Chronique du mois d'août 2007
VENEZUELA
Deux semaines se sont déjà passées depuis notre arrivée sur le continent vénézuélien
En juillet nous étions restés dans les îles. Nous avions commencé par faire escale aux Testigos : ne cherchez pas ce minuscule archipel sur la mappemonde, il est trop petit pour être noté. Il est situé entre Grenade, la dernière île au sud de l'arc antillais, et Margarita, la plus grande et la plus peuplée des îles venezueliennes. Quelques familles de pêcheurs y vivent loin de tout. Par contre les tortues connaissent bien le coin et elles y viennent pour pondre sur les plages!
Aux Testigos nous nous étions regroupés en convoi de plusieurs voiliers. La réputation du Venezuela en matière d'insécurité n'est plus à faire. Il suffit de lire les « conseils aux voyageurs sur le site Internet de diplomatie.gouv.fr pour se demander s'il est bien raisonnable de s'aventurer dans un pays où les agressions et les crimes sont légion. D'après les habitués, on ne craint rien dans les îles excepté à Margarita. Ils passent tous les ans plusieurs mois au Venezuela pendant la saison des cyclones. Ils ont l'habitude. Ensuite ils retournent avec leur voilier aux Antilles et re-belote l'année d'après. Pour limiter les risques au « Venez », comme ils disent, il suffit de prendre quelques précautions, comme ne pas voyager seul par exemple, éviter le continent et ses villes, n'arborer aucun bijou de valeur et ne pas se promener avec un sac à dos. ne pas aller à la péninsule de PariA ni la longer.
Après les Testigos, nous avons fait un arrêt à Margarita, l'île incontournable pour les voiliers. Pour des prix défiant toute concurrence, on trouve de tout. C'est génial pour refaire l'avitaillement mais aussi pour acheter du tissu, des outils et tout un tas de bricoles bien utiles sur un bateau. Au Venezuela, la vie est incroyablement bon marché pour un européen et Margarita est une zone franche, c'est donc encore moins cher.
Dans ce pays sud-américain, l'opulence côtoie la misère. Les puissants vivent dans un luxe inouï et les autres survivent en multipliant les petits boulots. Leur monnaie, le Bolivar, ne vaut rien à l'étranger et les Venezueliens n'ont pas le droit d'acheter des devises étrangères. Pour les riches, c'est un problème car l'euro et le dollar sont des bons placements. Un marché noir du change est donc organisé. Il est deux fois plus intéressant pour nous, les européens, que le change officiel. Pour eux c'est la seule possibilité d'obtenir des billets verts ou des euros. En ce moment, l'inflation est galopante et la dévaluation du Bolivar suit. Nous, on récupère davantage de bolivars pour 1 euro mais on se demande combien de temps la situation va être tenable pour le peuple vénézuélien.
Après l'escale technique de Margarita, nous avons flâné dans les îles quelques semaines et nous voici sur le continent dans une marina gardée par des vigiles en armes et protégée de la rue par des murs surmontés de fils barbelés et électrifiés ! Dans la journée, nous pouvons aller dans le centre-ville à condition de se faire charger par un taxi à la porte de la marina. Pas question de sortir le soir. Sur la route on longe des immeubles de quelques étages aussi bien protégés que la marina. C'est inquiétant tous ces murs, ces barbelés et ces fenêtres grillagées même dans les étages !
Nous voulons faire un périple de deux semaines à l'intérieur des terres avec des amis, c'est pourquoi nous nous adressons à l'agence de voyage installée à l'intérieur de la marina. Côté sécurité il semblerait que les zones indiennes où nous projetons d'aller ne posent aucun problème. Ce qui craint, c'est la côte et les grandes villes. On nous a proposé un guide avec un 4x4 et un vague programme il y a quelques jours et depuis pas moyen d'obtenir des précisions sur le trajet, les étapes et le prix. Pourtant le départ est prévu samedi matin et nous sommes déjà mercredi.
Enfin ! Nous faisons connaissance de Matthias, notre guide. José, le directeur de l'agence TRANSPACIFIC, nous donne le programme du voyage. Il est temps ! Nous partons dans quelques heures !
Notre guide fait cela depuis vingt ans qu'il vit au Venezuela. Comme il parle un peu anglais, nous devrions réussir à nous comprendre. Il possède un 4x4 Toyota dans lequel nos bagages seront à l'abri et nous, confortablement installés avec la clim' pour ce périple de 3000 km. Matthias est un vrai pro du raid « aventure ». Il a tout prévu : les glacières avec les boissons et la nourriture et les hamacs avec moustiquaires. Il connaît bien le circuit, maîtrise parfaitement son véhicule, parle couramment l'espagnol et a des contacts partout.
Au programme : le delta de l'Orénoque et ses indiens, et Saut Angel.
Il est 8h.
Après l'escale technique de Margarita, nous avons flâné dans les îles quelques semaines et nous voici sur le continent dans une marina gardée par des vigiles en armes et protégée de la rue par des murs surmontés de fils barbelés et électrifiés ! Dans la journée, nous pouvons aller dans le centre-ville à condition de se faire charger par un taxi à la porte de la marina. Pas question de sortir le soir. Sur la route on longe des immeubles de quelques étages aussi bien protégés que la marina. C'est inquiétant tous ces murs, ces barbelés et ces fenêtres grillagées même dans les étages !
Nous voulons faire un périple de deux semaines à l'intérieur des terres avec des amis, c'est pourquoi nous nous adressons à l'agence de voyage installée à l'intérieur de la marina. Côté sécurité il semblerait que les zones indiennes où nous projetons d'aller ne posent aucun problème. Ce qui craint, c'est la côte et les grandes villes. On nous a proposé un guide avec un 4x4 et un vague programme il y a quelques jours et depuis pas moyen d'obtenir des précisions sur le trajet, les étapes et le prix. Pourtant le départ est prévu samedi matin et nous sommes déjà mercredi.
Enfin ! Nous faisons connaissance de Matthias, notre guide. José, le directeur de l'agence TRANSPACIFIC, nous donne le programme du voyage. Il est temps ! Nous partons dans quelques heures !
Notre guide fait cela depuis vingt ans qu'il vit au Venezuela. Comme il parle un peu anglais, nous devrions réussir à nous comprendre. Il possède un 4x4 Toyota dans lequel nos bagages seront à l'abri et nous, confortablement installés avec la clim' pour ce périple de 3000 km. Matthias est un vrai pro du raid « aventure ». Il a tout prévu : les glacières avec les boissons et la nourriture et les hamacs avec moustiquaires. Il connaît bien le circuit, maîtrise parfaitement son véhicule, parle couramment l'espagnol et a des contacts partout.
Au programme : le delta de l'Orénoque et ses indiens, et Saut Angel.
Il est 8h.
Nous partons pour le delta de l'Orénoque via Maturin.
10h30 – On crève le pneu arrière-droit dans Maturin. Quelle chance ! A proximité d'un garage ! D'après le mécano qui est venu changer la roue, il ne faut pas rester sur ce parking car le coin n'est pas sûr. Pendant que l'on répare le pneu de son 4x4, Matthias nous emmène dans un restaurant typique des bords de route. On y commande un certain poids de viande qui est cuite à la broche sur un énorme barbecue enterré. Elle est servie découpée, avec des patates ou du riz, de la sauce et des crudités.
14h – Moins de 100 km plus loin nous sommes à San Jose de Buja. Nous chargeons les bagages dans une pirogue et notre guide met la voiture dans un garage. Deux indiens Waraos profitent du bateau pour rentrer chez eux. Ils habitent à Yabinoco et c'est justement notre destination. Il pleut et il faut protéger nos valises dans des grands sacs poubelles. Sous les averses nous prenons des canaux de plus en plus larges dans le delta. Avec la vitesse, les gouttes d'eau nous piquent telles de petites aiguilles.
Une bonne heure plus tard nous arrivons au village indien. Le dépaysement est total!
Les huttes en bois, couvertes de palmes et sans murs longent la rive.
10h30 – On crève le pneu arrière-droit dans Maturin. Quelle chance ! A proximité d'un garage ! D'après le mécano qui est venu changer la roue, il ne faut pas rester sur ce parking car le coin n'est pas sûr. Pendant que l'on répare le pneu de son 4x4, Matthias nous emmène dans un restaurant typique des bords de route. On y commande un certain poids de viande qui est cuite à la broche sur un énorme barbecue enterré. Elle est servie découpée, avec des patates ou du riz, de la sauce et des crudités.
14h – Moins de 100 km plus loin nous sommes à San Jose de Buja. Nous chargeons les bagages dans une pirogue et notre guide met la voiture dans un garage. Deux indiens Waraos profitent du bateau pour rentrer chez eux. Ils habitent à Yabinoco et c'est justement notre destination. Il pleut et il faut protéger nos valises dans des grands sacs poubelles. Sous les averses nous prenons des canaux de plus en plus larges dans le delta. Avec la vitesse, les gouttes d'eau nous piquent telles de petites aiguilles.
Une bonne heure plus tard nous arrivons au village indien. Le dépaysement est total!
Les huttes en bois, couvertes de palmes et sans murs longent la rive.
Juste derrière, c'est la jungle que l'on pénètre à coup de machette.
Les huttes sont sur pilotis tout comme l'unique chemin du village.
Des hamacs sont suspendus à l'intérieur et toute la famille vit sur le plancher de rondins sans aucun confort au vu et au su des voisins.
Les Waraos étaient des nomades. Ce mode de vie était essentiel pour leur survie. Cela évitait entre autres l'épuisement des ressources. Pour mieux les contrôler, le gouvernement tente de les sédentariser. Quelques indiens ont donc construit une cabane en dur et deux ou trois familles ont la télé. Elle peut fonctionner du coucher du soleil jusqu'à 23h pendant que le générateur fournit du courant pour les rares frigos et congélateurs.
Plongeon dans les eaux marrons de l'Orénoque qui doit sa couleur à des oxydes de fer. Pour leur toilette, les indiens y descendent avec le gel-douche. Dans leur hutte il n'y a pas d'eau courante et ils font leur cuisine au feu de bois.
Pour nous c'est à peine moins spartiate ! Nos hamacs sont dans une grande hutte dont le sol est fait de planches et, comble du luxe, nous avons des murs en bois avec des ouvertures équipées de moustiquaires. Pour les douches, c'est comme pour les toilettes, il faut aller dans des cabanons extérieurs. Nous y avons l'eau courante … mais elle est directement pompée dans le fleuve et n'est donc pas potable.
Les Waraos étaient des nomades. Ce mode de vie était essentiel pour leur survie. Cela évitait entre autres l'épuisement des ressources. Pour mieux les contrôler, le gouvernement tente de les sédentariser. Quelques indiens ont donc construit une cabane en dur et deux ou trois familles ont la télé. Elle peut fonctionner du coucher du soleil jusqu'à 23h pendant que le générateur fournit du courant pour les rares frigos et congélateurs.
Plongeon dans les eaux marrons de l'Orénoque qui doit sa couleur à des oxydes de fer. Pour leur toilette, les indiens y descendent avec le gel-douche. Dans leur hutte il n'y a pas d'eau courante et ils font leur cuisine au feu de bois.
Pour nous c'est à peine moins spartiate ! Nos hamacs sont dans une grande hutte dont le sol est fait de planches et, comble du luxe, nous avons des murs en bois avec des ouvertures équipées de moustiquaires. Pour les douches, c'est comme pour les toilettes, il faut aller dans des cabanons extérieurs. Nous y avons l'eau courante … mais elle est directement pompée dans le fleuve et n'est donc pas potable.
Pour se laver les dents on prendra l'eau en bouteille.
18h30 – Le soleil est couché. Pour l'apéro, Matthias nous propose un CUBA LIBRE. C'est le Ti'Punch vénézuélien : du rhum, du coca et une rondelle de citron, le tout servi bien frais. Fini le rhum agricole AOC dont les Martiniquais sont si fiers. Ici il est fabriqué à partir de la mélasse et non du jus de canne. C'est beaucoup moins bon mais noyé dans du coca ça passe très bien ! Les moustiques nous épargnent, nous sommes habillés des pieds à la tête et nous nous sommes aspergés de répulsif.
Bien fatigués nous allons dans nos hamacs de bonne heure, bercés … désagréablement …
18h30 – Le soleil est couché. Pour l'apéro, Matthias nous propose un CUBA LIBRE. C'est le Ti'Punch vénézuélien : du rhum, du coca et une rondelle de citron, le tout servi bien frais. Fini le rhum agricole AOC dont les Martiniquais sont si fiers. Ici il est fabriqué à partir de la mélasse et non du jus de canne. C'est beaucoup moins bon mais noyé dans du coca ça passe très bien ! Les moustiques nous épargnent, nous sommes habillés des pieds à la tête et nous nous sommes aspergés de répulsif.
Bien fatigués nous allons dans nos hamacs de bonne heure, bercés … désagréablement …
par le ronronnement du groupe électrogène qui ne s'arrêtera que vers minuit!
Réveillés en fanfare par les coqs avant l'aube nous nous rendormons quand même jusqu'à 6h30. Après un petit déjeuner copieux, nous montons dans le bateau de Freddy, un habitant du village qui nous promènera pendant les deux jours.
Réveillés en fanfare par les coqs avant l'aube nous nous rendormons quand même jusqu'à 6h30. Après un petit déjeuner copieux, nous montons dans le bateau de Freddy, un habitant du village qui nous promènera pendant les deux jours.
Julio, un copain indien de notre guide, sera notre guide dans la jungle et sur le fleuve.
Le débit de l'Orénoque le classe au 4° rang mondial. Son delta couvre une surface équivalant à 75% de celle de la Belgique. Nous sommes dans la partie nord, celle qui se jette dans le Golfe de Paria et nous allons passer toute la journée sur l'eau dans la région de la Boca de Tigre. Nous sommes impressionnés par l'immensité du site. Des centaines de canaux forment un labyrinthe inextricable dans la forêt vierge. Des jacinthes d'eau dérivent au gré des marées qui se font ressentir très loin dans l'intérieur du delta.
Nous empruntons un bras encombré par des roseaux. Les rives se resserrent et nous devons baisser la tête pour éviter les branches. Plus nous avançons, plus la végétation aquatique est dense et le moteur de 48 CV ne réussit plus à pousser la pirogue. Nous sommes pris dans les jacinthes d'eau. Julio dégage le passage avec sa machette mais bientôt cela ne suffit plus. Du coup, Matthias et lui saisissent alors les planches qui nous servaient de repose-pieds et nous sortent de là en prenant appui sur le fond pour extraire la barque du piège où elle s'est mise!.
La Morena, un autre village Warao, est à une demi-heure de bateau de Yabinoco. Une trentaine de famille y vit. Un chemin sur pilotis passe entre la forêt et les huttes. Des troncs couchés perpendiculairement au chemin tracent un sentier vers la végétation luxuriante à partir de chaque habitation. Julio nous explique qu'ils conduisent aux « baňos » et que lorsqu'on y pose culotte, les moustiques en profitent méchamment !
Une multitude d'enfants se précipite sur Matthias. Ils le connaissent car il n'oublie jamais d'apporter bonbons et sucettes. Nous achetons des colliers de graines colorées et des corbeilles tressées avec les joncs du delta.
Tous les Waraos ne vivent pas groupés en villages. Nous avons vu beaucoup de huttes isolées et habitées au bord du fleuve. Une pirogue avec un moteur est un luxe que peu d'entre eux peuvent se permettre.
Pour pêcher le piranha, Julio abat un palmito. C'est un petit palmier. Les palmes effeuillées serviront de cannes à pêche. Il nous donne à goûter le cœur de la partie haute du tronc. Tendre et croquant, c'est délicieux ! Rien à voir avec le cœur de palmier des conserves ! Le reste du tronc est employé pour les planchers des huttes. L'enveloppe du cœur sert de « papier ». On peut y graver des signes en le rayant avec un objet pointu. Il cherche ensuite le coin idéal pour que nous rapportions de quoi faire une bonne friture. Nous n'aurons pas de touche ! C'est Freddy qui attrapera un piranha dans l'après-midi en nous attendant pendant que nous sommes en « promenade écologique » dans la jungle.
Pour cette balade un peu particulière nous sommes équipés !
Chaussures ne craignant rien car nous allons marcher dans l'eau et dans la boue nous enfonçant jusqu'au chevilles. Rien n'est sec et rien ne sèche ici.
Manches longues, col fermé et grosses doses de répulsif anti-moustique. Dès que nous quittons la rive pour pénétrer dans la forêt des nuées de ces affreux insectes attaquent. En marche cela va encore mais quand nous nous arrêtons écouter les explications de Julio c'est carrément insupportable.
Il y a tant de choses à découvrir … Julio nous montre des arbres et des plantes permettant de survivre dans ce milieu hostile.
Il coupe une liane et des gouttes d'eau savoureuse s'en écoulent.
Il pose la main sur une termitière suspendue dans un arbre. Quelques secondes plus tard il la retire couverte de termites qu'il écrase entre ses paumes. Il s'en couvre le visage et le voilà protégé des moustiques !
Le balsa est un arbre dont on utilise le bois pour l'aéromodélisme tellement il est léger. Sa sève épaisse et rouge est un colorant naturel. Ce qui est surtout impressionnant, c'est le bruit que l'on peut faire en frappant son tronc à contreforts avec une masse. Le son émis est grave et sourd. Il s'entend de très loin. Un téléphone sans fil en quelque sorte ! Impeccable pour communiquer dans la jungle et pas de risque d'être en panne de réseau !
Un des palmiers qu'il nous montre est particulièrement intéressant. Avec ses palmes on couvre les toits des huttes. Ses fruits ressemblent à des petites noix de coco dans lesquelles on trouve un peu d'eau et de la pulpe comestible. On en extrait aussi une sorte de fibre végétale tissée et très « stretch » dont on faisait des pagnes. Je préfère le mettre sur ma tête pour me protéger des moustiques qui ne cessent de nous tourner autour. En découpant l'extrémité de l'enveloppe de la fleur, on obtient un verre. Avec son bois séché, on fait du feu en frottant deux morceaux l'un contre l'autre. Bref !
Le débit de l'Orénoque le classe au 4° rang mondial. Son delta couvre une surface équivalant à 75% de celle de la Belgique. Nous sommes dans la partie nord, celle qui se jette dans le Golfe de Paria et nous allons passer toute la journée sur l'eau dans la région de la Boca de Tigre. Nous sommes impressionnés par l'immensité du site. Des centaines de canaux forment un labyrinthe inextricable dans la forêt vierge. Des jacinthes d'eau dérivent au gré des marées qui se font ressentir très loin dans l'intérieur du delta.
Nous empruntons un bras encombré par des roseaux. Les rives se resserrent et nous devons baisser la tête pour éviter les branches. Plus nous avançons, plus la végétation aquatique est dense et le moteur de 48 CV ne réussit plus à pousser la pirogue. Nous sommes pris dans les jacinthes d'eau. Julio dégage le passage avec sa machette mais bientôt cela ne suffit plus. Du coup, Matthias et lui saisissent alors les planches qui nous servaient de repose-pieds et nous sortent de là en prenant appui sur le fond pour extraire la barque du piège où elle s'est mise!.
La Morena, un autre village Warao, est à une demi-heure de bateau de Yabinoco. Une trentaine de famille y vit. Un chemin sur pilotis passe entre la forêt et les huttes. Des troncs couchés perpendiculairement au chemin tracent un sentier vers la végétation luxuriante à partir de chaque habitation. Julio nous explique qu'ils conduisent aux « baňos » et que lorsqu'on y pose culotte, les moustiques en profitent méchamment !
Une multitude d'enfants se précipite sur Matthias. Ils le connaissent car il n'oublie jamais d'apporter bonbons et sucettes. Nous achetons des colliers de graines colorées et des corbeilles tressées avec les joncs du delta.
Tous les Waraos ne vivent pas groupés en villages. Nous avons vu beaucoup de huttes isolées et habitées au bord du fleuve. Une pirogue avec un moteur est un luxe que peu d'entre eux peuvent se permettre.
Pour pêcher le piranha, Julio abat un palmito. C'est un petit palmier. Les palmes effeuillées serviront de cannes à pêche. Il nous donne à goûter le cœur de la partie haute du tronc. Tendre et croquant, c'est délicieux ! Rien à voir avec le cœur de palmier des conserves ! Le reste du tronc est employé pour les planchers des huttes. L'enveloppe du cœur sert de « papier ». On peut y graver des signes en le rayant avec un objet pointu. Il cherche ensuite le coin idéal pour que nous rapportions de quoi faire une bonne friture. Nous n'aurons pas de touche ! C'est Freddy qui attrapera un piranha dans l'après-midi en nous attendant pendant que nous sommes en « promenade écologique » dans la jungle.
Pour cette balade un peu particulière nous sommes équipés !
Chaussures ne craignant rien car nous allons marcher dans l'eau et dans la boue nous enfonçant jusqu'au chevilles. Rien n'est sec et rien ne sèche ici.
Manches longues, col fermé et grosses doses de répulsif anti-moustique. Dès que nous quittons la rive pour pénétrer dans la forêt des nuées de ces affreux insectes attaquent. En marche cela va encore mais quand nous nous arrêtons écouter les explications de Julio c'est carrément insupportable.
Il y a tant de choses à découvrir … Julio nous montre des arbres et des plantes permettant de survivre dans ce milieu hostile.
Il coupe une liane et des gouttes d'eau savoureuse s'en écoulent.
Il pose la main sur une termitière suspendue dans un arbre. Quelques secondes plus tard il la retire couverte de termites qu'il écrase entre ses paumes. Il s'en couvre le visage et le voilà protégé des moustiques !
Le balsa est un arbre dont on utilise le bois pour l'aéromodélisme tellement il est léger. Sa sève épaisse et rouge est un colorant naturel. Ce qui est surtout impressionnant, c'est le bruit que l'on peut faire en frappant son tronc à contreforts avec une masse. Le son émis est grave et sourd. Il s'entend de très loin. Un téléphone sans fil en quelque sorte ! Impeccable pour communiquer dans la jungle et pas de risque d'être en panne de réseau !
Un des palmiers qu'il nous montre est particulièrement intéressant. Avec ses palmes on couvre les toits des huttes. Ses fruits ressemblent à des petites noix de coco dans lesquelles on trouve un peu d'eau et de la pulpe comestible. On en extrait aussi une sorte de fibre végétale tissée et très « stretch » dont on faisait des pagnes. Je préfère le mettre sur ma tête pour me protéger des moustiques qui ne cessent de nous tourner autour. En découpant l'extrémité de l'enveloppe de la fleur, on obtient un verre. Avec son bois séché, on fait du feu en frottant deux morceaux l'un contre l'autre. Bref !
L'arbre à tout faire !
J'ai gardé le meilleur pour la fin …
Dans les arbres morts en décomposition sur le sol détrempé, se développent des vers blancs à tête rouge. Ils sont gros comme un pouce. C'est une source de protéines nous affirme Julio et il nous montre comment le manger. On ôte la tête d'un coup de dents et on la recrache. On vide ensuite le ver de sa substance liquide et on le mange cru ou cuit.
J'ai gardé le meilleur pour la fin …
Dans les arbres morts en décomposition sur le sol détrempé, se développent des vers blancs à tête rouge. Ils sont gros comme un pouce. C'est une source de protéines nous affirme Julio et il nous montre comment le manger. On ôte la tête d'un coup de dents et on la recrache. On vide ensuite le ver de sa substance liquide et on le mange cru ou cuit.
Comme dans « Khô Lanta »!!
Il tente l'expérience et réussit l'exploit. Nous avons la preuve : j'ai filmé !
Il avouera après que ce n'est pas très bon, plutôt amère et très caoutchouteux. Julio admet que c'est bien meilleur quand c'est cuit.
Nous décidons de le croire sur parole.
Au cours de nos trajets sur le fleuve, nous avons vu des dauphins d'eau douce au ventre rose et des singes. On les qualifie de « hurleurs » tellement ils font du vacarme ! Tous les jours, les perroquets arrivent du continent par milliers à la tombée de la nuit pour dormir au sommet des arbres dans la forêt du delta. Nous regardons le soleil se coucher en écoutant leur chant.
Dès 8h nous montons dans la pirogue de Freddy qui nous ramène à San Jose de Buja. Il ne pleut pas et la lumière est magnifique.
Au cours de nos trajets sur le fleuve, nous avons vu des dauphins d'eau douce au ventre rose et des singes. On les qualifie de « hurleurs » tellement ils font du vacarme ! Tous les jours, les perroquets arrivent du continent par milliers à la tombée de la nuit pour dormir au sommet des arbres dans la forêt du delta. Nous regardons le soleil se coucher en écoutant leur chant.
Dès 8h nous montons dans la pirogue de Freddy qui nous ramène à San Jose de Buja. Il ne pleut pas et la lumière est magnifique.
Nous profitons mieux du trajet qu'à l'aller où il avait tant plu.
Nous reprenons la voiture pour une longue route vers le sud et la Gran Sabana. Nous passons l'Orénoque sur le tout nouveau pont de San Felix. C'est ensuite Upata, Guasipati, El Dorado et
Nous reprenons la voiture pour une longue route vers le sud et la Gran Sabana. Nous passons l'Orénoque sur le tout nouveau pont de San Felix. C'est ensuite Upata, Guasipati, El Dorado et
le fameux km88 au pied de la montée vers le plateau.
Au sud-est du Venezuela, la Gran Sabana est un tepui très étendu (1/10 de la France environ) : « Tepuyes » est le nom indien donné aux mesas, ces montagnes tabulaires à la silhouette si caractéristique. La Gran Sabana, autrement dit « La Grande Savane » en français, est un plateau de 1400 m d'altitude en moyenne sur lequel, de loin en loin, se dressent d'autres tepuyes.
Le plus élevé d'entre eux, le Roraima, culmine à 2800 m et il est très isolé du reste de la région. Une faune et une flore endémiques s'y sont développées tout comme aux Galapagos. « Un monde perdu » ! Il est d'un accès difficile et est réservé aux bons treckeurs … à moins de s'y faire déposer en hélicoptère comme des Japonais que nous avons rencontrés.
17h – Nous sommes au pied de la Gran Sabana et nous avons le temps d'y monter. Nous dormirons dans la posada de San Rafaele à côté
Au sud-est du Venezuela, la Gran Sabana est un tepui très étendu (1/10 de la France environ) : « Tepuyes » est le nom indien donné aux mesas, ces montagnes tabulaires à la silhouette si caractéristique. La Gran Sabana, autrement dit « La Grande Savane » en français, est un plateau de 1400 m d'altitude en moyenne sur lequel, de loin en loin, se dressent d'autres tepuyes.
Le plus élevé d'entre eux, le Roraima, culmine à 2800 m et il est très isolé du reste de la région. Une faune et une flore endémiques s'y sont développées tout comme aux Galapagos. « Un monde perdu » ! Il est d'un accès difficile et est réservé aux bons treckeurs … à moins de s'y faire déposer en hélicoptère comme des Japonais que nous avons rencontrés.
17h – Nous sommes au pied de la Gran Sabana et nous avons le temps d'y monter. Nous dormirons dans la posada de San Rafaele à côté
des rapides de Kamoiran.
Nous suivons la seule route goudronnée. Elle mène au sud à Santa Elena de Uairén à la frontière avec le Brésil. Si on la continue on parvient à Boa Vista.
Un paysage de savane s'étend de part et d'autre. On s'attend à voir des girafes, des lions … mais rien ! Peu d'animaux ici. Nous verrons quand même quelques oiseaux, des lézards, un scorpion,
Nous suivons la seule route goudronnée. Elle mène au sud à Santa Elena de Uairén à la frontière avec le Brésil. Si on la continue on parvient à Boa Vista.
Un paysage de savane s'étend de part et d'autre. On s'attend à voir des girafes, des lions … mais rien ! Peu d'animaux ici. Nous verrons quand même quelques oiseaux, des lézards, un scorpion,
des chenilles, des papillons et beaucoup d'insectes.
Nous quittons l'asphalte pour des pistes menant à des « Saltos ». C'est comme ça qu'on appelle les cascades en espagnol. La Gran Sabana fait partie du bassin versant de l'Orénoque. Il peut pleuvoir jusqu'à 3000 mm par an à certains endroits. Toute cette eau alimente de nombreuses rivières et cascades.
Nous quittons l'asphalte pour des pistes menant à des « Saltos ». C'est comme ça qu'on appelle les cascades en espagnol. La Gran Sabana fait partie du bassin versant de l'Orénoque. Il peut pleuvoir jusqu'à 3000 mm par an à certains endroits. Toute cette eau alimente de nombreuses rivières et cascades.
Quelques unes sont spectaculaires
et ont contribué à la réputation de cette région unique au monde.
Nous déjeunons en haut des chutes de Kama qui tombent 110 m plus bas. Des indiens y vendent leur artisanat. Ils font de très beaux bijoux. Nous craquons ! Un arrêt rapide à la Quebrada de Jaspe : l'eau court sur le jaspe le polissant sans trêve. Ici la roche siliceuse est rouge vif et noire. Superbe!
Une fois nos bagages déposés à la posada Yakoo de Santa Elena, il nous reste assez de temps pour passer la frontière du Brésil et faire les boutiques brésiliennes de La Linea. Nous réalisons que nous sommes à moins de 400 km de l'équateur. Je ne suis jamais allée autant au sud.
Nous déjeunons en haut des chutes de Kama qui tombent 110 m plus bas. Des indiens y vendent leur artisanat. Ils font de très beaux bijoux. Nous craquons ! Un arrêt rapide à la Quebrada de Jaspe : l'eau court sur le jaspe le polissant sans trêve. Ici la roche siliceuse est rouge vif et noire. Superbe!
Une fois nos bagages déposés à la posada Yakoo de Santa Elena, il nous reste assez de temps pour passer la frontière du Brésil et faire les boutiques brésiliennes de La Linea. Nous réalisons que nous sommes à moins de 400 km de l'équateur. Je ne suis jamais allée autant au sud.
15 Août 2007
Au lever, il pleut. La visibilité est nulle et Matthias revient bredouille de la pompe à essence. Dans ce pays producteur de pétrole, ils ne sont pas capables de s'organiser pour remplir les citernes des stations.
Vers 10h la couverture nuageuse se lève et nous partons. La piste vers le Salto Yuruani est détrempée et en très mauvais état. Matthias nous donne un aperçu de ses talents de conducteur et des capacités de son 4x4.
Baignade et déjeuner à Balenario Suruape puis pause « artisanat » dans la seule ville de cette longue route : San Francisco de Yuruani et nous voici de retour à la posada pour un farniente bien agréable dans le joli cadre de Yakoo. Pendant ce temps Matthias retourne à la station-service. Le camion-citerne est venu et il lui faut faire la queue … Nous ne le reverrons que 3h1/2 plus tard, complètement épuisé. La Gran Sabana est un lieu de villégiature pour les vénézuéliens pendant leurs congés d'été et il paraît que les pénuries de carburant sont courantes pendant la saison touristique.
