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mardi 6 juillet 2021

Mort de Maupassant : réactions de Zola, Mallarmé, Huysmans



Le monument Maupassant au parc Monceau, à Paris, photographie agence Rol, 1925 - source : Gallica-BnF
L'auteur de Bel-Ami disparaît le 6 juillet 1893, à 42 ans, des suites de la syphilis. Dans les journaux, les hommages émus de ses amis et confrères se multiplient.
Le 7 juillet 1893, Le Figaro, à l'instar de tous les autres titres de la presse nationale, a une triste nouvelle à annoncer à ses lecteurs :
« Maupassant est mort.

Il s'est éteint après plusieurs journées de convulsions douloureuses et sans avoir repris connaissance, hier, à onze heures du matin.

Mais il y a dix-huit mois qu'en réalité les Lettres françaises portaient le deuil de cet artiste admirable. C'est par une brumeuse matinée d'hiver, le 7 janvier 1892, qu'il nous fut ramené de Cannes où, dans un premier accès de délire, il avait tenté de se suicider. La face blême et déjà maigrie, l’œil hagard, il se laissa glisser hors de son wagon, comme hébété [...].

Et ce fut pour tous ceux qui étaient là une vision lamentable – comme le passage d'un spectre... On eut beau nous rassurer: « Névrose... Surmenage... Délire passager... » nous eûmes l'impression nette que c'était bien fini, et que Maupassant était mort. »
Dans cet article, Émile Berr évoque à demi-mot une réalité bien connue de tous les proches de l'auteur de Bel-Ami et du Horla : l'écrivain était atteint d'une paralysie générale (ancien nom de la méningo-encéphalite) due à la syphilis, qu'il avait contractée seize ans auparavant. Depuis quelques années, son existence était devenue un vrai calvaire.

Victime d'une grave détérioration de son état physique et mental, et devenu méconnaissable, Maupassant avait tenté de se suicider le 2 janvier 1892. Avant d'être interné dans la clinique du psychiatre Émile Blanche, où il devait mourir dix-huit mois plus tard, à l'âge de 42 ans.

Dans le public et parmi ses nombreux amis du monde journalistique, l'émotion est grande. Le Journal va interviewer plusieurs auteurs célèbres pour avoir leur réaction : parmi eux, Emile Zola.
« M. Zola fut, on le sait, un des amis les plus intimes de Guy de Maupassant. Nous lui demandons son opinion sur l'homme et sur l'écrivain.

— L'homme, nous répond-il, était charmant. Je le vis pour la première fois chez Flaubert. C'était, alors, un tout jeune homme, à peine âgé de vingt-deux ou vingt-trois ans. Flaubert avait pour lui l'affection d'un père. Je me souviens qu'il lui corrigeait ses premiers essais littéraires comme un professeur corrige un devoir d'élève, s'emportant au sujet d'un adjectif impropre, raturant des mots et des phrases pour les remplacer par d'autres [...].

Quand Guy de Maupassant nous apporta Boule-de-Suif, nous demeurâmes tous interloqués. « C'est Flaubert qui a fait ça, pensions-nous. » — Non, ce n'était pas Flaubert, c'était bien Guy de Maupassant. La suite le prouva. Mais, malgré tout, Boule-de-Suif est resté, selon moi, son chef-d'œuvre.

Enfin, déclare Zola, Guy de Maupassant fut toujours un admirable ami. Son humeur était toujours égale. Sa conversation nous amusait beaucoup ; il mettait beaucoup d'art à conter de petites anecdotes. Il devenait même parfois hâbleur ce qui, du reste, n'ôtait rien au charme de sa causerie.

