GRAND FORMAT. Olivier de Kersauson :
« J’aurais rêvé de mener un Ultim » (1/2)
Il vit depuis quelques années en Polynésie mais revient régulièrement chez lui au Conquet, dans sa forêt du Finistère, et n’a pas perdu une miette de l’Arkéa Ultim Challenge. Épaté par les performances des solitaires, celui qui a été surnommé « L’Amiral » par le milieu du showbiz parisien, était au départ et à l’arrivée systématiquement aux premières loges, avec l’enthousiasme et les yeux d’un gamin. L’occasion de revenir sur sa longue carrière. Premier volet de notre entretien pour Anticyclone.
Voiles et Voiliers : Tu as suivi l’Arkéa Ultim Challenge-Brest ?
Olivier de Kersauson : Bien sûr et comment ! C’est une vraie belle course sur le parcours le plus complet et le plus extraordinaire qui soit, avec les trois caps ! Et je suis totalement bluffé par les vitesses de ces bateaux. J’ai fait mon tour du monde en solo sur un trimaran de 23 mètres en 125 jours à moins de 10 nœuds de moyenne (en 1989) et là, les gars, ils sont à près de 24 nœuds et le vainqueur a mis 50 jours !
Voiles et Voiliers : Mais les autres tours du monde en course, en équipage et en solo, ce n’est pas rien non plus…
Olivier de Kersauson : Certes, mais en 1973 au départ de la Whitbread [la première course autour du monde en équipage et en quatre étapes où il était à bord, ndlr], Éric Tabarly avait déclaré : « Moi, jamais je n’irai autour du monde en multicoque… » Aujourd’hui, tu as ces trimarans 32/23 ahurissants. Ce sont des machines extrêmes. Je suis totalement impressionné par cette évolution technologique. C’est fascinant de voir ces bateaux à foils voler sur ce parcours aussi compliqué à des moyennes stratosphériques. Il faut les emmener ces bateaux ! Quand je vois qu’entre le cap des Aiguilles et le cap Horn, Charles Caudrelier sur Maxi Edmond de Rothschild a parcouru les 12 000 milles à 28 nœuds de moyenne, malgré plus de deux jours à mettre la course entre parenthèses afin d’éviter le mauvais temps, je trouve ça extraordinaire techniquement et maritimement parlant. Mais à ces moyennes, le monde n’est pas le même ! Prends ta voiture et monte à Paris à 200 kilomètres/heure. Tu verras, le monde autour n’est plus le même.
Voiles et Voiliers : Vous n’êtes pas très nombreux à avoir tourné autour du monde en solitaire et en multicoque ?
Olivier de Kersauson : Nous ne sommes même pas dix ! C’est un petit cercle qui va, j’espère, s’agrandir de quatre nouveaux marins après l’Arkéa Ultim Challenge [Caudrelier, Le Cléac’h, Marchand et Péron, ndlr]. Si ma mémoire est bonne, il y a eu Alain Colas (1973-1974), Philippe Monnet (1986), ma pomme (1989)… Nous avions tous les trois fait escale. Et quatre l’ont bouclé en multi sans s’arrêter : Francis Joyon (2006 et 2008), Ellen MacArthur (2005), Thomas Coville (2009, 2011, 2016) et François Gabart (2017). Je suis admiratif en voyant ces marins ! Il faut du bagage pour mener ces bateaux. Dire que Thomas (Coville) a disputé son premier tour du monde avec moi en 1997 sur Sport-Elec. Là, il boucle son neuvième… Ce sont des solitaires, mais qui ne courent plus en solitude, les moyens de communication n’ayant plus rien à avoir avec ce que nous avons connu en BLU via Saint-Lys Radio.
J’aurais rêvé de mener un Ultim, mais ce n’est plus de mon âge.
Voiles et Voiliers : Tu aurais aimé courir sur ces trimarans ?
Olivier de Kersauson : Bien sûr que oui ! C’est magnifique ces bateaux et ça a du sens ! J’aurais rêvé de mener un Ultim, mais ce n’est plus de mon âge. Je vais sur mes 80 ans ! J’ai été pourtant l’un des premiers à naviguer seul sur de grands trimarans, mais j’ai vite compris, il y a bientôt un demi-siècle après la course Londres-Sydney-Londres [afin de battre le record de Patriarch, ndlr] sur Kriter II, un ketch de 24 mètres, que je n’allais pas ronfler longtemps sur un monocoque lourd et lent…
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En multicoque, quand tu passes le Horn, tu sais que tu ne vas pas mourir.
Voiles et Voiliers : Tu as navigué en multicoque avec Éric Tabarly sur Pen Duick IV ?
Olivier de Kersauson : Absolument avec Tabarly et Colas, avant qu’Alain ne le rachète à Éric et le rebaptise Manureva. Ce trimaran, dessiné par André Allègre, était sidérant. Il y avait tout : la longueur des flotteurs, les mâts-ailes… Nous cassions tout ce que l’on pouvait casser, et pas que des manilles. Nous passions notre temps à réparer. Éric Tabarly n’hésitait jamais à innover. Il prenait des risques et il aimait ça. Mais ces bateaux n’avaient pas d’appui et sancissaient quand le flotteur sous le vent rentrait sous l’eau. Ce n’était pas difficile de faire une galipette !
Voiles et Voiliers : Bien que de plus en plus fiables, les Ultim ont manifestement beaucoup souffert ?
Olivier de Kersauson : Ce n’est pas surprenant. Déjà pour gagner une course, il faut la finir. Cela peut sembler une lapalissade, mais l’ensemble des bateaux subit du stress mécanique. En outre, ils ont rarement fait autant de milles d’affilée (près de 30 000). Des pièces qui ne t’ont jamais posé le moindre problème sur une transat commencent à te créer des emmerdements… À part Charles Caudrelier [qui a relâché aux Açores pour laisser passer une tempête, ndlr], tous se sont arrêtés une à deux fois. En multicoque, quand tu passes le Horn, tu sais que tu ne vas pas mourir. La remontée de l’Atlantique, elle est difficile et n’en finit pas, mais il n’y a plus rien de dangereux. Mais les bateaux souffrent terriblement dans l’alizé.
Les marins d’aujourd’hui ont les bateaux qu’ils méritent.
Voiles et Voiliers : Finalement, tu as été l’un des précurseurs sur les grands trimarans ?
Olivier de Kersauson : Oui, un peu, mais on découle toujours de quelqu’un. On n’a pas inventé la mer ! Lyonnaise des eaux-Dumez (lancé il y a 30 ans) mesurait 27 mètres, était en composite avec un mât carbone de 32 mètres… sans foil mais avec des dérives courbes. Nous n’avions pas les mensurations des Ultim actuels, mais nous n’en étions pas si loin. Les marins d’aujourd’hui ont les bateaux qu’ils méritent. Ils ne se sont pas arrêtés là où nous nous sommes arrêtés. Technologiquement, c’est très impressionnant ! Il faut vraiment faire ressortir et mettre en avant ces équipes d’engineering, ces sponsors, ces préparateurs… Pour que ces bateaux se déplacent à cette vitesse-là, c’est vraiment la preuve d’un sacré investissement intellectuel en amont.
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Voiles et Voiliers : On a le sentiment qu’il y a de plus en plus de détritus, outre les cétacés ?
Olivier de Kersauson : Je suis très réservé sur ce point. J’ai toujours entendu parler d’OFNI ! On incombe beaucoup d’accidents à des impacts avec des objets flottants. Franchement, il n’y en a pas tant que ça. J’ai beaucoup tourné autour du monde. Tu ne zigzagues pas entre les poubelles… surtout dans les mers du Sud. Mais ces trimarans vont tellement vite que le moindre choc est rédhibitoire.
Les marins vivent aujourd’hui dans une parfaite violence au bon sens du terme.
Voiles et Voiliers : Tu suis un peu la Coupe de l’America qui t’a toujours fasciné ?
Olivier de Kersauson : En ce moment pas trop. Je vis avec ce tour du monde qui m’a totalement enthousiasmé. J’ai suivi la course au jour le jour, mais je n’en étais pas à faire des routages, quand même. Ce qui me fait vraiment plaisir, c’est de me dire que le mal qu’on s’est donné à notre manière et avec finalement peu de moyens, comparé à aujourd’hui, ça n’a pas servi à rien et ça a fait des petits… Personne ne roupille. Tout le monde se donne du mal. Les marins vivent aujourd’hui dans une parfaite violence au bon sens du terme. Ce qui me fait marrer, c’est que nous aussi étions dans une parfaite violence. Nous étions vulnérables. Il fallait se démerder. J’ai l’impression que les écuries de course donnent tout, comme nous avons tout donné à notre époque.
Voiles et Voiliers : Tu es donc un « bon avocat » des coureurs en multicoque et de cette course ?
Olivier de Kersauson : Peter Blake disait que tant que tu n’avais pas fait le tour du monde en multicoque, tu n’avais pas navigué ! Pourtant il a couru je ne sais combien de Whitbread avant [Il a battu le record du Trophée Jules Verne en 1994 avec Robin Knox-Johnston sur Enza New Zealand, ndlr]… Je suis assez d’accord avec lui. De toutes mes navigations, ce sont celles en multicoque que j’ai préféré, et de loin.
À suivre.
L’entretien « Grand Format » est à retrouver dans le magazine Voiles et Voiliers. Chaque mois, découvrez la longue interview d’une navigatrice ou un navigateur dans notre journal papier et sa version longue en deux épisodes sur notre site web et dans la rubrique « Anticyclone » sur ouest-france.fr.
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