Jeudi 16 Août 2007
Nous prenons la route de bonne heure pour remonter vers le nord. En passant devant les stations essence, je compte les voitures qui attendent : 80 à l'une et 60 à l'autre. Déjeuner à Kamoiran où nous avions dormi à l'arrivée dans la Gran Sabana. Des voitures font la queue à la pompe … qui est fermée. Personne ne peut dire quand le camion-citerne arrivera … quel pays !
Nous repartons pour 3h de piste vers l'ouest. Le paysage est grandiose et désert sur les 70 km qui nous séparent de Kavanayen, ce grand village indien au fin fond de la savane. Les maisons sont en pierre taillée sur les deux faces. Aucune posada n'a été réservée ici. L'idée de bivouaquer à 5 dans le 4x4 ne nous enchante guère ! Matthias demande à la Mission Catholique mais c'est complet. Il finit par trouver des chambres au confort minimaliste. Nous serons quand même dans un lit à l'abri de la pluie qui n'a pas cessé.
Vendredi 17 Août 2007
Matthias est malade depuis hier soir, grippé et pas en forme. Nous faisons un petit tour dans Kavanayen avant de se diriger en 4x4 vers le Salto Aponwao. Faute d'avoir pu remplir le réservoir d'essence hier à Kamoiran, nous ne pourrons pas faire autre chose aujourd'hui. La piste principale était déjà assez sportive mais là cela devient super ! Matthias oublie sa fièvre tellement il s'amuse à conduire sur la piste noyée d'eau. Boue, ornières, gués … rien ne manque !
Arrivés au petit village sur la rive de l'Aponwao, nous prenons une curiara, cette pirogue indienne équipée d'un gros moteur hors-bord. En 1/2h nous sommes en haut du Salto Aponwao. La rivière bouillonne et des câbles sont tendus en travers. Sans doute pour se rattraper avant la chute en cas de panne de moteur…
Impressionnant ! Le bruit de l'eau tombant 100m plus bas est assourdissant. Nous descendons par un petit chemin à travers la jungle au pied de la chute.
C'est la saison des pluies et nous avons du mal à passer entre les gouttes depuis notre départ. Les cours d'eau débordent et le débit des cascades est énorme. Nous n'avons pas en Europe des spectacles pareils. C'est à couper le souffle, au propre comme au figuré. Lorsqu'on s'approche du pied du salto, la violence des embruns et du vent est à la hauteur d'une bonne tempête en mer.
Retour vers Chivaton, une posada perdue au milieu de nulle part mais un peu mieux que celle d'hier. Comme le ciel s'est dégagé, on aperçoit enfin quelques tepuyes à l'horizon.
Samedi 18 Août 2007
Journée fatigante de voiture jusqu'à Ciudad Bolivar.
Le pneu qui avait été réparé à Maturin au début du séjour, éclate. Cette fois-ci, il est mort. Matthias met la roue de secours et on croise les doigts car il ne compte pas faire l'achat d'un nouveau pneu avant Puerto La Cruz, terminus du voyage.
La posada Don Carlos est dans le centre de la vieille ville, à quelques pas des rives de l'Orénoque. Cette vieille demeure datant de la colonisation espagnole est superbement restaurée et confortable, mais nous dormirons mal car des chiens ne cesseront de hurler et d'aboyer toute la nuit dans la rue. En plus j'ai de la fièvre. J'ai du attraper le virus de Matthias et puis, ce soir, j'ai eu très froid dans la pizzeria où nous avons dîné. La climatisation était réglée beaucoup trop bas.
Dimanche 19 Août 2007
7h30 – Matthias nous dépose à l'aéroport de Ciudad Bolivar avant de repartir en 4x4 pour Puerto La Cruz. Pendant une heure, dans un petit coucou à six places, nous survolons vers le sud de grandes étendues désertes et parfois inondées. Les premiers tepuyes apparaissent et l'avion se prépare à atterrir sur la modeste piste de Canaïma. Le spectacle des chutes de Canaïma est extraordinaire. Nous sommes dans un parc national inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1994 et géré par les indiens qui seront nos guides pendant ces deux jours. Le nôtre nous conduit à la posada Wey Tepuy où nous dormirons une nuit. L'autre nuit nous la passerons dans un hamac au campement du Salto Angel.
Il faut laisser notre gros sac à la posada et ne prendre avec nous que le strict minimum pour le voyage en pirogue vers le campement de base du Salto Angel. La remontée des rios Carrao et Churun dure plus de 4h. Il faut franchir plusieurs rapides et nous serons même obligés de passer à terre pour l'un d'entre eux. La pirogue doit être délestée du poids de ses seize passagers pour parvenir à passer sans trop de risques la zone dangereuse des rapides de Mayupa. La majesté des tepuyes que nous longeons nous stupéfie. Des dizaines de cascades coulent le long des parois verticales. A leurs pieds c'est la forêt, luxuriante et gorgée d'humidité. L'eau est rouge, chargée en minéraux et oxydes de fer, le sable et les galets sont roses.
Le campement fait face au Salto Angel. Nous voici devant la mythique « plus haute chute d'eau du monde » : presque 1 km en chute libre. Jimmy Angel, un aviateur américain, l'a découverte par hasard en 1937et on a donné son nom à cette cascade unique. Elle est grandiose !
Les indiens organisent le camp, coupent du bois pour un énorme barbecue capable de cuire les vingt-cinq poulets du dîner et installent les hamacs sous l'abri de tôles. Pendant ce temps nous lions connaissance avec François et Birgit. Ils viennent de terminer leurs études et font un tour du monde en six mois avant d'entrer dans la vie active.
Lundi 20 Août 2007
Nous partons à pied dans la jungle pour nous rapprocher du Salto Angel. La végétation est exubérante et la promenade très agréable.
Arrivés au mirador de la chute nous en prenons plein les yeux. Imaginez un brumisateur colossal ! L'eau qui tombe en chute libre sur presque 1 km s'éparpille en gouttes sur une très large surface en arrivant au sol.
Nous sommes loin et pourtant nous sentons les embruns qui nous rafraîchissent le visage.
Il est l'heure de rentrer. Après un repas au campement de base, nous remontons dans la cariara pour 3 h de descente sur les rivières jusqu'à Canaima et sa lagune. Il pleut pendant presque tout le trajet. En plus, à chaque fois que nous passons des rapides, nous embarquons de gros paquets d'eau.
Malgré les ponchos en plastique nous sommes trempés et nous finissons par grelotter. Un comble sous ces latitudes !
Mardi 21 Août 2007
Une balade au Salto El Sapo est prévue ce matin. C'est le nom de l'une des cascades de Canaima. Pour cela une pirogue nous fait traverser la lagune. Nous continuons à pied sur l'autre rive.
Le sentier passe derrière la chute d'eau et la longe pendant une bonne centaine de mètres. C'est impressionnant ! Le rideau d'eau qui tombe est tellement épais qu'il fait presque nuit dans l'étroit passage glissant qui longe la paroi. Le vacarme de la cascade nous rend sourd et les trombes d'eau qui nous arrosent, nous aveuglent. Impossible d'y échapper … nous voilà à nouveau trempés jusqu'aux os par l'eau rouge venue des tepuyes.
A la sortie nous nous réchauffons vite au soleil en montant en haut de la chute dominant ainsi la lagune et la plaine de Canaïma où des palmiers poussent les pieds dans l'eau. Que c'est beau ! On resterait là, contemplatifs, si le guide nous laissait faire.
Pour revenir, nous reprenons le même chemin avec un nouveau passage toujours aussi rafraîchissant derrière El Sapo. Nous nous changeons et vite, nous allons à l'aéroport. Le terme est un peu pompeux pour désigner l'endroit mais c'est comme ça.
Nous sommes dans les premiers à arriver pour s'inscrire sur les listes de départ et nous partons avec les premiers vols … dans deux avions différents. Dommage ! J'aurais bien aimé partager avec Guy mon émerveillement en voyant les averses se déverser sur le sol. L'avion effectue les zigzag nécessaires pour contourner les grains. Le spectacle est génial !
A l'aéroport de Ciudad Bolivar, nous trouvons un taxi qui nous emmène à la gare routière. Comme beaucoup de voitures dans ce pays, c'est une vieille grosse américaine rafistolée avec du fil de fer. Elle roule … nous n'en demandons pas plus.
Il reste des places pour le bus de 16h30. En ville, l'air est étouffant et la chaleur à peine supportable. Nous attendons au frais dans la minuscule salle d'attente climatisée de la compagnie. Un homme y dort, assis, la tête appuyée sur un tabouret de bar. Rien ne perturbe ses ronflements, même pas les portes qui claquent !
Le trajet dure plus de 4h. Les bus vénézuéliens sont extrêmement confortables. On peut faire des kilomètres sans peiner. Il fait nuit depuis bien longtemps lorsque nous rentrons chez nous, des images, des sons, des odeurs, des goûts et des sensations plein la tête.
Au lever, il pleut. La visibilité est nulle et Matthias revient bredouille de la pompe à essence. Dans ce pays producteur de pétrole, ils ne sont pas capables de s'organiser pour remplir les citernes des stations.
Vers 10h la couverture nuageuse se lève et nous partons. La piste vers le Salto Yuruani est détrempée et en très mauvais état. Matthias nous donne un aperçu de ses talents de conducteur et des capacités de son 4x4.
Baignade et déjeuner à Balenario Suruape puis pause « artisanat » dans la seule ville de cette longue route : San Francisco de Yuruani et nous voici de retour à la posada pour un farniente bien agréable dans le joli cadre de Yakoo. Pendant ce temps Matthias retourne à la station-service. Le camion-citerne est venu et il lui faut faire la queue … Nous ne le reverrons que 3h1/2 plus tard, complètement épuisé. La Gran Sabana est un lieu de villégiature pour les vénézuéliens pendant leurs congés d'été et il paraît que les pénuries de carburant sont courantes pendant la saison touristique.
Jeudi 16 Août 2007
Nous prenons la route de bonne heure pour remonter vers le nord. En passant devant les stations essence, je compte les voitures qui attendent : 80 à l'une et 60 à l'autre. Déjeuner à Kamoiran où nous avions dormi à l'arrivée dans la Gran Sabana. Des voitures font la queue à la pompe … qui est fermée. Personne ne peut dire quand le camion-citerne arrivera … quel pays !
Nous repartons pour 3h de piste vers l'ouest. Le paysage est grandiose et désert sur les 70 km qui nous séparent de Kavanayen, ce grand village indien au fin fond de la savane. Les maisons sont en pierre taillée sur les deux faces. Aucune posada n'a été réservée ici. L'idée de bivouaquer à 5 dans le 4x4 ne nous enchante guère ! Matthias demande à la Mission Catholique mais c'est complet. Il finit par trouver des chambres au confort minimaliste. Nous serons quand même dans un lit à l'abri de la pluie qui n'a pas cessé.
Vendredi 17 Août 2007
Matthias est malade depuis hier soir, grippé et pas en forme. Nous faisons un petit tour dans Kavanayen avant de se diriger en 4x4 vers le Salto Aponwao. Faute d'avoir pu remplir le réservoir d'essence hier à Kamoiran, nous ne pourrons pas faire autre chose aujourd'hui. La piste principale était déjà assez sportive mais là cela devient super ! Matthias oublie sa fièvre tellement il s'amuse à conduire sur la piste noyée d'eau. Boue, ornières, gués … rien ne manque !
Arrivés au petit village sur la rive de l'Aponwao, nous prenons une curiara, cette pirogue indienne équipée d'un gros moteur hors-bord. En 1/2h nous sommes en haut du Salto Aponwao. La rivière bouillonne et des câbles sont tendus en travers. Sans doute pour se rattraper avant la chute en cas de panne de moteur…
Impressionnant ! Le bruit de l'eau tombant 100m plus bas est assourdissant. Nous descendons par un petit chemin à travers la jungle au pied de la chute.
C'est la saison des pluies et nous avons du mal à passer entre les gouttes depuis notre départ. Les cours d'eau débordent et le débit des cascades est énorme. Nous n'avons pas en Europe des spectacles pareils. C'est à couper le souffle, au propre comme au figuré. Lorsqu'on s'approche du pied du salto, la violence des embruns et du vent est à la hauteur d'une bonne tempête en mer.
Retour vers Chivaton, une posada perdue au milieu de nulle part mais un peu mieux que celle d'hier. Comme le ciel s'est dégagé, on aperçoit enfin quelques tepuyes à l'horizon.
Samedi 18 Août 2007
Journée fatigante de voiture jusqu'à Ciudad Bolivar.
Le pneu qui avait été réparé à Maturin au début du séjour, éclate. Cette fois-ci, il est mort. Matthias met la roue de secours et on croise les doigts car il ne compte pas faire l'achat d'un nouveau pneu avant Puerto La Cruz, terminus du voyage.
La posada Don Carlos est dans le centre de la vieille ville, à quelques pas des rives de l'Orénoque. Cette vieille demeure datant de la colonisation espagnole est superbement restaurée et confortable, mais nous dormirons mal car des chiens ne cesseront de hurler et d'aboyer toute la nuit dans la rue. En plus j'ai de la fièvre. J'ai du attraper le virus de Matthias et puis, ce soir, j'ai eu très froid dans la pizzeria où nous avons dîné. La climatisation était réglée beaucoup trop bas.
Dimanche 19 Août 2007
7h30 – Matthias nous dépose à l'aéroport de Ciudad Bolivar avant de repartir en 4x4 pour Puerto La Cruz. Pendant une heure, dans un petit coucou à six places, nous survolons vers le sud de grandes étendues désertes et parfois inondées. Les premiers tepuyes apparaissent et l'avion se prépare à atterrir sur la modeste piste de Canaïma. Le spectacle des chutes de Canaïma est extraordinaire. Nous sommes dans un parc national inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1994 et géré par les indiens qui seront nos guides pendant ces deux jours. Le nôtre nous conduit à la posada Wey Tepuy où nous dormirons une nuit. L'autre nuit nous la passerons dans un hamac au campement du Salto Angel.
Il faut laisser notre gros sac à la posada et ne prendre avec nous que le strict minimum pour le voyage en pirogue vers le campement de base du Salto Angel. La remontée des rios Carrao et Churun dure plus de 4h. Il faut franchir plusieurs rapides et nous serons même obligés de passer à terre pour l'un d'entre eux. La pirogue doit être délestée du poids de ses seize passagers pour parvenir à passer sans trop de risques la zone dangereuse des rapides de Mayupa. La majesté des tepuyes que nous longeons nous stupéfie. Des dizaines de cascades coulent le long des parois verticales. A leurs pieds c'est la forêt, luxuriante et gorgée d'humidité. L'eau est rouge, chargée en minéraux et oxydes de fer, le sable et les galets sont roses.
Le campement fait face au Salto Angel. Nous voici devant la mythique « plus haute chute d'eau du monde » : presque 1 km en chute libre. Jimmy Angel, un aviateur américain, l'a découverte par hasard en 1937et on a donné son nom à cette cascade unique. Elle est grandiose !
Les indiens organisent le camp, coupent du bois pour un énorme barbecue capable de cuire les vingt-cinq poulets du dîner et installent les hamacs sous l'abri de tôles. Pendant ce temps nous lions connaissance avec François et Birgit. Ils viennent de terminer leurs études et font un tour du monde en six mois avant d'entrer dans la vie active.
Lundi 20 Août 2007
Nous partons à pied dans la jungle pour nous rapprocher du Salto Angel. La végétation est exubérante et la promenade très agréable.
Arrivés au mirador de la chute nous en prenons plein les yeux. Imaginez un brumisateur colossal ! L'eau qui tombe en chute libre sur presque 1 km s'éparpille en gouttes sur une très large surface en arrivant au sol.
Nous sommes loin et pourtant nous sentons les embruns qui nous rafraîchissent le visage.
Il est l'heure de rentrer. Après un repas au campement de base, nous remontons dans la cariara pour 3 h de descente sur les rivières jusqu'à Canaima et sa lagune. Il pleut pendant presque tout le trajet. En plus, à chaque fois que nous passons des rapides, nous embarquons de gros paquets d'eau.
Malgré les ponchos en plastique nous sommes trempés et nous finissons par grelotter. Un comble sous ces latitudes !
Mardi 21 Août 2007
Une balade au Salto El Sapo est prévue ce matin. C'est le nom de l'une des cascades de Canaima. Pour cela une pirogue nous fait traverser la lagune. Nous continuons à pied sur l'autre rive.
Le sentier passe derrière la chute d'eau et la longe pendant une bonne centaine de mètres. C'est impressionnant ! Le rideau d'eau qui tombe est tellement épais qu'il fait presque nuit dans l'étroit passage glissant qui longe la paroi. Le vacarme de la cascade nous rend sourd et les trombes d'eau qui nous arrosent, nous aveuglent. Impossible d'y échapper … nous voilà à nouveau trempés jusqu'aux os par l'eau rouge venue des tepuyes.
A la sortie nous nous réchauffons vite au soleil en montant en haut de la chute dominant ainsi la lagune et la plaine de Canaïma où des palmiers poussent les pieds dans l'eau. Que c'est beau ! On resterait là, contemplatifs, si le guide nous laissait faire.
Pour revenir, nous reprenons le même chemin avec un nouveau passage toujours aussi rafraîchissant derrière El Sapo. Nous nous changeons et vite, nous allons à l'aéroport. Le terme est un peu pompeux pour désigner l'endroit mais c'est comme ça.
Nous sommes dans les premiers à arriver pour s'inscrire sur les listes de départ et nous partons avec les premiers vols … dans deux avions différents. Dommage ! J'aurais bien aimé partager avec Guy mon émerveillement en voyant les averses se déverser sur le sol. L'avion effectue les zigzag nécessaires pour contourner les grains. Le spectacle est génial !
A l'aéroport de Ciudad Bolivar, nous trouvons un taxi qui nous emmène à la gare routière. Comme beaucoup de voitures dans ce pays, c'est une vieille grosse américaine rafistolée avec du fil de fer. Elle roule … nous n'en demandons pas plus.
Il reste des places pour le bus de 16h30. En ville, l'air est étouffant et la chaleur à peine supportable. Nous attendons au frais dans la minuscule salle d'attente climatisée de la compagnie. Un homme y dort, assis, la tête appuyée sur un tabouret de bar. Rien ne perturbe ses ronflements, même pas les portes qui claquent !
Le trajet dure plus de 4h. Les bus vénézuéliens sont extrêmement confortables. On peut faire des kilomètres sans peiner. Il fait nuit depuis bien longtemps lorsque nous rentrons chez nous, des images, des sons, des odeurs, des goûts et des sensations plein la tête.
PRO'S PER AIM au large du Venezuela : l'abordage
du 6 au 8 novembre 2007
du 6 au 8 novembre 2007
Mardi 6 Novembre 2007 – Le long des côtes de Curaçao
Il est midi, nous quittons le mouillage protégé de Spanish Water pour gagner le nord de Curaçao et caréner Pro's Per Aim en plongée dans la crique de Santa Krus. Cette étape nous rapproche d'une bonne vingtaine de milles de notre prochaine étape : l'île double de Los Monjes Del Sur.
Nous y sommes avant la nuit. La petite baie est jolie et tranquille. Je laisse filer l'ancre et la chaîne qui se tend en croquant. Zut ! L'ancre n'accroche pas. Il faut recommencer. L'ancre remonte et Guy déplace le bateau de quelques dizaines de mètres. A nouveau, je tente le mouillage. Rien à faire. Les fonds ne tiennent pas. La couche de sable est trop fine et l'ancre glisse sur le corail. Nous ne pouvons pas rester là.
Donc, vers 18h00, nous décidons de prendre la mer et de filer plein vent arrière vers Los Monjes.
Tout dessus, génois tangonné, sous pilote, Pro's Per Aim avale les milles. Les alizés soufflent force 4/5 et la mer est assez agitée. Au petit jour nous sommes proches de la Colombie quand en quelques instants la croisière bascule dans le cauchemar ...
Il est 7h00 du matin en ce mercredi 7 novembre 2007 par 12°21'N et 70°30'W. Le soleil a tout juste commencé à blanchir l'horizon. Dans ces coins fréquentés par les pêcheurs et les pétroliers, il faut faire une veille active et c'est moi qui suis de quart quand j'aperçois deux bateaux : un gros à 4 ou 5 milles à bâbord et un autre plus petit qui se dirige sur nous. Je l'observe quelques minutes et l'angle de nos routes ne change pas. Il faut faire quelque chose sinon ce sera la collision ! Comme nous sommes vent arrière, je préfère réveiller Guy car la moindre erreur de manœuvre peut provoquer un empannage qui risquerait de nous faire démâter.
Le temps que Guy monte sur le pont, le bateau est déjà sur nous. Il nous coupe la route et fait demi-tour en tirant en l'air une fusée blanche. Il est maintenant parallèle à Pro's Per Aim à une dizaine de mètres sur notre bâbord. Curieux ! Ce bateau s'appelle « Le Flamingo », mais il arbore un pavillon cambodgien et son port d'attache est Phnom Penh.
Avec un porte-voix, un marin crie « Three … Three … Zero ». Que nous veulent-ils ? Guy descend à la radio VHF et les interroge sur leurs intentions en utilisant le canal 16, celui des urgences en mer. Aucune réponse ! Il remonte rapidement dans le cockpit.
Tout se passe alors très vite. Notre agresseur modifie sa direction et se dirige droit sur nous. L'abordage est inévitable. Pour limiter les conséquences du choc autant que par réflexe, Guy coupe le pilote et met la barre à droite. Le Flamingo, ce bateau cambodgien, nous éperonne à l'avant et s'éloigne tranquillement.
Les voiles sont en vrac et l'équipage est choqué !
Guy retourne à la radio pour agonir de sottises nos agresseurs. Cette fois, on nous répond dans un mauvais anglais. Ils nous laisseront tranquilles si nous faisons cap au nord pendant au moins deux milles. Nous comprenons à ce moment là que le « Three … Three … Zero » qu'ils avaient crié au porte-voix avant l'abordage, signifiait « trois … trois … zéro » autrement « cap au 330 ».
Nous obtempérons sans discuter. Cap au nord donc ! Et nous remettons Pro's Per Aim en état de marche. Les voiles sont à nouveau bien gonflées et le choc n'a pas provoqué de voie d'eau. Il faut rappeler que notre bateau est en aluminium. Dans les mêmes conditions, un voilier en plastique aurait eu l'étrave arrachée. Nous en sommes quittes pour simplement un peu de peinture blanche à refaire, le filet à réparer et une ancre à racheter. C'est elle qui a amorti le choc. Elle est complètement tordue et inutilisable.
Le calme est revenu, nous permettant de recouvrer nos esprits. Plein de questions nous assaillent. Pourquoi un bateau cambodgien nous a-t-il éperonné au large de la côte sud-américaine, à la limite du Venezuela et de la Colombie ? Que faisait l'autre gros bateau dont il ne fallait visiblement pas s'approcher ?
Plus tard, dans l'archipel des San Blas le long de la côte panaméenne, on nous expliquera que le transfert de la drogue entre la Colombie et les Etats Unis se fait par bateau. Le bateau récupère sa cargaison en pleine mer, les paquets de cocaïne et autres substances illicites étant parachutés à un endroit défini à l'avance par un point GPS extrêmement précis.
Avons-nous dérangé un trafic de ce type ? Etait-ce autre chose ? Nous ne le saurons jamais.
Vers 11h00, nous sommes en vue de Los Monjes Del Sur. Nous n'avons pas de carte, simplement un croquis donné par des copains, montrant que les deux îlots sont reliés par un enrochement artificiel et qu'un cordage est tendu sous le vent de cette digue pour que les bateaux puissent s'y amarrer.
Ce sont les dernières îles vénézuéliennes vers l'ouest. Elles n'ont jamais été habitées car ce sont deux gros cailloux stériles et sans eau. Mais l'administration vénézuélienne y a installé des douaniers qui s'ennuient ferme en surveillant le secteur.
A peine amarrés au gros filin qui relie les deux îlots, nous les voyons arriver et nous comprenons qu'il faut aller les chercher sur le petit quai avec notre annexe. Les voyageurs de la mer ne sont pas si nombreux à passer par là et la venue d'un voilier apporte un peu de sel à leur ordinaire bien terne. C'est pour cela qu'ils profitent de leurs prérogatives pour monter à bord et visiter Pro's Per Aim sous prétexte de vérifier l'armement et le matériel de sécurité. Un formulaire est soigneusement rempli en deux exemplaires sans carbone. Tout cela les occupe un bon moment.
Leur travail administratif terminé, ils ne se décident pas à partir. Comme nous ne parlons pas espagnol, la conversation a lieu en anglais. Ils acceptent une bière fraîche et se mettent à raconter leur vie sur cette terre aride. Leur séjour dure un mois puis ils rentrent chez eux pour un mois et on recommence.
Imaginez-vous !
Los Monjes Del Sur ce sont deux gros cailloux, le plus grand des deux faisant 500 m de diamètre et 80 m d'altitude. Les deux îlots de pierre ont été reliés par un remblai tout aussi minéral. Rien ne pousse sur Los Monjes. Les flancs du rocher tombent à pic dans la mer, il n'y a pas de plage et aucun mouillage à l'ancre n'est possible.
En plus de l'atmosphère très minérale des lieux, on est assourdi 24h sur 24 par le bruit des trois moteurs diesel faisant tourner les groupes électrogènes. Ils produisent le courant nécessaire au dessalinisateur, à l'éclairage du phare et à la vie quotidienne des douaniers.
Nous sommes donc invités à visiter le phare et à profiter du panorama. La chaleur de leur accueil nous console de nos mésaventures matinales.
Jeudi 8 Novembre 2007 – Los Monjes Del Sur (îles vénézuéliennes)
Hier soir, un bateau de pêche est venu s'amarrer à nos côtés.
Ce matin nous échangeons des bonjours et des sourires. Ils aimeraient bien rentrer en contact et nous aussi mais la barrière de la langue limite les échanges.
Toute la journée nous les voyons s'affairer sur leur grosse barque entre deux siestes. En fin de soirée, un des matelots qui pêchait pour s'occuper pendant cette journée de pause, se met à crier tout excité par sa prise. Un beau pagre a mordu à son hameçon. Ni une ni deux, ils nous le proposent. Guy va avec l'annexe le chercher à leur bord. Pour les remercier du cadeau nous leur donnons une tablette de chocolat et des bières bien fraîches.
Nous larguerons les amarres cette nuit pour faire route sur le Cap de la Vela : un endroit mal famé de la côte colombienne non pas à cause des hommes mais à cause de la mer et du vent qui rendent impossible le passage quand la météo est mauvaise.
PRO'S PER AIM dans les SAN BLAS
du 2 au 27 décembre 2007
du 2 au 27 décembre 2007
L'archipel des San Blas s'étend sur 120 milles entre le Cap Tiburon, à la frontière avec la Colombie au sud-est et le Golfe des San Blas au nord-ouest.
La navigation y est difficile et inconfortable. Tout d'abord, au fin fond des Caraïbes, la houle est croisée rendant la mer mauvaise, hachée et courte. Et surtout, la zone, parsemée de récifs coralliens, est très mal cartographiée.
Alors, pourquoi s'y rendre ?
La réponse est simple : chez les voyageurs de la mer, l'archipel est mythique !
Les îlots, couverts de cocotiers, les lagons et la vue sur la cordillère des San Blas s'élevant sur le proche continent invitent au farniente et sont un régal pour les yeux.
C'est le KUNA YALA, pays des indiens Kunas. Cette province dépend de l'état de Panama et possède une grande autonomie qui lui a permis jusqu'alors de conserver ses coutumes et ses traditions.
Dimanche 2 décembre 2007
9h- Nous sommes en vue de l'Isla Pinos. De loin, avec son sommet de 200 m et sa forme de baleine, on la repère facilement. Nous allons l'aborder par le sud-est. Cette large passe est l'un des chenaux d'entrée dans les San Blas.
Guy a préparé la route avec plusieurs guides nautiques mais nous savons qu'il y a un décalage entre les cartes et les coordonnées données par le GPS. Il faut donc ouvrir grand les yeux.
Un peu d'adrénaline à l'idée de naviguer dans un endroit pareil … ça réveille après une nuit quasi blanche passée à veiller en mer.
Le continent est proche : les montagnes sont couvertes d'une jungle qu'on dit impénétrable et la plaine côtière, étroite, est plantée de milliers de cocotiers.
Une heure plus tard, l'ancre est au fond de la baie à un petit mille au sud du village de Tupuk. En langage kuna, « Tupuk » signifie « baleine ».
Déjà des pirogues nous accostent. « Nuedi ! » (bonjour !)
Perez, dans un anglais approximatif nous explique qu'il est le secrétaire et que le droit au mouillage coûte huit dollars. Il nous donne un reçu. Dans l'après-midi il faudra aller se présenter au Sahila, le chef respecté de la tribu.
Un bon déjeuner, une petite sieste réparatrice et nous voici frais et dispos pour nous rendre au village.
Nous accostons à un ponton en béton où est amarré un vieux caboteur colombien tout rouillé. Il apporte des vivres frais et, en échange, il embarque des noix de coco. L'économie kuna repose en grande partie sur ce troc.
Deux cochons sont à l'abri du dangereux soleil tropical dans une petite case sur pilotis au-dessus de la mer. Comme le plancher est fait de rondins mal joints, la corvée de curage de la porcherie en est grandement facilitée. Pour les Kunas dont la case donne sur le rivage, les toilettes sont construites sur le même modèle. En guise de murs, des palmes de cocotiers préservent une intimité que les porcs ne réclament pas.
Perez nous accueille et nous emmène chez le chef allongé dans son hamac. Avec une grande déférence, Perez joue le rôle du traducteur. Comme nous avons payé la taxe, nous avons le droit de circuler dans le village et de prendre des photos.
« Tekimalo ! » (au revoir !). Nous prenons congé.
Avec Perez qui ne nous lâche pas, nous découvrons les ruelles bordées de cases. Une palissade cache à nos regards les petites cours intérieures. Rien ne traîne, tout est propre, soigné. Nous entendons des poules et des coqs, nous apercevons des cochons. Il nous montre le réservoir d'eau. Sur Pinos, ils ont de la chance, il y a de l'eau douce. Sur les autres îles, les indiens vont la chercher en pirogue sur le continent. Certains villages ont réussi à installer une grande canalisation pour que l'eau soit acheminée sur leur îlot.
Les enfants sortent et réclament des photos, mais les femmes, si belles dans leur costume traditionnel, se cachent et refusent qu'on les photographie.
Le dépaysement est complet. Tout est si loin de ce que l'on connaît et même de ce que l'on peut imaginer.
Il est possible de faire le tour de Pinos en trois heures de marche. Ce sera pour lundi avec David comme guide.
Après un passage chez le Sahila qui nous accorde le droit à la balade moyennant une nouvelle taxe de deux dollars par personne, nous partons. David réclamera huit dollars pour lui en plus en précisant que c'est un minimum. Aux Américains il demande davantage mais, je le cite, « les Français n'ont pas les mêmes moyens que les gringos ».
Le roi « dollar » fait rapidement changer les mentalités au pays Kuna. Notre jeune guide m'explique très sérieusement qu'il exploite le tourisme depuis cinq ans déjà et il n'en a que dix-neuf !
