Grenade, Los Testigos, Margarita
En fin de journée, nous quittons
Grenade pour les Testigos, les îles par lesquelles nous ferons notre entrée sur
le territoire vénézuélien.
2010
Arrivée
aux Iles Testigos
Après une traversée calme, vent arrière
crevante, nous arrivons aux îles Testigos mercredi 8 septembre vers 10h30 soit
notre plus longue navigation: 90 miles de nuit.
Les îles Testigos sont
complètement isolées, et la scène de sites naturels extraordinaires avec une
nature de matin du monde.
Habitée par quelques pêcheurs, ses eaux regorgent
de crustacés et de poissons. 1/4 d'heure de chasse sous-marine pour récolter un
seau de 10 litres de poissons divers: poissons chirurgiens, balistes, rougets,
perroquets, dorades et autres carangues.
Nous mouillons en face d'une plage
en forme d'isthme, bornée par des dunes superbes.
Le temps et l'eau sont
nettement plus frais et agréable.
Rencontre avec Casimir, Claudine et Charly,
routards de la mer des Caraïbes depuis des années.
Le premier soir, nous nous
faisons surprendre par un grain et le vent monte jusqu'à 25 noeuds, ce qui n'est
finalement pas grand chose. En revanche, le grain a monté au large, une très
forte houle qui vient déferler sur nous par train successifs. Résultat, la
poulie qui supporte l'annexe sur les bossoirs arrières, casse net, laissant
tomber l'annexe à l'eau, restant suspendue par la poulie restante. Nous
larguons l'autre poulie et l'annexe, poursuivant, attachée par son amarre sa
sarabande infernale, manque à plusieurs reprises d’atterrir sur sur les panneaux
solaires implantés à deux mètres de hauteur.
Heureusement, nous avons mouillé
toute la chaîne d'ancre, Kakao ne bougera pas pendant cette longue
soirée.
Sur le rivage, c'est le branle-bas de combat, les Pinetas locales,
mal ancrées ou simplement posées sur le rivage, prennent la houle de plein fouet
et doivent être déplacées d'urgence sous peines d'être mises en pièce. Plusieurs
d'entre elles seront noyées et mises provisoirement hors d'usage.
Nous quittons la belle Grenade pour une
navigation de 95 miles vers « Los Testigos ». Nous quittons l’arc des Caraïbes pour le
Venezuela, pays immense dont nous ne visiterons que certaines
îles et une partie de la côte. J’avoue que nous avons un peu d’appréhension à
aborder ce pays. Il est précédé d’une réputation de danger et d’insécurité. Les
actes de piratage existent et sont beaucoup relatés à bord des bateaux qui font
route vers ces latitudes dont l’avantage est d’être à l’abri des cyclônes. Dès
juin/juillet, il est en effet plus prudent de descendre en dessous du 12° degré
de latitude nord, et même jusqu’au 10°. Venant de la zone sud Antilles, la terre
la plus proche est les Testigos, points minuscules, à environ 80 miles du
continent.
Nous quittons donc St George’s vers 18H30, sous de grosses
averses. Lorsque la nuit tombe, la pluie se calme, le vent aussi. Le ciel reste
nuageux et la lune est cachée. La navigation est vent arrière, de 15 à 20 nœuds.
C’est inconfortable. Je me repose un peu et je prends mon quart à 23H30. La
navigation est meilleure. Nous filons à 6-7 nœuds sous la pleine lune. Nous
croisons un seul gros cargo pendant mes 2H30 de quart. Jean prend le relais
de 2HOO à 5H30. A mon réveil, il fait clair mais frisquet. Dès 8H00 nous sommes
en vue des Testigos. La vigilance est recommandée car il y a des courants de 2 à
3 nœuds dans cette zone. Nous contournons les premiers îlots par le sud, pour
aller vers Isla Iguana et Testigos Grande, les deux îles habitées. Nous ancrons à 10H30 en face d’Isla Iguana et nous
allons nous présenter aux autorités, représentées par une dizaine de militaires.
Leur petit groupe est relayé chaque mois. L’accueil est des plus sympathiques.
Poignée de mains, présentation, paroles de bienvenue, décontraction et
amabilité. On en veut bien encore des militaires comme ceux-là. Eduardo, celui
qui remplit notre formulaire d’entrée, est de plus assez cultivé, et beau garçon
avec ça ! Le tour du petit village est vite fait, il se limite à une vingtaine
de petites baraques et quelques barques de pêcheurs.
Nous allons ensuite nous amarrer en
face, à Testigos Grande, où un autre bateau est au mouillage. Ici, une dizaine de maisons sur la plage, dont une
se prolonge par une terrasse avec quelques tables et chaises. L’enseigne est
insolite en ce lieu : « Erotika té ». C’est un petit bar et restaurant, plutôt
sommaire, ni propre ni bien tenu, mais nous allons y passer des moments
inoubliables.
