Le billet de Mediapart...
Aya Nakamura a chanté avec la garde républicaine, Marie-José Pérec et Teddy Riner ont allumé la vasque olympique, Zinédine Zidane a piqué la flamme à Jamel Debbouze, Rim’K a chanté les cités et Barbara Butch a fait danser des corps trans : la fête olympique a mis à l’honneur les minorités composant la société française.
Le metteur en scène Thomas Jolly avait promis un spectacle total célébrant Paris et la Seine. Vendredi 26 juillet, la traditionnelle fête inaugurale de l’évènement sportif le plus regardé au monde a mis à l’honneur un pays métissé, rebelle aux normes de genre, où les corps sont fiers de leur handicap et où les stars sont des enfants de l’immigration ou des personnalités des outre-mers : Jamel Debbouze et Zinédine Zidane pour ouvrir le bal, Marie-José Pérec et Teddy Riner, nés en Guadeloupe, pour allumer la vasque olympique.
Le danseur américain Shaheem Sanchez, malentendant, a interprété en langue des signes – du « chansigne » – le tube disco planétaire Supernature de Marc Cerrone. Le rappeur Rim’K, figure de la scène hip-hop, cofondateur du collectif Mafia K’1 Fry et auteur du tube Tonton du bled, a fait surgir les cités du 94 (Val-de-Marne) dans le paysage parisien avec sa punchline : « Mon bâtiment fait partie des sept merveilles du monde. » Et Axelle Saint-Cirel, chanteuse lyrique noire, dont les parents sont nés en Guadeloupe, sur le toit du Grand Palais pour chanter La Marseillaise.
Des drag-queens (Nicky Doll, Paloma, Piche) et la mannequin trans Raya Martigny ont défilé en tenues extravagantes sous les beats lancinants de la DJ Barbara Butch, star lesbienne de la scène électro et militante contre la grossophobie. Le visage couronné d’une auréole argentée, elle a mixé sur une longue table de banquet, entourée de performers prenant la pause. Clin d’œil appuyé à La Cène, le célèbre tableau de Léonard de Vinci – version queer.
On danse, deux hommes s’embrassent, Philippe Katerine chante quasi nu – mais peint en bleu – et la fachosphère tombe en PLS : « L’ouverture des Jeux olympiques est un saccage pour la culture française » (Julien Odoul, porte-parole du RN) ; « Mais quelle image de la France renvoie-t-on au monde ? » (Edwige Diaz, députée RN) ; « On cherche désespérément la célébration des valeurs du sport et de la beauté de la France au milieu d’une propagande woke aussi grossière » (Marion Maréchal, ex-Reconquête).
L’histoire de France imprègne le récit du spectacle – l’historien Patrick Boucheron est l’un des coscénaristes. Mais elle est passée à la moulinette de ses réinterprétations par la pop culture. Les Minions de Pierre Coffin, maître d’œuvre des films d’animation « Moi, moche et méchant », volent la Joconde, le groupe de death metal Gojira ensanglante la Conciergerie avec les spectres des décapité·es de la Révolution française, le personnage du jeu vidéo Assassin’s Creed, création du studio français Ubisoft, fait office de fil rouge en portant la flamme sur les toits de Paris.
Certes, Lady gaga a chanté « Mon truc en plumes », la mythique chanson de Zizi Jeanmaire, meneuse de revue et figure des cabarets que les touristes aiment tant visiter. Oui, les sites iconiques de Paris sont apparus dans le décor (la tour Eiffel, le Pont-Neuf, le Louvre, le métro) et les caméras ont filmé des danseurs acrobates évoluant dans les échafaudages de Notre-Dame-de-Paris.
Comme promis aussi, Céline Dion, peut-être la chanteuse la plus connue au monde, a interprété L’Hymne à l’amour d’Édith Piaf, sans doute le morceau le plus célèbre de la chanson française. Mais les quatre heures de cérémonie, entre le pont d’Austerlitz et le Trocadéro, furent surtout un crescendo en hommage aux minorités qui composent la société française.