Attention ! me dit-il … j'exploite le touRISME pas le touRISTE …
La promenade est très agréable. Le sentier longe le rivage, les eaux sont calmes derrière la barrière de corail qui entoure l'île. Nous marchons à l'ombre des cocotiers qui couvrent l'étroite bande entre la mer et les versants de la montagne.
David scrute le large : il espère à chaque nouvelle baie découvrir un trésor. D'après lui, les courants apportent sur Pinos des restes de naufrages ou des « choses » tombées ou jetées volontairement à l'eau par des navires soi-disant colombiens. Il est arrivé, nous dit-il, que l'on récupère sur la plage des paquets de cocaïne. (!)
A mi-chemin il nous montre sa cocoteraie et nous ouvre une de ses noix de coco. Mais nous n'avons pas de couteau pour la percer. Il essaie avec une pierre et la noix se casse laissant échapper l'eau si désaltérante. Nous nous contenterons de la pulpe.
Tout à coup il s'écrit : « Oh ! Jesus ! ».
Un bidon bleu, prisonnier des récifs, flotte entre deux eaux. David se précipite et le rapporte sur la plage. Une bonne odeur d'essence s'en dégage !
Il joint les mains et remercie Dieu. Avec cette essence il pourra aller sur le continent à l'hôpital pour faire soigner son œil qui le fait souffrir.
Mais le bidon est très lourd et il nous reste une bonne heure de marche. Pas question de le porter sur le reste du chemin. Nous lui proposons de revenir avec l'annexe. Il cache sa prise afin d'éviter qu'un autre indien Kuna ne la lui prenne et nous voilà repartis.
En arrivant au village nous le traversons d'un bon pas derrière un David tout excité et nous montons dans le dinghy tous les trois.
Il nous faut un bon quart d'heure pour revenir sur les lieux par la mer. La rive paraît recouverte de corail. Guy ne veut pas s'approcher en annexe pour ne pas la percer. Mais David connaît bien son île : un minuscule chenal laissant juste la place nécessaire à notre passage nous amène au ras de la plage.
De retour au village, David est triomphant. Il nous remercie chaleureusement ce qui ne l'empêche pas de réclamer les huit dollars pour son rôle de guide. Notre aide avec l'annexe pour rapporter son bidon d'essence était visiblement un dû. Il prend mais ne donne rien en échange. Avec ce que nous avions lu des San Blas, nous attendions un autre accueil. Vraiment, tout a changé. L'argent a commencé son triste travail de destruction.
Nous quittons l'Isla Pinos le mercredi 5 au matin en longeant le continent vers le nord-ouest : très vite les montagnes couvertes de jungle s'élèvent. A leur pied les silhouettes élégantes des cocotiers s'interrompent parfois pour un village. D'un seul coup je comprends pourquoi je trouve le paysage splendide. Pas une ligne électrique, pas un seul bâtiment, pas une route ou un pont pour détruire l'harmonie de la côte. Quel bonheur !
Mercredi 5 Décembre 2007
L'arrivée à Achutupu est délicate. Heureusement le soleil est avec nous et nous zigzaguons à vue entre les îlots et les patates de corail qui affleurent un peu partout. Plusieurs centaines de cases occupent toute la surface de l'île. L'endroit est magnifique. Nous jetons l'ancre.
Il faut trouver le chef : « Sahila, por favor ! ». Droite, gauche, dans un dédale de ruelles, à chaque virage il faut demander la suite du chemin.
Nous voici à la porte d'une grande case publique : c'est le Congreso. On y décide des affaires du village en assemblée où la présence est obligatoire ; celui qui ne vient pas a une amende ! Des hamacs sont au centre pour le Sahila et ses adjoints, les villageois s'assoient autour sur des bancs. C'est également un lieu de rencontre où chacun peut venir quand il veut.
Dans la pénombre, on devine des femmes qui cousent leur mola. Près de la porte, si basse qu'il faut se baisser pour entrer, un Kuna albinos chante en s'accompagnant à la guitare. D'autres l'écoutent religieusement. La consanguinité est probablement à l'origine de la naissance de ces enfants blancs baptisés « Fils de la Lune » et vénérés par la tribu. Peu d'entre eux atteignent l'âge adulte.
Le secrétaire arrive. Il va nous conduire chez le chef mais il doit auparavant passer chez lui se vêtir d'un tee-shirt. On ne se présente pas torse nu devant le Sahila.
La case du chef est très grande, meublée de quelques hamacs et d'une petite table autour de laquelle des femmes sont assises. Le Sahila, lui, se balance doucement dans son hamac. Au-dessus de sa tête j'aperçois … ses cravates soigneusement pendues sur un rondin. Un peu plus loin ses chemises sont sur des cintres. Pas d'armoires chez les Kunas, pas de désordre pour autant. Ces accoutrements occidentaux sont surprenants dans un tel décor, mais nous avons déjà constaté que seules les femmes ont gardé leur costume traditionnel. Les hommes s'habillent d'un short et d'un tee-shirt.
Pour l'heure le Sahila est presque nu, un linge informe lui enveloppant l'entrejambe. Sans se lever, il nous tend la main et écoute le secrétaire qui nous présente. Il faut lui donner cinq dollars pour le Congreso et nous serons en règle : balade dans le village et photos permises pour tout le temps de notre séjour à Achutupu.
Quand nous n'allons pas à terre, ce sont les indiens qui viennent à nous. A longueur de journées, les pirogues nous accostent : les enfants réclament des bonbons, les femmes tentent de nous vendre leurs molas et les hommes le produit de leur pêche. Notre boîte de bonbons se vide, nous accumulons des molas tous plus beaux les uns que les autres. Des langoustes ? Super ! Nous n'avons rien pêché ces jours-ci cela va faire varier notre ordinaire.
Comme nous avons acheté leurs oeuvres, des femmes acceptent que nous les photographions. Les molas ornent par paires leur blouse. Ils sont sobres et composés de simples dessins amérindiens. Les molas sont devenus célèbres et s'exportent en tant qu'objet d'art dans le monde entier. On raconte qu'avant l'arrivée des blancs aux San Blas, les femmes vivaient quasi nues et leur torse était recouvert de dessins peints. Cette tenue n'était pas du goût des missionnaires venus évangéliser les Kunas et les femmes durent trouver un substitut aux motifs colorés qui décoraient leur poitrine. Les molas sont donc en tissu et sont cousus sur leur blouse sous la poitrine et dans le dos. La technique de fabrication est très particulière. Plusieurs couches de tissu de couleurs différentes sont superposées. Chacune des couches supérieures est ajourée de façon à faire apparaître les couleurs des couches placées au-dessous. Les coutures sont pratiquement invisibles. Certains motifs, trop fins pour être réalisés avec cette technique, sont brodés. Les molas classiques sont à dominante rouge et représentent des motifs amérindiens. Pour les touristes venant à Panama, les femmes ont diversifié les dessins et les couleurs et les molas sont expédiés sur le continent. On trouve des poissons, des tortues ou des crocodiles. Nous avons même vu un hélicoptère sur fond de drapeau américain. Ce n'était pas du meilleur goût mais cet avis n'engage que moi.
Leur costume se complète d'une jupe-paréo en coton bleu foncé décorée de quelques arabesques jaunes ou oranges.
Un foulard rouge imprimé de jaune couvre souvent leurs cheveux noirs et courts.
Sur leurs jambes et leurs bras, des winis. Ce sont des bijoux fixes. Des perles de couleur sont enfilées au fur et à mesure de l'enroulement du fil autour de leur membre de façon à construire le motif géométrique final. Régulièrement ce fil se casse et il faut une bonne demi-journée pour refaire la parure sur la jambe ou le bras.
Seules les plus anciennes ont un anneau dans le nez et toutes ont un trait noir tatoué le long du nez. Ce trait est destiné à éloigner les mauvais esprits. Un fard rouge colore parfois leurs joues.
Certains soirs, une flottille de pirogues à voile ramène du continent les hommes après leur journée de labeur dans les plantations. Leur dextérité est impressionnante. Une pagaie fait office à la fois de safran et de dérive. Quand le vent est un peu trop fort il leur faut se mettre au rappel, l'équilibre de leur petite embarcation est précaire.
Samedi 8 Décembre 2007
Ce matin, nous quittons Achutupu. Le temps est couvert sur le continent mais dégagé sur les îles.
Le vent souffle à vingt nœuds. En ce mois de décembre, les alizés commencent à être bien établis. La houle petite et cassante nous prend de travers rendant la route inconfortable. Une vague nausée m'envahit sournoisement quand une belle carangue gros-yeux mord à l'hameçon. Oublié le mal de mer ! Il faut remonter la bête qui ne se laisse pas faire, puis l'achever, la vider et la découper sur un bateau chahuté par les vagues. Mon travail de poissonnière à peine terminé, la ligne de traîne frétille de nouveau. Cette fois c'est un thazard blanc aux lignes élancées et à la chair si fine.
Nous arrivons à Snug Harbor, un mouillage devant un joli petit groupe d'îlots plantés de cocotiers.
A l'exception de l'Isla Pinos, toutes les autres îles des San Blas sont basses, sans sources et couvertes de cocoteraies que les Kunas exploitent.
Leur économie compte de plus en plus sur les touristes : vente de molas aux quelques voiliers de passage et aux touristes du continent, taxe de mouillage, vente de langoustes et de poissons … Il y a essentiellement des plaisanciers mais de petits hôtels apparaissant çà et là offrant un cadre paradisiaque à des citadins fatigués.
Mais le mouillage de Snug Harbor est mal protégé de la houle et le bateau roule de trop. Après une nuit inconfortable, nous appareillons pour Green Island. Ce sera dix dollars quand même, un indien en pirogue nous réclame la taxe de mouillage et ne veut rien savoir quand nous essayons de lui dire que nous ne sommes même pas restés 24 heures.
Nous reprenons la mer. Et là ! … Deuxième journée de suite à se faire secouer par une méchante houle nous prenant par le travers.
Deux fois, une lame plus droite et plus haute que les autres couche carrément Pro's Per Aim. La seconde est si violente qu'il y a de la casse dans la soute. Une caisse est tombée sur le radiateur de décharge de l'éolienne et en a cassé la céramique ; heureusement la résistance est intacte.
Ce n'est pas tout ! Un peu plus tard, gros bruit contre la coque du bateau ! Qu'avons-nous heurté ? Dans le sillage, un tronc d'arbre s'échappe ! La sécurité du mécanisme hydraulique du safran a sauté et nous sommes devenus très peu manoeuvrants. L'angoisse ! Partout des bancs de sable et des patates de corail nous entourent.
Il ne faut que quelques secondes à mon super Capitaine pour changer la petite pastille qui sert de fusible pour le safran et retrouver un gouvernail en état de marche. Nous avons échappé à un échouage probable.
Une fois de plus, nous nous demandons ce qui se serait passé avec un bateau en plastique et un safran suspendu. Un bateau en métal c'est vraiment solide !
Mardi 11 Décembre 2007
A Green Island puis aux Coco Bandero Cays, nous goûtons au plaisir d'être complètement seuls. Pas d'autres bateaux et ces îlots sont inhabités comme beaucoup d'autres. On trouve des villages sur une quarantaine d'entre eux seulement alors que l'archipel des San Blas compte autant d'îles qu'il y a de jours en une année.
Nous apprendrons par la suite que nous avons manqué la rencontre avec un habitué des lieux. Un beau crocodile de 3 m environ se prélasse régulièrement sur les plages de l'endroit ! Ce n'est pas comme en Australie, un crocodile d'eau de mer. Celui-ci vit habituellement dans les petits fleuves du continent proche. Peut-être trouve-t-il agréable une séance de bronzage sur les belles plages désertes des îlots !
Toujours est-il que lors de nos promenades à terre, nous ne l'avons pas croisé. Entre nous, j'aime autant ça !
Il y a quelques jolis pâtés de corail non loin de Pro's Per Aim et l'eau est transparente. C'est l'occasion d'un snorkeling ! C'est énervant d'avoir à utiliser un mot anglais pour parler de notre baignade avec des palmes, un masque et un tuba. En français, on dit donc « nager et plonger avec palmes, masque et tuba ». Pour faire plus court, on dit aussi « P M T », P comme palmes, M comme masque et bien sûr T comme tuba. Nous évoluons dans une eau chaude au milieu de poissons colorés. Le corail est bien vivant. De belles couleurs, des gorgones-éventail qui ondulent au gré des courants, des grosses boules de corail-cerveau et quelques éponges tubulaires jaune fluo ou bien violettes.
La saison des pluies n'est pas terminée. En une seule belle averse, nous refaisons notre stock d'eau douce en bidons : 120 litres. Elle nous sert à la vaisselle et aux douches.
Samedi 15 Décembre 2007
C'est l'anniversaire de Pro's Per Aim : deux ans déjà qu'il a été mis à l'eau.
Nous fêtons ça dans les Holandes Cays. Elles ont la réputation d'être les plus belles îles des San Blas. Il est vrai que l'endroit est magnifique. L'eau est enfin vraiment transparente. Le lagon où nous sommes est entouré de plusieurs îles et de récifs où une houle énorme se brise avec le fracas d'un train de marchandises qui n'en finirait jamais de passer.
Pas de villages, les Holandes Cays sont trop loin du continent et il n'y a pas d'eau douce. Par contre une dizaine de voiliers nous entourent, ce sont surtout des américains dont nous allons faire la connaissance à la party hebdomadaire du lundi sur BBQ Island. Cette île a un nom dans la langue des indiens kuna mais l'endroit est un mouillage bien protégé et les américains ont investi les lieux. L'un d'entre eux est même là plusieurs mois par an et il entretient la cocoteraie de BBQ Island. Tous les jours il va ratisser les feuilles tombées et il ramasse les noix de coco. Il brûle également les palmes desséchées des cocotiers. Cette île ressemble à un jardin.
Nous passons des heures dans l'eau avec nos palmes, masque et tuba. Les jours passent et les fêtes approchent.
Mardi 25 Décembre 2007
C'est Noël ! Les américains sont venus nous inviter à le fêter avec eux. C'est un Noël insolite, rigolo et inoubliable !
Nous sommes sur un îlot de sable minuscule non loin du mouillage. Une nappe est posée au sol et de gros morceaux de corail aux quatre coins l'empêchent de s'envoler. Tout le monde a préparé quelque chose. C'est un super apéro et au champagne s'il vous plaît !
Nous sommes loin de ceux que nous aimons en ce jour traditionnellement consacré à la famille. Une ombre de nostalgie passe mais elle vite effacée par la chaleur de cette fête insolite de voyageurs perdus dans un archipel peu connu.
Nous faisons nos adieux à cette petite communauté. Demain nous partirons pour la côte panaméenne et bientôt nous passerons le Canal en direction du Pacifique.
Lundi 31 Décembre 2007 – Panamarina, petite marina de la côte panaméenne
Depuis deux jours nous sommes amarrés sur un coffre dans une petite marina de la côte panaméenne. Elle est tenue par des français, Jean-Paul et Sylvie et nous y avons retrouvé des copains.
Jean-Paul et Sylvie ont prévu un réveillon dans la jungle. Nous nous joignons au groupe composé de français, de gens de bateau et de terriens installés à Panama. Nous serons une vingtaine.
Un convoi de 4x4 emmène tout ce beau monde. Nous montons dans celui de Henri et Valérie. Ils vivent depuis plusieurs années à Panama où ils sont arrivés en voilier depuis la France.
Il faut plus d'une heure de route et de piste pour arriver au rendez-vous avec Miguel. Il nous attend avec un guide indien et un cheval qui portera les cantines jusqu'au campement.
Nous continuons à pied en suivant un sentier boueux où nous nous enfonçons jusqu'aux chevilles. Pendant presque une heure, sac au dos, glacière à la main, nous cheminons tant bien que mal à travers la jungle.
Enfin nous apercevons la clôture de la finca . Mais elle est de l'autre côté du rio qu'il va falloir traverser à gué faute de pont. L'eau nous arrive à mi-cuisses et nous veillons à ne pas glisser.
Miguel est français. Il connaît bien la forêt tropical humide, en particulier cette région parce qu'il y a vécu comme les indiens, de la chasse, de la pêche et de la cueillette pendant plusieurs années. Depuis il a construit sur ce terrain perdu dans la montagne des cabanes de planches où il accueille des éco-touristes et les guides à travers la jungle. Il fabrique aussi des bijoux en tagua. « Tagua » doit être le mot indien parce que, en espagnol, on dit « corozo » pour parler de l'ivoire végétal. Il s'agit de la graine d'une variété de palmier qui ne pousse que dans la forêt tropicale humide d'Amérique Centrale. Avant d'avoir été remplacée par les matières plastiques, cette graine était exportée vers l'Europe et les Etats-Unis pour réaliser des boutons.
Après déjeuner, Miguel nous emmène en exploration. Avec beaucoup de passion, il parle de la nature exubérante qui nous environne. Des colonnes de fourmis attirent mon attention. Elles suivent toujours le même chemin. Ce minuscule sentier est exempt de toute végétation. Il paraît que les fourmis produisent une sorte de désherbant. Le terrain, ainsi déblayé, leur permet de faire les trajets plus rapidement et en se fatigant moins.
Nous revenons tout crottés. Les grosses pluies des jours derniers ont détrempé les sentiers et les passages à gué dans les rios n'ont pas suffit à nous décrasser.
Dinde farcie et chants scouts sont au programme de la soirée. N'oublions pas Mathieu ! Il est entomologiste et sa passion, ce sont les mouches. Il a des histoires incroyables à raconter sur les mœurs sexuelles de ses protégées.
Minuit ! L'année 2007 se termine. Tout le monde s'embrasse à la lueur des lampes à gaz. Il n'y a ni eau ni électricité ici !
Mardi 1er Janvier 2008
La nouvelle année commence par une seconde promenade dans la jungle. Cette fois nous suivons les crêtes. C'est moins boueux et nous avons de belles vues sur la canopée. Miguel espère nous montrer les singes hurleurs mais nous sommes trop nombreux et pas assez discrets. Nous n'en verrons pas.
Trois heures de marche au milieu d'une végétation luxuriante dans une atmosphère très humide et chaude, nous rentrons au campement fourbus et ravis.
PRO'S PER AIM passe le CANAL DE PANAMA
mercredi 16 et jeudi 17 janvier 2008
mercredi 16 et jeudi 17 janvier 2008
Mercredi 16, le matin – Marina Shelter Bay dans la baie de Colon
Une dernière lessive, un coup de jet sur le pont, les panneaux solaires à protéger avec les coussins du cockpit, le remplissage du tank à eau, le plein de gasoil, les derniers échanges de mails et les coups de téléphone nous occupent toute la matinée.
Mercredi 16, début d'après-midi
Pour le passage des écluses, il faut être 6 équipiers :
- 4 handliners pour chacune des aussières réglementaires de 40m nous reliant au quai.
- 1 barreur
- 1 pilote officiel de l'Authority of the Canal of Panama dont le sigle est « ACP »
Nous quittons la marina et Luciano, Danilo et Nando nous guident vers le Flat où nous devons attendre le pilote.
Surprise agréable en arrivant de l'autre côté de la baie ! Nous retrouvons José et Betty ainsi que François et Eva qui ont jeté l'ancre ici pour préparer leur transit. Ils sautent dans leurs annexes pour venir passer un petit moment avec nous. Il y a de l'excitation dans l'air ! Le Canal est mythique, c'est un moment fort dans la vie d'un marin. Et puis nous allons changer d'océan. Je n'ai jamais vu le Pacifique ! En quoi est-il différent de l'Atlantique ? Dans la mer des Caraïbes, nous avions perdu l'habitude des marées. Il paraît que, de l'autre côté, les marnages sont de l'ordre de 4 à 7m.
17h30- Luciano, Danilo et Nando installent les aussières, deux à l'avant et deux autres à l'arrière, ainsi que les huit pneus qu'ils répartissent régulièrement le long de la coque pour la protéger des chocs contre les autres bateaux ou les quais des écluses. Guy complète la protection en ajoutant plusieurs de nos pare-battages.
18h- Le soleil se couche, il va faire nuit très vite maintenant. Et si le pilote nous avait oubliés !
Non ! Une vedette de l'ACP s'approche et nous aborde avec délicatesse. Le pilote saute à bord. Avec lui, nous allons passer les trois écluses montantes de Gatun. Il nous guidera ensuite sur le Lac de Gatun jusqu'aux bouées où nous nous amarrerons pour la nuit.
Le Canal est un ouvrage colossal. Il a été inauguré en 1914.
Les travaux ont commencé en 1882 sous la direction de Ferdinand de Lesseps encore auréolé de son succès avec Suez. Sa première idée fut de construire un canal à flot (comme celui de Suez) entre les deux océans. Mais l'entreprise était titanesque et les ouvriers mouraient par milliers de la fièvre jaune et de la malaria.
Réalisant les difficultés insurmontables du projet, De Lesseps en présenta un nouveau avec écluses et fit appel à Gustave Eiffel. Mais trop d'argent avait déjà été englouti dans l'affaire et les financiers refusèrent de suivre. En 1889, la mise en liquidation provoqua le plus grand scandale politique et financier de la IIIe République. Des dizaines de milliers de petits épargnants furent ruinés.
En 1903, Panama qui dépendait de la Colombie proclama son indépendance et les Etats-Unis en profitèrent pour reprendre les travaux dès 1904. Un barrage de terre fut construit sur le Rio Chagres (côté atlantique). Le Lac de Gatun ainsi créé restera longtemps le plus grand lac artificiel au monde. Il est à 26 m d'altitude. Trois écluses de chaque côté permettent d'y monter et d'en descendre.
Il fait nuit maintenant. Le pilote nous fait soutenir une bonne allure pour arriver à l'heure aux écluses de Gatun. Le moteur tient bravement ses huit nœuds et nous laissons derrière nous la baie de Colon pour entrer dans le canal.
Il y a trois écluses à la suite les unes des autres. Avant d'entrer dans la première nous nous mettons à couple de NAOS, un immense voilier de 30m. Nous allons franchir cette première partie avec eux juste derrière un énorme cargo. Comme nous sommes le « petit », c'est Naos qui sera en charge des manoeuvres et il nous faudra exécuter les ordres de leur pilote.
Nous franchissons la première porte. Les quais sont très hauts au-dessus de nos têtes. Quatre employés de l'ACP nous lancent des toulines. Une touline est une ligne légère munie d'une boule assez lourde à son extrémité ce qui permet de la lancer avec précision. Elles sifflent à nos oreilles et atterrissent sur le pont. Nous les attrapons et y attachons les aussières qui remontent sur les quais tirées par les hommes de l'ACP. Pro's Per Aim et Naos sont maintenant bien amarrés. Les gigantesques portes se referment sur nous. Nous laissons l'Atlantique derrière cet impressionnant mur d'acier.
Le niveau de l'eau monte rapidement créant quelques remous le long des murs de béton qui nous encadrent. Au fur et à mesure il faut reprendre les aussières de façon à les garder tendues : les bateaux doivent rester au milieu de l'écluse.
Chacune d'elle fait 34 m de large sur 305 m de long. Certains cargos occupent tout l'espace disponible. De plus en plus de cargos sont construits « hors normes Panama ». Ils font 7800 milles supplémentaires pour contourner l'Amérique du Sud par le Horn. Un projet d'élargissement du Canal est à l'étude.
Le premier bassin est plein. Nous voici au niveau du second. Les lanceurs de toulines reprennent les aussières et, en les tenant, nous accompagnent à la deuxième écluse. Les portes se referment sur le cargo et nos deux voiliers, l'eau monte et nous arrivons au niveau du troisième et dernier bassin.
La dernière porte s'ouvre sur le lac artificiel de Gatun. Pro's Per Aim se retrouve en eau douce. En moins d'une demi-heure nous sommes sur le lieu du mouillage. Une vedette vient reprendre le pilote et nous restons avec nos trois jeunes handliners pour la nuit.
Est-ce la bouteille de rouge que nous avons débouchée pour le dîner ? Luciano, Danilo et Nando sont bien énervés. Leurs téléphones sonnent, ils vont et viennent entre le carré et le cockpit. Vers minuit et demi, excédé, Guy leur demande d'éteindre leurs portables et de nous laisser dormir. Dans 5h le réveil va sonner !
Jeudi 17, 5h30
Nous prenons le petit déjeuner tous les deux. Les jeunes n'ont même pas été réveillés par les bruits de vaisselle. Seuls les cris des singes hurleurs troublent le silence de l'aube.
6h30- Nous sommes prêts et il faut tirer de leur sommeil les handliners car la vedette des pilotes est en vue. Cette fois ils sont deux à monter à bord. Nous détachons les amarres. Nous devons filer sept nœuds pour être à 11h à la première écluse descendante de Pedro Miguel.
La traversée du Lac de Gatun commence. Nous avons 38 km à faire entre les îlots. Il faut rester dans le chenal balisé : les arbres morts recouverts lors de la montée des eaux sont un danger pour la navigation. On en voit qui affleurent la surface.
Nous espérons apercevoir des crocodiles. Certains atteignent 6 m. Il fait chaud mais la baignade est formellement déconseillée. Ces charmants sacs à mains sur pattes sont trop nombreux.
Nous poursuivons notre route en croisant d'énormes cargos.
Tous les ans, 13000 à 14000 bateaux transitent par le Canal. 24h/24, 7j/7, les 7500 employés de l'ACP actionnent les écluses, guident les bateaux et participent au fonctionnement de cette gigantesque machinerie.
Une énorme tranchée s'ouvre devant nous à la sortie du lac. Il nous reste 13 km à faire avant les écluses. C'est Gaillard Cut.
Cette partie a été creusée dans la roche sous la direction du Colonel DuBose Gaillard. Ce fut un travail difficile. Plusieurs éboulements eurent lieu pendant la construction et, de nos jours encore, le terrain friable oblige à de continuels travaux de consolidation.
Gaillard Cut se termine sous le Pont du Centenaire qui a été inauguré il y a quatre ans environ.
11h- Nous sommes en vue de Pedro Miguel. Dominés par l'élégant pont, nous nous mettons à couple du catamaran SAPRISTI avec lequel nous franchirons cette dernière étape vers le Pacifique. NAOS, le voilier auquel nous étions attachés hier est seul devant. Nous suivons avec Sapristi et derrière nous, deux autres monocoques sont à couple.
Les portes se referment sur les cinq voiliers. Les lanceurs jettent les toulines et nous voici amarrés aux deux quais. Cette fois nous sommes à leur hauteur et le niveau de l'eau commence à baisser. Les handliners laissent filer les aussières.
Nous sortons sur le petit lac artificiel de Miraflores et nous téléphonons en France pour prévenir de notre passage imminent devant les webcams des écluses de Miraflores, les deux dernières avant le Pacifique. Les caméras sont reliées à Internet. On y voit les passages en direct.
Nous entrons dans Miraflores 1. Les lanceurs de toulines opèrent. Naos se retrouve à couple d'un gros bateau promenant des touristes. L'eau descend. La flottille se glisse dans Miraflores 2.
Je suis émue. Quand les portes s'ouvriront, ce sera sur un nouvel océan, le plus grand de la planète.
13h- Ca y est ! Nous y sommes ! On peut voir le Pont des Amériques au loin à Balboa du nom du conquistador qui découvrit le Pacifique en 1513 après avoir traversé l'isthme au travers de la jungle.
Une vedette vient reprendre les pilotes juste avant qu'un grain violent s'abatte sur nous, trempant tout et réduisant considérablement la visibilité. Est-ce un baptême pour notre arrivée de l'autre côté ?
Un peu plus loin nous débarquons nos trois handliners au Yacht Club de Balboa avec les pneus et les quatre aussières.
L'endroit est sinistre : beaucoup de bruit et des odeurs de gaz brûlés. Les vagues crées par le trafic incessant des navires font rouler les bateaux mouillés devant le Yacht Club. Nous nous éloignons vers l'océan pour jeter l'ancre à Flamenco, la dernière île avant le grand large.
Nous sommes fatigués. Il est préférable de dormir ici. Comme le va-et-vient incessant des bateaux continue à faire rouler Pro's Per Aim, nous appareillerons demain matin pour l'île de Contadora dans l'archipel des Perlas en laissant derrière nous les tours de la ville de Panama.
PRO'S PER AIM dans le Golfe de Panama
du 18 au 29 janvier 2009
du 18 au 29 janvier 2009
Lundi 21 Janvier 2008 – Ile de Contadora dans l'archipel des Perlas
Nous sommes sur Contadora depuis trois jours. C'est une jolie petite île. Si jolie et si proche de la capitale panaméenne que la jet-set l'a envahie. Contadora est à taille humaine, suffisamment escarpée pour avoir du charme et pas trop pour s'y promener sans fatigue. Les jardins, les maisons, les routes sont propres, soignés et bien entretenus. Contadora fait penser à Moustique, l'île des milliardaires et du show-biz dans les Antilles.
Après l'agitation de la quinzaine précédente où nous préparions notre passage du Canal, ce petit paradis bien aseptisé est reposant.
Par manque de vent dans le Golfe de Panama, nous avons navigué au moteur entre le continent et l'archipel des Perlas. Nous allons donc profiter du ravitaillement possible en gasoil pour refaire le plein. La route vers les Marquises via les Galapagos est longue et c'est souvent « pétole ». Entendez par là que le vent est rarement au rendez-vous au cours de la première partie de la traversée entre Panama et les Galapagos. Il est donc prudent d'avoir le réservoir plein pour ne pas rester encalminés dans ce pot au noir.
Aujourd'hui la houle rentre dans le mouillage et les rouleaux s'abattent avec fracas sur la petite plage où nous nous sommes beachés avec l'annexe ces derniers jours. Pourtant nous n'avons pas le choix pour débarquer car il n'y a aucun ponton d'installé. Je ne suis pas tranquille à l'idée d'atterrir dans ces conditions et encore moins rassurée à la pensée d'en repartir. J'ai encore en tête le souvenir d'un départ périlleux depuis une plage de Barbuda dans les Antilles. Les vagues déferlaient et nous avions embarqué des dizaines de litres dans l'annexe en voulant passer cette masse d'eau écumante pour rejoindre le bateau.
Nous sommes à 20 m de la plage de Contadora. Guy attend une belle vague et en profite pour faire surfer l'annexe jusque sur le sable. Je descends sans encombre suivie rapidement du Capitaine. Il faut remonter le dinghy à l'abri sur le sable sec avant l'arrivée de la vague suivante. C'est vraiment très lourd mais nous devons le traîner sur plusieurs mètres car les marées, dans cette région sont aussi importantes que sur nos côtes françaises et la mer est montante.
Nous attachons le bidon vide sur le petit chariot et nous voilà partis vers le village où se trouve la pompe à gasoil. La route monte et descend passant le long de villas tantôt à l'ombre d'un bois d'eucalyptus, tantôt surplombant une petite crique où on entend l'océan agité rugir. Une petite demi-heure à l'aller, autant au retour avec le bidon plein et nous sommes de retour sur la plage.
La houle ne s'est pas calmée depuis tout à l'heure. Bien au contraire ! Comment allons nous faire passer à l'annexe l'endroit où les vagues déferlent. Elle est si lourde pour nous deux. Deux jeunes canadiens nous proposent leur aide. Prudents, ils ont laissé leur propre dinghy à 50 m du bord accroché avec un grappin et ils sont venus en nageant à terre. L'inconvénient c'est qu'ils sont mouillés. L'avantage c'est que leur annexe ne craint rien.