Ce fut aussi un charmeur de femmes. Toutes lui étaient acquises. Il avait cette galanterie, cet esprit fin et cette souplesse de manières qu'elles apprécient. »
Joris-Karl Huysmans, l'auteur d'À rebours, qui avait participé en 1880 avec Zola et Maupassant au recueil naturaliste Les Soirées de Médan, est également interrogé, chez lui (alors qu'il termine son dîner).
« — Bah ! fait-il, la bouche juteuse, Maupassant est donc mort ? Parole ! vous me l'apprenez.
— La nouvelle vous attriste-t-elle ?
— Je suis très étonné. Tout de même, je ne m'attendais pas à ce prompt dénouement. Tant de bruits contradictoires ont couru sur sa maladie !
— J'attends l'oraison funèbre.
— Dame ! il fut un très bon garçon. Il fut surtout un brave homme, d'une amabilité souveraine ; et serviable, à quel point ! [...]
— Oui, mais, de l'écrivain, que direz-vous?
— Il fut un de ceux qui traitèrent le mieux la nouvelle en France. Il avait une machine de simplicité. J'aime moins ses vers, parnassiques réminiscences. Oui, je préfère ses nouvelles, ses romans. Ce qui a « sorti » Maupassant, c'est Boule-de-Suif. Des six nouvelles réunies sous le titre de Soirées de Médan, c'est incontestablement la meilleure [...].
— Quelle place lui assigneriez-vous dans les lettres ?
— Hem, pas commode ! Comme nouvelliste, il peut rester, avec ses surprenantes qualités de clarté, de netteté. Dans le roman, il est moins équilibré, moins solide que dans la nouvelle. Des coins, cependant, des coins.
— Selon vous, son plus beau roman ?
— Il me paraît que c'est Bel-Ami.
— Et, quant au style ?
— Style musclé, solide, clair, qui donnait bien l'idée de la force de l'homme, un beau mâle. Mais, pas rare, son style. Non. »
Le poète Stéphane Mallarmé, quant à lui, évoquera la mort de Maupassant dans un texte intitulé « Deuil », paru en septembre 1893 dans la revue littéraire Le Mercure de France.
« Je songeais à beaucoup de cela, durant l’office mortuaire, ce midi récent de tristesse, comme pour dégager son sens, avec le plus de futur, d’une destinée superbe brusquée. Sans m’appliquer même, tant de malaise envahissait une directe évaluation du confrère accablé que nous honorions, positivement à mettre debout dans l’ensemble sa personnalité et son œuvre : n’ai-je pas, en effet, pour suivre un trait spécial, omis les livres de grand jet qui illustrèrent de derniers ans (dont les seuls titres parlent fier, d'Une Vie, à travers Pierre et Jean et Fort comme la Mort, jusqu’au fatidique Horla).

Série qui se fût indéfiniment prolongée, égale, avec des fuites au Théâtre. Je me disais aussi, évoquant la première manière, celle-là qui peut-être sera classique, du conteur, avant que ne l’amplifiât et ne l'inquiétât le romancier — que, ce qui manquait, si l’on réclame d’un genre l’opposition de qualités exclusives et pourquoi ? à ce talent savoureux, clair, robuste comme la joie et borné comme elle au don (seul enviable, il suffit) : un au-delà angoissé ou subtil, quelques exaltations, la teinte lui en fut attribuée tragiquement à même l'existence, tôt, par la fatalité qui changea l’homme le plus sain et l’esprit le plus net coup sur coup en un dément et en un mort.

Stéphane Mallarmé. »
Le service funèbre eut lieu le 8 juillet 1893, à midi, à l'église Saint-Pierre de Chaillot dans le 16e arrondissement. Parmi les personnalités présentes, Zola, Alexandre Dumas fils, Edmond de Goncourt, Octave Mirbeau, Mallarmé... C'est Zola, à nouveau, qui rend hommage à son ami défunt dans une oraison émue retranscrite ensuite par les journaux :
« Ce qui nous frappait, nous qui suivions Maupassant de toute notre sympathie, c'était cette conquête si prompte des cœurs. Il n'avait eu qu'à paraître et qu'à conter ses histoires, les tendresses du grand public étaient aussitôt allées vers lui. Célèbre du jour au lendemain, il ne fut même pas discuté, le bonheur souriant semblait l'avoir pris par la main pour le conduire aussi haut qu'il lui plairait de monter.

Je ne connais certainement pas un autre exemple de débuts si heureux, de succès plus rapides et plus unanimes. On acceptait tout de lui ; ce qui aurait choqué sous la plume d'un autre, passait dans un sourire. Il satisfaisait toutes les intelligences, il touchait toutes les sensibilités, et nous avions ce spectacle extraordinaire d'un talent robuste et franc, sans concession aucune, qui s'imposait d'un coup à l'admiration, a l'affection même de ce public lettré, de ce public moyen qui, d'ordinaire, fait payer si chèrement aux artistes originaux le droit de grandir à part [...].

Qu'il dorme donc son bon sommeil, si chèrement acheté, confiant dans la santé triomphante de l'œuvre qu'il laisse ! Elle vivra, elle le fera vivre. Nous qui l'avons connu, nous resterons le cœur plein de sa robuste et douloureuse image.

