Après un marathon de plusieurs semaines, un protocole d'accord contre la vie chère a été signé mercredi soir, sauf par le Rpprac. Qualifié d'historique et d'inédit par la majorité des acteurs, que dit-il réellement ?
Ça y est ! Après des semaines de négociations et de travail acharnés, un accord a enfin été trouvé pour lutter contre la vie chère en Martinique. Il a été rejeté par le Rpprac qui demandait des baisses de tarifs sur tous les produits alimentaires importés, mais il a été signé par les autres acteurs, soit la Collectivité territoriale de Martinique, la préfecture, les parlementaires présents, l'Association des maires et les acteurs de la distribution (distributeurs, grossistes, CMA-CGM...). Et, mine de rien, si tout ce qui y figure se réalise vraiment, ce protocole pourrait avoir des airs de petite (ou grande?) révolution. Regardons-y de plus près.
Une baisse des prix de 20%
Le protocole annonce une baisse des prix moyenne de 20% sur les produits les plus consommés par les familles, aussi bien sur l'alimentaire que l'hygiène ou les produits bébés (lait, pâtes, lentilles, haricots, sardines, thon, ailes de dinde, beurre, huile, fromage râpé, pommes, couches pour bébé, dentifrice, rasoir, papier toilette, lait pour bébé...). Il prévoit une réduction du différentiel des prix de l'alimentaire entre la Martinique et l'Hexagone de 5 à 25%, alors qu'il est actuellement d'environ 40%. Plus précisément, le différentiel sera de 5 à 25% dans le cadre de circuits longs et de 5 à 15% pour les circuits courts. Une bonne nouvelle car l'écart de prix avec la France métropolitaine a continué à se creuser dans l'alimentation puisqu'il était de 38% en 2015 (chiffres Insee). L'État promet aussi d'appuyer l'application de tarifs export par les fournisseurs hexagonaux pour la vente à destination des Outre-Mer. Le ticket de caisse devrait donc s'alléger !
En revanche, l'alimentaire représente 14% des dépenses des ménages. Ce qui signifie que l'impact sur le budget global des familles sera intéressant, certes, mais qu'il y a d'autres postes de dépenses à scruter, à interroger, et sur lesquels il faudrait agir pour avoir une action profonde sur la vie chère et le pouvoir d'achat des Martiniquais. Par exemple, l'automobile, les transports? Le logement, les loyers? Les services, la télephonie? Les prix des services de communication (téléphonie, internet par exemple) sont plus élevés de 37 % que dans l'Hexagone. Selon l'Insee, avec 18% ce sont les transports qui représentent le poste le plus imporant dans le budget des ménages, suivis des biens et services (15%), du logement, de l'eau et de l'énergie (14%). Voir encadré.
De 134 à 7000 produits
L'accord porte sur 54 familles de produits de grande consommation, soit près de 7000 produits concernés. Le protocole précise que l'État va ouvrir d'autres négociations de modération de prix pour élargir la liste, mais sans précision aucune. Pour rappel, le Bouclier-qualité-prix (BQP) ne contient que 134 produits. C'est donc, en termes de liste, une avancée majeure. Selon le texte du protocole, cette liste aurait été analysée par des spécialistes de la nutrition et de la santé. Mais l'une des critiques principales du Rpprac porte justement sur l'aspect nutritionnel des produits et leur mauvais nutriscore. L'association pointe du doigt le fait que la liste ait été établie par rapport aux produits vus en caisse alors même que les consommateurs "achètent ce qu'ils peuvent et non ce qu'ils doivent ni ce qu'ils veulent", a souligné plusieurs fois Aude Goussard. Et effectivement, un coup d'oeil rapide sur cette longue liste permet de se rendre compte que n'y figurent ni le poulet, ni les viandes fraîches de bovins ou de porc, ni le poisson frais. On y trouve très peu de fromages (et pas les meilleurs), pas beaucoup de fruits et légumes frais. Est-ce à dire, s'il y a péréquation, que les personnes qui essaient de manger des produits de qualité devront payer encore plus cher?
Octroi de mer et TVA à 0
Pour parvenir à baisser les prix, plusieurs mesures devront être mises en oeuvre et elles engagent un ensemble d'acteurs. En effet, les distributeurs ne peuvent pas, à eux seuls, porter l'effort de la lutte contre la vie chère. Les élus de l'Assemblée de Martinique ont ainsi voté, vendredi dernier, la baisse de l'octroi de mer et de l'octroi de mer régional à 0% sur les 54 familles de produits. De son côté, l'État s'est engagé à appliquer une TVA à 0 sur 69 familles de produits, c'est-à-dire les 54 précitées ainsi que des produits de la production locale. Mais attention, il faudra compenser les pertes budgétaires que cet effort représente pour l'État et les collectivités martiniquaises. Car n'oublions pas, par exemple, que l'octroi de mer permet de financer les communes et la CTM. C'est donc un système de péréquation qui permettra d'assurer la neutralité budgétaire. L'octroi de mer des produits dits de confort ou premium sera augmenté. De même que les exonérations de TVA seront supprimées sur d'autres produits non-alimentaires. En clair, le consommateur paiera plus cher certains (tous?) produits qui ne sont pas dans la liste.
L'effort des distributeurs
Le secteur de la distribution a accepté des concessions et les mesures prises sont fonction de la taille du distributeur car les contraintes sont différentes pour les petits. Les hypermarchés s'engagent à réduire de 20% les prix de vente sur les 54 familles de produits bénéficiant de l'ensemble des mesures prévues par le protocole (octroi de mer et TVA à 0%, continuité territoriale, tarifs export). Et à n'appliquer "aucune marge excessive sur l'ensemble des produits de l'alimentation courante". Mais le texte ne précise pas ce qu'est une marge excessive ni un produit de consommation courante... Les supermarchés et supérettes s'engagent à répercuter sur les prix de vente de leurs produits les baisses obtenues par leurs importateurs-grossistes sur les 69 familles de produits. De plus, les enseignes (sauf les supérettes) devront réduire les marges en valeur réalisées sur les produits concernés à travers un gel de leurs taux de marge.
Les distributeurs et les intermédiaires répercuteront sur les prix de vente tous les avantages financiers obtenus (ristournes, coopération commerciale etc). Enfin, les distributeurs proposeront plus de produits de marque distributeur en rayon, à proportion de l'offre proposée dans l'Hexagone.
Réduire les frais d'approche
L'importance des frais d'approche (acheminement, formalités administratives, logistique, transport, stockage, livraison) a été longuement détaillée lors des débats, et 67% du différentiel de prix entre la Martinique et l'Hexagone leur sont imputés. Un mécanisme de compensation du fret sera créé pour les réduire sur les 69 familles de produits retenues. Lors des débats, ce fonds avait été évalué à 11 millions d'euros mais le protocole n'avance aucun chiffre. Il serait financé par des contributions volontaires et privées dont celle de la CMA-CGM, principal transporteur, et de l'État. Ce dernier devra aussi solliciter la participation des autres compagnies maritimes. Mais pour l'heure, encore une fois, l'intention est là mais aucun chiffre n'apparaît dans le document. De son côté, le Grand Port maritime de la Martinique s'engage à permettre une péréquation des frais portuaires appliqués sur les 69 familles de produits.
Transparence et contrôles
Il est évident que sans transparence ni contrôles toutes ces belles dispositions resteraient lettres mortes. D'ailleurs, l'opacité du mécanisme de la formation des prix a souvent été abordée lors des tables-rondes. Après tout, libre à une enseigne d'augmenter certains prix de 20% maintenant pour les re-baisser d'autant dans quelques semaines... Le texte prévoit donc que les distributeurs "s'engagent à communiquer à l'État les prix et les marges pratiqués sur les produits concernés au cours des six mois qui précèdent la signature du présent protocole". De même, ils devront, ainsi que les importateurs grossistes, communiquer tous les six mois leurs données économiques ainsi que les sorties de caisse. L'Autorité de la concurrence sera saisie, les contrôles seront plus nombreux, et les moyens de l'Observatoire régional des prix, des marges et des revenus (OPMR) seront renforcés. Et la CTM financera la mise en place d'une mission de contrôle de l'application du protocole signé.
Un nouveau modèle économique
La réflexion intègre aussi des mesures pour favoriser l'autonomie alimentaire et soutenir la production locale afin d'agir à plus long terme et en profondeur sur la question de la vie chère. Serge Letchimy s'est réjoui que l'État accepte enfin l'idée d'une réforme du Posei pour soutenir les cultures locales et la diversification. L'accord prévoit ainsi une expérimentation de trois ans et une permière enveloppe de 2 millions d'euros en 2025.
La CTM s'engage à créer un marché d'intérêt territorial au Lamentin pour faciliter l'écoulement de la production locale. L'État travaillera sur l'élargissement de l'aide au fret pour les produits bruts à transformer en provenance des pays de la Caricom et des Amériques. Enfin, les signataires ont accepté de geler la création de nouvelles surfaces de distribution alimentaire de plus de 1000m2 pendant 10 ans pour protéger les commerces de proximité.
Quel calendrier ?
En revanche, ne vous attendez pas à voir les effets de cet accord sur votre porte-monnaie dès la semaine prochaine !
Le processus sera bien plus long d'autant que certaines dispositions demandent des évolutions de lois et de règlements. Il faudra donc attendre la promulgation de la loi de finances 2025, le vote du budget 2025 de la CTM, la modification des règles concernant l'octroi de mer et la TVA. Les mesures seront donc mises en place à partir du 1er janvier 2025, et pour une durée de 36 mois qui correspond à "une période d'observation".
Les stocks de produits actuellement détenus par les importateurs grossistes et les distributeurs ne sont évidemment pas concernés. Le protocole prévoit une réunion trimestrielle et un comité de suivi annuel pour veiller à la mise en place concrète des dispositions prises. D'autres sujets majeurs continueront d'être débattus comme la continuité territoriale, les prix des produits locaux et des médicaments, l'accès des jeunes agriculteurs à la terre et l'insertion des jeunes. Ce texte a tout d'un accord historique, pour peu qu'il soit appliqué. Il y a encore du pain sur la planche...
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