Malgré leur soutien, une énorme déferlante retourne l'annexe alors que je suis dedans et que Guy n'a pas encore eu le temps de grimper à bord. Je me retrouve coincée dessous, roulée sur le sable et incapable de sortir de là toute seule. Mes compagnons ne perdent de temps. Ils remettent le dinghy à l'endroit, je peux enfin sortir de ma prison et aspirer une bonne bolée d'air.
Le moteur a souffert. Il tournait quand il a bu le bouillon et ce n'est pas bon du tout pour ses circuits. En plus de l'eau de mer, il a avalé du sable. Une fois dégagés de la plage, Guy tente de redémarrer. Rien à faire ! Le moteur n'a pas aimé cette baignade forcée. Chris et Laura, les deux jeunes canadiens proposent de nous tirer avec leur annexe jusqu'à Pro's Per Aim. Nous acceptons, à la rame ce serait un peu loin ! Pour les remercier nous les invitons à boire un verre en fin de soirée.
Mais où sont donc nos lunettes de soleil ? Au moment du retournement de l'annexe nous les avions sur le nez et elles ont pourtant le petit cordon qui évite de les perdre. Le choc avec la vague a été très violent puisque même Guy n'a plus les siennes. Chris et Laura me ramènent à terre dans l'espoir de les retrouver. Sagement leur dinghy reste au large et nous gagnons tous les trois la plage à la nage. Ensemble nous la parcourons en long et en large. Les lunettes ont disparu. Elles doivent être enfouies sous le sable quelque part non loin de nos pieds mais elles sont bel et bien perdues. Par précaution nous avions gardé nos vieilles paires au cas où. Bien nous en a prit ! Nous pourrons protéger nos yeux quand même.
Je retourne à bord. En attendant, Guy s'est attelé à la tâche. Il doit réussir à redémarrer le moteur le plus vite possible pour le sauver. C'est une partie technique qui m'échappe un peu : Guy nettoie les endroits où l'eau salée et le sable ont pénétré et pulvérise un spray à base d'éther dans le carburateur pour aider au redémarrage.
De mon côté, je rince et j'étends nos vêtements mouillés ainsi que le sac à dos. Heureusement que nous n'avions pas pris l'appareil photo !
Tout à coup, j'entends le moteur ronronner. Victoire ! Le Capitaine est un bon mécano, notre hors-bord est sauvé. Il est temps de nous doucher : c'est l'heure de l'apéro. Chris et Laura ne vont pas tarder.
Vendredi 25 Janvier 2008 - Ile Flamenco dans la baie de Panama
Depuis hier nous sommes de retour sur le continent. Le moteur de l'annexe est devenu très capricieux suite à son bain de mer involontaire. Guy ne veut pas partir vers la Polynésie dans ces conditions. Là-bas il sera difficile de trouver un moteur neuf qui serait de toutes façons hors de prix.
Nous sommes donc revenus sur nos pas ou plutôt sur notre sillage. Depuis le temps que Guy rêve d'un moteur fiable, c'est le moment ou jamais. Le hors-bord qui a pris l'eau était d'une marque de seconde zone. C'est tout ce que nous avions trouvé pour remplacer le Yamaha qui nous avait été volé sur la Côte d'Azur à St Raphaël au début de notre voyage et mon Capitaine n'en était pas content. Finalement cet incident a du bon car il nous contraint à remplacer un moteur qui fonctionnait encore mais dont nous n'étions pas satisfait. Sur un bateau, la confiance dans le matériel est indispensable à la sécurité.
A Panama, on trouve tout ce qu'on veut et pour pas cher. Guy est aux anges ! Enfin presque ! Il vient d'acquérir un YAM enduro 9.9 CV, exactement ce qu'il désirait sauf que c'est un deux temps. En France la vente des deux temps est maintenant interdite à cause des normes anti-pollution. Mais en Amérique Centrale la préservation de l'environnement n'est pas le souci principal. Tant pis ! On ne peut pas vivre à bord d'un bateau sans une annexe en bon état et un hors-bord fiable.
De retour au mouillage, poussés par notre YAM flambant neuf, nous avons le plaisir de voir des bateaux connus. Ils viennent de passer le Canal eux aussi. Ce sont les catamarans Zarpas, Nan Fong et Flam. Les retrouvailles surprises sont toujours très agréables. Manu, le skipper de Flam est intéressé par notre vieux moteur. Il est assez bon mécano pour lui redonner une seconde vie, il en a besoin et sa caisse de bord n'est pas assez garnie pour en acheter un neuf. Nous lui donnons de bon cœur notre hors-bord défaillant.
Rendez-vous ce soir sur Zarpas pour faire la fête. Le Champagne va couler pour célébrer le passage dans l'océan Pacifique de nos quatre bateaux.
Une seconde partie de notre voyage s'ouvre devant nous : le Pacifique Sud, ses innombrables îles et atolls, ses volcans assagis ou encore en activité, ses lagons aux eaux bleu turquoise et cristallines, les Marquises où vécurent Brel et Gauguin, les Tuamotu surnommé l'archipel dangereux tellement la navigation y est périlleuse, la mythique Bora Bora …
Nous allons passer une année entière en Polynésie Française. Un rêve se réalise !
PRO'S PER AIM entre PANAMA et LES MARQUISES
du mercredi 30 janvier 2008 au jeudi 28 février 2008
du mercredi 30 janvier 2008 au jeudi 28 février 2008
Pendant la traversée du Pacifique Est, nous avons donné de nos nouvelles à nos proches
par des mails envoyés à l'aide de notre téléphone satellite.
Voici quelques extraits de nos courriers.
par des mails envoyés à l'aide de notre téléphone satellite.
Voici quelques extraits de nos courriers.
Mercredi 30 janvier 2008 - 1er jour de la traversée
Nous avons appareillé ce matin de Panama pour les Marquises avec une route nous faisant passer aux Galapagos. Nous verrons s'il est possible d'y faire escale.
Nous n'attendons pas beaucoup de vent pour les jours qui viennent et nous avons prévu de brûler du gasoil pour ne pas rester encalminés dans le pot au noir !
Vendredi 1er février 2008 - 3ème jour de la traversée
Depuis hier midi, nous sommes au moteur sur une mer d'huile avec un vent F1 d'Est-Nord-Est.
Quand nous aurons passé les Galápagos, nous rencontrerons les alizés de Sud-Est qui nous pousseront jusqu'aux Marquises. D'ici là ce sera du petit temps, des orages ou des vents contraires dans la ZIC. La ZIC, c'est à dire la Zone Intertropicale de Convergence, sépare les systèmes d'alizés de l'hémisphère nord et de l'hémisphère sud. C'est le terme officiel des météorologues pour désigner le fameux pot au noir où les bateaux pouvaient être encalminés des semaines entières du temps de la marine à voile.
Nous avons eu des conditions assez musclées pour sortir du Golfe de Panama : 20/25 nœuds dans les fesses sur une mer confuse et inconfortable. Pendant les premières 24h nous avons filé parfois à plus de 9 noeuds. Et ça c'était génial dans la mesure où cette zone est dangereuse, pleine de cargos et de hauts fonds. Plus tôt on en est sorti, mieux c'est ! Maintenant nous sommes complètement seuls sur des fonds de 2000m et c'est du concentré de bonheur !
Nous venons de perdre coup sur coup deux poissons assez gros, puisque le premier a failli entraîner le Capitaine à l'eau ! Dommage, nous aurions eu des protéines fraîches pour plusieurs jours !
Lundi 4 février 2008 - 6ème jour de la traversée
Nous avons très bien avancé, mieux que nous ne l'espérions puisque le vent a été au rendez-vous. Nous approchons déjà de l'archipel des Galapagos.
Vu les bonnes conditions de vent et la montagne de tracasseries administratives pour s'arrêter au pays des tortues géantes, nous avons décidé de continuer vers les Marquises.
Autrement nous allons bien. Pro's Per Aim se régale et gambade joyeusement dans le grand large enfin retrouvé !
Mardi 5 février 2008 - 7ème jour de la traversée
Nous avons passé LA LIGNE DE L'EQUATEUR cette nuit au moment où le GPS indiquait 89°06' de longitude Ouest. Il était alors 9 heures 34 minutes et 3 secondes TU.
Autrement l'air et l'eau sont un peu frais à cause du courant froid du Humbolt ! Nous sommes obligés de mettre un tee-shirt le soir.
Jeudi 7 février 2008 - 9ème jour de la traversée
Guy pense que nous avons bien accroché les alizés de Sud-Est. Encore 24h de près bon plein et le vent adonnera. Passer au portant sera quand même plus confortable que le près que nous faisons depuis plusieurs jours. Ceux qui ont fait de la mer savent de quoi je parle.
Nous avons enfin pris un poisson, un beau thon rouge qui va nous nourrir largement pendant trois ou quatre jours. Il a fallu arrêter le bateau pour réussir à le ramener à bord. Notre vitesse et son poids le rendait trop lourd. Pour se venger, il a fait un vrai micmac entre les deux lignes qui traînent à l'arrière et il a fallu plus d'une demi-heure pour démêler le tout.
Dimanche 10 février 2008 - 12ème jour de la traversée
1492 milles de faits et 2360 qui restent à parcourir sur la route directe. Nous avançons doucement sur une mer globalement très belle. C'est normal avec du F3-4 de Sud-Sud-Est.
Ce beau temps nous a permis de voir plusieurs fois des baleines dont deux étaient très grosses. Ce furent des moments magiques !
La première a joué avec nous comme un dauphin pendant une bonne heure. Elle soufflait, plongeait, passait sous le bateau et ressortait de l'autre côté ; et le sondeur indiquait 17, 15, 7 et même une fois ... 2,5m ! Pas farouche la bestiole ! Mais comme elle faisait la longueur de Pro's Per Aim de l'évent à l'aileron dorsal, soit sans doute une vingtaine de mètres en tout, Guy trouvait qu'elle aurait bien pu aller jouer un peu plus loin !
Mardi 12 février 2008 - 14ème jour de la traversée
Depuis hier nous ne faisons plus route directe, car le vent est du Sud et il a levé une méchante mer. Nous sommes obligés de mettre du nord dans notre ouest. Guy a envoyé la trinquette et toute la nuit nous avons été secoués comme dans un shaker. Pas confortable du tout ! Comme la météo ne prévoit pas d'amélioration dans les prochains jours, nous allons prendre notre mal … de mer … en patience !
Jeudi 14 Février 2008 - 16ème jour de la traversée
Hier nous étions en plein nettoyage de la jupe, à l'arrière. Une seiche était venue mourir dans le compartiment ouvert qui contient le radeau de survie. L'odeur nous avait alerté ! Bref, nous étions dehors, il faisait jour et le radar était donc éteint. Contents de notre petit ménage, nous sommes remontés dans le cockpit et Guy se mit à crier: « Fais attention ! » Tout était pourtant si calme … J'ai levé les yeux et j'ai vu un énorme cargo 100 m devant notre étrave. Guy avait déjà repris la barre pour passer largement derrière lui.
C'est le premier bateau que nous croisions depuis le départ. Nous avions fini par penser que nous étions seuls au milieu du plus grand océan de la planète. Les marins étaient tous sur le pont et nous ont fait de grands gestes pour nous saluer. Nous les avons appelés à la radio. Le Capitaine du cargo nous a dit qu'il s'était dérouté pour nous dire « Hello » et s'assurer que tout allait bien pour nous. Comme il se doit, il a noté le nom de notre voilier et notre direction dans son journal de bord. Ils étaient en route pour l'Argentine via le Cap Horn.
Samedi 16 février 2008 - 18ème jour de la traversée
2 326 milles de parcourus et encore 1 546 milles à faire. Dans une douzaine de jours nous devrions toucher les Marquises.
Globalement nous avons du petit temps ; le gréement souffre beaucoup car les voiles battent dans le roulis rythmique causé par la très grande houle du Pacifique.
Côté vivres frais, il nous reste encore quelques carottes et 9 œufs … Bientôt ce ne sera plus que des boîtes ! La pêche est mauvaise et c'est dommage.
Par contre toujours de grosses baleines. Actuellement il y en a une grosse qui joue depuis 3/4 d'heure avec Pro's Per Aim et avec les nerfs du Capitaine !
Mardi 19 février 2008 - 21ème jour de la traversée
Nous traversons les fuseaux horaires. Maintenant nous avons 9 heures de décalage avec la France. Cela fait trois semaines que nous avons appareillé et le temps passe vite avec beaucoup de lecture et de nombreuses pensées vers ceux que nous aimons et qui sont pratiquement sous nos pieds maintenant !
Côté météo et mer, nous avons surtout du petit temps de secteur Est avec une forte, voire très forte houle de Sud-Est. Le résultat est un roulis tout à fait inconfortable qui rend les tâches les plus simples très compliquées dans la mesure où le bateau n'est pas assez appuyé. De plus la vitesse reste modeste.
Mardi 26 février 2008 - 28ème jour de la traversée
3658 milles sont déjà dans notre sillage depuis Panama. Il nous reste environ 215 milles à faire et nous devrions arriver demain soir à Hiva Oa, l'île des Marquises où reposent Brel et Gauguin. Comme une arrivée de nuit n'est pas prudente, nous allons devoir ralentir le bateau de façon à arriver après-demain matin. Nous ne sommes pas à une nuit de mer près !
Hier après-midi nous avons assisté à un spectacle INCROYABLE. Des dizaines et des dizaines de dauphins sont venus de tous côtés. Ils ont sauté, nagé autour de nous, joué à couper notre route au ras de l'étrave pendant très longtemps. Il y en avait même de tout petits qui suivaient leur mère. Des dizaines peut-être même des centaines d'oiseaux les accompagnaient et menaient grand tapage. Ils tournoyaient, plongeaient. Nous pensons que les dauphins avaient encerclé un banc de poissons et que c'était le casse-croûte pour tout ce joli monde.
Atterrissage le jeudi 28 février vers 8h
à Atuona sur l'île d'Hiva Oa aux Marquises
après 29 jours de traversée sans escale.
Le journal sur notre séjour aux MARQUISES sera mis en ligne prochainement.
à Atuona sur l'île d'Hiva Oa aux Marquises
après 29 jours de traversée sans escale.
Le journal sur notre séjour aux MARQUISES sera mis en ligne prochainement.
Jeudi 8 Mai 2008 - En mer entre les Marquises et les Tuamotu
Les hautes et impressionnantes aiguilles basaltiques de Ua Pou s'éloignent doucement dans notre sillage. Nous reprenons la mer après une dizaine de semaines passées aux Marquises. Nous avons parcouru 18000 milles nautiques depuis la mise à l'eau de Pro's Per Aim en décembre 2005, cela correspond à 33000 kilomètres environ.
Notre projet de vie est toujours aussi fort dans nos têtes et dans nos cœurs. Guy, moi et notre vaillant voilier, sommes prêts à affronter de nouveau l'océan, pas si « pacifique » que son nom le laisse croire pour aller à la découverte d'autres peuples, d'autres îles mais également de nous deux.
La traversée entre les Marquises et les Tuamotu devrait durer entre 4 et 5 jours si les dieux de la mer et du vent sont avec nous. Pour le moment nous avançons bien. Seulement ce n'est pas très confortable car la houle nous prend de travers. Pro's per Aim roule gentiment d'un bord sur l'autre et toute activité ménagère devient compliquée. On s'accroche d'une main et on travaille de l'autre. Les marins disent : « Une main pour soi, une main pour le bateau ». Et puis il faut faire attention en cuisinant … on aurait vite fait de s'ébouillanter avec l'eau des pâtes. Bien sûr la cuisinière est sur cardans : elle bouge en même temps que le bateau en laissant la casserole horizontale. Mais on n'est pas à l'abri d'un gros coup de roulis qui renverserait la gamelle.
Nous avons mis une ligne de traîne. Le leurre file à 7 nœuds dans le sillage du bateau. C'est un petit poulpe rose avec quelques nuances de bleu, mignon comme tout. Enfin ça c'est mon avis ! Espérons qu'il plaira aux poissons. Tout à coup ça mord. Vite … on arrête le bateau et on se met à la cape pour dériver doucement sans être chahutés par la houle. Ca y est, on peut remonter la ligne. Guy descend à l'arrière sur la jupe au ras de l'eau et y remonte un joli petit thon de 5-6 kg.
Super ! Des protéines fraîches ! Ce n'est pas tous les jours fête car nous ne sommes pas très bons pêcheurs et nos menus en mer sont souvent à base de corned beef. Ne prenez pas cet air dégoûté ! Même si cela ne vaut pas le beefsteak tout frais haché de chez le boucher du coin, j'ai appris à cuisiner ce boeuf en conserve et à faire de bons petits plats avec.
Revenons à notre thon qui rend son dernier soupir sous le poignard de Guy … le plaisir suprême avec le poisson frais c'est de le manger cru à la tahitienne. La recette est toute simple. On le coupe en petits dés de 1 cm, on le passe sous l'eau fraîche et on le laisse s'égoutter. On presse des citrons verts et on verse le jus dans le saladier où on a mis le thon. On laisse un bon quart d'heure au frais. Avant de servir on sale et on poivre et on mange immédiatement. On peut améliorer la recette en ajoutant des légumes coupés en dés et du lait de coco. Un vrai régal !
Il est 16h. Le soleil est déjà bas sur l'horizon. Il est grand temps de prendre la douche. Nous ne sommes plus en Bretagne, il fait chaud. Nous ramenons des seaux d'eau de mer pour nous laver. Les savons ne moussent pas bien avec l'eau salée, avec les gels douche on s'en tire mieux. Un autre seau pour le rinçage et il nous reste juste à utiliser un peu d'eau douce pour nous dessaler.
17h – Nous dînons avant le coucher du soleil. L'énergie à bord c'est comme l'eau. Nous devons l'économiser. Quand il fait nuit nous évitons d'utiliser les lumières alors il vaut mieux en avoir fini avec le repas et la vaisselle avant la tombée du jour. Sous les tropiques, le crépuscule est très court. A 18h il fait nuit noire. C'est le début du premier quart de nuit. Nous devons veiller à tour de rôle d'autant plus que le radar est à nouveau en panne. Tous les 10 minutes je sors faire un tour d'horizon. Pas de lumières si ce n'est celle des étoiles. La Croix du Sud est à 20° à bâbord. Je connais mal les autres mais la voûte céleste est magnifique. Au large, loin des côtes, on a le privilège d'avoir un vrai ciel bien noir. Aucune lumière artificielle ne l'altère et c'est vraiment magique.
Vendredi 9 Mai 2008 - En mer entre les Marquises et les Tuamotu
Tous les soirs, lorsque le soleil s'enfonce doucement dans l'océan, nous scrutons l'horizon en espérant apercevoir le fameux rayon vert. Les anglais l'appellent le « Green Flash » c'est dire à quel point l'instant est fugace quand on a la chance de le vivre. Un coucher de soleil sous les tropiques, c'est déjà, en soi, un moment magique et émouvant. Il y a toujours des cumulus par ci par là pour décorer avec goût l'embrasement du ciel. Certaines de nos photos sont belles mais aucune ne l'est autant que la réalité. Tous nos sens sont sollicités. On entend l'eau glisser le long de la coque. Le vent siffle dans les haubans et les embruns salés nous caressent le visage pendant que le spectacle du soleil qui se couche nous offre un ciel aux couleurs incroyables et changeant à chaque instant.
Pour voir le rayon vert, il ne faut aucun nuage à l'endroit où le soleil se cache derrière la ligne d'horizon. Il ne faut pas le quitter des yeux et au moment ultime où il disparaît on voit parfois un éclat d'un vert presque fluo.
Ce soir c'est jour de chance ! Le « Green Flash » est au rendez-vous.
Lundi 12 mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Depuis hier nous ralentissons Pro's Per Aim en réduisant la voilure de façon à arriver à l'étale de marée et de jour devant le premier atoll de notre voyage dans le Pacifique. Les Tuamotu ont été surnommé l'archipel dangereux par les anciens. 77 îles s'étalent du nord-ouest au sud-est entre Tahiti et les Marquises sur une surface grande comme le tiers de la France. Cet éparpillement des atolls explique l'isolement de la plupart d'entre eux. Beaucoup sont inhabités et la majorité d'entre eux est occupée par une ou deux familles pas davantage.
Pourquoi « archipel dangereux » ?
A cause des difficultés à y naviguer. Je ne sais pour quelle raison, mais le système des alizés, ces vents si réguliers et si fiables par ailleurs, y est perturbé. Et puis, entre les atolls, des courants violents et traîtres entraînent les bateaux. Les récifs surgissent d'un seul coup, visibles à quelques milles seulement, tellement ils sont bas sur l'eau.
Et quand on veut pénétrer à l'intérieur d'un atoll cela devient encore plus compliqué. Il faut trouver la passe et y être au bon moment de la journée afin que le courant soit faible et le soleil bien haut dans le ciel pour éclairer les patates de corail. En France c'est facile, le moindre caillou est repéré, la cartographie est exacte et de nos jours avec le GPS c'est devenu beaucoup plus facile de s'aventurer en mer. Mais ici, dans cet archipel perdu et peu connu, on ne peut pas compter sur les cartes et on doit naviguer à vue en regardant la couleur de l'eau.
Bleu foncé : on passe.
Bleu clair : on fait très attention et on avance doucement avec une vigie à l'avant ou même mieux, grimpée dans le mât.
Jaune pâle : on ne passe plus avec le gros bateau mais avec l'annexe c'est possible et cela permet d'aller à terre.
Quant au marron, même une annexe ne passe plus car c'est du corail qui affleure.
Nous sommes tendus et attentifs quand Pro's per Aim se présente devant la passe de Teavatapu. Le génois est enroulé, la grand-voile est ferlée sur la bôme et le moteur est en route.
Cette passe est assez large et ne présente pas de difficulté majeure. La mer, vue de loin avec les jumelles, y semble calme. Pas de mascaret, pas de déferlantes, c'est bon ! On y va ! Guy est à la barre et moi à l'avant avec mes lunettes de soleil polarisantes qui diminuent les reflets en surface. Tout s'enchaîne bien et tranquillement. Pour une première fois, l'épreuve n'a pas été trop difficile. Nous voici enfin dans l'atoll inhabité de Tahanea.
Nous jetons l'ancre à l'abri derrière le motu. Ca veut dire « île » en tahitien. Pas d'autre voilier au mouillage : Tahanea, un atoll désert pour nous deux. Quel bonheur !
Il y a 12 m d'eau sous le bateau et pourtant nous voyons le fond comme si nous y étions. Jamais nous n'avons vu une eau si claire et si transparente. Une forme souple et grise passe avec élégance sous l'étrave alors que je laisse filer la chaîne. C'est un requin pointes-noires d'un mètre cinquante environ. D'autres arrivent, ils sont maintenant cinq à tourner autour du bateau. Superbes, majestueux, ils semblent attendre quelque chose. Mais que veulent-ils ? On nous a dit que ces requins de récifs n'étaient pas agressifs et qu'on peut même nager au milieu d'eux sans se faire croquer tout cru. Ils ont peut-être l'habitude d'être nourri par les bateaux de passage et le bruit de notre moteur les a attiré.
Le vent est faible, l'eau du lagon est si calme qu'aucune ride ne la trouble. Depuis le pont je fais des photos comme si j'étais avec un appareil sous l'eau.
Nous attendrons que les requins s'éloignent pour nous mettre à l'eau. Il paraît que l'on se fait à leur présence. Pour l'instant c'est trop nouveau pour qu'on soit habitué. On verra avec le temps.
Mardi 13 Mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Il y a longtemps, très, très longtemps, les atolls étaient des volcans dominant l'océan depuis leurs pentes couvertes de lave. Tout autour de cette île haute, dans les eaux peu profondes, le corail se mit à se développer pendant que la montagne s'enfonçait doucement dans la mer. Au fur et à mesure que le sol s'enfonçait, le corail continuait à se développer en hauteur, cherchant la lumière du soleil. Et cette belle montagne à la végétation luxuriante s'entoura d'un récif corallien protégeant un lagon aux eaux bleu turquoise. Inexorablement la montagne poursuivit sa descente au fond de l'océan. Les millions d'années passant, elle finit par disparaître ne laissant que le récif entourant une mer intérieure qu'on appelle un lagon.
Les Marquises sont des îles hautes sans récif corallien, Bora-Bora et Tahiti sont des îles hautes entourées d'une barrière de corail. Quant aux Tuamotu, ce sont des îles basses, l'île montagneuse est sous l'eau depuis des millénaires. L'anneau corallien qui entoure le lagon n'est pas très large et il n'y pousse pratiquement que des cocotiers.
Nous mettons l'annexe à l'eau pour une exploration à terre. Il n'y a pas de plage pour beacher notre petite embarcation. Nous jetons le grappin dans un mètre d'eau et nous rejoignons le rivage en évitant de nous griffer sur le corail vivant. Les blessures dues au corail guérissent mal. Pour éviter l'infection il faut asperger la plaie avec du citron pour que l'acidité tue la partie vivante du corail, et je peux vous dire que ça pique ! Ensuite on désinfecte comme pour les égratignures normales.
Nous avons prévu une « opération noix de coco ». D'abord on fouille au pied des cocotiers pour trouver une noix bonne à ouvrir. La coque doit être d'un beau marron brillant et quand on la secoue elle doit être pleine d'eau. Ca c'est facile ! On se baisse, on ramasse la noix et on l'agite, puis on laisse retomber ou on garde … Le plus dur reste à faire. Il s'agit de l'ouvrir. Et là ça n'est plus de mon ressort, c'est trop physique. Je laisse Guy, qui attaque la première noix avec le poignard, pour explorer les mares sur le platier.
Les polynésiens sont plus habiles que nous pour venir à bout de ce fruit récalcitrant. Soit à coup de machette soit en utilisant un pieu fiché dans le sol, ils débarrassent la noix de sa coque. La nature est bien faite. Comme les noix tombent de très haut quand elle sont mûres, elles sont parfaitement protégées par une enveloppe fibreuse elle-même enfermée dans la coque. Nous avons essayé de casser cette coque en la tapant sur des cailloux et nous avons cassé … le caillou ! Sans outil, j'imagine qu'un naufragé sur une île déserte doit éprouver des moments de découragement devant ce fruit qui peut le désaltérer et le nourrir mais qui ne se laisse pas faire. Bref ! Guy se démène comme un beau diable avec son poignard et parvient à sortir une première noix de sa gangue.
Pendant ce temps, dans 10 à 20 cm d'eau sur le platier j'admire des dizaines de petites murènes qui vivent là et se chauffent au soleil. Certaines n'ont que leur tête qui sort du trou mais d'autres ondulent comme des serpents dans à peine quelques centimètres d'eau pour passer d'une mare à une autre quand je les dérange. Les crabes aux yeux rouges s'enfuient à mon arrivée. Les bénitiers offrent à la lumière leurs lèvres à la couleur bleue ou verte. Pour avoir une idée de leur forme, sachez que les deux valves de ces grands mollusques étaient autrefois utilisées comme bénitiers dans les églises. Cela donne aussi une idée de leurs dimensions. Il paraît que les plus grands atteignent 1m ou plus.
Tout à coup, Guy m'appelle. « Isa, viens voir c'est incroyable ! ». Je retourne vers le cocotier où il s'est abrité du soleil pour effectuer ses travaux de force.
Comme la seconde noix qu'il a ouverte n'était pas bonne et il l'a jetée derrière lui. Je ne sais pas comment ils l'ont su ni comment ils se sont donné le mot, mais des centaines de Bernard-l'Hermite convergent vers elle. C'est l'aubaine ! Une noix de coco ouverte : un vrai festin en perspective pour ces petits crustacés rouges à dix pattes !
Nous revenons à bord avec plein de photos de bestioles et trois noix. Nous en cassons une pour récupérer l'eau de coco. C'est légèrement sucré et très désaltérant En plus c'est sûrement nourrissant et vitaminé à souhait. Puis on coupe l'amande blanche en morceaux. Ca se croque comme une friandise quand on a un petit creux. On peut aussi la râper pour l'utiliser en cuisine ou faire du lait de coco en pressant la coco ainsi émiettée.
Samedi 17 Mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Aujourd'hui c'est le jour de la lessive. Sur une île déserte, on n'utilise pas trop de linge mais les draps et les serviettes de toilettes se salissent quand même. Nous n'avons pas de machine à laver bord et nous devons faire attention à notre consommation d'eau.
C'est parti ! On commence par faire tremper le linge sale avec de la lessive à main dans des seaux, puis on frotte, installés sur la jupe à l'arrière de Pro's Per Aim. Ensuite on rince comme les lavandières d'antan le faisaient dans les rivières. Sauf que nous c'est à l'eau de mer que nous débarrassons le linge de la lessive. Il nous reste à faire des rinçages à l'eau douce pour le dessaler. Nous savons que sur Tahanea, il y a une citerne d'eau de pluie dans le village abandonné à 2 ou 3 milles de notre mouillage. Nous embarquons dans l'annexe avec le linge et également nos bidons d'eau vides et, à fond de moteur, sur les eaux calmes du lagon, nous allons jusqu'à Otao, le village inhabité.
Il n'y a pas de vent et aucune vague ne trouble la surface de l'eau. Nous admirons les coraux qui défilent sous le canot comme si nous étions la tête sous l'eau avec un masque. Le village est au bord d'une passe, pas celle par laquelle nous sommes rentrés mais une autre beaucoup moins large et difficile d'accès. Les fonds sont magnifiques : un vrai plaisir pour les yeux.
Il a plu ces derniers temps et la citerne de 7000 litres est bien remplie. Nous pouvons faire le plein d'eau et dessaler le linge. Les moustiques attaquent. Zut ! On a oublié de se badigeonner au monoï parfumé à la citronnelle.
Au retour au mouillage, une bonne surprise nous attend. Un autre bateau est arrivé et nous connaissons son équipage : Sergio et Domi. Notre première rencontre date de Panama. Fin décembre, nous étions ensemble côté atlantique dans une petite marina entre l'archipel des San Blas et la grande ville de Colon où se trouve l'entrée du canal. Nous avons passé deux jours ensemble dans la jungle équatorienne au moment du réveillon du Nouvel An. C'est un super souvenir ! Pour atteindre le campement, il avait fallu marcher une heure dans la boue en portant les glacières et les sacs à dos et franchir deux rivières à gué accrochés à des cordes pour ne pas être entraînés par le courant. Là-bas, pas d'électricité et pas d'eau potable, juste quelques cabanes qui nous ont protégés des averses nocturnes pendant notre sommeil. Nous étions une vingtaine, perdus au fin fond des montagnes panaméennes pour fêter le passage à l'an 2008. Génial !
Lundi 19 Mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Et voilà ! Le vent a forci depuis cette nuit et surtout il a pris du sud. Vous allez me dire : « Où est le problème ? Pro's Per Aim est à l'intérieur d'un lagon, ce n'est pas la pleine mer, l'ancre est bien accrochée et le mouillage tient d'autant mieux que la chaîne fait du tricot autour des patates de corail. Vous ne risquez rien. »
Là, je dois vous expliquer que ce n'est pas si simple. Ce mouillage est un bon abri si le vent vient de l'est ou du nord-est. Mais s'il souffle du sud, il traverse toute la largeur du lagon avant de nous atteindre. Cela fait 10 milles de fetch, cette distance sur laquelle court le vent. Le lagon, aux eaux si calmes et si transparentes, devient rapidement une mer démontée avec des vagues de 1 à 2 m, si rapprochées que l'on est secoués à l'intérieur du bateau comme dans un shaker. Une horreur ! Et pas possible d'aller se réfugier à l'abri de la barrière sud. C'est trop loin, l'intérieur de l'atoll n'est pas cartographié et ce temps à grains nous prive de la lumière indispensable pour naviguer à vue et louvoyer entre les patates de corail.
Nous devons prendre notre mal en patience. D'après la météo, le vent va passer à l'Ouest ce qui aggravera notre cas avant de se calmer et de reprendre sa direction habituelle c'est à dire l'Est.
Tout à coup un violent coup de rappel nous alerte ! Quelque chose s'est cassé à l'avant. Les mouvements du bateau deviennent encore plus désordonnés. Guy se précipite sous une pluie torrentielle pour voir ce qui se passe. Le bout qui double la chaîne sur quelques mètres au niveau de l'étrave s'est rompu. Une aussière de 20 mm de diamètre ! Imaginez un peu la puissance des rappels. Ce bout est là pour amortir les rappels en question car le cordage a évidemment une souplesse que la chaîne ne possède pas. Maintenant c'est elle qui encaisse les coups et la cloison étanche sur laquelle elle est fixée souffre méchamment. A tout instant elle peut céder et ce serait catastrophique. On perdrait le bateau.
Alors là mon Capitaine ne perd pas son sang froid. Il faut faire très vite. Il m'envoie mettre en route le moteur en me demandant d'avancer doucement pour soulager le mouillage. Pendant ce temps il installe un nouveau bout tout neuf avec un doigt de fer. C'est un bidule en forme de doigt crochu qui s'accroche à un maillon de la chaîne. Ouf ! Le cordage est en place et fait son travail d'amortisseur. Pro's per Aim ne souffre plus.
Par contre l'autre doigt de fer est tombé au fond de l'eau avec le morceau de cordage cassé. 12 m de fond ! Guy s'équipe avec une bouteille et plonge. En moins de 10 minutes il est de retour avec le précieux doigt de fer. Au cas où, on en aura un de rechange. En plus il en a profité pour regarder et mémoriser les zigzags de la chaîne autour des patates, ce qui nous permet de la détricoter un peu. Le mouillage gagne encore en souplesse.
Le temps est tellement gris et triste que je prépare une pâte à crêpes. Nous les partagerons ce soir avec Sergio et Domi pour fêter leur départ. Ils veulent appareiller demain matin pour Fakarava. C'est un grand atoll habité situé au nord de Tahanea où nous sommes en ce moment bien malmenés par un affreux clapot.
Lundi 26 Mai 2008 – Village de Tetamanu le long de la passe sud de Fakarava dans les Tuamotu
Nous avons quitté Tahanea : fini l'atoll désert pour nous tout seuls, depuis deux jours nous sommes mouillés avec d'autres bateaux devant le minuscule village de Tetamanu.
A terre nous rencontrons Roana. Elle travaille pour la pension de famille de Tetamanu. Elle nous explique qu'ils ne sont que 7 habitants à vivre ici toute l'année et qu'en ce moment il n'y a pas de clients dans les quelques fare où viennent parfois des touristes en mal de dépaysement total. Roana nous dit que le village a été abandonné car le motu était devenu trop petit pour loger tout le monde. Alors les habitants sont partis à Rotoava, le grand village au nord de l'atoll.
Une famille est restée à Tetamanu et vit du tourisme. La passe de Tumakohua, qui longe le village, est célèbre pour les plongées dérivantes qu'on peut y faire au milieu des requins. Nous irons à l'heure où la marée commencera doucement à remplir le lagon. Pour l'instant nous avons réservé un repas au restaurant de la pension. Il est construit sur pilotis au bord de la passe. On y accède par une jetée en bois construite elle aussi sur pilotis. La cuisine donne sur le motu à l'arrière et l'eau y est très peu profonde. Elle est transparente et nous admirons les coraux et les poissons multicolores qui y nagent quand un violent bruit de remous nous fait lever la tête. Le cuisinier vient de jeter des déchets de poissons à l'eau et les requins pointes-noires se battent pour récupérer les morceaux. Leur rapidité est impressionnante. En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, tout est avalé et ils recommencent à tourner de leur nage ondulante devant nos yeux. Il y a si peu d'eau que leur ventre frôle le fond alors que leur aileron est hors de l'eau. Ca me rappelle « Les dents de la mer ».
Pour le déjeuner nous mangeons une belle carangue noire qui s'est faite prendre dans les pièges à poissons de la passe. Et nous ne résistons pas au plaisir de nourrir les requins avec les restes. Nous sommes à l'endroit du fare où l'eau est profonde. Les gros spécimens, ceux qui n'ont pas assez d'eau pour aller côté cuisine, sont là. C'est un vrai ballet qu'ils nous offrent dans les eaux claires de la passe. Des rémoras vont et viennent et s'accrochent sur le pointes-noires qui passe à leur portée. Une grosse masse gris foncé s'approche. Sa nage est caractéristique. C'est encore un requin mais cette fois c'est un gris. Ils n'ont pas aussi bonne réputation que leurs collègues à pointes-noires. Les requins gris sont plus facilement agressifs. En plus ils sont beaucoup plus gros ... ça veut dire qu'ils ont des bien plus grandes dents !
L'heure de l'étale de marée approche. Le courant est en train de s'inverser dans la passe et l'océan va commencer à remplir le lagon. C'est le meilleur moment pour faire une dérivante dans la passe. On dit explique qu'il faut se mettre à l'eau à l'extérieur du lagon, côté océan, et se laisser entraîner par le courant rentrant à l'intérieur.
Nous allons nous équiper au bateau avec palmes, masques et tuba mais surtout avec une combinaison. L'eau a beau être à 28 ou 29°C, quand on reste une petite heure à patauger, on finit par avoir très froid. Avec l'annexe nous prenons la passe. Arrivés à l'extérieur du lagon, nous nous mettons à l'eau. Guy tient l'annexe avec un bout pour qu'elle dérive en même temps que nous et nous nous laissons aller avec le courant. Au début, le paysage marin défile doucement sous nos yeux. Des dizaines de requins nous suivent ou nous croisent. Ils semblent vaquer à leurs occupations. Tant qu'elle ne consiste pas à nous boulotter, ça va !
En fait, ils sont aussi couards qu'ils sont curieux. Ils s'approchent de nous mais font demi-tour rapidement. La force du courant augmente, nous allons de plus en plus vite, irrésistiblement entraînés vers le lagon. Je me retourne et j'essaie de nager à contre courant. Même avec les palmes je ne réussis pas à étaler, je recule ! Super les sensations ! Mieux que la Foire du Trône, enfin c'est mon avis !
Un énorme poisson sort du bleu des profondeurs et vient vers nous. Je le reconnais même si je n'ai pas encore eu la chance de le rencontrer sous l'eau. C'est le célèbre poisson-Napoléon ! On ne peut pas dire qu'il soit très beau mais il est monumental. Sa grosse tête est surmontée d'une bosse. Il avance sans qu'on le voit bouger. Il est vraiment très impressionnant. Dommage ! il est un peu loin pour que ma photo soit réussie.
On nous avait prévenus. Le courant nous ramène au mouillage où Pro's Per Aim nous attend sagement. Quelques milles faits en un peu plus d'une heure, sans presque palmer. Un record non ?
Mardi 27 Mai 2008 - Baie de Kakaiau au milieu de la barrière Est de Fakarava dans les Tuamotu
Nous venons de quitter Tetamanu le village sud de Fakarava. L'atoll de Fakarava est immense. L'anneau corallien a la forme d'un rectangle de 60 km de long sur 25 de large. Pour rejoindre le nord nous avons donc une soixantaine de kilomètres à faire. Avec notre voilier, il nous faut 7 à 8 heures pour parcourir cette distance. Nous avons choisi de voyager à l'intérieur du lagon. Un chenal balisé relie le sud au nord. Il permet d'éviter les hauts-fonds et les nombreuses patates de corail. Il faut quand même ouvrir l'œil et la navigation en devient très stressante. Nous avons décidé de nous arrêter au milieu du chemin pour couper la route en deux. Il y a des mouillages de beau temps tout le long du récif et aujourd'hui le vent ne souffle pas. Nous trouverons un joli coin tranquille pour faire une pause. Si cela nous plaît nous resterons plusieurs jours à jouer les Robinsons sur un motu désert.
Guy est à la barre à l'arrière et je suis à la proue avec les jumelles et le compas de relèvement. Le soleil est déjà haut dans le ciel et sous les tropiques, il est terrible. Je suis bien bronzée mais si je ne me protège pas, en moins d'une heure, je ressemblerais à une langouste bien cuite. J'ai donc un chapeau avec un grand mouchoir coincé dedans pour que ma nuque soit à l'abri. Un tee-shirt et un pantalon long complètent la panoplie sans oublier les lunettes de soleil polarisantes. Ainsi vêtue, je ne suis pas sûre de gagner à un concours de mode. Mais, au moins, c'est efficace !
Les balises du chenal sont très éloignées les unes des autres. J'ai du mal à les repérer. Elles se confondent avec la ligne des cocotiers qui poussent sur le récif dans le lointain. Je finis par trouver la suivante et nous mettons le cap dessus. Avec les jumelles je recommence à fouiller l'horizon pour trouver la balise d'après et régulièrement je jette un coup d'œil à la surface devant l'étrave pour vérifier que nous sommes toujours dans le bleu foncé et qu'il y a donc assez d'eau sous la coque. Je suis trop préoccupée par la recherche de la balise et plus assez attentive à la couleur de l'eau devant nous. Tout à coup je regarde et, horreur, je constate que le bleu est devenu très clair ce qui veut dire que nous sommes sur un haut-fond et qu'il y a certainement une patate tout près. En même temps j'entends le moteur rugir en marche arrière. Guy avait vu la tache claire et, in extremis, il a arrêté Pro's Per Aim avant l'échouage. Nous nous apercevons que nous avons loupé une balise et que, depuis plusieurs dizaines de minutes, nous sommes sortis du chenal. C'est pour ça que nous avons failli nous échouer. Heureusement que mon Capitaine est un bon marin et que tous ses sens étaient en éveil ! La route reprend, doucement, de façon à rejoindre le chenal balisé. La navigation à l'intérieur d'un lagon n'est pas de tout repos. Au bout de trois bonnes heures, nous jetons l'ancre dans la baie de Kakaiau. Ouf ! Nous sommes en sécurité et complètement seuls.
Vendredi 30 Mai 2008 – Village de Rotoava au nord de l'atoll de Fakarava dans les Tuamotu
Nous voici arrivés au nord de Fakarava. Nous sommes mouillés devant le village avec une dizaine d'autres voiliers. On nous a dit qu'Internet vient d'être installé sur cet atoll et que l'on peut se connecter au bureau de poste. Nous y allons tout de suite. Demain c'est samedi et la poste est fermée le week-end. Cela fait plus d'un mois que nous n'avons pas pu récupérer nos e-mail. En plus nous avons plein de photos à charger pour mettre le site-web à jour.
La connexion est très lente et la poste ferme à 14h30. Il faudra revenir lundi pour finir la mise à jour du site. Maintenant il va falloir trouver l'épicerie en espérant que les rayons ne soient pas trop vides. Le ravitaillement des atolls se fait par bateau depuis Tahiti. Ils l'appellent d'ailleurs la goélette même si depuis des années, elle a perdu ses voiles au profit d'un moteur. Il reste qu'elle ne vient que tous les mois. C'est pour ça que l'épicerie n'a pas grand chose à vendre. Nous trouvons quand même des oeufs et un kilo de carottes. Ce n'est pas tout. Nous avons besoin d'essence pour le hors-bord de l'annexe. On nous dit qu'il n'y a pas de station essence. Pourtant nous avons vu des pick-up passer sur la seule route de l'atoll. Comment font-ils pour remplir leur réservoir. A force de demander à droite à gauche, nous rencontrons Jean, un jeune paumotu qui travaille au club de plongée et qui nous explique qu'ils se fournissent en bidons de 200 litres. Gentiment, il nous propose de nous dépanner. Nous avons besoin de 15 litres. Il siphonne son gros bidon avec un tuyau et remplit nos jerricans. Sauvés ! Nous n'aurons pas à ramer pour aller à terre. Et tant mieux parce que dans les lagons les courants sont parfois très forts et quand le vent s'en mêle on ne va pas toujours où on veut.
Mercredi 4 Juin 2008 – Passe Garue au nord de l'atoll de Fakarava dans les Tuamotu
Jusqu'à maintenant, à chaque fois que nous avons pris une passe pour entrer ou sortir d'un atoll, cela s'est bien passé. Nous avons peu de renseignements sur la passe nord de Fakarava si ce n'est qu'elle est très large. En plus nous n'avons pas l'heure des marées. Tant pis ! Nous partons de bonne heure pour arriver de jour à l'escale suivante.
Je me souviens avoir lu dans Stevenson quelque chose sur Fakarava. Je ressors son livre intitulé « Dans les mers du Sud ». Il a navigué sur une superbe goélette, le Casco à la fin du XIXe siècle dans le Pacifique sud et voilà comment il a vécu le passage que nous allons prendre pour sortir du lagon de Fakarava.
« En approchant nous trouvâmes un peu de courant, car la mer privée du lagon a, en cet endroit, son origine et sa fin, entre les mâchoires du portail où elle s'essaye en vain à lutter contre la masse plus majestueuse du Pacifique. Le Casco ressentit à peine une secousse insignifiante, mais il y a des époques et des circonstances où les entrées de port de ces bassins intérieurs vomissent des déluges, à emporter, submerger et démâter des navires. Car imaginez un lagon parfaitement étanche sauf en un point, et ce point d'une largeur tout juste navigable ; imaginez que le flux et le vent aient amoncelé durant des heures en ce repli de corail un superflu d'eaux, puis que la marée se renverse et que le vent tombe : l'écluse de quelque grand réservoir de chez nous donnera une faible idée de cet épanchement. »
Bref ! Pour le Casco et son équipage tout s'était bien passé même si Stevenson avait entendu dire que l'endroit pouvait être terrible et que, je le re-cite, « il y a des époques et des circonstances où les entrées de port de ces bassins intérieurs vomissent des déluges, à emporter, submerger et démâter des navires. ».
En nous présentant devant la sortie de l'atoll, nous sommes donc plutôt confiants, beaucoup moins tendus que les autres fois et pas assez sur nos gardes.
La passe est effectivement très large, pas loin d'un kilomètre entre les deux bords mais elle semble barrée sur une bonne partie par des déferlantes. On appelle ça un mascaret. Mon Petit Larousse m'en avait donné la définition exacte. C'est une brusque remontée des eaux, qui se produit dans certains estuaires ou passes d'atoll au moment du flux et qui progresse rapidement sous la forme d'une vague déferlante.
Nous examinons la situation et sur la gauche l'eau paraît plus calme. L'eau n'y déferle pas et Guy s'y engage. La grand-voile est haute et le vent nous pousse bien. Par sécurité, Guy met quand même le moteur en route. On ne sait jamais !
A partir de là tout s'enchaîne très vite. Sans avoir le temps de comprendre pourquoi, nous nous retrouvons devant l'abominable mascaret que nous voulions à tout prix éviter. Pas question de faire demi-tour, le courant nous emporte à 11 noeuds et nous ne pourrions pas le remonter. Les déferlantes nous chargeraient par l'arrière et nous perdrions le bateau ! En plus, même si nous avions assez de puissance pour remonter 11 noeuds de courant, le temps de faire le demi-tour nous nous retrouverions en travers de la lame, un coup à être couché et à démâter ! Nous serions alors emportés sur le récif ou même coulés avant d'y être jetés.
Alors, sans hésiter une seconde, Guy pousse le moteur à fond et attaque les déferlantes bien en face. La première submerge l'avant jusqu'au mât, immédiatement suivie par une deuxième qui, cette fois, arrive jusqu'au cockpit. Le capot de la descente n'est pas fermé. Je vous l'ai dit. Nous étions trop confiants ! Des dizaines et des dizaines de litres d'eau se déversent dans le carré. En m'accrochant pour ne pas passer par-dessus bord, je réussis à le fermer avant la troisième vague. C'est là que je vois que le capot de la cabine arrière, celui qui donne sur le cockpit, est ouvert. Nous ne le fermons jamais. En deux ans et demi de navigation et 18000 milles, nous n'avons jamais embarqué d'eau à l'arrière. Je ne peux pas aller le fermer, ce serait trop dangereux. Je reste assise et je me cramponne. Les déferlantes se succèdent, explosant sur le pont avec violence. Le bruit est assourdissant. Pro's Per Aim se soulève, se cabre et retombe de plusieurs mètres dans un fracas de fin du monde. Je me tiens de toutes mes forces pour rester à bord et ne pas partir à l'eau. Guy reste rivé sur sa barre, le visage agressif. Il se bat pour garder Pro's Per Aim en ligne. Le moindre écart et c'en est fini de notre voyage. Il faut rester face aux déferlantes et passer ce mascaret le plus vite possible. Un navire, aussi solide soit-il, ne peut pas résister longtemps à de tels chocs. Le moteur s'emballe après chaque vague quand l'hélice tourne à vide, tout l'arrière du bateau étant hors de l'eau !
J'ai l'impression que ces moments durent une éternité. Dans quel état allons-nous sortir de là ? L'eau continue à rentrer par le capot dans la cabine arrière. A chaque déferlante, Pro's Per Aim fait le sous-marin.
Enfin, nous passons la dernière déferlante. La mer se calme autour de nous. Nous sommes de l'autre côté.
Il nous reste à évaluer les dégâts. Des dizaines de litres d'eau salée sont rentrés à l'intérieur à chaque vague, les matelas et les coussins du carré sont trempés. Il faudra dessaler tout ça pour que ça puisse sécher. La force de l'eau a arraché les boîtes à dorade, vous savez ces manches à air qui permettent la ventilation à l'intérieur du bateau. Guy en retrouve une coincée dans les cordages mais l'autre est partie à l'eau. Les coutures de la capote ont lâché. Les paquets de mer ont fini le travail d'usure des UV tropicaux. J'ai de la couture en perspective et à la main s'il vous plaît parce que ma machine à coudre n'est pas assez costaud pour ce type de tissu. Nous avons aussi perdu des bidons d'eau douce et d'autres bricoles qui n'étaient pas attachées.
A la réflexion nous nous demandons pourquoi nous nous sommes retrouvés dans le mascaret alors que nous avions pris à gauche pour l'éviter. Soit le courant, trop violent, nous a dépalé, soit le mascaret s'est étendu à toute vitesse sur la gauche refermant la passe au moment où nous y étions. C'est ce que pense mon Capitaine.
On peut dire que nous nous en tirons bien. Le voyage aurait pu s'arrêter là. Nous n'aurions pas été les seuls à finir dans la passe nord de Fakarava, mais ce n'aurait pas été une consolation ! Que cela nous serve de leçon ! La mer ne pardonne pas la légèreté. Aucune navigation ne doit être considérée comme facile. Il faut toujours envisager que le pire est possible et être prêt à faire face en toutes circonstances.
Nous mettrons deux jours à panser les plaies de notre « Pro's Per ».
Mercredi 4 Juin 2008 (le soir) – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Au cours de nos différentes escales, quand nous sommes au mouillage avec d'autres bateaux, nous faisons connaissance avec les équipages. Il arrive que des amitiés naissent de ces rencontres du hasard. La plupart du temps, nous passons ensemble quelques heures agréables avant de repartir chacun de notre côté. C'est à ces moments là que nous échangeons des mines de tuyaux et de renseignements sur les prochaines îles où nous avons l'intention d'aller. Et justement on nous dit que l'Anse Amyot, au nord de l'atoll de Toau, est une escale très sympa et qu'en plus, le mouillage est très protégé ce qui est rare dans les Tuamotu.
Après l'épreuve de la passe nord de Fakarava, c'est donc un vrai réconfort d'arriver dans ce petit paradis. A cet endroit le récif s'ouvre sur une petite cinquantaine de mètres de large. Mais attention ! La passe est borgne ! On mouille dans cette interruption du récif car le passage vers l'intérieur du lagon est barré par une multitude de patates de corail affleurantes et trop rapprochées pour permettre la navigation. Nous avons été repérés avant notre entrée car un speed-boat vient à notre rencontre et Gaston nous propose un corps-mort pour amarrer Pro's Per Aim. Comme il y a plus de 10m de fond et beaucoup de courant à chaque renverse de marée, nous acceptons.
Peu après, Pro's Per Aim étant en sécurité, nous descendons à terre pour saluer nos hôtes, Valentine et Gaston. Tout de suite nous avons l'impression de faire partie de la famille. Quelle chaleur dans l'accueil ! Valentine nous saute au cou pour nous embrasser. Elle nous propose de participer au dîner polynésien qu'elle organise demain soir pour les trois autres bateaux arrivés avant nous. Pour 2500 francs pacifique par personne, nous aurons le dîner et la location illimitée du corps-mort. Il faut se rappeler que la Polynésie Française n'est pas dans la zone « euro ». 2500 francs pacifique par personne correspondent donc à 22 euros environ.
Ca marche ! A demain Valentine ! Nous viendrons de bonne heure pour t'aider à la préparation du repas.
Jeudi 5 Juin 2008 (matinée) – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Sur Toau, on manque de tout. La goélette passe environ une fois par mois à la demande de Valentine et Gaston qui s'y ravitaillent. Cela fait maintenant 4 bonnes semaines qu'elle a fait escale dans l'Anse Amyot et comme la cabine téléphonique est en panne depuis 3 semaines, les contacts avec l'extérieur ont cessé. Personne ne sait quand la goélette va passer.
Incroyable cette cabine téléphonique ! Quand elle n'est pas en panne, elle fonctionne avec des panneaux solaires et une antenne râteau ! Et il n'y a évidemment pas d'autres téléphones sur l'îlot.
Pas la peine non plus d'investir dans un téléphone portable, car le réseau du "vini" ne couvre pas Toau. Je trouve ça mignon comme tout l'appellation « vini » pour le portable polynésien.
Si seulement leur moteur hors-bord était réparé ! Ils iraient jusqu'à Fakarava pour recharger le frigo ! Mais pas de chance. Cela fait un mois que l'engin a été envoyé à Tahiti et faute de téléphone, Gaston ne sait pas où en est la réparation.
En fait, ils ont deux speed-boat :
- un petit, équipé d'un moteur de 25 CV, pour les allers et retours entre le motu et la ferme perlière
- et un plus grand et plus solide poussé par le 150 CV. C'est ce gros moteur qui ne fonctionne plus.
Le soi-disant « gros » speed-boat est une grande barque non pontée, assez bien défendue à l'avant mais sans instruments de navigation si ce n'est une petite boussole. Je n'oserais pas m'aventurer en haute mer là-dedans. Mais pour Gaston, ce n'est pas un problème. Par contre il est hors de question de s'y risquer avec le petit bateau.
Cette histoire de moteur tracasse Gaston. Nous lui proposons d'utiliser notre téléphone satellite pour appeler leur associé de Tahiti. Pour ne pas vider notre forfait, il s'explique en quelques mots, donne notre numéro et raccroche. L'associé rappelle quelques secondes plus tard. Gaston le charge d'aller aux nouvelles et de contacter le garage où est son moteur. L'associé doit retéléphoner demain à 9h sur notre numéro. Nous irons à terre un peu avant, avec le téléphone, pour attendre le coup de fil salvateur.
Cela fait donc un mois que Matariva, le motu familial, est isolé du reste du monde. Les réserves de frais sont donc épuisées et nous offrons une douzaine de citrons marquisiens à Valentine, ravie du cadeau. Elle n'en avait plus pour le poisson cru de ce soir.
Nous, à bord, nous en avons autant comme autant des citrons ! Avant de partir de la baie d'Anaho au nord de Nuku Hiva dans l'archipel des Marquises, nous avions fait le plein. Là-bas, les citronniers poussent aussi bien que la mauvaise herbe chez nous. Les citrons pourrissent même au sol faute d'être ramassés. Cela fait 6 semaines que nous avons quitté Anaho et notre stock, s'il a bien diminué, n'en reste pas moins important. Nous avions cueillis les citrons à peine mûrs sur l'arbre et ils se sont bien gardés jusqu'à maintenant. Nous n'en avons pas encore perdus.
Les voiliers qui font escale dans l'Anse Amyot sont les bienvenus et dépannent Valentine et Gaston. C'est ainsi qu'elle nous demandera du café, un rouleau de sopalin, un allume-gaz, des allumettes et d'autres bricoles. En échange, nous emporterons des nacres. Finalement la situation n'est pas catastrophique. A chaque jour suffit sa peine et on verra bien de quoi demain sera fait, inutile de se tracasser à l'avance.
Voilà Glenn et Sally qui débarquent sur le ponton. Ils ont repéré les boules de pétanque qui traînent sous le fare et ils nous proposent une partie. Ils sont américains et pour eux, la pétanque est un sport national en France. Nous sommes français, nous devrions donc, selon eux, être des adversaires de choix.
Yeah ! No problem ! On engage une partie. On ne dit pas que nos origines sont plus proches de la Bretagne que de Marseille et que le rythme de notre entraînement est décennal, c'est dire l'intensité ! Mais notre honneur gaulois est en jeu. Une partie gagnée, la seconde perdue ! Mince ! Il faut se défoncer pour la belle ! Ouf ! In extremis, on la remporte.
Si jamais on recommençait à jouer, nous serions capables de perdre ! Restons sur notre réputation fragilement acquise et rentrons au bateau. De toutes façons, c'est l'heure du déjeuner. A ce soir !
Jeudi 5 Juin 2008 (soir) – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Le soleil se couche de bonne heure sous les tropiques. Vers 17h, avant que la nuit tombe, nous amarrons l'annexe au petit ponton du fare de Gaston et Valentine. Les équipages des autres bateaux sont déjà là. Tom et Dennys sont à la guitare et Glenn joue du sax. Notre entrée dans la salle à manger se fait au rythme d'un standard de jazz langoureux. Dawn, Janet et Sally, leurs femmes, bavardent entre elles. Guy prend la conversation en route. Il adore exercer son anglais.
Je suis moins à l'aise avec la langue de Shakespeare et je rejoins Valentine à la cuisine. Waouh ! Je ne sais pas si on pourra tout manger ! Elle a préparé 7 plats. La majorité est à base de poisson cru ou cuit. Elle s'excuse de ne pas avoir de langoustes au menu. Gaston n'a pas pu aller sur le platier pour en ramasser. La houle est trop forte en ce moment et les déferlantes envahissent cette zone située à l'extérieur du récif. Ce serait dangereux de s'y aventurer.
Vous avez bien entendu « ramasser des langoustes » ! La nuit, ces délicieux crustacés sortent des trous où ils se cachent dans la journée pour se nourrir dans les quelques centimètres d'eau qui submergent la barrière de corail côté océan. Gaston prend une lampe frontale et des gants et va remplir son panier. Il n'a qu'à se baisser. L'avantage c'est qu'il les attrape sans peine et vivantes. Ensuite il les relâche dans le vivier devant le fare. Elles sont nourries avec de la viande de requin le temps qu'il faut et elles passent sur le barbecue en fonction des besoins !
Les requins ne sont pas à la fête dans l'Anse Amyot ! Il n'y a pas que Gaston pour s'occuper de leur cas, Baloo s'en charge également. Qui est Baloo ? Ce n'est pas un ours, quoique les ours sachent pêcher. Baloo est un chien. Il est préférable d'être copain avec lui, parce que sa mâchoire est puissante. Je ne le savais pas mais les chiens sont pêcheurs aux Tuamotu et la proie favorite de Baloo c'est le requin pointes-noires. Il en choisit des pas trop gros depuis qu'il s'est fait arracher un morceau de viande par une bestiole un peu plus balèse.
Une vedette ce Baloo ! Il ne supporte pas que le chien de Lisa, la soeur de Valentine, passe sur son territoire. Baloo l'oblige à nager dans la passe pour rejoindre le récif extérieur afin de pêcher lui aussi. La pauvre bête peine dans le courant de la passe mais la gourmandise l'emporte et nous l'avons vue passer non loin du bateau évitant ainsi la zone interdite par Baloo.
Revenons au dîner. La salle à manger est construite sur pilotis à moitié sur terre, à moitié sur la passe. Elle n'a que trois murs légers à base de palmes de cocotier. Le 4ème est ouvert sur la passe. Le sol est fait de planches disjointes sous lesquelles on aperçoit les vagues qui lèchent le rivage du motu. Le repas est excellent et très copieux. Ma préférence va au poisson cru, du thon fraîchement pêché. Avec une sauce à base de citron vert c'est succulent et je me régale. Nous terminons par un énorme gâteau bien moelleux à la banane et à la noix de coco.
Et maintenant dodo ! Guy et Gaston ont prévu d'aller sur le motu de la ferme perlière demain de très bonne heure pour y chercher des paniers de nacres, c'est comme ça qu'on appelle les huîtres. Je resterai avec Valentine. Il paraît que cette escapade avec le speed-boat sur le lagon est une affaire d'homme !
Vendredi 6 Juin 2008 – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
La petite ferme perlière de Gaston et Valentine est une affaire familiale. Les perles sont vendues au fur et à mesure aux plaisanciers qui font escale dans l'Anse Amyot. La production n'est pas encore très importante. Mais ils sont en train de s'organiser et ils comptent bien l'augmenter dans les années à venir.
Le motu de la ferme perlière est un adorable îlot posé sur les eaux transparentes de l'atoll. Un vrai bijou, telle une émeraude sur un écrin de satin bleu turquoise ! Une minuscule cabane sur pilotis protège de la pluie et du vent les outils qui restent là. La table de greffe, faite l'an dernier par l'équipage d'un bateau autrichien, trône, magnifique, à l'abri d'un toit de palmes de cocotier.
Tout autour du motu, des bouées flottent indiquant les positions des paniers d'huîtres. Suivant leur stade de développement, elles sont théoriquement entre 3 mètres et 20 mètres de fond. Gaston plonge en apnée alors que dans les grandes fermes, les plongeurs sont équipés de bouteilles. C'est pour ça que ses paniers à lui sont rarement à plus de 15 mètres de profondeur.
Guy s'est levé tôt ce matin pour accompagner Gaston à la ferme. Elle est à une demi-heure environ de l'Anse Amyot. Une fois sur place, Guy reste sur le speed-boat pour hisser à bord les paniers de nacres que Gaston récupère sous l'eau. Il est bien entraîné, il est capable de descendre profond et de rester longtemps sous l'eau.
Depuis des siècles, ses ancêtres ont plongé pour pêcher et aussi pour ramasser les huîtres qui jonchaient les fonds des atolls. Ils utilisaient les coquilles nacrées pour fabriquer du matériel de pêche et des ustensiles domestiques. Elles servaient aussi à fabriquer des bijoux pour les chefs et bien sûr on les offrait aux dieux. Quand les premiers européens sont arrivés, elles sont devenues une monnaie d'échange. Les insulaires étaient parfaitement au courant de la valeur de ces superbes coquilles.