Et, dans la suite des temps, ceux qui ne le connaîtront que par ses œuvres l'aimeront pour l'éternel chant d'amour qu'il a chanté à la vie. »

Pour en savoir plus :

Frédéric Martinez, Maupassant, Gallimard, 2012

Marlo Johnston, Guy de Maupassant, Fayard, 2012

Nadine Satiat, Guy de Maupassant, Flammarion, 2003

samedi 12 septembre 2020

IL Y A UN AN...TRISTE ANNIVERSAIRE








 





porté disparu, 
perdu en mer, lui qui s'était si souvent perdu dans le silence de la mer parce qu'il était heureux d'y vivre et qu'il ne craignait pas d'y mourir. 




Après une transatlantique est-ouest en 2002 suivie d’un retour via les Antilles, les Bermudes et les Açores Jean et Barbara sont repartis en 2005 profitant de la retraite cette fois … 
Leur bateau : un catamaran de 44 pieds pour le plaisir , la vue à 360° sur la mer et des mouillages grand confort.
Il vient de Sud-Afriquie !
C'est pourquoi AFRODITE  s'écrit avec un F...








SOUVENIRS DE NAVIGATION...


La nuit tombe, assise sur le roof de mon Afrodite je regarde la pénombre s'installer. Il fait un petit vent délicieusement frais, ça fait du bien.
Un petit vent, pour nous voileux, voyageur, c'est un appel à remonter l'ancre, à hisser la gv et à se préparer à bouger...

Ah, l'appel du large, des nuits de quart, de l'océan avec lequel composer, être à  son écoute, interpréter les signes, anticiper ses humeurs, ressentir le bateau de tout ses sens, ses vibrations, son mouvement, le clapot ou les coups de boutoirs, le surf ou au contraire remonter face aux vagues, au vent, contrarier sa nature, vague après vague, lentement avancer ou au contraire forcer l'allure. Cette symbiose avec la nature et notre être, heures après heures, jour après jour.
Contempler à longueur de temps les vagues, sans cesse changeantes, en direction, en hauteur, croisées ou déferlantes, se retrouver dans la pétole et pouvoir enfin se relâcher.
La nuit, chercher entre les étoiles les nuages d'orage qui vont nous bousculer, sentir le vent monter, le bateau accélérer, tout à coup tout s'agiter, prendre un ris ou deux ? la mer monte, il fait nuit, on perçoit la taille des vagues à l'angle du tanguage, ou au reflet de la lune sur la crête qui déferle, ou encore juste derrière le feu de navigation arrière. Tout à coup on fait encore plus corps avec son navire, il nous habite, il est une extension de nous nous-mêmes, on est lui,  ou plutôt elle, car mon Afrodite est une fille.... On guette, les sens acérés, ce qui va lâcher, le pilote ? une écoute ? une drisse, le lazy ou un hauban ?
Quels moments de vie intense, notre vie entre nos mains pour moitié seulement, c'est un pari, une roulette, un travail en amont qui va être récompensé ou sanctionné, une rage de vivre et une décision personnelle d'y être. Il faut maintenant assumer et assurer, pour soi, pour les autres, pour arriver. Bien sûr une transat c'est aller dans le sens du vent, du courant, Bombard l'a fait dans un radeau ! mais nous on y est, on est là, c'est notre tour et on est seul, certains ne sont pas arrivés et on le sait, c'est un pari, une confiance en soi, en son extension, notre bateau, notre vie. Je suis assise là sur mon roof, il fait nuit et Goldman chante dans mes écouteurs, je suis contente  d'être là, fière, humble bien sûr, le pari est avec soi d'abord. On ne sera plus jamais les mêmes, c'est ma petite pierre à mon édifice intérieur, ma construction intime.
Quel bonheur, chaque jour, chaque instant, en ces moments là on est "habité"...

Pour se réinventer...














IL Y A UN AN...

Le pire jour de toute ma vie
...
Pourvu que ça se soit passé vite. 
Pour qu'il n'ait pas eu le temps de maudire cette mer sur laquelle il se sentait si bien...



Il est parti un jour
Et je l'ai attendu
Mais je l'attends toujours
Et il n'est pas revenu...



Si je pouvais
Le voir encore
Un seul instant
Je lui dirais
Combien je l'aime

Il est trop loin
Trop loin déjà



Parlez-moi de lui
Vous le savez bien
Il est toute ma vie
Oh, je vous en prie
Ne me cachez rien
Que fait-il là bas?






Parlez-moi de lui
Dites-moi les mots
Des mots qu'il a dit
Dites-moi pourquoi?
Je ne le vois plus
Je ne comprends pas
Je ne comprends plus
J'ai si mal de lui

12 SEPTEMBRE MAUDIT...







JEAN
Tu étais mon phare dans la nuit
Tu étais mon roc dans la vie


Le jour où tu as disparu, le 12 septembre 2019, c’est comme si j’avais été précipitée d’une falaise dans la mer…

Une haute falaise, avec une petite plage inaccessible à ses pieds. La mer est violente même par beau temps. C’est la mer de mes émotions.
Mon premier réflexe, un geste de survie, c’est de te voir nager autant que tu le peux vers le rivage, à contre-courant, malgré la force des vagues, jour et nuit…mais c’est moi qui ai sombré tandis que tu étais emporté au large…
Voici un an maintenant que c’est moi qui « nage », espérant toujours pouvoir rejoindre la plage, la falaise de mon passé.
Une petite voix en moi commence à perdre l’espoir, je suis fatiguée de lutter contre ces courants violents.
Je suis seule au milieu de la tempête
Et le mirage s’éloigne petit à petit…
Je suis impuissante devant la force de la vie.
Malgré moi, elle m’emporte
Je dois quitter des yeux l’image de notre bonheur passé, de ma vie « d’avant »
Il n’y a rien à faire, je suis emportée, épuisée par cette lutte
Je lâche prise, contrainte et forcée
Obligée malgré moi de laisser s'éloigner le territoire du passé
Pour aller où ?
Vers quelle nouvelle terre invisible et peut-être inexistante ?
Les jours semblent des semaines, les semaines des mois et les mois des années
Pourtant c’était hier, il y a un an, le 12 septembre 2019, un jeudi midi
Moi aussi ce jour-là c’est comme si j’étais tombée dans la mer
Du haut d’une falaise

Tu me manques, mon phare, mon roc, mon continent

Tu as disparu

J’en rêve encore

Un jour, un rocher va émerger devant moi…
Un tout petit rocher
J’y grimperai
Il n’y a pas encore beaucoup de vie mais je pourrai m’y poser et m'y reposer quelques instants.
Les vagues m’obligeront à quitter ce point de repos
Jusqu’au rocher suivant, un peu plus grand
La mer m’emportera chaque fois un peu plus loin de mon passé
Un matin, debout sur le dernier rocher, il me semblera apercevoir un îlot
C’est un petit bout d’île,
C’est le début d’un archipel,
C’est la pointe d’un nouveau continent
Un continent inconnu, qui accueillera une naufragée de la vie
Une inconnue
En chemin j’aurai perdu des certitudes, de la confiance, des soi-disant amis et trouvé de nouveaux, inattendus, surprenants, formidables nouveaux amis...
J’aurai trouvé une certaine philosophie, un autre ordre du monde, ô combien fragiles 

Enfin j’arriverai sur une plage vierge
Et je recommencerai à (re)vivre






vendredi 11 septembre 2020

AUJOURD'HUI J'AI EU 68 ANS 🥰🤗😍😘


11 septembre

soixante-huit ans 

ou "La Mémoire et la Mer" 

à Blue Anchor ...

P1200181bisMerci à tous pour vos bons souhaits d'anniversaire ! 
P1200180La marée, je l'ai dans le cœur qui me remonte comme un signe. Je meurs de ma petite sœur, de mon enfance et de mon cygne. Un bateau, ça dépend comment on l'arrime au port de justesse. Il pleure de mon firmament des années lumières et j'en laisse. Je suis le fantôme Jersey celui qui vient les soirs de frime te lancer la brume en baiser et te ramasser dans ses rimes comme le trémail de juillet où luisait le loup solitaire. Celui que je voyais briller aux doigts de sable de la terre.
P1200183bisRappelle-toi ce chien de mer que nous libérions sur parole et qui gueule dans le désert des goémons de nécropole.
P1200184bisJe suis sûre que la vie est là avec ses poumons de flanelle quand il pleure de ces temps-là, le froid tout gris qui nous appelle.
P1200185Je me souviens des soirs là-bas et des sprints gagnés sur l'écume. Cette bave des chevaux ras, au ras des rocs qui se consument.  Ô l'ange des plaisirs perdus. Ô rumeurs d'une autre habitude. Mes désirs dès lors ne sont plus qu'un chagrin de ma solitude.
P1200185terEt le diable des soirs conquis avec ses pâleurs de rescousse. Et le squale des paradis dans le milieu mouillé de mousse.
P1200187bisReviens fille verte des fjords. Reviens violon des violonades. Dans le port fanfarent les cors pour le retour des camarades.
P1200188terÔ parfum rare des salants dans le poivre feu des gerçures. Quand j'allais, géométrisant mon âme au creux de ta blessure, dans le désordre de ton cul poissé dans des draps d'aube fine.
P1200190terJe voyais un vitrail de plus, et toi fille verte, mon spleen.
P1200193bisLes coquillages figurant sous les sunlights cassés liquides, jouent de la castagnette tant qu'on dirait l'Espagne livide.
P1200198bisDieux de granit, ayez pitié de leur vocation de parure, quand le couteau vient s'immiscer dans leur castagnette figure.
P1200105Et je voyais ce qu'on presse quand en pressant l'entrevoyure entre les persiennes du sang et que les globules figurent une mathématique bleue, sur cette mer jamais étale d'où me remonte peu à peu cette mémoire des étoiles.
P1200106Cette rumeur qui vient de là, sous l'arc copain où je m'aveugle. Ces mains qui me font du fla-fla, ces mains ruminantes qui meuglent.
P1200126quaterCette rumeur me suit longtemps comme un mendiant sous l'anathème, comme l'ombre qui perd son temps à dessiner mon théorème.
P1200127terEt sous mon maquillage roux s'en vient battre comme une porte cette rumeur qui va debout dans la rue aux musiques mortes.
P1200128bisC'est fini la mer c'est fini. Sur la plage le sable bêle comme des moutons d'infini... Quand la mer bergère m'appelle.
P1200129bisTexte et musique sont de Ferré. Ce texte émminemment poétique tient dans le répertoire de Léo Ferré une juste place à côté des poèmes de Baudelaire, Rimbaud, Aragon ... On ignore la véritable nature d'un poème. La poésie est d'abord et surtout dans la musique des mots.
P1200130bisParue sur le volume 1 de l'album "Amour Anarchie" (1970),  La Mémoire et la Mer est une chanson emblématique de Léo Ferré, considérée souvent comme l'une de ses chansons les plus mystérieuses et fascinantes.
P1200131bisCe texte est considéré à juste titre comme étant difficile à comprendre. En effet, l'écriture de Ferré fait ici appel à des images complexes et à des éléments autobiographiques que l'artiste imbrique dans un fil d'Ariane difficile à suivre pour le profane. Mais Dieu que c'est joli et troublant ce balancement des mots ...
P1200132terDans ce poème, le lyrisme de Ferré atteint la maestria et sa versification est empreinte d'une grande rigueur. L'artiste se sert d'une palette marine pour établir, tout au long de la chanson, des parallèles entre la vie portuaire et insulaire et ses propres souvenirs. 
P1200138bisCette chanson éblouissante de sensualité nous raconte le rivage breton mais c'est aussi un chant d'amour déchirant. Dans un double sens filant, Léo Ferré emmêle la mer envoutante et l'amour impudique et pourtant mystique, conjuguant le mystère de la chair à celui de la mer dans chaque image.
P1200139On entend dans la musique des mots, le déferlement des vagues bien sûr, mais aussi la complainte d'amour d'une femme, et de leur écho mutuel émerge une mémoire organique et originelle de la Vie, une mémoire matricielle que Ferré contemple du haut de ses années, avec mélancolie, comme le fruit de sa jeunesse, les réminiscences chimériques de son existence. 
P1200142La mer est omniprésente dans le texte, comme une déchirure, comme pour rappeler ces marins fatigués, aux mains et aux lèvres gercées mais qui reviennent heureusement à bon port. Pour eux aussi, la mer, nourricière, est une matrice comme le ventre d'un femme. Cette mise en parallèle persiste tout au long du poème.
P1200143Pour comprendre le sens primaire, quelques bribes d'explication ... Un "trémail" est un filet de pêche. Le "loup solitaire" est un poisson autrement nommé "bar" qu'un jour Ferré a pêché ou a vu être pêché puis ce poisson a été rejeté à la mer. Son texte fait allusion au "Fort du Guesclin", bâtisse située sur une minuscule ile au large des côtes bretonnes dont il a fait l'acquisition en 1959. Léo Ferré plante donc le décor d'une partie de pêche où est capturé un bar, dont les écailles sont brillantes par la magie de l'éclat lunaire.
P1200145Le fantôme Jersey est un phénomène naturel, une ligne brumeuse que l'on aperçoit au lointain quand on se trouve sur l'île Du Guesclin, et qui laisse à penser qu'il s'agit là d'une émanation fantômatique de l'île anglo-normande qu'est Jersey. 
P1200165La "mathématique bleue" est peut-être le tableau des horaires des marées affiché devant les plages sur un fond bleu tellement typique des côtes françaises. Mais certains pensent que "mathématique bleue","mémoire des étoiles"et"théorème" font référence à Pythagore qui avait une philosophie basée sur l'universalité, l'harmonie des sphères et les mystères. Ici Ferré nous montre une mer qui ne se définit pas à la seule perception humaine que nous pouvons en avoir. Il nous fait ressentir la mer comme faisant partie de quelque chose de bien plus vaste, comme un élément naturel d'où la Vie est apparue un jour, un corps vivant du Cosmos : la mer qui donne la vie comme la mère qui donne la vie.
P1200168C'est l'exemple type du texte "Ferréien" qu'on dit hermétique, parce qu'il comporte plusieurs niveaux de compréhension, dont certains ne sont accessibles qu'avec les clés biographiques de la vie de l'artiste, d'autres avec la simple sensibilité poétique qui nous conduit de rime en rime, de ligne en ligne, de mot en mot. Le rattachement de mots qui ne font pas toujours sens, fait en effet appel à une mémoire. Cette écriture imagée, évocatrice, intègre notre propre mémoire, met en mouvement des reminiscences. La mer fonctionne comme une mémoire, par réminiscence.  En cela, au sens littéral, c'est la plus émouvante chanson de Ferré. Son testament poétique, énigmatique ... Lui-même a dit un jour, que cette chanson (ou ce poème) ne pouvait être compris que par lui-même ou quelqu'un de très proche, qu'il s'agissait d'un rébus avec des clefs biographiques.
P1200176bisPersonnellement, bien qu'ayant lu assez récemment le roman autobiographique de Léo Ferré (paru en 1970, "Benoît Misère"), je n'ai aucune envie d'aller plus avant dans le décryptage de "La mémoire et la mer". Nul besoin de faire de la chirurgie littéraire, aussi l'énigme et le mystère seront pour moi à jamais des composantes intrinsèques de la beauté de ce poème.
P1200178bis"La mémoire et la mer" a été maintes fois reprise. De nombreux artistes l'ont interprétée, avec plus ou moins de bonheur. 
Citons 
Catherine Lara,






