Les causes du covid long commencent à se dévoiler
Les études sur la persistance de symptômes après une infection au Sars-CoV-2 livrent enfin des pistes d’explications. À la clé : des traitements plus adaptés pour les nombreuses personnes touchées, et une meilleure compréhension des nombreuses maladies post-infectieuses.
de la pandémie de Sars-CoV-2 aura eu au moins un mérite : celui de rendre visible le fait qu’une infection virale dite « résolue » peut perturber durablement les organismes. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on récupère d’une infection ou qu’on ne trouve plus de virus que les problèmes s’arrêtent.
Parfois, des symptômes peuvent persister durant des mois, même des années. Bien qu’aucun consensus n’existe encore sur les mécanismes biologiques sous-jacents, les études se multiplient et commencent enfin à lever une partie du mystère qui entoure les syndromes post-infectieux.
Bizarrement, au début de la pandémie, la possibilité d’un « covid long » n’était guère envisagée. Les virus respiratoires entraînent des infections aiguës puis sont nettoyés par le système immunitaire, pensait-on. Pourtant, un petit détour historique révèle qu’on avait déjà identifié une persistance de certains symptômes après la pandémie de grippe espagnole (1918-1921) ou, plus récemment, après les épidémies de deux autres coronavirus (Sars en 2002 et Mers en 2013).
« Lorsqu’on ne comprend pas un problème médical, on a malheureusement tendance à l’ignorer », explique Lisa Chakrabarti, du laboratoire Virus et immunité de l’Institut Pasteur. « Moi aussi, j’ai d’abord pensé qu’en trois mois toute trace d’infection aurait disparu », raconte cette spécialiste du sida qui mène des recherches sur le covid depuis le premier confinement.
Erreur : dès la fin 2020, 10 % des patient·es infecté·es depuis plus de trois mois décrivaient déjà des symptômes persistants. Aujourd’hui, la prévalence exacte du covid long reste débattue, d’autant plus qu’aucune définition consensuelle de ce syndrome n’existe.
Les cachettes du virus
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) le définit comme une persistance de symptômes durant au moins deux mois chez les personnes présentant un antécédent d’infection au covid. Alors qu’en France, les autorités ont retenu une période de quatre semaines après un épisode symptomatique. En fonction des études et des définitions, l’incidence du covid long se situe ainsi entre 5 % et 30 % des cas non hospitalisés et entre 50 % et 70 % des cas hospitalisés.
Fatigue, brouillard cérébral, palpitations, troubles digestifs… Ce qui caractérise ce syndrome, c’est qu’il concerne un nombre impressionnant d’organes. On recense pas moins de deux cents symptômes différents, de sévérités variables selon les cas et qui fluctuent au cours du temps. Cette diversité reflète celle observée durant les phases aiguës de la maladie, et pointe vers des mécanismes biologiques multiples, qui peuvent se chevaucher ou s’additionner. Voilà qui laisse peu d’espoir de trouver une réponse unique qui convienne à tout le monde.
L’une des hypothèses qui commence à se consolider au fil des publications consiste à relier ces symptômes à une persistance du virus dans certains tissus. « Les réponses immunitaires à l’intérieur des tissus ne sont pas les mêmes que dans le sang », précise Michaela Müller-Trutwin, de l’Institut Pasteur. Ainsi, ce n’est pas parce que le virus est indétectable dans le sang ou dans les voies respiratoires supérieures qu’il ne subsiste pas ailleurs, caché à l’intérieur de l’un ou l’autre de nos organes.
La chercheuse l’a récemment démontré sur des macaques. « Six mois après qu’on leur avait inoculé le virus, on voyait encore des traces d’inflammation dans leur sang. On savait qu’aucun autre pathogène ne les avait infectés entre-temps. Ça nous a mis la puce à l’oreille. » En récupérant des cellules des poumons via la méthode du lavage broncho-alvéolaire, l’équipe a découvert chez certains animaux des virus vivants à l’intérieur des macrophages, jusqu’à dix-huit mois après l’infection. « Ces cellules immunitaires sont connues pour englober tout ce qui les entoure », explique la virologue.
Les animaux chez qui les quantités de virus étaient les plus importantes présentaient une inhibition des lymphocytes NK (Natural Killer en anglais), qui représentent avec les macrophages la première ligne de défense immunitaire, chargés notamment de tuer les cellules infectées par les virus.
Si ces lymphocytes tueurs fonctionnent mal, voilà qui pourrait expliquer la présence de réservoirs viraux à l’intérieur des cellules de certains organes, y compris à l’intérieur des cellules immunitaires chargées de nous débarrasser desdits virus. « Nous sommes en train de chercher si d’autres cellules, ailleurs que dans les poumons, contiennent également du virus », indique Michaela Müller-Trutwin.
En avril, des chercheurs et chercheuses chinois·es publiaient une étude portant sur 225 patient·es avec antécédent de covid ayant subi des biopsies. Cette équipe a elle aussi trouvé des traces de virus dans de nombreux tissus : poumons, intestins, foie, reins, cerveau… Dans certains de ces tissus, la présence d’ARN codant pour des protéines virales semble indiquer que ces virus sont encore capables de se répliquer. Plus significatif encore : « Les patients dont le nombre de copies du virus était le plus élevé avaient une plus grande probabilité de développer des symptômes de covid long », indiquent les auteurs.
De fait, qui dit virus persistant dit inflammation persistante et dégâts cellulaires prolongés. Ainsi, selon l’endroit où se trouvent ces réservoirs viraux, les symptômes pourraient être différents. À l’intérieur de la muqueuse intestinale, ils pourraient être à l’origine de problèmes digestifs, perturber le microbiote. Dans le cerveau, ils pourraient expliquer le nuage cognitif et certains désordres hormonaux (une piste notamment explorée pour des neurones situés dans l’hypothalamus exprimant une hormone appelée GnRH, impliquée dans les fonctions reproductrices). Dans la paroi des vaisseaux sanguins, ils pourraient favoriser la formation de caillots sanguins, nuisant ainsi à l’oxygénation des tissus.
Conséquences en cascade
Toutefois, « s’il est clair que le virus peut persister, il n’est pas encore robustement établi que sa persistance soit la cause du covid long », insiste Lisa Chakrabarti. Le pathogène pourrait en effet agir de manière indirecte. Même après sa disparition, des événements en cascade suffisent pour perturber durablement les organismes.
Premier mécanisme proposé : les symptômes persistants pourraient être une conséquence des dégâts qui ont eu lieu durant l’infection aiguë. Par exemple, lorsque le virus se multiplie dans les poumons, il détruit de nombreuses cellules pulmonaires, pouvant entraîner des séquelles respiratoires à long terme.
S’il s’attaque à des cellules qui produisent et sécrètent des hormones (glandes surrénales, hypothalamus, thyroïde, ovaires, testicules…), cela va modifier les concentrations hormonales, qui à leur tour vont modifier l’activité de certains organes cibles. Plusieurs études ont ainsi observé, parmi les personnes souffrant de covid long, une baisse du taux de cortisol, l’« hormone du stress », qui régule notamment notre glycémie en cas de stress et joue un rôle dans le cycle veille-sommeil.
Autre découverte : ce virus n’agit pas nécessairement comme un tueur cellulaire forcené. Il peut infecter une cellule sans la détruire, et la dérégler de l’intérieur. Plusieurs études ont montré que certaines de ses protéines pouvaient durablement perturber le fonctionnement des mitochondries, les usines énergétiques de nos cellules. Voilà qui pourrait expliquer la fatigue générale mais aussi l’épuisement, voire les malaises après effort.
L’immunité chamboulée
Autre mécanisme envisagé : le covid long pourrait être lié à une perturbation à long terme de notre immunité. Lors de l’infection, les cellules immunitaires dites T qui reconnaissent le virus sont amplifiées : ce sont elles qui sont chargées d’éliminer les cellules infectées. Mais en cas d’emballement, il peut arriver que d’autres cellules T, non spécifiques du virus, soient également amplifiées. Résultat : au lieu de s’attaquer spécifiquement aux cellules infectées par le Sars-CoV-2, elles peuvent détruire des cellules de l’organisme. Ce phénomène d’auto-immunité a été retrouvé dans plusieurs études sur le covid long.
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