dimanche 1 mai 2022

RÉGINE

 



Hommages

Régine, c’était «tout un monde»

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Pour son sens de l’accueil et des coups de bluff, pour son «caractère de cochon» et son art suprême du divertissement, Regine était une des dernières grandes icônes populaires françaises. Témoignages.
par Ève Beauvallet et Eric Dahan
publié le 1er mai 2022 à 21h03

Pour son sens de l’accueil et des coups de bluff, pour son «caractère de cochon» et son art suprême du divertissement, Frédéric Mitterrand, Dani ou Jérôme Marin tiennent Régine pour une des dernières grandes icônes populaires françaises.

Frédéric Mitterrand ancien ministre de la Culture, cinéaste et écrivain :

«Quand j’avais 20 ans, je me faisais souvent refouler de chez Castel parce que je ne venais pas avec d’assez jolies filles. Du coup, j’allais au New Jimmy’s avec des copains, car Régine aimait bien les jeunes gens, et là je rentrais. Elle m’accueillait toujours avec un grand sourire, semblait heureuse de me revoir, me parlait comme si on s’était toujours connus. Et surtout, elle était profondément gentille, ne poussait pas à la consommation, sachant que je n’avais pas beaucoup d’argent.

«Ce qui me plaisait au New Jimmy’s, c’était la musique et l’ambiance de fête, comme dans un bal populaire. Il y avait 80% de gens riches qui venaient en Rolls ou en Porsche, 10% de célébrités internationales et 10% de jeunes gens des beaux quartiers. Elle aimait l’argent et en gagner et, à la fois, elle s’en foutait, dépensait sans compter. Ce qu’elle voulait, c’est que ça rigole, que ça bouge. J’ai fait trois émissions de télé avec elle, sans doute parce que je m’appelais Mitterrand et qu’elle aimait beaucoup François Mitterrand.

«Elle était intelligente. Bien sûr, j’étais très admiratif de son talent, ce qui nous ramène à Gainsbourg et à Frédéric Botton qui écrivaient pour elle. Comme eux, elle représentait une France qui n’existe plus. La dernière fois que je l’ai vue, c’était il y a un an. Elle n’avait plus d’argent et comptait sur moi pour l’aider à livrer la 25e version de ses mémoires. Il y avait un côté Sunset Boulevard mais elle n’a pas, pour autant, fini dans la misère. Elle continuait à avoir son petit train de vie, et à dîner chez Stresa, grâce à la générosité d’amis avec qui elle avait été sympa dans le passé, et qui étaient heureux de pouvoir l’aider en retour. C’était aussi une emmerdeuse ? Oui, mais jamais une salope.

«Elle faisait partie de ces gens qui peuvent être, parfois insupportables mais dont la disparition rend le monde et la vie bien plus tristes. D’autant que, pour moi, Régine, c’était bien plus que des boîtes de nuit ou la Grande Zoa. C’était tout un monde. Traverser la guerre, être en butte à l’antisémitisme, manquer d’argent. Certains se sont moqués d’elle quand elle a participé à l’émission la Ferme des célébrités. Elle ne l’a pas fait par plaisir mais pour payer ses impôts, en survivante et en battante. Quand on a la moitié de sa famille qui a été exterminée à Auschwitz, on n’a pas peur de faire la Ferme des célébrités.» E.D.


Dani chanteuse, mannequin, comédienne et entrepreneuse :

«J’ai rencontré Régine quand je suis arrivée à Paris, au milieu des années 60. J’allais dans son club, rue du Four, avec Zouzou. C’était très respectueux, très gai. C’était un circuit, on commençait la soirée chez Castel parce qu’il y avait un bar et un restaurant et on allait chez elle ensuite. J’aimais la chanteuse, ses choix de textes et de mélodies, la façon dont elle les interprétait avec son cœur et avec sa gouaille. C’était une femme bienveillante, car il faut ça pour réussir dans la nuit : on croise des gens heureux qui ont envie de faire la fête et des gens malheureux, venus, au contraire, noyer leur chagrin.

«Est-ce qu’elle a été ringardisée par l’ouverture du Palace et des Bains-Douches ? Non, je ne crois pas. Il est normal que de nouveaux lieux ouvrent et, d’ailleurs, elle les fréquentait aussi. Mais elle avait sa propre clientèle, fidèle, qui l’a suivie au New Jimmy’s, puis rue de Ponthieu. Elle a été très généreuse avec moi, très à l’écoute. Apprenant, un jour, que j’avais besoin de gagner ma vie elle m’a aussitôt proposé de travailler avec elle. Puis j’ai ouvert mon propre club, l’Aventure, et je lui ai demandé conseil. Elle m’a dit : “Tu dois savoir écouter les gens ; notre métier c’est juste ça, écouter.” Qu’ajouter d’autre ? Je suis triste, très triste. Je vois défiler des polaroïds de toutes les nuits passées avec elle et tant d’autres. Elle doit manquer à de nombreuses personnes aujourd’hui, car elle aura donné beaucoup de bonheur à beaucoup de gens.» E.D


Jérôme Marin, aka Monsieur K. artiste de cabaret et directeur artistique du cabaret Le Secret :

«Il reste encore un bar gay friendly à Orléans, et quand on met du Régine, tout le monde adore, les jeunes y compris. C’est une icône gay, soyons très clairs là-dessus. Ça tient à sa mythologie, bien sûr, à ses looks fabuleux, au culot avec lequel elle chantait les textes de Gainsbourg comme «Ouvre la bouche, ferme les yeux, tu verras, ça glissera mieux». Et puis elle a un côté bonhomme, aussi. C’est une femme-maitresse, avec un caractère de cochon, riche d’une carrière de patronne construite à une époque où c’était vachement dur.

«Mon personnage de cabarettiste, Monsieur K., vient un peu de là. Travaillant dans le milieu de la nuit, les créatures comme Régine sont des natures super intéressantes à observer concernant l’accueil du public et le soin accordé aux autres (c’est pas pour rien que les stars venaient pleurer dans ses bras). Aujourd’hui, quand j’organise les soirées du cabaret le Secret, comme hier au cabaret Madame Arthur, je fais super attention à ça. Régine, au début, chez Jimmy’z, il n’y avait personne. Elle a embauché un videur en lui demandant de recaler tout le monde à l’entrée. Résultat, évidemment, tout le monde est venu. C’est aussi elle qui se mettait à danser pour que les gens dansent…

«On a perdu Zizi Jeanmaire, Annie Cordy, Patachou… Aujourd’hui, il ne reste plus que Line Renaud dans mon panthéon des femmes fortes, icônes populaires au fort caractère. J’aime, en particulier, sa période disco. Tu m’oublieras de Larusso, c’est Régine qui l’a écrit. Mon rêve, c’aurait été de pouvoir chanter avec elle. C’est une des premières icônes que je voulais inviter au cabaret Madame Arthur – ça s’est finalement fait, après que j’ai quitté la direction artistique du lieu – en même temps c’aurait été une grosse angoisse, vu son caractère !»

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