées, contre 75 hommes (Simone Veil, Marie Curie, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Sophie Berthelot), se pose avec de plus en plus d’acuité la question de la pertinence de cette devise. Faut-il la retirer ? Interrogé mardi sur ce point, Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire du président de la République, n’apportait pas de réponse, mais reconnaissait que «la réflexion […] paraît difficilement évitable».

«Comment des petites filles ou des femmes s’imagineraient-elles de fabuleux destins si le Panthéon demeure le sanctuaire des “grands hommes”, si la devise écrite à son fronton continue d’affirmer qu’eux seuls sont dignes de la reconnaissance publique ?» questionne l’historienne de la littérature Eliane Viennot dans son dernier ouvrage (1). Pour elle, il est temps de réfléchir à «l’imposture» que représente l’emploi du mot «homme» pour désigner l’ensemble de l’humanité. «Les appellations au masculin empêchent de se projeter dans une société égalitaire, et de prendre conscience du chemin à parcourir», estime-t-elle.

«Oublis délibérés»

«Derrière le Panthéon, apparaît la manière dont on enseigne l’histoire : en occultant les femmes», abonde Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme !, rejoignant en tout point le constat récemment posé par la journaliste Titiou Lecoq dans son livre les Grandes Oubliées : pourquoi l’histoire a effacé les femmes. C’est pour tenter de réparer ces «oublis délibérés» qu’Osez le féminisme !, à l’origine de la mobilisation récente en faveur d’une entrée de Gisèle Halimi au Panthéon, interroge régulièrement la place des femmes dans les manuels scolaires, mais aussi dans l’espace public, dont le Panthéon n’est qu’une illustration parmi d’autres. «En 2015, nous avions lancé une campagne pour prôner la féminisation des noms des rues, constatant qu’à Paris, seuls 2,6 % portaient celui d’une femme», souligne-t-elle. Régulièrement, des militantes féministes mènent des actions de collage pour rectifier le tir. D’autres initiatives récentes sont à signaler : en Ile-de-France, la ligne 3 du tramway, lorsqu’elle a été prolongée en 2018, a fait la part belle aux femmes, en donnant aux stations les noms de Diane Arbus, Delphine Seyrig ou encore Ella Fitzgerald. La bibliothèque Chaptal, dans le IXe arrondissement de la capitale, a été renommée l’an dernier pour rendre hommage à la poétesse féministe Louise Walser-Gaillard, connue pour son engagement en faveur de la reconnaissance de la langue des signes.

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«Il est temps de sortir les femmes de l’ornière et de mettre en avant les femmes créatrices», appuie Olivier Daronnat, membre du mouvement HF, organisateur des journées du matrimoine, dont la devise, à l’origine, était un clin d’œil piquant à ce Panthéon excluant : «Aux grandes femmes, la matrie reconnaissante.» En réponse au fronton, le collectif les MonumentalEs, chargé d’un projet de réhabilitation de la place du Panthéon en 2018, a fait graver le nom de près de 200 femmes «fières, puissantes, et de tous les jours» sur des bancs publics installés devant le monument, de Monique Wittig à Sylvia Plath. «Symboliquement, il était important de travailler sur l’extérieur : les femmes ont trop longtemps été cantonnées à l’intérieur», analyse Chris Blache, anthropologue urbaine membre du collectif. Sauf que trois ans plus tard, déplore cette spécialiste du genre, beaucoup de ces noms commencent à s’effacer, dans une certaine indifférence, «comme si l’histoire se répétait».

(1) En finir avec l’homme : chronique d’une imposture d’Eliane Viennot, éd. Ixe, septembre, 121 pp., 6,50 €

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