 Catherine Ribeiro, 





Christiane Courvoisier






Renée Claude, 







Ann Gaytan, 




Camélia Jordana, 





Annick Cisaruk, 




Ute Lemper, 




Mônica Passos (cette dernière étant remarquable, je vais y revenir). 



Citons aussi Bernard Lavilliers, 




Michel Jonasz, 





Ian Dayeur 




et l'extrêmement touchante version parlée de Philippe Léotard. 


Selon Wikipédia, cette chanson occupe la septième place d'un palmarès de chansons établi en 2012 par 276 artistes contemporains de la variété francophone et 69 critiques.
P1200179L'interprétation que je préfère est, de loin et haut la main, celle de Monica Passos, dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à la rédaction de ce billet. Fabuleuse découverte ! Pour l'expression, on trouve un phrasé impeccable, une sonorité gutturale des "r" qui fait opportunément son effet, en faisant glisser un souffe rauque et virtuose sur les mots "cette bave des chevaux ras, au ras des rocs qui se consument". Pour la musique, étonnante, une rumba froufroutante, virevoltante, carrément inattendue, fait cascader les mots sur l'auditoire "du haut des cimes où l'âme se tient, la tragédie n'est plus" (Nietzsche). La version de Monica Passos est à la fois suave et dansante, un goût sucré, non plutôt doux-amer. Sa revisite de Ferré m'enchante ...
Selon Paul Guimard, éditeur du seul roman autobiographique de Léo Ferré, "après avoir lu ce livre, on n'entend plus beaucoup de chansons de Léo Ferré tout à fait de la même oreille parce qu'on sait davantage d'où elles viennent". 
Retour à la version originale, tragique et torturée mais inoubliable, de Léo Ferré, avec cette voix qui lui vient des tripes et nous arrache les nôtres, "la marée, je l'ai dans le coeur ..."
L'analagie entre la mémoire et la mer se retrouve fréquemment en littérature, non sans raison ...
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  La chanteuse Vanessa Paradis en Martinique le 17 août 1987. © Philippe GIRAUD/Gamma-Rapho via Getty Images