Deux mondes se regardent avec respect
L’apothéose de cet éloge multiculturel fut l’incroyable rencontre d’Aya Nakamura et ses danseuses, tout d’or vêtues, avec la fanfare de la garde républicaine, raide sous son uniforme d’apparat. Immense pied de nez à l’extrême droite qui avait hurlé contre la présence en ouverture des JO de la chanteuse franco-malienne, elle est entrée en scène devant l’Académie française.
Elle chante For me formidable, le classique d’Aznavour, qu’elle fusionne avec ses propres tubes Pookie et Djadja. Et soudain les cuivres des militaires entonnent ses rythmes de rumba congolaise. Le maître de cérémonie esquisse des pas de danse et l’orchestre se met à entourer Nakamura et sa troupe, leur offrant la place d’honneur. À leur tour, les femmes leur rendent hommage et leur offrent un salut militaire.
Deux mondes se regardent et se montrent du respect. Celui des filles racisées des banlieues françaises qui chantent leurs peines de cœur, et celui du swing des cuivres plus habitués à jouer l’hymne national et les chants militaires. Que cette rencontre puisse créer tant d’harmonie musicale et une telle puissance symbolique donne une émotion palpable.
On en oublierait presque les Jeux olympiques. Les délégations des athlètes sont pourtant bien là. Elles remontent la Seine vers le Trocadéro et la tribune présidentielle, saluant le public depuis le pont des bateaux où les équipes de plusieurs pays se côtoient. Le tout dans une ambiance musicale tonitruante qui éclipse la dimension sportive de l’évènement et rappelle les shows de l’Eurovision.
C’est à la fois joyeux de voir le protocole olympique chahuté, car les équipes marchent d’habitude séparées les unes des autres derrière leur drapeau, et gênant, quand les délégations de pays en guerre (Ukraine, Palestine) ou subissant dictature et oppression (Syrie, Rwanda) apparaissent sur fond de dance music. Limites du dispositif festif qui efface la géopolitique et ravale les représentant·es des nations au rang de figurant·es de ce qui est avant tout un spectacle commercial. La délégation algérienne s’est distinguée par un acte clairement politique en jetant dans la Seine des roses rouges, au cri de « Tahia Djazair » (« Vive l’Algérie »), en hommage aux victimes du 17 octobre 1961.
À l’arrivée au Trocadéro, l’embarras monte encore d’un cran : mise en scène martiale avec remise de drapeau, serment, musique guerrière, discours interminables des chefs des Jeux olympiques et paralympiques. On dirait que le CIO a repris en main la scénographie, et on change d’ambiance. « Plus vite, plus haut, plus fort » : l’imaginaire olympique n’a pas beaucoup évolué depuis Coubertin, et ça se voit.
Le rituel des Jeux sent le vieux et le patriotisme de compétition. L’ordre règne, tout est symétrique et bien rangé. Seuls les sifflets et les huées infligées à Emmanuel Macron lorsqu’il prend la parole pour déclarer ouvertes les nouvelles olympiades remettent un peu de vie et de chahut dans cette séquence verrouillée de communication institutionnelle.
Il faudra revenir à la Seine et découvrir le glorieux équipage – Nadia Comaneci, Carl Lewis, Rafael Nadal, Serena Williams – qui ouvre le trépidant final du show pour retrouver de la joie et un souffle de poésie. À l’issue des quatre heures de cérémonie naît l’impression insistante d’avoir traversé des mondes parallèles. Celui des métissages et de la rébellion contre les normes, celui du patriotisme sportif, et celui de l’ordre olympique. L’évènement nous laisse sur une question essentielle : à la fin, dans la vraie vie, lequel va l’emporter ?
Le mystérieux homme masqué
Qui est-il ? D’où vient-il ? Autant de questions que se sont posées les spectateurs et téléspectateurs ce vendredi soir lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024.
Masqué, sous une capuche et enveloppé d’un costume entre révolutionnaire et sportif, un personnage mystère a sauté et effectué des acrobaties sur les toits de Paris flamme olympique à la main.
Dès le début de la cérémonie et les premières figures de l’homme masqué, certains ont pensé reconnaître Simon Nogueira, le freerunneur français connu pour ses performances sur les toits de la capitale et même ceux de Notre-Dame
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