L’endroit est perdu, beau, sauvage et tranquille. Ce sont les
vacances scolaires et la plupart des 300 habitants passe une bonne partie de
cette période sur le continent, dans la famille ou chez des amis. Seuls restent
quelques pêcheurs. Ils s’activent tôt le matin sur leurs barques à gros moteur
dont le nez remonte très haut sur l’eau pour pouvoir affronter les courants
forts.
Rapidement, nous faisons la connaissance de Chucha, la patronne
d’Erotika Té. Elle nous explique que les pêcheurs sont en train
de remonter une prise exceptionnelle dans la baie à côté ; ils ont emprisonné
dans leurs filets plus de 40 tonnes de thon. Ils en remontent environ 10 tonnes
tous les deux ou trois jours, ce qui représente la capacité de charge du bateau
avec glacière qui fait la navette depuis Carupano, sur le continent. Les
habitants conservent aussi une petite quantité de poisson pour eux. Le
lendemain, les pêcheurs amènent sur la plage des centaines de thons frais remontés des
filets. Tout le village est là, femmes et enfants
compris. Les hommes s’installent sur la plage avec leurs couteaux. Les
femmes montent des tréteaux et préparent de grands sacs de sel. Les hommes
commencent à couper les poissons à même le sable. Ils jettent têtes et tripes à
la mer qui devient vite rouge de sang. Cela n’empêche pas les enfants de s’y baigner,
avec les chiens, au milieu des dizaines, des centaines de têtes de poissons qui
flottent. Les femmes salent les poissons tranchés que les hommes leur apportent.
Elles les empilent en gros tas. Ensuite, les poissons seront étalés à plat au
soleil et sécheront quelques jours. Nous observons de près le travail des
équipes. Nous les aidons comme nous pouvons, en amenant le poisson nettoyé
auprès des femmes. Les hommes boivent beaucoup de bières légères qui sont
stockées dans des frigos box. Julio, l’un des anciens, m’explique les
opérations. Il me dépose au creux des mains des grappes d’œufs de poisson, en me
certifiant que c’est meilleur que le caviar. Je demande à Chucha de me les garder au frais
pendant qu’on prend un verre à Erotika Té. Sans rien dire, elle nous cuisine les
œufs avec un peu de polenta. Dé-li-ci-eux.
Deux jours plus tard, grâce à
Chucha, nous avons l’occasion de vivre avec le village la dernière remontée des
filets, sur les barques de pêche. La dernière levée est la plus périlleuse. Les barques se rapprochent de plus en plus,
jusqu’à se toucher, pour soulever le fonds des filets où grouillent et se
débattent des thons d’une dizaine de kilos. Ils sont remontés un par un dans les
barques, à la main. Les pêcheurs nous mettent en garde : il ne faut surtout pas
tomber à l’intérieur des filets car on se ferait déchiqueter par les nageoires
coupantes des milliers de thons, maintenant serrés les uns sur les autres, à
s’étouffer. L’ambiance est très gaie, euphorique même. On
fait partie de la fête, c’est extra.
Nous trouvons aux Testigos ce qui nous a
manqué jusqu’ici dans les Antilles : de l’authenticité, de la simplicité, de la
sympathie gratuite. Ici nous vivons calmement, sobrement, au milieu d’une
population qui préserve son mode de vie loin de la société de consommation. Ici
on se rend service, on échange un ou deux poissons contre quelques cigarettes ou
un sachet de soupe. Pas question d’argent. J sort un jour son petit
générateur et sa scie sauteuse pour aider un pêcheur à réparer sa barque. Nous
sommes définitivement admis dans la petite communauté. Nous mangeons beaucoup de
poisson. De toute façon, il n’y a rien d’autre ici. Aucun magasin à moins d’un
jour de navigation. Nous nous approvisionnons directement auprès des pêcheurs,
ou de Chucha. Pas question pour eux de se faire payer pour quelque chose qui ne
leur a rien coûté. Chucha nous prête sa petite installation, son barbecue, ses plats et couverts, ses chaises, pour de
petites fêtes que nous organisons sur la plage. Car plusieurs bateaux sont
arrivés entre-temps, la plupart francophones. Tous semblent séduits par la
beauté, la simplicité et la convivialité des lieux. Nous avons sympathisé. L’ambiance au mouillage devient festive ; on fête ensequitter les Testigos, Chucha,
les pêcheurs, les plages sauvages et magnifiques, les militaires sympas qui
viennent un soir fêter avec nous la promotion de l’un d’eux. Il y a une belle
entente et une belle solidarité entre les bateaux de ce mouillage. Tous sont des
voiliers de voyage. Fini ici les gros charters et catamarans de luxe qui ne
s’arrêtent qu’aux mouillages où ils pourront trouver leur confort habituel,
prêts pour cela à payer le prix fort.
La réglementation n’autorise que 3 jours de
séjour aux Testigos. Mais Eduardo, notre militaire préféré et compréhensif est
sensible à notre attrait pour l’île et, de prolongation en prolongation, nous y
passons 2 semaines entières. Il faut pourtant bien poursuivre le voyage.
Après avois passé une petite semaine aux Testigos, traversée sur 60 miles vers
Margarita, l'île Vénézuellienne où nous pourrons accomplir les formalités
administratives d'entrée (le 'Clearance') au Venezuela.
Traversée empreinte d'une
certaine appréhension: nous passons à travers une zone parfois frappée par des
actes de piraterie.
En plein milieu, nous rencontrons des pêcheurs (?)
encapuchonnés comme des rebeus de banlieue, qui veulent nous proposer du
poisson. Les enfants font des grands signes (stratégie du bouclier humain et du
caractère sacré de notre bondissante progéniture), nous déclinons l'offre à
distance respectable.
Pas d'autre incident, navigation moitié à la voile,
puis, le vent molissant de 8 à 2 noeuds, au moteur.
Arrivée à l'île de
Margharita en fin d'après-midi
Nous
faisons nos adieux à Chucha et aux pêcheurs. Nous sommes 7
bateaux à quitter les Testigos à l’aube vers Margarita. Il y a
peu de vent. Nous naviguons un moment tous dans un mouchoir de poche.
Après quelques heures, le vent baisse, change
complètement de direction, passe au SO, puis plus de vent du tout. Vers 13H, on
remballe le gennaker. On n’a pas d’autre solution que de poursuivre au moteur
jusque Margarita. Nous arrivons à Porlamar à 16H. Le mouillage est immense. Il y
a au moins une centaine de bateaux. L’environnement est urbain et assez
agressif. De hauts bâtiments pas très jolis ont poussé partout, puis se sont
délabré, fissuré. Beaucoup sont abandonnés. Entre les immeubles, il y a de
vastes zones de terrains vagues, sales et réputés dangereux. Lorsqu’on quitte la marina, il est recommandé de
circuler uniquement en taxi. Les histoires de vols et agressions en tous genres
circulent au mouillage. C’est gai !
En fin de journée, nos compagnons des Testigos arrivent les uns après les autres.
C’est chouette de les voir mouiller tout autour de nous.
Le lendemain, chacun a retrouvé l’un ou
l’autre bateau ami et chacun a recueilli son lot d’informations, parfois
contradictoires. Les deux sujets d’intérêt essentiels sont la sécurité et les
formalités d’entrée. Pour ces dernières, il y a un agent, Juan, qui peut s’en
charger pour nous, moyennant finances. Nous avons déjà beaucoup entendu parler
de Juan ; une aide précieuse selon les uns, un escroc selon d’autres. Nous
choisissons de nous débrouiller tout seuls. Nous mettrons deux jours pour
boucler l’ensemble des démarches pour nos six bateaux. Nous nous déplaçons d’un
bout à l’autre de la ville ; 1) Immigration 2) File durant des heures à la
banque Banesco pour payer une taxe sur un compte courant. 3) Photocopies de
documents et recherche d’une banque internationale permettant d’obtenir du cash.
Ceci se révèle très compliqué si l’on n’a pas de liquidités en devises, ce qui
est le cas pour la moitié d’entre nous. 4) Ministère de l’Environnement et du
Transport pour acheter des timbres fiscaux. Pas de chance, c’est fermé, il faut
y retourner le lendemain. 5) Douanes. Le taximan a bien du mal à trouver le
minuscule bâtiment caché en bord de mer. 6) Capitainerie. Là, aïe, aïe, caramba
! Capitaine Bolivar nous explique qu’on a commis deux erreurs. Il faudrait
retourner à la banque Banesco et au Ministère SENIAT. Nous sommes dégoûtés. Face
à notre moral en berne, Bolivar se montre arrangeant. Il compensera le trop
versé sur le compte bancaire et le manque de timbres fiscaux avec les six
prochains bateaux entrants qui choisiront comme nous la « filière libre ». Rares
sont ceux qui osent se passer des services de Juan… Il nous faudra donc attendre
quelques jours. Nous les mettons à profit pour faire l’avitaillementet pour faire quelques excursions sur l’île. La petite capitale administartive, Asuncion, est pittoresque et a un charme assez ...
provincial. Sortis de la grande ville de Porlamar, l’île est assez jolie, avec
des plages magnifiques sur la côte est. Mais elles sont surexploitées, on n’y
trouve guère un mètre carré sans un transat, ou une boutique ou un bar. Et les
marchands du temple sont partout, avec leurs bricoles et gadgets de toutes
sortes. Margarita est une île en port- franc, hors taxes, et les Vénézuéliens un
tant soit peu nantis viennent y goûter aux délices de la société
d’hyperconsommation. On y côtoie le plus grand luxe des beaux hôtels et des
complexes de boutiques chics, avec la plus grande misère. D’où la grande
délinquance et l’insécurité.
Bref, cette île manque cruellement de charme et
d’intérêt à mes yeux.