Vendée Globe 2024 : pour les skippeurs, un départ «la boule au ventre»
Le jour se lève à Port-Olona, où sont amarrés les 40 bateaux.
L’atmosphère est à la fois recueillie et festive. Le temps brumeux mais doux, le vent aux abonnés absents. Depuis trente-cinq ans, chaque départ du tour du monde en solitaire n’est jamais anodin et souvent pesant. C’est le temps des au revoir, des embrassades, des encouragements – une ambiance assurément lacrymale. Cette année, avant de rejoindre leur bateau, les marins doivent passer en zone mixte, et lâcher quelques mots et banalités. Puis, sur l’immense ponton, les quelques privilégiés triés sur le volet, outre les proches et les politiques – à commencer par Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, accompagné d’une impressionnante meute de gardes du corps –, suivent chacun de leurs mouvements, presque voyeuristes tant ces moments intimes pourraient rester discrets. Mais la télé de l’organisation, qui diffuse les images en continu, ne rate aucune effusion, aidée par les influenceurs qui postent à tout-va sur leurs réseaux sociaux.
Embouquer le chenal
Depuis le milieu de la nuit, une foule ahurissante longe le port de commerce afin de s’installer sur les enrochements et ainsi être au premier plan, quand «les gladiateurs», dixit Loïck Peyron, quitteront le port pour prendre le large. Les marchands de cornes de brume ont dû faire un joli chiffre d’affaires. Romain Attanasio, qui loge dans le quartier de la Chaume, sur les bords du chenal, a été réveillé à 3 heures du matin, Maxime Sorel à 4. La plupart ont mal dormi. Eric Bellion avoue être dans un état second et ne cache pas qu’il a peur, car pour sa seconde participation il sait ce qui l’attend. Nicolas Lunven reconnaît, lui, avoir un peu d’appréhension : «On ne part pas pour faire le tour de Yeu [l’île proche des Sables-d’Olonne, ndlr] et rentrer dimanche soir…»
Pour son cinquième Vendée Globe consécutif, Arnaud Boissières pourrait être zen, mais il n’en est rien. Il dit être «très tendu, la boule au ventre». Yoann Richomme, l’un des favoris, qui part pour son premier tour du monde, a la gorge nouée, a du mal à parler et a hâte d’être seul en mer après des semaines de sollicitations. Ce n’est pas le cas de Louis Duc, lui aussi rookie de l’épreuve mais plutôt détendu. La veille, il a passé une soirée tranquille et a dégusté des homards de chez lui, à Barneville-Carteret, dans la Manche.
En 2016, ils étaient 350 000 afficionados. Cette veille d’Armistice, sans nul doute deux fois plus. Les premiers skippeurs, avec en tête Charlie Dalin, le grand favori, doivent embouquer le long chenal de 2 kilomètres. Ils quittent le quai toutes les trois minutes, sous les acclamations, selon un timing et un protocole d’une précision d’horloger. Des centaines de camping-cars en rang d’oignon squattent les meilleures places depuis plus d’une semaine. Côté organisation, les protagonistes voulant donner le départ se sont pressés au portillon, mais Alain Lebœuf, président de la célèbre course, a tranché : ce sera lui et personne d’autre qui lâchera les 40 concurrents à bord du bateau comité de course.
Stroboscopiques
Samedi, veille du départ. La nuit tombe sur le village du Vendée Globe. Les pontons encore bondés et les bateaux tirant sur leurs amarres scintillent au rythme d’éclairages stroboscopiques. Depuis trois semaines, pour apercevoir les voiliers, et avec un peu de chance leurs skippeurs, il a fallu patienter entre deux et trois heures. A 18 h 30, le speaker prend des pincettes et annonce en s’excusant qu’il n’est plus possible d’accéder à l’immense ponton. Des milliers de gens, venus de toute la France et de l’Europe, restent sur le carreau et ne cachent pas leur déception. Andrei et Nadia, un couple féru de voile, n’ont pas hésité à venir en voiture depuis Bucarest en Roumanie. Dans un très bon français, ils regrettent de ne pouvoir approcher les bateaux mais sont fascinés par la taille du village et l’immense foule. Comme beaucoup, ils vont dormir dans leur voiture.
On croise Armel Le Cléac’h, vainqueur en 2017, et recordman de l’épreuve en 74 jours. Le marin, qui n’est pas du genre à refuser un autographe ou un selfie, n’a pourtant pas mis les pieds sur le ponton, de crainte d’être assailli. «Je suis un peu comme les chats, je sors seulement la nuit», lance-t-il à la cantonade. Un peu plus loin, à l’extérieur d’un pub surchauffé, une légende de la voile sirote une bière. A 85 ans, il porte beau, se nomme Robin Knox-Johnston, est commandant de l’ordre de l’Empire britannique. En 1969, sur son ketch en bois de 12 mètres, il a remporté le Golden Globe, sorte d’ancêtre du Vendée Globe, et ce en 312 jours.
La plupart des marins de la course n’étaient pas nés quand il ferraillait avec Bernard Moitessier, alors en tête mais ayant préféré poursuivre sa longue route plutôt que de regagner l’Angleterre. Nombreux sont les skippeurs qui embarquent les livres de ces deux pionniers. Pas certain qu’ils aient le loisir de lire au vu de la brutalité de ces bateaux. Déjà, il va falloir prendre un départ prudent, ne pas risquer une collision, puis après la foule en liesse, retrouver la solitude, et ce en quelques heures seulement.
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