Parfois, mais si rarement, la nature offrait un joyau et la nacre s'ouvrait sur une perle sublime. Chaque médaille a son revers. La demande des européens en nacres et en perles incita les polynésiens à plonger de plus en plus et à piller leurs ressources naturelles. Et surtout, cette méthode de collecte était dangereuse. Les plongées successives en apnée entraînaient des accidents et des troubles mentaux graves qu'on appelle « taravana » en tahitien.
A partir de 1960 environ, la culture de la perle noire se développa aux Tuamotu. Les techniques étaient connues des japonais depuis 1916 et furent importées en Polynésie. En 1970, la perliculture était déjà en plein essor.
Quand Gaston et Guy reviennent à Matariva, le motu familial qui borde la passe borgne de l'Anse Amyot, tout le monde est là pour aider à décharger les paniers et à nettoyer les nacres. Il y a Valentine, et puis Dick, son frère et aussi Philippe, le mari de sa mère Violette. Philippe est marquisien et cela fait presque 40 ans qu'il vit aux Tuamotu. Il n'est jamais revenu à Nuku Hiva, son île natale.
Au total, une douzaine de personnes vit sur Matariva. Pas d'étrangers à la famille sur ce petit bout de terre perdu de l'autre côté du monde. Leur vie se passe ici, loin de tout.
Regardez une mappemonde ! L'océan Pacifique en occupe la moitié et quand on y cherche l'archipel des Tuamotu, on ne voit que quelques points disséminés sur une surface grande comme le tiers de la France.
Quand le temps et la mer le permettent, bravant l'océan avec leur speed-boat poussé par un moteur de 150 CH, Gaston et Valentine vont faire des courses à Fakarava, l'atoll dont la passe nous a fait souffrir, ou bien à Apataki, un autre atoll assez proche. Il leur est arrivé d'aller à Tahiti en avion mais les billets sont très chers et l'aéroport est à Fakarava. Leur univers géographique est donc très restreint. Ils voyagent avec la télé et surtout grâce aux nombreux contacts qu'ils ont avec les voiliers de passage.
Bon, c'est bien beau tout ça, mais les nacres sont là et il faut se mettre au boulot. Guy récupère un couteau et fait comme tous les autres, il gratte la surface des coquilles pour retirer les saletés et les parasites qui gênent la croissance de l'huître. Elles ne ressemblent pas du tout aux huîtres de chez nous si appréciées pour les fêtes de fin d'année. Elles sont plates, d'une couleur brune rougeâtre et ont un faux air de coquille St Jacques. Quand on les ouvre, c'est un régal pour les yeux ! L'intérieur du coquillage est gris nacré avec des reflets parfois verts, parfois aubergines. Le mollusque est jaune en son centre avec quelques parties brunes. Il est bordé par un manteau de jais.
Il y en a une centaine par panier. Celles-ci ne sont pas encore greffées et on leur fait la toilette tous les 2-3 mois. On en profite pour éliminer les mortes et je fais la secrétaire en notant le nombre d'huîtres mortes et vivantes par panier. Cela me donne le temps de faire le reportage photo pour le site web.
La greffe est une opération délicate à la charge de Valentine. Dans les grosses fermes perlières, on emploie des chinoises.
Au départ les spécialistes de la greffe venaient du Japon. Le développement de la perliculture a créé une pénurie de main d'oeuvre et leurs salaires ont tellement augmenté que beaucoup d'entreprises font maintenant appel aux chinois. Il paraît qu'ils sont payés dix fois moins que les japonais. Mais ici, Valentine et Gaston n'ont pas les moyens de s'offrir de main d'oeuvre spécialisée et Valentine a du apprendre la technique.
La période de greffe a lieu de préférence pendant les mois où la température de l'eau et de l'air est fraîche afin que l'huître souffre moins. Comme on est dans l'hémisphère sud, cela correspond à l'été chez nous.
Pour greffer, on entrouvre la nacre mais pas trop. Il ne faut pas déchirer le muscle qui relie les deux valves de la coquille. Par cette étroite ouverture, on introduit dans l'organe sexuel du mollusque un greffon et un nucléus. C'est quoi un greffon, c'est quoi un nucléus ? Je vais essayer d'expliquer ce que j'ai compris et retenu. Que les professionnels pardonnent mes imprécisions et mes erreurs !
Alors voilà, la nacre, puisque c'est comme ça qu'on nomme l'huître perlière, est greffée quand elle a entre 2 et 3 ans et qu'elle mesure au minimum 12 cm de diamètre. Tout au long de cette première période, elle a donc été nettoyée et déparasitée tous les deux ou trois mois.
A partir d'une huître donneuse que l'on sacrifie, on récupère la partie noire sur l'extérieur de l'animal. Elle est découpée soigneusement en tout petits carrés. Ce minuscule morceau de chair va être à l'origine de la couleur si caractéristique des perles polynésiennes. C'est ce qu'on appelle le greffon. Sans lui, la perle serait blanche.
Quant au nucléus c'est une petite bille de nacre fabriquée à partir d'un coquillage d'eau douce. Ceux que Valentine utilise viennent des Etats Unis. L'huître considère, à juste titre, que ce nucléus qu'on a introduit dans son intimité, est un corps étranger et s'en protège en l'enduisant de nacre.
Une fois greffée, la nacre retourne à l'eau. Pour cette deuxième période de sa vie, elle a droit à davantage d'égards. Gaston a percé un petit trou sur le bord de la coquille et y passe un fil pour attacher l'huître dans un panier. Fini l'entassement à 100 dans la même boîte. Elles sont une douzaine seulement et peuvent mieux se nourrir. Elles vont rester encore deux ans dans les eaux claires autour du motu de la ferme perlière.
Et puis le grand jour arrive. C'est le moment magique où on entrouvre à nouveau la nacre pour retirer la perle. Justement Guy et Gaston ont aussi rapporté un panier d'huîtres prêtes pour l'extraction des bijoux. C'est un moment de vraie émotion ! Comme une naissance !
La qualité des perles n'est jamais garantie. Une très belle perle ne doit pas avoir de défauts, comme des petits trous par exemple, elle doit être bien sphérique, et surtout avoir une couleur et une brillance parfaites. A chaque fois c'est le suspense, on croise les doigts. Pourvu que ce soit LA PERLE, l'unique, l'extraordinaire, toujours rêvée et jamais obtenue.
Devant nos yeux émerveillés, Valentine retire une très jolie perle avec des reflets verts et aubergines. Elle pousse un cri de joie. Cette huître a bien travaillé, du coup elle va avoir droit à une sur-greffe. Délicatement, Valentine introduit dans l'animal un nucléus plus gros que celui de la première greffe. Le greffon est inutile car l'huître a enregistré la couleur lors de la première greffe. La nacre va repartir à l'eau. La perle sera plus grosse. Pour qu'elle soit commercialisable, la couche de nacre doit faire au moins 0,8 mm et comme l'huître est déjà bien entraînée à recouvrir le nucléus de nacre, cette troisième période peut durer moins longtemps. 16 mois vont suffire pour obtenir une seconde perle de la même huître.
Comme un bébé qui sort du ventre de sa mère, la perle est enduite d'un vernis qu'il faut nettoyer. Les perles resteront donc toute la nuit dans du gros sel un peu humidifié. Demain matin, Valentine les rincera à l'eau douce et les essuiera avec un chiffon de coton. C'est à ce moment là qu'on pourra vraiment apprécier la qualité du bijou.
Valentine m'apprend que la nacre des perle est fragile. Elle est sensible à l'acidité de la sueur. Si on la porte à même la peau, il ne faut pas que cela dure plus de quelques heures. Avant de la ranger dans son coffret, il faudra la rincer à l'eau douce et bien l'essuyer.
Devant de telles merveilles, je me mets à rêver de colliers, de boucles d'oreilles et de bagues. Les perles sont si belles !
Dimanche 8 Juin 2008 – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Ca va faire 15 jours que nous n'avons pas fait la lessive. Courage ! On s'y met. Comme d'habitude, lavage dans les seaux avec de la lessive à main, puis rinçage à l'eau de mer. Pour le dessalage à l'eau douce, Valentine nous a proposé d'utiliser l'eau de son puits. D'où vient cette eau que l'on trouve sur les motu en creusant un peu. Est-ce l'eau de pluie qui s'accumule à certains endroits sous le sol de l'îlot ? Je ne sais pas.
Quoiqu'il en soit, il y a de l'eau douce presqu'à niveau avec le sol dans un trou derrière le fare où dorment Valentine et Gaston. Une pompe reliée à un tuyau remplit une grosse bassine quand on branche la petite batterie 12V en fixant les fils électriques avec des épingles à linge. Système D mais ça marche bien ! Nous dessalons notre linge en utilisant le moins d'eau possible car nous savons qu'aux Tuamotu, elle est rare et donc précieuse.
D'ailleurs, l'eau du puits ne suffirait pas à la vie quotidienne des habitants de Matariva, le motu familial. Il leur est nécessaire de récupérer un maximum d'eau de pluie quand les nuages veulent bien s'arrêter au-dessus de l'atoll de Toau. La moindre cabane et tous les fare sont équipés avec des gouttières donnant dans d'énormes réservoirs de 3000 litres ou plus. Il arrive que le ciel soit sec plusieurs mois de suite. Le niveau baisse alors dramatiquement dans les cuves et Valentine se met à prier. Elle demande à Jésus de faire pleuvoir car l'eau va manquer.
Il faut vous dire que Valentine est très croyante. Avec Gaston, ils ont construit une église derrière chez eux. C'est une pièce sur pilotis comme tous les lieux de vie d'ailleurs. Parce qu'on ne sait jamais aux Tuamotu. La terre dépasse la mer que de quelques mètres. Si, par un jour de tempête, l'océan venait à se déchaîner, il pourrait recouvrir le motu. Alors, pour parer au pire, tout est construit suffisamment haut au-dessus du sol.
Valentine nous surprend donc en pleine lessive ! Comment ça ! Un dimanche ! Elle nous dit que Dieu a donné à l'homme 6 jours dont il fait ce qu'il veut mais que le dimanche doit être consacré au Créateur et à son fils Jésus, le Dieu Vivant. Il ne faut pas travailler le 7ème jour. Sur ces bonnes paroles, elle nous invite à sa réunion de prière qui va commencer. C'est elle qui l'anime car aucun pasteur ne vient jamais dans ce coin perdu. Nous ne pouvons pas refuser et nous la suivons vers l'église où nous sont déjà installés Gaston, son mari, Dick, son frère, Violette, sa mère et Philippe, le mari de Violette. Au-dessus de la porte du lieu de culte, est écrit « Eglise Evangélique de Pentecôte ». Elle nous donne une bible car chaque participant doit pouvoir suivre le texte et, comme à l'école, elle nous demande de lire chacun à notre tour des passages. Puis elle les commente.
Chaque mot du livre saint est une parole de Dieu. Valentine n'a pas le moindre doute là-dessus. LA vérité est là, dans la Bible ! C'est parole d'évangile comme on dit. Le reste n'est que fadaise et oeuvre de Satan. Aujourd'hui nous étudions des versets de la Genèse. Il y est écrit que l'homme ne peut pas descendre du singe comme les scientifiques le disent car Dieu nous a créés à son image. Pendant plus d'une heure Valentine nous parle de nos origines : Adam et Eve, le péché originel, le serpent … et tout et tout …
Saviez-vous que Noé avait 600 ans quand eu lieu le Déluge. Heureusement pour lui, il avait fini de construire son Arche quand il s'est mis à pleuvoir et que toutes les eaux du ciel se déversées sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits. Noé, sa famille et tous les animaux qu'il avait embarqués, sont restés sur les eaux pendant 150 jours. Noé, le juste, a survécu 350 ans à cette épreuve divine. A cette époque là, on mourrait très très vieux puisque, si on fait bien les comptes, Noé avait 950 ans le jour de sa mort.
Nous sommes assis autour de la pièce et Valentine se tient debout derrière une table qu'elle a décoré avec des fleurs fraîches. L'odeur enivrante du tiaré se faufile par moment dans mes narines. Valentine laisse la place à Violette, sa mère qui fait une prière à voix haute en langue tahitienne pour remercier Dieu d'avoir apporté la pluie et de nous avoir guidé, Guy et moi vers sa lumière divine et notre salut. La réunion de prière se termine par des chants à la gloire de Jésus, le Dieu Vivant.
Pour la cérémonie Valentine s'était fait une beauté. Un joli paréo, des fleurs dans les cheveux et du rose sur les lèvres. Mais ne fantasmez pas trop ! Je suis désolée de détruire les belles images de vahinés qui peuplent vos rêves des mers du sud, mais Valentine, comme une majorité de polynésiens, s'habille en XXL. Des campagnes officielles de publicité sont faites très régulièrement pour lutter contre l'obésité qui est un vrai fléau dans les îles des mers du sud.
Il est midi passé, tout le monde a faim. Mais comme Valentine n'a pas l'impression de nous avoir convaincu, elle voudrait que l'on continue la discussion en mangeant ensemble. Elle nous invite donc à déjeuner.
C'est alors qu'elle nous raconte l'histoire de sa conversion il y a une dizaine d'années. Avant, dit-elle, elle buvait beaucoup et fumait le paka. "Paka" c'est le nom donné au hachisch polynésien. Sa vie n'avait aucun sens. Elle était une brebis égarée. Vint le jour béni où elle rencontra un pasteur qui lui fit une imposition des mains en prononçant quelques mots. Ce fut le choc, la révélation ! L'homme de Dieu, au charisme puissant, l'avait remise sur le droit chemin. Maintenant elle fait partie des élus. Elle sait qu'elle est sauvée et aimerait que nous le soyons également.
Gaston n'a pas adhéré tout de suite aux convictions de sa femme mais un jour qu'ils tentaient de rejoindre l'atoll voisin en affrontant une mer mauvaise avec leur speed-boat, ils ont failli couler. Une vague a chargé l'embarcation qui s'est rempli ras bord. Gaston pensait le bateau perdu et voulait se mettre à l'eau pour regagner la terre qui était, de toutes façons, beaucoup trop loin même pour un bon nageur. Valentine s'est mise à prier invoquant l'aide de Dieu. Elle a dissuadé son époux désemparé de quitter la grosse barque. Le moteur tournait encore. Ils ont écopé tant bien que mal et, vaille que vaille, ont fini par rentrer chez eux. Ce jour-là, Gaston a eu la trouille de sa vie et il croit que l'aide divine l'a sauvé d'une mort inéluctable. Depuis, il s'est, lui aussi, acheté une conduite. Terminés les excès en tous genres ! Valentine et lui sont heureux de leur vie simple à Matariva. Ils étaient partis de pas grand chose et, par leur travail, ils gagnent petit à petit en confort. Leur accueil chaleureux, leur générosité et leur gentillesse est connue des voyageurs qui ne manquent pas de recommander une escale à l'Anse Amyot lors d'un séjour dans les Tuamotu. L'adresse est connue et durant notre séjour, les voiliers se succèderont et nous ne serons jamais seuls au mouillage.
Les frères et les soeurs de l'Eglise Evangélique de Pentecôte sont très quémandeurs. Dieu pourvoit à tous leurs besoins. Il suffit de lui demander. Mais attention, nous a expliqué Valentine ! La demande doit être précise ! Elle a un DVD de témoignages de conversions et de vies de ses frères et soeurs par Jésus. Elle nous raconte qu'elle a vu le témoignage d'un Tahitien dont la vie était dissolue et qui a eu lui aussi une révélation. Il a décidé de devenir pasteur et de consacrer sa vie à Dieu. Pour étudier la Sainte Bible, il est allé aux Etats Unis. Comme il n'avait pas beaucoup de sous, il faisait à pied le long trajet entre sa maison et l'église. Il finit par demander à Dieu un vélo. Au bout de six mois, il n'avait toujours rien vu venir et il a fait une nouvelle prière plus pressante. C'est alors qu'il a entendu une voix lui répondre qu'on avait pas pu donner suite à sa requête faute de précisions. Voulait-il un vélo de course léger ou un VTT ? De combien de vitesses avait-il besoin ? Quelle couleur souhaitait-il ?
Le lendemain, ni une ni deux, des gens fortunés, en passe de déménager et ne voulant pas s'encombrer, lui donnèrent le vélo de ses rêves. Génial, un Dieu comme ça ! Mais souvenez-vous. Les demandes doivent être précises !
En Polynésie Française, c'est le culte protestant qui est majoritaire même si les Marquisiens sont plutôt catholiques. Sur les îles plus peuplées, l'office religieux du dimanche matin vaut le détour. Les temples protestants accueillent des femmes élégamment vêtues de blanc. Les hommes, moins nombreux, sont habillés de sombre. A la sortie des messes catholiques, on croise de longues robes en pareu de couleurs vives. Ces deux cultes perdent du terrain au profit d'églises parallèles comme celle de Valentine ou comme l'Eglise de Jésus-Christ et des saints des derniers jours sans oublier La Mission Adventiste du septième jour et quelques autres cultes plus marginaux…
Les offices du dimanche matin sont l'occasion d'entendre les himene. Ce sont des polyphonies a capella qui mélangent la culture ancestrale et les hymnes religieux hérités des premiers missionnaires qui ont évangélisé les îles. Leur tonalité et leur rythme rendent ces chants totalement envoûtants.
Tous les ans le 5 mars, on célèbre l'avènement de l'Evangile à Tahiti. C'est un jour férié en Polynésie et une grande fête pour les protestants. Que s'est-il passé de particulier le 5 mars ? Et bien, en 1797, les premiers missionnaires protestants débarquèrent à Tahiti. Ces hommes de Dieu avaient fait un très long et très périlleux voyage sur un navire nommé LE DUFF qui aborda en baie de Matavai à Tahiti, un 5 mars 1797.
Les premiers navigateurs ayant découvert ces îles paradisiaques en avaient vanté l'accueil chaleureux. Ils avaient raconté que les femmes y étaient belles, à peine vêtues, et qu'elles s'offraient comme cadeau de bienvenue aux voyageurs. Et, par la suite, d'autres explorateurs tempérèrent cette image idyllique en rapportant des histoires nettement moins plaisantes. En effet, les rivalités entre les différents clans familiaux entraînaient des guerres où la pratique des sacrifices humains et du cannibalisme était courante. Des hommes blancs en firent les frais.
Les missionnaires venaient donc pour mett
Les hautes et impressionnantes aiguilles basaltiques de Ua Pou s'éloignent doucement dans notre sillage. Nous reprenons la mer après une dizaine de semaines passées aux Marquises. Nous avons parcouru 18000 milles nautiques depuis la mise à l'eau de Pro's Per Aim en décembre 2005, cela correspond à 33000 kilomètres environ.
Notre projet de vie est toujours aussi fort dans nos têtes et dans nos cœurs. Guy, moi et notre vaillant voilier, sommes prêts à affronter de nouveau l'océan, pas si « pacifique » que son nom le laisse croire pour aller à la découverte d'autres peuples, d'autres îles mais également de nous deux.
La traversée entre les Marquises et les Tuamotu devrait durer entre 4 et 5 jours si les dieux de la mer et du vent sont avec nous. Pour le moment nous avançons bien. Seulement ce n'est pas très confortable car la houle nous prend de travers. Pro's per Aim roule gentiment d'un bord sur l'autre et toute activité ménagère devient compliquée. On s'accroche d'une main et on travaille de l'autre. Les marins disent : « Une main pour soi, une main pour le bateau ». Et puis il faut faire attention en cuisinant … on aurait vite fait de s'ébouillanter avec l'eau des pâtes. Bien sûr la cuisinière est sur cardans : elle bouge en même temps que le bateau en laissant la casserole horizontale. Mais on n'est pas à l'abri d'un gros coup de roulis qui renverserait la gamelle.
Nous avons mis une ligne de traîne. Le leurre file à 7 nœuds dans le sillage du bateau. C'est un petit poulpe rose avec quelques nuances de bleu, mignon comme tout. Enfin ça c'est mon avis ! Espérons qu'il plaira aux poissons. Tout à coup ça mord. Vite … on arrête le bateau et on se met à la cape pour dériver doucement sans être chahutés par la houle. Ca y est, on peut remonter la ligne. Guy descend à l'arrière sur la jupe au ras de l'eau et y remonte un joli petit thon de 5-6 kg.
Super ! Des protéines fraîches ! Ce n'est pas tous les jours fête car nous ne sommes pas très bons pêcheurs et nos menus en mer sont souvent à base de corned beef. Ne prenez pas cet air dégoûté ! Même si cela ne vaut pas le beefsteak tout frais haché de chez le boucher du coin, j'ai appris à cuisiner ce boeuf en conserve et à faire de bons petits plats avec.
Revenons à notre thon qui rend son dernier soupir sous le poignard de Guy … le plaisir suprême avec le poisson frais c'est de le manger cru à la tahitienne. La recette est toute simple. On le coupe en petits dés de 1 cm, on le passe sous l'eau fraîche et on le laisse s'égoutter. On presse des citrons verts et on verse le jus dans le saladier où on a mis le thon. On laisse un bon quart d'heure au frais. Avant de servir on sale et on poivre et on mange immédiatement. On peut améliorer la recette en ajoutant des légumes coupés en dés et du lait de coco. Un vrai régal !
Il est 16h. Le soleil est déjà bas sur l'horizon. Il est grand temps de prendre la douche. Nous ne sommes plus en Bretagne, il fait chaud. Nous ramenons des seaux d'eau de mer pour nous laver. Les savons ne moussent pas bien avec l'eau salée, avec les gels douche on s'en tire mieux. Un autre seau pour le rinçage et il nous reste juste à utiliser un peu d'eau douce pour nous dessaler.
17h – Nous dînons avant le coucher du soleil. L'énergie à bord c'est comme l'eau. Nous devons l'économiser. Quand il fait nuit nous évitons d'utiliser les lumières alors il vaut mieux en avoir fini avec le repas et la vaisselle avant la tombée du jour. Sous les tropiques, le crépuscule est très court. A 18h il fait nuit noire. C'est le début du premier quart de nuit. Nous devons veiller à tour de rôle d'autant plus que le radar est à nouveau en panne. Tous les 10 minutes je sors faire un tour d'horizon. Pas de lumières si ce n'est celle des étoiles. La Croix du Sud est à 20° à bâbord. Je connais mal les autres mais la voûte céleste est magnifique. Au large, loin des côtes, on a le privilège d'avoir un vrai ciel bien noir. Aucune lumière artificielle ne l'altère et c'est vraiment magique.
Vendredi 9 Mai 2008 - En mer entre les Marquises et les Tuamotu
Tous les soirs, lorsque le soleil s'enfonce doucement dans l'océan, nous scrutons l'horizon en espérant apercevoir le fameux rayon vert. Les anglais l'appellent le « Green Flash » c'est dire à quel point l'instant est fugace quand on a la chance de le vivre. Un coucher de soleil sous les tropiques, c'est déjà, en soi, un moment magique et émouvant. Il y a toujours des cumulus par ci par là pour décorer avec goût l'embrasement du ciel. Certaines de nos photos sont belles mais aucune ne l'est autant que la réalité. Tous nos sens sont sollicités. On entend l'eau glisser le long de la coque. Le vent siffle dans les haubans et les embruns salés nous caressent le visage pendant que le spectacle du soleil qui se couche nous offre un ciel aux couleurs incroyables et changeant à chaque instant.
Pour voir le rayon vert, il ne faut aucun nuage à l'endroit où le soleil se cache derrière la ligne d'horizon. Il ne faut pas le quitter des yeux et au moment ultime où il disparaît on voit parfois un éclat d'un vert presque fluo.
Ce soir c'est jour de chance ! Le « Green Flash » est au rendez-vous.
Lundi 12 mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Depuis hier nous ralentissons Pro's Per Aim en réduisant la voilure de façon à arriver à l'étale de marée et de jour devant le premier atoll de notre voyage dans le Pacifique. Les Tuamotu ont été surnommé l'archipel dangereux par les anciens. 77 îles s'étalent du nord-ouest au sud-est entre Tahiti et les Marquises sur une surface grande comme le tiers de la France. Cet éparpillement des atolls explique l'isolement de la plupart d'entre eux. Beaucoup sont inhabités et la majorité d'entre eux est occupée par une ou deux familles pas davantage.
Pourquoi « archipel dangereux » ?
A cause des difficultés à y naviguer. Je ne sais pour quelle raison, mais le système des alizés, ces vents si réguliers et si fiables par ailleurs, y est perturbé. Et puis, entre les atolls, des courants violents et traîtres entraînent les bateaux. Les récifs surgissent d'un seul coup, visibles à quelques milles seulement, tellement ils sont bas sur l'eau.
Et quand on veut pénétrer à l'intérieur d'un atoll cela devient encore plus compliqué. Il faut trouver la passe et y être au bon moment de la journée afin que le courant soit faible et le soleil bien haut dans le ciel pour éclairer les patates de corail. En France c'est facile, le moindre caillou est repéré, la cartographie est exacte et de nos jours avec le GPS c'est devenu beaucoup plus facile de s'aventurer en mer. Mais ici, dans cet archipel perdu et peu connu, on ne peut pas compter sur les cartes et on doit naviguer à vue en regardant la couleur de l'eau.
Bleu foncé : on passe.
Bleu clair : on fait très attention et on avance doucement avec une vigie à l'avant ou même mieux, grimpée dans le mât.
Jaune pâle : on ne passe plus avec le gros bateau mais avec l'annexe c'est possible et cela permet d'aller à terre.
Quant au marron, même une annexe ne passe plus car c'est du corail qui affleure.
Nous sommes tendus et attentifs quand Pro's per Aim se présente devant la passe de Teavatapu. Le génois est enroulé, la grand-voile est ferlée sur la bôme et le moteur est en route.
Cette passe est assez large et ne présente pas de difficulté majeure. La mer, vue de loin avec les jumelles, y semble calme. Pas de mascaret, pas de déferlantes, c'est bon ! On y va ! Guy est à la barre et moi à l'avant avec mes lunettes de soleil polarisantes qui diminuent les reflets en surface. Tout s'enchaîne bien et tranquillement. Pour une première fois, l'épreuve n'a pas été trop difficile. Nous voici enfin dans l'atoll inhabité de Tahanea.
Nous jetons l'ancre à l'abri derrière le motu. Ca veut dire « île » en tahitien. Pas d'autre voilier au mouillage : Tahanea, un atoll désert pour nous deux. Quel bonheur !
Il y a 12 m d'eau sous le bateau et pourtant nous voyons le fond comme si nous y étions. Jamais nous n'avons vu une eau si claire et si transparente. Une forme souple et grise passe avec élégance sous l'étrave alors que je laisse filer la chaîne. C'est un requin pointes-noires d'un mètre cinquante environ. D'autres arrivent, ils sont maintenant cinq à tourner autour du bateau. Superbes, majestueux, ils semblent attendre quelque chose. Mais que veulent-ils ? On nous a dit que ces requins de récifs n'étaient pas agressifs et qu'on peut même nager au milieu d'eux sans se faire croquer tout cru. Ils ont peut-être l'habitude d'être nourri par les bateaux de passage et le bruit de notre moteur les a attiré.
Le vent est faible, l'eau du lagon est si calme qu'aucune ride ne la trouble. Depuis le pont je fais des photos comme si j'étais avec un appareil sous l'eau.
Nous attendrons que les requins s'éloignent pour nous mettre à l'eau. Il paraît que l'on se fait à leur présence. Pour l'instant c'est trop nouveau pour qu'on soit habitué. On verra avec le temps.
Mardi 13 Mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Il y a longtemps, très, très longtemps, les atolls étaient des volcans dominant l'océan depuis leurs pentes couvertes de lave. Tout autour de cette île haute, dans les eaux peu profondes, le corail se mit à se développer pendant que la montagne s'enfonçait doucement dans la mer. Au fur et à mesure que le sol s'enfonçait, le corail continuait à se développer en hauteur, cherchant la lumière du soleil. Et cette belle montagne à la végétation luxuriante s'entoura d'un récif corallien protégeant un lagon aux eaux bleu turquoise. Inexorablement la montagne poursuivit sa descente au fond de l'océan. Les millions d'années passant, elle finit par disparaître ne laissant que le récif entourant une mer intérieure qu'on appelle un lagon.
Les Marquises sont des îles hautes sans récif corallien, Bora-Bora et Tahiti sont des îles hautes entourées d'une barrière de corail. Quant aux Tuamotu, ce sont des îles basses, l'île montagneuse est sous l'eau depuis des millénaires. L'anneau corallien qui entoure le lagon n'est pas très large et il n'y pousse pratiquement que des cocotiers.
Nous mettons l'annexe à l'eau pour une exploration à terre. Il n'y a pas de plage pour beacher notre petite embarcation. Nous jetons le grappin dans un mètre d'eau et nous rejoignons le rivage en évitant de nous griffer sur le corail vivant. Les blessures dues au corail guérissent mal. Pour éviter l'infection il faut asperger la plaie avec du citron pour que l'acidité tue la partie vivante du corail, et je peux vous dire que ça pique ! Ensuite on désinfecte comme pour les égratignures normales.
Nous avons prévu une « opération noix de coco ». D'abord on fouille au pied des cocotiers pour trouver une noix bonne à ouvrir. La coque doit être d'un beau marron brillant et quand on la secoue elle doit être pleine d'eau. Ca c'est facile ! On se baisse, on ramasse la noix et on l'agite, puis on laisse retomber ou on garde … Le plus dur reste à faire. Il s'agit de l'ouvrir. Et là ça n'est plus de mon ressort, c'est trop physique. Je laisse Guy, qui attaque la première noix avec le poignard, pour explorer les mares sur le platier.
Les polynésiens sont plus habiles que nous pour venir à bout de ce fruit récalcitrant. Soit à coup de machette soit en utilisant un pieu fiché dans le sol, ils débarrassent la noix de sa coque. La nature est bien faite. Comme les noix tombent de très haut quand elle sont mûres, elles sont parfaitement protégées par une enveloppe fibreuse elle-même enfermée dans la coque. Nous avons essayé de casser cette coque en la tapant sur des cailloux et nous avons cassé … le caillou ! Sans outil, j'imagine qu'un naufragé sur une île déserte doit éprouver des moments de découragement devant ce fruit qui peut le désaltérer et le nourrir mais qui ne se laisse pas faire. Bref ! Guy se démène comme un beau diable avec son poignard et parvient à sortir une première noix de sa gangue.
Pendant ce temps, dans 10 à 20 cm d'eau sur le platier j'admire des dizaines de petites murènes qui vivent là et se chauffent au soleil. Certaines n'ont que leur tête qui sort du trou mais d'autres ondulent comme des serpents dans à peine quelques centimètres d'eau pour passer d'une mare à une autre quand je les dérange. Les crabes aux yeux rouges s'enfuient à mon arrivée. Les bénitiers offrent à la lumière leurs lèvres à la couleur bleue ou verte. Pour avoir une idée de leur forme, sachez que les deux valves de ces grands mollusques étaient autrefois utilisées comme bénitiers dans les églises. Cela donne aussi une idée de leurs dimensions. Il paraît que les plus grands atteignent 1m ou plus.
Tout à coup, Guy m'appelle. « Isa, viens voir c'est incroyable ! ». Je retourne vers le cocotier où il s'est abrité du soleil pour effectuer ses travaux de force.
Comme la seconde noix qu'il a ouverte n'était pas bonne et il l'a jetée derrière lui. Je ne sais pas comment ils l'ont su ni comment ils se sont donné le mot, mais des centaines de Bernard-l'Hermite convergent vers elle. C'est l'aubaine ! Une noix de coco ouverte : un vrai festin en perspective pour ces petits crustacés rouges à dix pattes !
Nous revenons à bord avec plein de photos de bestioles et trois noix. Nous en cassons une pour récupérer l'eau de coco. C'est légèrement sucré et très désaltérant En plus c'est sûrement nourrissant et vitaminé à souhait. Puis on coupe l'amande blanche en morceaux. Ca se croque comme une friandise quand on a un petit creux. On peut aussi la râper pour l'utiliser en cuisine ou faire du lait de coco en pressant la coco ainsi émiettée.
Samedi 17 Mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Aujourd'hui c'est le jour de la lessive. Sur une île déserte, on n'utilise pas trop de linge mais les draps et les serviettes de toilettes se salissent quand même. Nous n'avons pas de machine à laver bord et nous devons faire attention à notre consommation d'eau.
C'est parti ! On commence par faire tremper le linge sale avec de la lessive à main dans des seaux, puis on frotte, installés sur la jupe à l'arrière de Pro's Per Aim. Ensuite on rince comme les lavandières d'antan le faisaient dans les rivières. Sauf que nous c'est à l'eau de mer que nous débarrassons le linge de la lessive. Il nous reste à faire des rinçages à l'eau douce pour le dessaler. Nous savons que sur Tahanea, il y a une citerne d'eau de pluie dans le village abandonné à 2 ou 3 milles de notre mouillage. Nous embarquons dans l'annexe avec le linge et également nos bidons d'eau vides et, à fond de moteur, sur les eaux calmes du lagon, nous allons jusqu'à Otao, le village inhabité.
Il n'y a pas de vent et aucune vague ne trouble la surface de l'eau. Nous admirons les coraux qui défilent sous le canot comme si nous étions la tête sous l'eau avec un masque. Le village est au bord d'une passe, pas celle par laquelle nous sommes rentrés mais une autre beaucoup moins large et difficile d'accès. Les fonds sont magnifiques : un vrai plaisir pour les yeux.
Il a plu ces derniers temps et la citerne de 7000 litres est bien remplie. Nous pouvons faire le plein d'eau et dessaler le linge. Les moustiques attaquent. Zut ! On a oublié de se badigeonner au monoï parfumé à la citronnelle.
Au retour au mouillage, une bonne surprise nous attend. Un autre bateau est arrivé et nous connaissons son équipage : Sergio et Domi. Notre première rencontre date de Panama. Fin décembre, nous étions ensemble côté atlantique dans une petite marina entre l'archipel des San Blas et la grande ville de Colon où se trouve l'entrée du canal. Nous avons passé deux jours ensemble dans la jungle équatorienne au moment du réveillon du Nouvel An. C'est un super souvenir ! Pour atteindre le campement, il avait fallu marcher une heure dans la boue en portant les glacières et les sacs à dos et franchir deux rivières à gué accrochés à des cordes pour ne pas être entraînés par le courant. Là-bas, pas d'électricité et pas d'eau potable, juste quelques cabanes qui nous ont protégés des averses nocturnes pendant notre sommeil. Nous étions une vingtaine, perdus au fin fond des montagnes panaméennes pour fêter le passage à l'an 2008. Génial !
Lundi 19 Mai 2008 – Atoll de Tahanea dans les Tuamotu
Et voilà ! Le vent a forci depuis cette nuit et surtout il a pris du sud. Vous allez me dire : « Où est le problème ? Pro's Per Aim est à l'intérieur d'un lagon, ce n'est pas la pleine mer, l'ancre est bien accrochée et le mouillage tient d'autant mieux que la chaîne fait du tricot autour des patates de corail. Vous ne risquez rien. »
Là, je dois vous expliquer que ce n'est pas si simple. Ce mouillage est un bon abri si le vent vient de l'est ou du nord-est. Mais s'il souffle du sud, il traverse toute la largeur du lagon avant de nous atteindre. Cela fait 10 milles de fetch, cette distance sur laquelle court le vent. Le lagon, aux eaux si calmes et si transparentes, devient rapidement une mer démontée avec des vagues de 1 à 2 m, si rapprochées que l'on est secoués à l'intérieur du bateau comme dans un shaker. Une horreur ! Et pas possible d'aller se réfugier à l'abri de la barrière sud. C'est trop loin, l'intérieur de l'atoll n'est pas cartographié et ce temps à grains nous prive de la lumière indispensable pour naviguer à vue et louvoyer entre les patates de corail.
Nous devons prendre notre mal en patience. D'après la météo, le vent va passer à l'Ouest ce qui aggravera notre cas avant de se calmer et de reprendre sa direction habituelle c'est à dire l'Est.
Tout à coup un violent coup de rappel nous alerte ! Quelque chose s'est cassé à l'avant. Les mouvements du bateau deviennent encore plus désordonnés. Guy se précipite sous une pluie torrentielle pour voir ce qui se passe. Le bout qui double la chaîne sur quelques mètres au niveau de l'étrave s'est rompu. Une aussière de 20 mm de diamètre ! Imaginez un peu la puissance des rappels. Ce bout est là pour amortir les rappels en question car le cordage a évidemment une souplesse que la chaîne ne possède pas. Maintenant c'est elle qui encaisse les coups et la cloison étanche sur laquelle elle est fixée souffre méchamment. A tout instant elle peut céder et ce serait catastrophique. On perdrait le bateau.
Alors là mon Capitaine ne perd pas son sang froid. Il faut faire très vite. Il m'envoie mettre en route le moteur en me demandant d'avancer doucement pour soulager le mouillage. Pendant ce temps il installe un nouveau bout tout neuf avec un doigt de fer. C'est un bidule en forme de doigt crochu qui s'accroche à un maillon de la chaîne. Ouf ! Le cordage est en place et fait son travail d'amortisseur. Pro's per Aim ne souffre plus.
Par contre l'autre doigt de fer est tombé au fond de l'eau avec le morceau de cordage cassé. 12 m de fond ! Guy s'équipe avec une bouteille et plonge. En moins de 10 minutes il est de retour avec le précieux doigt de fer. Au cas où, on en aura un de rechange. En plus il en a profité pour regarder et mémoriser les zigzags de la chaîne autour des patates, ce qui nous permet de la détricoter un peu. Le mouillage gagne encore en souplesse.
Le temps est tellement gris et triste que je prépare une pâte à crêpes. Nous les partagerons ce soir avec Sergio et Domi pour fêter leur départ. Ils veulent appareiller demain matin pour Fakarava. C'est un grand atoll habité situé au nord de Tahanea où nous sommes en ce moment bien malmenés par un affreux clapot.
Lundi 26 Mai 2008 – Village de Tetamanu le long de la passe sud de Fakarava dans les Tuamotu
Nous avons quitté Tahanea : fini l'atoll désert pour nous tout seuls, depuis deux jours nous sommes mouillés avec d'autres bateaux devant le minuscule village de Tetamanu.
A terre nous rencontrons Roana. Elle travaille pour la pension de famille de Tetamanu. Elle nous explique qu'ils ne sont que 7 habitants à vivre ici toute l'année et qu'en ce moment il n'y a pas de clients dans les quelques fare où viennent parfois des touristes en mal de dépaysement total. Roana nous dit que le village a été abandonné car le motu était devenu trop petit pour loger tout le monde. Alors les habitants sont partis à Rotoava, le grand village au nord de l'atoll.
Une famille est restée à Tetamanu et vit du tourisme. La passe de Tumakohua, qui longe le village, est célèbre pour les plongées dérivantes qu'on peut y faire au milieu des requins. Nous irons à l'heure où la marée commencera doucement à remplir le lagon. Pour l'instant nous avons réservé un repas au restaurant de la pension. Il est construit sur pilotis au bord de la passe. On y accède par une jetée en bois construite elle aussi sur pilotis. La cuisine donne sur le motu à l'arrière et l'eau y est très peu profonde. Elle est transparente et nous admirons les coraux et les poissons multicolores qui y nagent quand un violent bruit de remous nous fait lever la tête. Le cuisinier vient de jeter des déchets de poissons à l'eau et les requins pointes-noires se battent pour récupérer les morceaux. Leur rapidité est impressionnante. En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, tout est avalé et ils recommencent à tourner de leur nage ondulante devant nos yeux. Il y a si peu d'eau que leur ventre frôle le fond alors que leur aileron est hors de l'eau. Ca me rappelle « Les dents de la mer ».
Pour le déjeuner nous mangeons une belle carangue noire qui s'est faite prendre dans les pièges à poissons de la passe. Et nous ne résistons pas au plaisir de nourrir les requins avec les restes. Nous sommes à l'endroit du fare où l'eau est profonde. Les gros spécimens, ceux qui n'ont pas assez d'eau pour aller côté cuisine, sont là. C'est un vrai ballet qu'ils nous offrent dans les eaux claires de la passe. Des rémoras vont et viennent et s'accrochent sur le pointes-noires qui passe à leur portée. Une grosse masse gris foncé s'approche. Sa nage est caractéristique. C'est encore un requin mais cette fois c'est un gris. Ils n'ont pas aussi bonne réputation que leurs collègues à pointes-noires. Les requins gris sont plus facilement agressifs. En plus ils sont beaucoup plus gros ... ça veut dire qu'ils ont des bien plus grandes dents !
L'heure de l'étale de marée approche. Le courant est en train de s'inverser dans la passe et l'océan va commencer à remplir le lagon. C'est le meilleur moment pour faire une dérivante dans la passe. On dit explique qu'il faut se mettre à l'eau à l'extérieur du lagon, côté océan, et se laisser entraîner par le courant rentrant à l'intérieur.
Nous allons nous équiper au bateau avec palmes, masques et tuba mais surtout avec une combinaison. L'eau a beau être à 28 ou 29°C, quand on reste une petite heure à patauger, on finit par avoir très froid. Avec l'annexe nous prenons la passe. Arrivés à l'extérieur du lagon, nous nous mettons à l'eau. Guy tient l'annexe avec un bout pour qu'elle dérive en même temps que nous et nous nous laissons aller avec le courant. Au début, le paysage marin défile doucement sous nos yeux. Des dizaines de requins nous suivent ou nous croisent. Ils semblent vaquer à leurs occupations. Tant qu'elle ne consiste pas à nous boulotter, ça va !
En fait, ils sont aussi couards qu'ils sont curieux. Ils s'approchent de nous mais font demi-tour rapidement. La force du courant augmente, nous allons de plus en plus vite, irrésistiblement entraînés vers le lagon. Je me retourne et j'essaie de nager à contre courant. Même avec les palmes je ne réussis pas à étaler, je recule ! Super les sensations ! Mieux que la Foire du Trône, enfin c'est mon avis !
Un énorme poisson sort du bleu des profondeurs et vient vers nous. Je le reconnais même si je n'ai pas encore eu la chance de le rencontrer sous l'eau. C'est le célèbre poisson-Napoléon ! On ne peut pas dire qu'il soit très beau mais il est monumental. Sa grosse tête est surmontée d'une bosse. Il avance sans qu'on le voit bouger. Il est vraiment très impressionnant. Dommage ! il est un peu loin pour que ma photo soit réussie.
On nous avait prévenus. Le courant nous ramène au mouillage où Pro's Per Aim nous attend sagement. Quelques milles faits en un peu plus d'une heure, sans presque palmer. Un record non ?
Mardi 27 Mai 2008 - Baie de Kakaiau au milieu de la barrière Est de Fakarava dans les Tuamotu
Nous venons de quitter Tetamanu le village sud de Fakarava. L'atoll de Fakarava est immense. L'anneau corallien a la forme d'un rectangle de 60 km de long sur 25 de large. Pour rejoindre le nord nous avons donc une soixantaine de kilomètres à faire. Avec notre voilier, il nous faut 7 à 8 heures pour parcourir cette distance. Nous avons choisi de voyager à l'intérieur du lagon. Un chenal balisé relie le sud au nord. Il permet d'éviter les hauts-fonds et les nombreuses patates de corail. Il faut quand même ouvrir l'œil et la navigation en devient très stressante. Nous avons décidé de nous arrêter au milieu du chemin pour couper la route en deux. Il y a des mouillages de beau temps tout le long du récif et aujourd'hui le vent ne souffle pas. Nous trouverons un joli coin tranquille pour faire une pause. Si cela nous plaît nous resterons plusieurs jours à jouer les Robinsons sur un motu désert.
Guy est à la barre à l'arrière et je suis à la proue avec les jumelles et le compas de relèvement. Le soleil est déjà haut dans le ciel et sous les tropiques, il est terrible. Je suis bien bronzée mais si je ne me protège pas, en moins d'une heure, je ressemblerais à une langouste bien cuite. J'ai donc un chapeau avec un grand mouchoir coincé dedans pour que ma nuque soit à l'abri. Un tee-shirt et un pantalon long complètent la panoplie sans oublier les lunettes de soleil polarisantes. Ainsi vêtue, je ne suis pas sûre de gagner à un concours de mode. Mais, au moins, c'est efficace !
Les balises du chenal sont très éloignées les unes des autres. J'ai du mal à les repérer. Elles se confondent avec la ligne des cocotiers qui poussent sur le récif dans le lointain. Je finis par trouver la suivante et nous mettons le cap dessus. Avec les jumelles je recommence à fouiller l'horizon pour trouver la balise d'après et régulièrement je jette un coup d'œil à la surface devant l'étrave pour vérifier que nous sommes toujours dans le bleu foncé et qu'il y a donc assez d'eau sous la coque. Je suis trop préoccupée par la recherche de la balise et plus assez attentive à la couleur de l'eau devant nous. Tout à coup je regarde et, horreur, je constate que le bleu est devenu très clair ce qui veut dire que nous sommes sur un haut-fond et qu'il y a certainement une patate tout près. En même temps j'entends le moteur rugir en marche arrière. Guy avait vu la tache claire et, in extremis, il a arrêté Pro's Per Aim avant l'échouage. Nous nous apercevons que nous avons loupé une balise et que, depuis plusieurs dizaines de minutes, nous sommes sortis du chenal. C'est pour ça que nous avons failli nous échouer. Heureusement que mon Capitaine est un bon marin et que tous ses sens étaient en éveil ! La route reprend, doucement, de façon à rejoindre le chenal balisé. La navigation à l'intérieur d'un lagon n'est pas de tout repos. Au bout de trois bonnes heures, nous jetons l'ancre dans la baie de Kakaiau. Ouf ! Nous sommes en sécurité et complètement seuls.
Vendredi 30 Mai 2008 – Village de Rotoava au nord de l'atoll de Fakarava dans les Tuamotu
Nous voici arrivés au nord de Fakarava. Nous sommes mouillés devant le village avec une dizaine d'autres voiliers. On nous a dit qu'Internet vient d'être installé sur cet atoll et que l'on peut se connecter au bureau de poste. Nous y allons tout de suite. Demain c'est samedi et la poste est fermée le week-end. Cela fait plus d'un mois que nous n'avons pas pu récupérer nos e-mail. En plus nous avons plein de photos à charger pour mettre le site-web à jour.
La connexion est très lente et la poste ferme à 14h30. Il faudra revenir lundi pour finir la mise à jour du site. Maintenant il va falloir trouver l'épicerie en espérant que les rayons ne soient pas trop vides. Le ravitaillement des atolls se fait par bateau depuis Tahiti. Ils l'appellent d'ailleurs la goélette même si depuis des années, elle a perdu ses voiles au profit d'un moteur. Il reste qu'elle ne vient que tous les mois. C'est pour ça que l'épicerie n'a pas grand chose à vendre. Nous trouvons quand même des oeufs et un kilo de carottes. Ce n'est pas tout. Nous avons besoin d'essence pour le hors-bord de l'annexe. On nous dit qu'il n'y a pas de station essence. Pourtant nous avons vu des pick-up passer sur la seule route de l'atoll. Comment font-ils pour remplir leur réservoir. A force de demander à droite à gauche, nous rencontrons Jean, un jeune paumotu qui travaille au club de plongée et qui nous explique qu'ils se fournissent en bidons de 200 litres. Gentiment, il nous propose de nous dépanner. Nous avons besoin de 15 litres. Il siphonne son gros bidon avec un tuyau et remplit nos jerricans. Sauvés ! Nous n'aurons pas à ramer pour aller à terre. Et tant mieux parce que dans les lagons les courants sont parfois très forts et quand le vent s'en mêle on ne va pas toujours où on veut.
Mercredi 4 Juin 2008 – Passe Garue au nord de l'atoll de Fakarava dans les Tuamotu
Jusqu'à maintenant, à chaque fois que nous avons pris une passe pour entrer ou sortir d'un atoll, cela s'est bien passé. Nous avons peu de renseignements sur la passe nord de Fakarava si ce n'est qu'elle est très large. En plus nous n'avons pas l'heure des marées. Tant pis ! Nous partons de bonne heure pour arriver de jour à l'escale suivante.
Je me souviens avoir lu dans Stevenson quelque chose sur Fakarava. Je ressors son livre intitulé « Dans les mers du Sud ». Il a navigué sur une superbe goélette, le Casco à la fin du XIXe siècle dans le Pacifique sud et voilà comment il a vécu le passage que nous allons prendre pour sortir du lagon de Fakarava.
« En approchant nous trouvâmes un peu de courant, car la mer privée du lagon a, en cet endroit, son origine et sa fin, entre les mâchoires du portail où elle s'essaye en vain à lutter contre la masse plus majestueuse du Pacifique. Le Casco ressentit à peine une secousse insignifiante, mais il y a des époques et des circonstances où les entrées de port de ces bassins intérieurs vomissent des déluges, à emporter, submerger et démâter des navires. Car imaginez un lagon parfaitement étanche sauf en un point, et ce point d'une largeur tout juste navigable ; imaginez que le flux et le vent aient amoncelé durant des heures en ce repli de corail un superflu d'eaux, puis que la marée se renverse et que le vent tombe : l'écluse de quelque grand réservoir de chez nous donnera une faible idée de cet épanchement. »
Bref ! Pour le Casco et son équipage tout s'était bien passé même si Stevenson avait entendu dire que l'endroit pouvait être terrible et que, je le re-cite, « il y a des époques et des circonstances où les entrées de port de ces bassins intérieurs vomissent des déluges, à emporter, submerger et démâter des navires. ».
En nous présentant devant la sortie de l'atoll, nous sommes donc plutôt confiants, beaucoup moins tendus que les autres fois et pas assez sur nos gardes.
La passe est effectivement très large, pas loin d'un kilomètre entre les deux bords mais elle semble barrée sur une bonne partie par des déferlantes. On appelle ça un mascaret. Mon Petit Larousse m'en avait donné la définition exacte. C'est une brusque remontée des eaux, qui se produit dans certains estuaires ou passes d'atoll au moment du flux et qui progresse rapidement sous la forme d'une vague déferlante.
Nous examinons la situation et sur la gauche l'eau paraît plus calme. L'eau n'y déferle pas et Guy s'y engage. La grand-voile est haute et le vent nous pousse bien. Par sécurité, Guy met quand même le moteur en route. On ne sait jamais !
A partir de là tout s'enchaîne très vite. Sans avoir le temps de comprendre pourquoi, nous nous retrouvons devant l'abominable mascaret que nous voulions à tout prix éviter. Pas question de faire demi-tour, le courant nous emporte à 11 noeuds et nous ne pourrions pas le remonter. Les déferlantes nous chargeraient par l'arrière et nous perdrions le bateau ! En plus, même si nous avions assez de puissance pour remonter 11 noeuds de courant, le temps de faire le demi-tour nous nous retrouverions en travers de la lame, un coup à être couché et à démâter ! Nous serions alors emportés sur le récif ou même coulés avant d'y être jetés.
Alors, sans hésiter une seconde, Guy pousse le moteur à fond et attaque les déferlantes bien en face. La première submerge l'avant jusqu'au mât, immédiatement suivie par une deuxième qui, cette fois, arrive jusqu'au cockpit. Le capot de la descente n'est pas fermé. Je vous l'ai dit. Nous étions trop confiants ! Des dizaines et des dizaines de litres d'eau se déversent dans le carré. En m'accrochant pour ne pas passer par-dessus bord, je réussis à le fermer avant la troisième vague. C'est là que je vois que le capot de la cabine arrière, celui qui donne sur le cockpit, est ouvert. Nous ne le fermons jamais. En deux ans et demi de navigation et 18000 milles, nous n'avons jamais embarqué d'eau à l'arrière. Je ne peux pas aller le fermer, ce serait trop dangereux. Je reste assise et je me cramponne. Les déferlantes se succèdent, explosant sur le pont avec violence. Le bruit est assourdissant. Pro's Per Aim se soulève, se cabre et retombe de plusieurs mètres dans un fracas de fin du monde. Je me tiens de toutes mes forces pour rester à bord et ne pas partir à l'eau. Guy reste rivé sur sa barre, le visage agressif. Il se bat pour garder Pro's Per Aim en ligne. Le moindre écart et c'en est fini de notre voyage. Il faut rester face aux déferlantes et passer ce mascaret le plus vite possible. Un navire, aussi solide soit-il, ne peut pas résister longtemps à de tels chocs. Le moteur s'emballe après chaque vague quand l'hélice tourne à vide, tout l'arrière du bateau étant hors de l'eau !
J'ai l'impression que ces moments durent une éternité. Dans quel état allons-nous sortir de là ? L'eau continue à rentrer par le capot dans la cabine arrière. A chaque déferlante, Pro's Per Aim fait le sous-marin.
Enfin, nous passons la dernière déferlante. La mer se calme autour de nous. Nous sommes de l'autre côté.
Il nous reste à évaluer les dégâts. Des dizaines de litres d'eau salée sont rentrés à l'intérieur à chaque vague, les matelas et les coussins du carré sont trempés. Il faudra dessaler tout ça pour que ça puisse sécher. La force de l'eau a arraché les boîtes à dorade, vous savez ces manches à air qui permettent la ventilation à l'intérieur du bateau. Guy en retrouve une coincée dans les cordages mais l'autre est partie à l'eau. Les coutures de la capote ont lâché. Les paquets de mer ont fini le travail d'usure des UV tropicaux. J'ai de la couture en perspective et à la main s'il vous plaît parce que ma machine à coudre n'est pas assez costaud pour ce type de tissu. Nous avons aussi perdu des bidons d'eau douce et d'autres bricoles qui n'étaient pas attachées.
A la réflexion nous nous demandons pourquoi nous nous sommes retrouvés dans le mascaret alors que nous avions pris à gauche pour l'éviter. Soit le courant, trop violent, nous a dépalé, soit le mascaret s'est étendu à toute vitesse sur la gauche refermant la passe au moment où nous y étions. C'est ce que pense mon Capitaine.
On peut dire que nous nous en tirons bien. Le voyage aurait pu s'arrêter là. Nous n'aurions pas été les seuls à finir dans la passe nord de Fakarava, mais ce n'aurait pas été une consolation ! Que cela nous serve de leçon ! La mer ne pardonne pas la légèreté. Aucune navigation ne doit être considérée comme facile. Il faut toujours envisager que le pire est possible et être prêt à faire face en toutes circonstances.
Nous mettrons deux jours à panser les plaies de notre « Pro's Per ».
Mercredi 4 Juin 2008 (le soir) – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Au cours de nos différentes escales, quand nous sommes au mouillage avec d'autres bateaux, nous faisons connaissance avec les équipages. Il arrive que des amitiés naissent de ces rencontres du hasard. La plupart du temps, nous passons ensemble quelques heures agréables avant de repartir chacun de notre côté. C'est à ces moments là que nous échangeons des mines de tuyaux et de renseignements sur les prochaines îles où nous avons l'intention d'aller. Et justement on nous dit que l'Anse Amyot, au nord de l'atoll de Toau, est une escale très sympa et qu'en plus, le mouillage est très protégé ce qui est rare dans les Tuamotu.
Après l'épreuve de la passe nord de Fakarava, c'est donc un vrai réconfort d'arriver dans ce petit paradis. A cet endroit le récif s'ouvre sur une petite cinquantaine de mètres de large. Mais attention ! La passe est borgne ! On mouille dans cette interruption du récif car le passage vers l'intérieur du lagon est barré par une multitude de patates de corail affleurantes et trop rapprochées pour permettre la navigation. Nous avons été repérés avant notre entrée car un speed-boat vient à notre rencontre et Gaston nous propose un corps-mort pour amarrer Pro's Per Aim. Comme il y a plus de 10m de fond et beaucoup de courant à chaque renverse de marée, nous acceptons.
Peu après, Pro's Per Aim étant en sécurité, nous descendons à terre pour saluer nos hôtes, Valentine et Gaston. Tout de suite nous avons l'impression de faire partie de la famille. Quelle chaleur dans l'accueil ! Valentine nous saute au cou pour nous embrasser. Elle nous propose de participer au dîner polynésien qu'elle organise demain soir pour les trois autres bateaux arrivés avant nous. Pour 2500 francs pacifique par personne, nous aurons le dîner et la location illimitée du corps-mort. Il faut se rappeler que la Polynésie Française n'est pas dans la zone « euro ». 2500 francs pacifique par personne correspondent donc à 22 euros environ.
Ca marche ! A demain Valentine ! Nous viendrons de bonne heure pour t'aider à la préparation du repas.
Jeudi 5 Juin 2008 (matinée) – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Sur Toau, on manque de tout. La goélette passe environ une fois par mois à la demande de Valentine et Gaston qui s'y ravitaillent. Cela fait maintenant 4 bonnes semaines qu'elle a fait escale dans l'Anse Amyot et comme la cabine téléphonique est en panne depuis 3 semaines, les contacts avec l'extérieur ont cessé. Personne ne sait quand la goélette va passer.
Incroyable cette cabine téléphonique ! Quand elle n'est pas en panne, elle fonctionne avec des panneaux solaires et une antenne râteau ! Et il n'y a évidemment pas d'autres téléphones sur l'îlot.
Pas la peine non plus d'investir dans un téléphone portable, car le réseau du "vini" ne couvre pas Toau. Je trouve ça mignon comme tout l'appellation « vini » pour le portable polynésien.
Si seulement leur moteur hors-bord était réparé ! Ils iraient jusqu'à Fakarava pour recharger le frigo ! Mais pas de chance. Cela fait un mois que l'engin a été envoyé à Tahiti et faute de téléphone, Gaston ne sait pas où en est la réparation.
En fait, ils ont deux speed-boat :
- un petit, équipé d'un moteur de 25 CV, pour les allers et retours entre le motu et la ferme perlière
- et un plus grand et plus solide poussé par le 150 CV. C'est ce gros moteur qui ne fonctionne plus.
Le soi-disant « gros » speed-boat est une grande barque non pontée, assez bien défendue à l'avant mais sans instruments de navigation si ce n'est une petite boussole. Je n'oserais pas m'aventurer en haute mer là-dedans. Mais pour Gaston, ce n'est pas un problème. Par contre il est hors de question de s'y risquer avec le petit bateau.
Cette histoire de moteur tracasse Gaston. Nous lui proposons d'utiliser notre téléphone satellite pour appeler leur associé de Tahiti. Pour ne pas vider notre forfait, il s'explique en quelques mots, donne notre numéro et raccroche. L'associé rappelle quelques secondes plus tard. Gaston le charge d'aller aux nouvelles et de contacter le garage où est son moteur. L'associé doit retéléphoner demain à 9h sur notre numéro. Nous irons à terre un peu avant, avec le téléphone, pour attendre le coup de fil salvateur.
Cela fait donc un mois que Matariva, le motu familial, est isolé du reste du monde. Les réserves de frais sont donc épuisées et nous offrons une douzaine de citrons marquisiens à Valentine, ravie du cadeau. Elle n'en avait plus pour le poisson cru de ce soir.
Nous, à bord, nous en avons autant comme autant des citrons ! Avant de partir de la baie d'Anaho au nord de Nuku Hiva dans l'archipel des Marquises, nous avions fait le plein. Là-bas, les citronniers poussent aussi bien que la mauvaise herbe chez nous. Les citrons pourrissent même au sol faute d'être ramassés. Cela fait 6 semaines que nous avons quitté Anaho et notre stock, s'il a bien diminué, n'en reste pas moins important. Nous avions cueillis les citrons à peine mûrs sur l'arbre et ils se sont bien gardés jusqu'à maintenant. Nous n'en avons pas encore perdus.
Les voiliers qui font escale dans l'Anse Amyot sont les bienvenus et dépannent Valentine et Gaston. C'est ainsi qu'elle nous demandera du café, un rouleau de sopalin, un allume-gaz, des allumettes et d'autres bricoles. En échange, nous emporterons des nacres. Finalement la situation n'est pas catastrophique. A chaque jour suffit sa peine et on verra bien de quoi demain sera fait, inutile de se tracasser à l'avance.
Voilà Glenn et Sally qui débarquent sur le ponton. Ils ont repéré les boules de pétanque qui traînent sous le fare et ils nous proposent une partie. Ils sont américains et pour eux, la pétanque est un sport national en France. Nous sommes français, nous devrions donc, selon eux, être des adversaires de choix.
Yeah ! No problem ! On engage une partie. On ne dit pas que nos origines sont plus proches de la Bretagne que de Marseille et que le rythme de notre entraînement est décennal, c'est dire l'intensité ! Mais notre honneur gaulois est en jeu. Une partie gagnée, la seconde perdue ! Mince ! Il faut se défoncer pour la belle ! Ouf ! In extremis, on la remporte.
Si jamais on recommençait à jouer, nous serions capables de perdre ! Restons sur notre réputation fragilement acquise et rentrons au bateau. De toutes façons, c'est l'heure du déjeuner. A ce soir !
Jeudi 5 Juin 2008 (soir) – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Le soleil se couche de bonne heure sous les tropiques. Vers 17h, avant que la nuit tombe, nous amarrons l'annexe au petit ponton du fare de Gaston et Valentine. Les équipages des autres bateaux sont déjà là. Tom et Dennys sont à la guitare et Glenn joue du sax. Notre entrée dans la salle à manger se fait au rythme d'un standard de jazz langoureux. Dawn, Janet et Sally, leurs femmes, bavardent entre elles. Guy prend la conversation en route. Il adore exercer son anglais.
Je suis moins à l'aise avec la langue de Shakespeare et je rejoins Valentine à la cuisine. Waouh ! Je ne sais pas si on pourra tout manger ! Elle a préparé 7 plats. La majorité est à base de poisson cru ou cuit. Elle s'excuse de ne pas avoir de langoustes au menu. Gaston n'a pas pu aller sur le platier pour en ramasser. La houle est trop forte en ce moment et les déferlantes envahissent cette zone située à l'extérieur du récif. Ce serait dangereux de s'y aventurer.
Vous avez bien entendu « ramasser des langoustes » ! La nuit, ces délicieux crustacés sortent des trous où ils se cachent dans la journée pour se nourrir dans les quelques centimètres d'eau qui submergent la barrière de corail côté océan. Gaston prend une lampe frontale et des gants et va remplir son panier. Il n'a qu'à se baisser. L'avantage c'est qu'il les attrape sans peine et vivantes. Ensuite il les relâche dans le vivier devant le fare. Elles sont nourries avec de la viande de requin le temps qu'il faut et elles passent sur le barbecue en fonction des besoins !
Les requins ne sont pas à la fête dans l'Anse Amyot ! Il n'y a pas que Gaston pour s'occuper de leur cas, Baloo s'en charge également. Qui est Baloo ? Ce n'est pas un ours, quoique les ours sachent pêcher. Baloo est un chien. Il est préférable d'être copain avec lui, parce que sa mâchoire est puissante. Je ne le savais pas mais les chiens sont pêcheurs aux Tuamotu et la proie favorite de Baloo c'est le requin pointes-noires. Il en choisit des pas trop gros depuis qu'il s'est fait arracher un morceau de viande par une bestiole un peu plus balèse.
Une vedette ce Baloo ! Il ne supporte pas que le chien de Lisa, la soeur de Valentine, passe sur son territoire. Baloo l'oblige à nager dans la passe pour rejoindre le récif extérieur afin de pêcher lui aussi. La pauvre bête peine dans le courant de la passe mais la gourmandise l'emporte et nous l'avons vue passer non loin du bateau évitant ainsi la zone interdite par Baloo.
Revenons au dîner. La salle à manger est construite sur pilotis à moitié sur terre, à moitié sur la passe. Elle n'a que trois murs légers à base de palmes de cocotier. Le 4ème est ouvert sur la passe. Le sol est fait de planches disjointes sous lesquelles on aperçoit les vagues qui lèchent le rivage du motu. Le repas est excellent et très copieux. Ma préférence va au poisson cru, du thon fraîchement pêché. Avec une sauce à base de citron vert c'est succulent et je me régale. Nous terminons par un énorme gâteau bien moelleux à la banane et à la noix de coco.
Et maintenant dodo ! Guy et Gaston ont prévu d'aller sur le motu de la ferme perlière demain de très bonne heure pour y chercher des paniers de nacres, c'est comme ça qu'on appelle les huîtres. Je resterai avec Valentine. Il paraît que cette escapade avec le speed-boat sur le lagon est une affaire d'homme !
Vendredi 6 Juin 2008 – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
La petite ferme perlière de Gaston et Valentine est une affaire familiale. Les perles sont vendues au fur et à mesure aux plaisanciers qui font escale dans l'Anse Amyot. La production n'est pas encore très importante. Mais ils sont en train de s'organiser et ils comptent bien l'augmenter dans les années à venir.
Le motu de la ferme perlière est un adorable îlot posé sur les eaux transparentes de l'atoll. Un vrai bijou, telle une émeraude sur un écrin de satin bleu turquoise ! Une minuscule cabane sur pilotis protège de la pluie et du vent les outils qui restent là. La table de greffe, faite l'an dernier par l'équipage d'un bateau autrichien, trône, magnifique, à l'abri d'un toit de palmes de cocotier.
Tout autour du motu, des bouées flottent indiquant les positions des paniers d'huîtres. Suivant leur stade de développement, elles sont théoriquement entre 3 mètres et 20 mètres de fond. Gaston plonge en apnée alors que dans les grandes fermes, les plongeurs sont équipés de bouteilles. C'est pour ça que ses paniers à lui sont rarement à plus de 15 mètres de profondeur.
Guy s'est levé tôt ce matin pour accompagner Gaston à la ferme. Elle est à une demi-heure environ de l'Anse Amyot. Une fois sur place, Guy reste sur le speed-boat pour hisser à bord les paniers de nacres que Gaston récupère sous l'eau. Il est bien entraîné, il est capable de descendre profond et de rester longtemps sous l'eau.
Depuis des siècles, ses ancêtres ont plongé pour pêcher et aussi pour ramasser les huîtres qui jonchaient les fonds des atolls. Ils utilisaient les coquilles nacrées pour fabriquer du matériel de pêche et des ustensiles domestiques. Elles servaient aussi à fabriquer des bijoux pour les chefs et bien sûr on les offrait aux dieux. Quand les premiers européens sont arrivés, elles sont devenues une monnaie d'échange. Les insulaires étaient parfaitement au courant de la valeur de ces superbes coquilles.
Parfois, mais si rarement, la nature offrait un joyau et la nacre s'ouvrait sur une perle sublime. Chaque médaille a son revers. La demande des européens en nacres et en perles incita les polynésiens à plonger de plus en plus et à piller leurs ressources naturelles. Et surtout, cette méthode de collecte était dangereuse. Les plongées successives en apnée entraînaient des accidents et des troubles mentaux graves qu'on appelle « taravana » en tahitien.
A partir de 1960 environ, la culture de la perle noire se développa aux Tuamotu. Les techniques étaient connues des japonais depuis 1916 et furent importées en Polynésie. En 1970, la perliculture était déjà en plein essor.
Quand Gaston et Guy reviennent à Matariva, le motu familial qui borde la passe borgne de l'Anse Amyot, tout le monde est là pour aider à décharger les paniers et à nettoyer les nacres. Il y a Valentine, et puis Dick, son frère et aussi Philippe, le mari de sa mère Violette. Philippe est marquisien et cela fait presque 40 ans qu'il vit aux Tuamotu. Il n'est jamais revenu à Nuku Hiva, son île natale.
Au total, une douzaine de personnes vit sur Matariva. Pas d'étrangers à la famille sur ce petit bout de terre perdu de l'autre côté du monde. Leur vie se passe ici, loin de tout.
Regardez une mappemonde ! L'océan Pacifique en occupe la moitié et quand on y cherche l'archipel des Tuamotu, on ne voit que quelques points disséminés sur une surface grande comme le tiers de la France.
Quand le temps et la mer le permettent, bravant l'océan avec leur speed-boat poussé par un moteur de 150 CH, Gaston et Valentine vont faire des courses à Fakarava, l'atoll dont la passe nous a fait souffrir, ou bien à Apataki, un autre atoll assez proche. Il leur est arrivé d'aller à Tahiti en avion mais les billets sont très chers et l'aéroport est à Fakarava. Leur univers géographique est donc très restreint. Ils voyagent avec la télé et surtout grâce aux nombreux contacts qu'ils ont avec les voiliers de passage.
Bon, c'est bien beau tout ça, mais les nacres sont là et il faut se mettre au boulot. Guy récupère un couteau et fait comme tous les autres, il gratte la surface des coquilles pour retirer les saletés et les parasites qui gênent la croissance de l'huître. Elles ne ressemblent pas du tout aux huîtres de chez nous si appréciées pour les fêtes de fin d'année. Elles sont plates, d'une couleur brune rougeâtre et ont un faux air de coquille St Jacques. Quand on les ouvre, c'est un régal pour les yeux ! L'intérieur du coquillage est gris nacré avec des reflets parfois verts, parfois aubergines. Le mollusque est jaune en son centre avec quelques parties brunes. Il est bordé par un manteau de jais.
Il y en a une centaine par panier. Celles-ci ne sont pas encore greffées et on leur fait la toilette tous les 2-3 mois. On en profite pour éliminer les mortes et je fais la secrétaire en notant le nombre d'huîtres mortes et vivantes par panier. Cela me donne le temps de faire le reportage photo pour le site web.
La greffe est une opération délicate à la charge de Valentine. Dans les grosses fermes perlières, on emploie des chinoises.
Au départ les spécialistes de la greffe venaient du Japon. Le développement de la perliculture a créé une pénurie de main d'oeuvre et leurs salaires ont tellement augmenté que beaucoup d'entreprises font maintenant appel aux chinois. Il paraît qu'ils sont payés dix fois moins que les japonais. Mais ici, Valentine et Gaston n'ont pas les moyens de s'offrir de main d'oeuvre spécialisée et Valentine a du apprendre la technique.
La période de greffe a lieu de préférence pendant les mois où la température de l'eau et de l'air est fraîche afin que l'huître souffre moins. Comme on est dans l'hémisphère sud, cela correspond à l'été chez nous.
Pour greffer, on entrouvre la nacre mais pas trop. Il ne faut pas déchirer le muscle qui relie les deux valves de la coquille. Par cette étroite ouverture, on introduit dans l'organe sexuel du mollusque un greffon et un nucléus. C'est quoi un greffon, c'est quoi un nucléus ? Je vais essayer d'expliquer ce que j'ai compris et retenu. Que les professionnels pardonnent mes imprécisions et mes erreurs !
Alors voilà, la nacre, puisque c'est comme ça qu'on nomme l'huître perlière, est greffée quand elle a entre 2 et 3 ans et qu'elle mesure au minimum 12 cm de diamètre. Tout au long de cette première période, elle a donc été nettoyée et déparasitée tous les deux ou trois mois.
A partir d'une huître donneuse que l'on sacrifie, on récupère la partie noire sur l'extérieur de l'animal. Elle est découpée soigneusement en tout petits carrés. Ce minuscule morceau de chair va être à l'origine de la couleur si caractéristique des perles polynésiennes. C'est ce qu'on appelle le greffon. Sans lui, la perle serait blanche.
Quant au nucléus c'est une petite bille de nacre fabriquée à partir d'un coquillage d'eau douce. Ceux que Valentine utilise viennent des Etats Unis. L'huître considère, à juste titre, que ce nucléus qu'on a introduit dans son intimité, est un corps étranger et s'en protège en l'enduisant de nacre.
Une fois greffée, la nacre retourne à l'eau. Pour cette deuxième période de sa vie, elle a droit à davantage d'égards. Gaston a percé un petit trou sur le bord de la coquille et y passe un fil pour attacher l'huître dans un panier. Fini l'entassement à 100 dans la même boîte. Elles sont une douzaine seulement et peuvent mieux se nourrir. Elles vont rester encore deux ans dans les eaux claires autour du motu de la ferme perlière.
Et puis le grand jour arrive. C'est le moment magique où on entrouvre à nouveau la nacre pour retirer la perle. Justement Guy et Gaston ont aussi rapporté un panier d'huîtres prêtes pour l'extraction des bijoux. C'est un moment de vraie émotion ! Comme une naissance !
La qualité des perles n'est jamais garantie. Une très belle perle ne doit pas avoir de défauts, comme des petits trous par exemple, elle doit être bien sphérique, et surtout avoir une couleur et une brillance parfaites. A chaque fois c'est le suspense, on croise les doigts. Pourvu que ce soit LA PERLE, l'unique, l'extraordinaire, toujours rêvée et jamais obtenue.
Devant nos yeux émerveillés, Valentine retire une très jolie perle avec des reflets verts et aubergines. Elle pousse un cri de joie. Cette huître a bien travaillé, du coup elle va avoir droit à une sur-greffe. Délicatement, Valentine introduit dans l'animal un nucléus plus gros que celui de la première greffe. Le greffon est inutile car l'huître a enregistré la couleur lors de la première greffe. La nacre va repartir à l'eau. La perle sera plus grosse. Pour qu'elle soit commercialisable, la couche de nacre doit faire au moins 0,8 mm et comme l'huître est déjà bien entraînée à recouvrir le nucléus de nacre, cette troisième période peut durer moins longtemps. 16 mois vont suffire pour obtenir une seconde perle de la même huître.
Comme un bébé qui sort du ventre de sa mère, la perle est enduite d'un vernis qu'il faut nettoyer. Les perles resteront donc toute la nuit dans du gros sel un peu humidifié. Demain matin, Valentine les rincera à l'eau douce et les essuiera avec un chiffon de coton. C'est à ce moment là qu'on pourra vraiment apprécier la qualité du bijou.
Valentine m'apprend que la nacre des perle est fragile. Elle est sensible à l'acidité de la sueur. Si on la porte à même la peau, il ne faut pas que cela dure plus de quelques heures. Avant de la ranger dans son coffret, il faudra la rincer à l'eau douce et bien l'essuyer.
Devant de telles merveilles, je me mets à rêver de colliers, de boucles d'oreilles et de bagues. Les perles sont si belles !
Dimanche 8 Juin 2008 – Anse Amyot au nord de l'atoll de Toau dans les Tuamotu
Ca va faire 15 jours que nous n'avons pas fait la lessive. Courage ! On s'y met. Comme d'habitude, lavage dans les seaux avec de la lessive à main, puis rinçage à l'eau de mer. Pour le dessalage à l'eau douce, Valentine nous a proposé d'utiliser l'eau de son puits. D'où vient cette eau que l'on trouve sur les motu en creusant un peu. Est-ce l'eau de pluie qui s'accumule à certains endroits sous le sol de l'îlot ? Je ne sais pas.
Quoiqu'il en soit, il y a de l'eau douce presqu'à niveau avec le sol dans un trou derrière le fare où dorment Valentine et Gaston. Une pompe reliée à un tuyau remplit une grosse bassine quand on branche la petite batterie 12V en fixant les fils électriques avec des épingles à linge. Système D mais ça marche bien ! Nous dessalons notre linge en utilisant le moins d'eau possible car nous savons qu'aux Tuamotu, elle est rare et donc précieuse.
D'ailleurs, l'eau du puits ne suffirait pas à la vie quotidienne des habitants de Matariva, le motu familial. Il leur est nécessaire de récupérer un maximum d'eau de pluie quand les nuages veulent bien s'arrêter au-dessus de l'atoll de Toau. La moindre cabane et tous les fare sont équipés avec des gouttières donnant dans d'énormes réservoirs de 3000 litres ou plus. Il arrive que le ciel soit sec plusieurs mois de suite. Le niveau baisse alors dramatiquement dans les cuves et Valentine se met à prier. Elle demande à Jésus de faire pleuvoir car l'eau va manquer.
Il faut vous dire que Valentine est très croyante. Avec Gaston, ils ont construit une église derrière chez eux. C'est une pièce sur pilotis comme tous les lieux de vie d'ailleurs. Parce qu'on ne sait jamais aux Tuamotu. La terre dépasse la mer que de quelques mètres. Si, par un jour de tempête, l'océan venait à se déchaîner, il pourrait recouvrir le motu. Alors, pour parer au pire, tout est construit suffisamment haut au-dessus du sol.
Valentine nous surprend donc en pleine lessive ! Comment ça ! Un dimanche ! Elle nous dit que Dieu a donné à l'homme 6 jours dont il fait ce qu'il veut mais que le dimanche doit être consacré au Créateur et à son fils Jésus, le Dieu Vivant. Il ne faut pas travailler le 7ème jour. Sur ces bonnes paroles, elle nous invite à sa réunion de prière qui va commencer. C'est elle qui l'anime car aucun pasteur ne vient jamais dans ce coin perdu. Nous ne pouvons pas refuser et nous la suivons vers l'église où nous sont déjà installés Gaston, son mari, Dick, son frère, Violette, sa mère et Philippe, le mari de Violette. Au-dessus de la porte du lieu de culte, est écrit « Eglise Evangélique de Pentecôte ». Elle nous donne une bible car chaque participant doit pouvoir suivre le texte et, comme à l'école, elle nous demande de lire chacun à notre tour des passages. Puis elle les commente.
Chaque mot du livre saint est une parole de Dieu. Valentine n'a pas le moindre doute là-dessus. LA vérité est là, dans la Bible ! C'est parole d'évangile comme on dit. Le reste n'est que fadaise et oeuvre de Satan. Aujourd'hui nous étudions des versets de la Genèse. Il y est écrit que l'homme ne peut pas descendre du singe comme les scientifiques le disent car Dieu nous a créés à son image. Pendant plus d'une heure Valentine nous parle de nos origines : Adam et Eve, le péché originel, le serpent … et tout et tout …
Saviez-vous que Noé avait 600 ans quand eu lieu le Déluge. Heureusement pour lui, il avait fini de construire son Arche quand il s'est mis à pleuvoir et que toutes les eaux du ciel se déversées sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits. Noé, sa famille et tous les animaux qu'il avait embarqués, sont restés sur les eaux pendant 150 jours. Noé, le juste, a survécu 350 ans à cette épreuve divine. A cette époque là, on mourrait très très vieux puisque, si on fait bien les comptes, Noé avait 950 ans le jour de sa mort.
Nous sommes assis autour de la pièce et Valentine se tient debout derrière une table qu'elle a décoré avec des fleurs fraîches. L'odeur enivrante du tiaré se faufile par moment dans mes narines. Valentine laisse la place à Violette, sa mère qui fait une prière à voix haute en langue tahitienne pour remercier Dieu d'avoir apporté la pluie et de nous avoir guidé, Guy et moi vers sa lumière divine et notre salut. La réunion de prière se termine par des chants à la gloire de Jésus, le Dieu Vivant.
Pour la cérémonie Valentine s'était fait une beauté. Un joli paréo, des fleurs dans les cheveux et du rose sur les lèvres. Mais ne fantasmez pas trop ! Je suis désolée de détruire les belles images de vahinés qui peuplent vos rêves des mers du sud, mais Valentine, comme une majorité de polynésiens, s'habille en XXL. Des campagnes officielles de publicité sont faites très régulièrement pour lutter contre l'obésité qui est un vrai fléau dans les îles des mers du sud.
Il est midi passé, tout le monde a faim. Mais comme Valentine n'a pas l'impression de nous avoir convaincu, elle voudrait que l'on continue la discussion en mangeant ensemble. Elle nous invite donc à déjeuner.
C'est alors qu'elle nous raconte l'histoire de sa conversion il y a une dizaine d'années. Avant, dit-elle, elle buvait beaucoup et fumait le paka. "Paka" c'est le nom donné au hachisch polynésien. Sa vie n'avait aucun sens. Elle était une brebis égarée. Vint le jour béni où elle rencontra un pasteur qui lui fit une imposition des mains en prononçant quelques mots. Ce fut le choc, la révélation ! L'homme de Dieu, au charisme puissant, l'avait remise sur le droit chemin. Maintenant elle fait partie des élus. Elle sait qu'elle est sauvée et aimerait que nous le soyons également.
Gaston n'a pas adhéré tout de suite aux convictions de sa femme mais un jour qu'ils tentaient de rejoindre l'atoll voisin en affrontant une mer mauvaise avec leur speed-boat, ils ont failli couler. Une vague a chargé l'embarcation qui s'est rempli ras bord. Gaston pensait le bateau perdu et voulait se mettre à l'eau pour regagner la terre qui était, de toutes façons, beaucoup trop loin même pour un bon nageur. Valentine s'est mise à prier invoquant l'aide de Dieu. Elle a dissuadé son époux désemparé de quitter la grosse barque. Le moteur tournait encore. Ils ont écopé tant bien que mal et, vaille que vaille, ont fini par rentrer chez eux. Ce jour-là, Gaston a eu la trouille de sa vie et il croit que l'aide divine l'a sauvé d'une mort inéluctable. Depuis, il s'est, lui aussi, acheté une conduite. Terminés les excès en tous genres ! Valentine et lui sont heureux de leur vie simple à Matariva. Ils étaient partis de pas grand chose et, par leur travail, ils gagnent petit à petit en confort. Leur accueil chaleureux, leur générosité et leur gentillesse est connue des voyageurs qui ne manquent pas de recommander une escale à l'Anse Amyot lors d'un séjour dans les Tuamotu. L'adresse est connue et durant notre séjour, les voiliers se succèderont et nous ne serons jamais seuls au mouillage.
Les frères et les soeurs de l'Eglise Evangélique de Pentecôte sont très quémandeurs. Dieu pourvoit à tous leurs besoins. Il suffit de lui demander. Mais attention, nous a expliqué Valentine ! La demande doit être précise ! Elle a un DVD de témoignages de conversions et de vies de ses frères et soeurs par Jésus. Elle nous raconte qu'elle a vu le témoignage d'un Tahitien dont la vie était dissolue et qui a eu lui aussi une révélation. Il a décidé de devenir pasteur et de consacrer sa vie à Dieu. Pour étudier la Sainte Bible, il est allé aux Etats Unis. Comme il n'avait pas beaucoup de sous, il faisait à pied le long trajet entre sa maison et l'église. Il finit par demander à Dieu un vélo. Au bout de six mois, il n'avait toujours rien vu venir et il a fait une nouvelle prière plus pressante. C'est alors qu'il a entendu une voix lui répondre qu'on avait pas pu donner suite à sa requête faute de précisions. Voulait-il un vélo de course léger ou un VTT ? De combien de vitesses avait-il besoin ? Quelle couleur souhaitait-il ?
Le lendemain, ni une ni deux, des gens fortunés, en passe de déménager et ne voulant pas s'encombrer, lui donnèrent le vélo de ses rêves. Génial, un Dieu comme ça ! Mais souvenez-vous. Les demandes doivent être précises !
En Polynésie Française, c'est le culte protestant qui est majoritaire même si les Marquisiens sont plutôt catholiques. Sur les îles plus peuplées, l'office religieux du dimanche matin vaut le détour. Les temples protestants accueillent des femmes élégamment vêtues de blanc. Les hommes, moins nombreux, sont habillés de sombre. A la sortie des messes catholiques, on croise de longues robes en pareu de couleurs vives. Ces deux cultes perdent du terrain au profit d'églises parallèles comme celle de Valentine ou comme l'Eglise de Jésus-Christ et des saints des derniers jours sans oublier La Mission Adventiste du septième jour et quelques autres cultes plus marginaux…
Les offices du dimanche matin sont l'occasion d'entendre les himene. Ce sont des polyphonies a capella qui mélangent la culture ancestrale et les hymnes religieux hérités des premiers missionnaires qui ont évangélisé les îles. Leur tonalité et leur rythme rendent ces chants totalement envoûtants.
Tous les ans le 5 mars, on célèbre l'avènement de l'Evangile à Tahiti. C'est un jour férié en Polynésie et une grande fête pour les protestants. Que s'est-il passé de particulier le 5 mars ? Et bien, en 1797, les premiers missionnaires protestants débarquèrent à Tahiti. Ces hommes de Dieu avaient fait un très long et très périlleux voyage sur un navire nommé LE DUFF qui aborda en baie de Matavai à Tahiti, un 5 mars 1797.
Les premiers navigateurs ayant découvert ces îles paradisiaques en avaient vanté l'accueil chaleureux. Ils avaient raconté que les femmes y étaient belles, à peine vêtues, et qu'elles s'offraient comme cadeau de bienvenue aux voyageurs. Et, par la suite, d'autres explorateurs tempérèrent cette image idyllique en rapportant des histoires nettement moins plaisantes. En effet, les rivalités entre les différents clans familiaux entraînaient des guerres où la pratique des sacrifices humains et du cannibalisme était courante. Des hommes blancs en firent les frais.
Les missionnaires venaient donc pour mett
Mardi 17 Juin 2008 - En mer entre les Tuamotu et Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Le réveil a sonné de bonne heure ce matin. Nous voulons appareiller vers les Iles Sous Le Vent. Hier il faisait mauvais temps mais la météo prévoyait pour aujourd'hui une amélioration. Pour être plus sûrs, nous redemandons des fichiers GRIB avant de larguer les amarres qui nous retiennent dans l'Anse Amyot en face de chez Gaston et Valentine.
Les fichiers GRIB se lisent avec un logiciel adapté sur un ordinateur. Ce sont des images pleines de petites flèches qui représentent la direction et la force du vent pour une région donnée. On peut aussi avoir le sens et la hauteur de la houle ainsi que les isobares. On demande ça par e-mail et la réponse arrive moins d'une heure après en pièce jointe. Depuis que nous avons fait l'acquisition d'un téléphone satellite d'occasion à Panama, c'est un vrai bonheur, car nous pouvons envoyer et recevoir des e-mail de partout. Cela nous permet de correspondre avec nos proches et également de récupérer la météo n'importe où et n'importe quand.
Le GRIB fait sonner le téléphone. Nous téléchargeons le petit fichier sur l'ordinateur de bord. La tendance à l'accalmie est confirmée. Nous devrions avoir entre 15 et 25 nœuds de vent et 3 bons mètres de houle de travers pour les premières 24 heures. Ca va bouger un peu et manquer de confort. Le lendemain, ce sera plus tranquille. Il nous faut théoriquement deux jours pour rallier Huahine, l'île Sous Le Vent la plus proche de Tahiti.
C'est donc décidé, nous quittons les Tuamotu, l'Anse Amyot et Gaston et Valentine et nous continuons notre route vers l'ouest. Finis les atolls ! Nous laissons des îles pauvres et fragiles, si démunies face aux colères de Neptune, des récifs à peine émergés où le cocotier est roi, des lagons dont les couleurs enchantent les yeux.
Les Iles Sous Le Vent nous attendent. Et là-bas, il y a aussi des récifs entourant des lagons, mais la majeure partie de la surface de ces mers intérieures est occupée par une île haute. Ce sont d'anciens volcans qui ont laissé une terre riche et la végétation y est exubérante.
Pour l'heure nous embouquons la passe de l'Anse Amyot. Elle est facile et tout se passe bien. Le vent dehors souffle fort, beaucoup plus que prévu. Nous avons 35 nœuds au lieu des 25 annoncés. Ce n'est pas un problème pour Pro's Per Aim ! Nous prenons 2 ris dans la grand-voile et nous envoyons la trinquette. Nous filons ainsi 7 nœuds pendant plusieurs heures. Le vent finit par se calmer mais pas la mer. Le bateau est moins appuyé et la route devient encore moins confortable. Surtout que les grains se succèdent ! Nous devons rester à l'intérieur en bouclant toutes les ouvertures.
La nuit tombe, nos quarts de veille commencent. Le radar n'est pas réparé, il faut donc s'assurer qu'on ne croise aucun navire en jetant un coup d'œil dehors toutes les 5 minutes. C'est fatigant, mais nous n'en avons que pour 48 heures. Nous tiendrons le coup !
Jeudi 19 Juin 2008 – Arrivée à Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Hier la journée de mer a été plus calme. Nous avons pu nous prélasser dans le cockpit à l'abri du bimini. Quand la navigation est cool comme ça, il n'y a rien à faire sur un voilier. Les voiles sont réglées et le pilote, couplé au GPS, barre à notre place. Il faut juste regarder régulièrement l'horizon pour repérer un éventuel bateau et éviter la collision.
Nous ne nous ennuyons jamais. Regarder l'océan et les vagues qui rattrapent Pro's Per Aim et qui passent dessous est un spectacle fascinant. Et puis nous lisons. Pour changer, nous nous attaquons parfois à une grille de mots croisés ou à un sudoku. Depuis quelques temps, nous n'avons plus de musique à bord. L'air marin a eu raison des circuits électroniques de notre I-Pod. Il faudra attendre notre retour en France pour en racheter un. En Polynésie, la vie est très chère. Tout est hors de prix !
Le jour se lève, nous sommes en vue des sommets montagneux de Huahine. Nous la contournons par le nord pour rentrer par la passe Avamoa à l'ouest. Tendus par le souvenir encore très présent de celle de Fakarava, nous avions tout bouclé, prêts à parer au pire, mais les abords sont calmes. Il y a peu de vent et un courant fort raisonnable. Pro's Per Aim passe entre les deux balises latérales sans ressentir la moindre secousse. Nous jetons l'ancre sur un banc de sable devant le village de Fare à proximité de la dite passe. Il n'est même pas midi mais nous avons besoin de repos. Pour aller à terre, il faudrait remettre le moteur sur l'annexe et rien que l'idée nous fatigue. Nous avons deux nuits quasi blanches à récupérer, alors nous restons à bord. Nous irons en courses demain.
Vendredi 20 Juin 2008 – Fare sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Fare est la grande ville de l'île. Six ou sept cents habitants y vivent. La population sur Huahine s'élève à 6500 habitants. Cela semble peu mais dans toutes les îles réunies des Marquises par exemple, il n'y a que 8000 habitants. Alors 6500 c'est vraiment beaucoup !
Sur les dépliants touristiques, on parle de « Huahine la sauvage ». Pour nous qui arrivons des Tuamotu après un séjour aux Marquises, la soi-disant « sauvagerie » d'Huahine nous fait l'effet d'une grande ville de province.
Un joli ponton en bois permet d'amarrer l'annexe.
- Iaorana , bonjour …
Des ados nous saluent d'un sourire. Nous leur demandons où est le supermarché. Avec une grande gentillesse, ils nous montrent le magasin dans la rue, un peu plus loin. L'accueil est partout aussi chaleureux. L'hospitalité polynésienne est vraiment à la hauteur de sa réputation.
Le supermarché nous stupéfie ! Depuis Panama en janvier, nous n'avons rien vu d'aussi grand. Grand, c'est une chose mais surtout les rayons sont pleins et il y a une grande variété de produits. Pourtant l'ambiance à l'intérieur est familiale. Un supermarché où je me sens bien, c'est rare et ça mérite d'être noté !
Nous nous promenons là-dedans un peu ébahis comme si nous découvrions la civilisation !
Les réflexes reprenant malgré tout le dessus, nous roulons un chariot que nous remplissons de quelques vivres frais. Des légumes, des fruits et surtout de la viande ! De la viande rouge ! Aux Marquises elle était congelée, aux Tuamotu, il n'y en avait pas. Devant le rayon de la boucherie de Fare, nous salivons à l'idée du repas de midi. Notre dernier steak bien tendre et fondant dans la bouche date de janvier.
Une sorte de pot isotherme attire notre attention. C'est une yaourtière ! Pas un truc électrique qui viderait nos batteries, non ! Une yaourtière toute simple, comme nous en cherchions depuis longtemps. On fait le mélange lait et ferment lactique dans un récipient en plastique que l'on glisse dans le pot isotherme préalablement rempli d'eau bouillante. Une dizaine d'heures plus tard, on sort le récipient dans lequel le lait s'est transformé en yaourt, on le met au frigo et le tour est joué. Nous aurons enfin des laitages régulièrement sur Pro's Per Aim.
Au retour, sur le ponton, où nous attend l'annexe, nous croisons Steve et Sylvie. La première fois que nous les avons rencontré, c'était dans les Tuamotu, sur l'atoll de Tahanea. Les retrouvailles avec des copains de bateau, c'est toujours aussi inattendu que sympa. Ils sont ici depuis plusieurs jours et nous filent quelques tuyaux sur Huahine.
Un réseau wifi permet d'avoir Internet à bord. Il suffit de s'y inscrire et de choisir son forfait. Il semble que ça marche bien. Si c'est vrai nous allons passer un bon bout de temps connectés. Depuis que nous avons quitté Panama en janvier, les connexions ont été très rares et surtout le débit était extrêmement faible. Chacune d'elles nous valait des énervements sans fin. Le seul endroit où on trouvait Internet, c'était dans certaines postes. A moins d'y passer des heures, enfermés, c'était mission impossible de récupérer les e-mails sur notre boîte classique et de mettre le site à jour. Si nous captons le réseau au bateau , le confort va être inouï ! Vite, on retourne sur Pro's Per Aim pour essayer.
Jeudi 26 Juin 2008 - Fare sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Une semaine s'est déjà passée depuis notre arrivée sur Huahine et nous ne connaissons que la rue principale où nous allons chaque jour nous dégourdir un peu les jambes. Tous les jours c'est le même programme ! