vendredi 17 janvier 2025

ANCA BERTRAND

 




D'Alexandre Bertrand à Anca Bertrand

Ronald Laurencine
« Nus » d'Alexandre Bertrand
« Nus » d'Alexandre Bertrand

La rétrospective Alexandre Bertrand à la Fondation Clément est une formidable opportunité pour évoquer la personnalité de son épouse d'origine roumaine, Anita Ionesco, dite Anca Bertrand, morte il y a 45 ans. Arrivée en 1950 à la Martinique, elle eut, comme Salvat Etchart, un véritable « coup de foudre » pour notre île. Inlassablement, elle défendit et valorisa notre héritage culturel.



Finalement, 2017 s'avère être une année bénie pour se remémorer le pas- sage d'illustres visiteurs : 130 ans déjà que Paul Gauguin et Lafacadio Hearn nous visitaient, le premier pour un court séjour de cinq mois environ, le second resta dix huit mois. 50 ans déjà aussi que le Basque Salvat Etchart décrocha un second Renaudot pour la Martinique - neuf ans après celui d'Édouard Glissant pour " La lézarde " - avec " Le monde tel qu'il est ".
Enfin, 45 ans déjà que Anca Bertrand disparaissait, semant la consternation sur l'île, comme le notait une édition de France-Antilles de janvier 1972 : « Toute la Martinique est touchée par la mort subite d'une grande dame des Antilles, à l'âge de 51 ans des suites d'une opération (embolie). Arrivée dans l'île en 1950, Anca Bertrand s'était très vite passionnée pour le folklore. Elle lui a consacré une série d'émissions mémorables à la radio, le sortant du sommeil dans lequel il était plongé. La grande dame est à l'origine de la redécouverte du Bel- Air. C'est elle qui est allée chercher Ti'Emile au fond de sa campagne samaritaine (...) Son amour pour notre littérature, notre culture, notre histoire faisait d'Anca Bertrand une véritable Antillaise. Elle était également directrice-fondatrice de la revue Parallèles (....) »
45 ans après, hormis le terme folklore, qui, sorti de son contexte historique, chatouillerait quelques esprits, ce compte rendu résumant l'apport d'Anca Bertrand à la Martinique, ne susciterait aucune réserve. Pour autant, ce « portrait-robot » est forcément incomplet parce qu'il n'évoque pas le couple qu'elle formait avec Alexandre Bertrand : lui artiste-peintre, elle militante culturelle. Quand il portraitura Alexandre Bertrand pour Potomitan, Gerry L'Étang écrivait que « à Paris, il fait une rencontre décisive, celle d'Anca Ionesco, qu'il épouse en 1948 » . Il a 30 ans, elle 27 ans.
RÉFUGIÉE À PARIS
Depuis trois ans, fuyant sans doute une Roumanie irréversiblement sous influence soviético-communiste, Anita Ionesco s'était réfugiée en France, à Paris, d'abord pour y suivre des études de droit, mais sa véritable vocation tendait à la maîtrise de l'art cinématographique, qu'elle étudia à l'IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques).
Alexandre Bertrand marié à Anca, « décide de faire connaître son pays à sa femme. Ce devait être un bref séjour avant leur établissement au Sénégal, où Léopold Sédar Senghor, ami d'Alexandre, devait faciliter leur installation. Anca se plaisant en Martinique, le projet sénégalais fut annulé » , relate Gerry L'Etang.
Comment expliquer, en 1950, l'enthousiasme spontané de la Roumaine et Européenne Anita Ionesco pour la société martiniquaise, dans un environnement extérieur généralement gangrené par des siècles de colonisation accoucheurs de préjugés tenaces ? Cité par Gerry L'Etang, Roland Suvélor émet l'hypothèse que « l'origine roumaine d'Anca était une circonstance favorable. Elle n'avait aucun complexe face à cette société négrifiée, métissée, puisque ses ancêtres n'avaient rien eu à voir avec l'entreprise coloniale (...) »
Jusqu'au bout,Anca Bertrand recommandait de respecter la spécificité des Antilles.
Jusqu'au bout,Anca Bertrand recommandait de respecter la spécificité des Antilles. 
