Pour «l’indépendance», contre les «békés» et multirécidiviste: Rodrigue Petitot, figure trouble de la contestation en Martinique
Son bob vissé sur sa tête, du même rouge que son T-shirt - la couleur emblématique de la contestation en Martinique - lui donnerait presque un air sage. Rodrigue Petitot, 42 ans, fait pourtant trembler l’île des Antilles depuis qu’il a lancé début septembre la contestation contre la vie chère avec son mouvement, le Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéennes (RPPRAC). Sur les barrages qui bloquent les routes de Fort-de-France, sa silhouette, munie d’un haut-parleur avec lequel il harangue les contestataires, est devenue familière.
Sur le parking d'un stade, samedi 19 octobre, les yeux de milliers de manifestants, également vêtus de rouge, sont rivés sur leur leader. Chacune de ses paroles est accueillie par des applaudissements. «Les choses ne font que commencer !», lance le Martiniquais, invitant à maintenir la pression. Après plus d’un mois marqué par les pillages et dégradations de commerce, l’Etat et les distributeurs ont convenu d’un accord pour baisser de «20% en moyenne» les prix de l'alimentaire sur 6000 produits en Martinique. Un accord que la RPPRAC a refusé de signer. «6000 articles, est-ce qu'on peut accepter ça ?», lance celui qui se fait appeler le «R». «Non !», répond la foule, les poings levés. «Est-ce qu'on continue le combat ?», enchaîne le chef. «Oui !», rugit la foule d’un seul chœur.
Multirécidiviste
Voilà quelques semaines encore, peu de Martiniquais avaient entendu le nom de Rodrigue Petitot. La notoriété du «R» a grandi au gré de ses publications TikTok, où il inonde ses 79K abonnés et 450K «followers» de vidéos appelant au soulèvement, encourageant les barrages pour bloquer l’île. Avec, en filigrane, des saillies récurrentes sur l'«autonomie», l'«indépendance» des Antilles, et la dominance supposée des «békés» (blancs créoles descendant des premiers colons esclavagistes).
Celui qui a pour mantra «On est chez nous ici» a passé en réalité sa vie entre les Antilles et la métropole. On peut retracer ses lieux de vie au fil de son casier judiciaire, où l’adresse officielle renseignée est toujours à Colmar, en Alsace. C’est là que le Martiniquais a purgé sa dernière peine de prison. Il a été condamné à 10 ans en 2017 pour association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants et violences mais n’écope que de la moitié avant de bénéficier d'un aménagement de peine.
Ce passé sulfureux, Rodrigue Petitot l'assume. Jusqu’à en faire un argument politique, arguant que son «premier combat» est de dissuader les jeunes de tomber dans les mêmes «pièges» que lui. «Est-ce qu'aujourd'hui, lorsqu'on a purgé sa peine, on n'a plus le droit d'œuvrer pour le peuple?», interrogeait ce père de trois enfants le 21 septembre au micro de l’AFP, en marge d'une action de blocage. Il revendique en outre avoir tiré profit de ce temps en cellule pour «bouquiner beaucoup, apprendre des textes de loi».
Auprès de ses adeptes, l’argument fait mouche. «Quelque part, heureusement qu'il a fait de la prison. Maintenant, ça peut être un vrai leader» qui «n'a pas peur d'aller en garde à vue», relève Florence Saint-Pierre, dont la nièce est trésorière du RPPRAC et l'une des deux bras droits du «R». Certains tirent même la comparaison jusqu’à Nelson Mandela, devenu président d’Afrique du Sud après 27 ans derrière les barreaux sous l'apartheid. Une source au parquet de Fort-de-France se fait plus pragmatique. «Il évoque ses condamnations comme d'anciennes bêtises de jeunesse qui seraient derrière lui. On n'est clairement pas dans ce registre», cingle notre source, énumérant d'autres condamnations antérieures, tour à tour à Fort-de-France et à Colmar, de 10 mois pour port et transport d'armes de catégorie B en 2002, 4 mois pour menaces en 2003, 1 an pour violences en 2007... «C'est un délinquant», tranche notre source.
Opportunisme
Aux yeux des observateurs de la vie politique locale, son engagement politique laisse circonspect. Beaucoup y voient de l’opportunisme. «Avant de trouver le slogan de la vie chère, très consensuel, il s’est mis à la remorque de plusieurs autres pour tenter de soulever des mouvements locaux», souligne auprès du Figaro un acteur bien informé de la vie économique martiniquaise. Depuis son retour en Martinique en 2023, Rodrigue Petitot a tenté de se mêler à différentes polémiques. Comme celle de «l’affaire Pino», qui a défrayé la chronique en Martinique autour d’un litige foncier à partir de début 2024. Ou encore celle de la boulangerie Guérande, tenue par une famille de métropolitains vivant en Martinique depuis plusieurs décennies, et accusée de racisme à l'égard d'un de leurs apprentis. «Rodrigue Petitot en a fait un sujet politique, à tel point que le couple a mis clé sous porte et est rentré en métropole aujourd'hui», affirme l’observateur.
D'aucuns vont même jusqu'à voir en lui un «gangster», qui aurait pris la tête d’une bande du quartier populaire de Sainte-Thérèse. Ce quartier, désormais parsemé de carcasses de voitures et de poteaux électriques défoncés, est l’épicentre des violences qui secouent l’île. Le «R», lui, assure que le «peuple» est son unique cause. Interrogée par Le Figaro, la sénatrice de Martinique Catherine Conconne refuse tout commentaire sur une personnalité «qui fait beaucoup de mal à notre société martiniquaise», déplore-t-elle.
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Certains s’interrogent également sur les soutiens éventuels du «R». L’ombre de l’Azerbaïdjan, proche de Moscou et omniprésent lors des émeutes en Nouvelle-Calédonie, apparaît notamment en filigrane dans le sillage du RPPRAC. Le Groupe d'Initiative de Bakou, ONG azérie très active pour la «décolonisation» des territoires français d'outre-mer, relaie régulièrement sur les réseaux sociaux les communiqués du mouvement martiniquais. Début septembre, au lancement de la mobilisation, lorsque le leader est interpellé dans le cadre d'une enquête pour vol d'autobus avec un groupe de personnes cagoulées puis relâché sous le statut de témoin assisté, deux députés de la NUPES lui rendent visite au commissariat, disant vouloir s'assurer de ses conditions de détention. Les deux élus, Marcellin Nadeau et Jean-Philippe Nilor, sont co-fondateurs du mouvement politique martiniquais «Pèyi A», un parti indépendantiste qui était présent au dernier «Congrès des mouvements d'indépendance des territoires colonisés par la France» (Sic) organisé en juillet dernier par l'Azerbaïdjan.
En août 2024, c'était encore au micro d'une chaîne azerbaïdjanaise que Rodrigue Petitot intervenait en tant que «militant pour l'indépendance de la Martinique». Dans ce documentaire diffusé en langue russe, ses propos prenaient une tournure plus radicale, évoquant «les descendants des Békés» comme «le véritable poison» de la Martinique en ce qu'ils «contrôlent tout, l'importation et l'exportation». «Ils ont l'essence, les bateaux, l'immobilier, et nous, nous n'avons rien. Tout est blanc, parce qu'en réalité, nous n'avons jamais été libres», affirmait le «R». «Et aujourd'hui encore, notre pauvreté alimente leur richesse», estimait celui qui, aujourd'hui, met en garde contre toute volonté d’éteindre la contestation, martelant : «On ne lâchera rien».
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