Le couple Anca et Alexandre Bertrand
Le couple Anca et Alexandre Bertrand 
RADIO, REVUES, CINÉMATHÈQUE
Son « intégration » fut-elle aussi plus aisée parce que, comme le note M. Suvélor, « les indigènes qui l'accueillaient n'avaient vis-à-vis d'elle, pour cette même raison, aucun sentiment de refus ou d'hostilité » . Dernière pièce à verser au dossier, elle avait épousé Alexandre Bertrand, dit Sansann, un homme « passionnément martiniquais (...), il nous poussait à nous documenter sur le pays (...), sur d'autres aspects de notre culture, sur d'autres civilisations aussi » , se souvenait Ginette Mible-Mongallon, toujours citée par Gerry L'Etang.
Une fois installée sur l'île, Anca dut quelque peu patienter pour assouvir sa passion des images, qui se concrétisa avec la réalisation de divers documentaires (écoles primaires, adduction des eaux du Sud, fête patronale du Robert, etc.) et la mise en place d'une cinémathèque martiniquaise. Il reste que Anca Bertrand fut dans un premier temps une voix pour les Martiniquais, celle de l'animatrice du Fil d'Ariane sur la radio publique, acceptant d'ouvrir ses ondes à « l'histoire et à la culture populaire de la Martinique » , écrit Suzanne Samor, alors que les directives officielles penchaient, en ce temps-là, plutôt vers les aspirations assimilationnistes. Son indéfectible soutien à Ti-Emile - le déclic a eu lieu durant une mémorable soirée bèlè au Gros-Morne en 1967 - n'est-elle pas la meilleure preuve de son intérêt pour les racines culturelles rurales martiniquaises...
Mais le moyen le plus pratique pour évaluer les contributions d'Anca Bertrand à la mise en valeur de la culture martiniquaise, prise dans sa globalité, demeure la lecture des numéros des revues Horizons caraïbes (dirigés par Auguste Joyau), et des deux qu'elle créa : La gazette de la Martinique, et, en premier lieu, Parallèles.
À l'occasion de l'exposition Alexandre Bertrand, la Fondation Clément propose un atelier créatif ce dimanche 1er octobre à 15 heures. Les participants sont invités à découvrir l'exposition autour d'une activité créative.
Activité gratuite et sur réservation obligatoire à : fondation.clement@gbh.fr
Rétrospective Alexandre Bertrand
22 ans après le décès d'Alexandre Bertrand à à 77 ans, la Fondation Clément remet l'artiste sur le devant de la scène avec une rétrospective. Rétrospective forcément partielle qui nous lance sur la piste d'un important peintre martiniquais à la production abondante (Gerry L'Étang évoque des centaines de tableaux), oscillant entre un figuratif nuancé (surréalisme, impressionnisme...) et une forme d'abstraction.
Plus d'infos avec la conférence de Dominique Brebion, le 8 octobre à 10 heures (gratuit et sans réservation)
La revue Parallèles
« Ce que j'ai souhaité en fondant La gazette de la Martinique (janvier 1964) et ensuite Parallèles (novembre 1964), c'est inciter tous ceux qui habitent les Antilles à la vraie connaissance et au vrai contact avec ces îles (...) Je pense que nous pouvons, tous, contribuer à la vie de ces îles, à condition de respecter leur spécificité et savoir suivre la ligne de force qui anime l'âme des Antillais » . Extrait de l'édito d'Anca Bertrand en ouverture de l'Album Martinique Guadeloupe, supplément hors-série de la revue Parallèles, publié durant le quatrième trimestre de 1969.
Un supplément en guise de « meilleur de... » Parallèles, puisque reprenant plusieurs articles parus, entre 1967 et 1969, dans des numéros désormais épuisés. Bref, une opération de rattrapage pou ceux qui avaient raté les analyses sur Les coquillages des Antilles françaises, La maison antillaise, Les meubles anciens des Antilles, Le costume créole, Les bijoux créoles, etc.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire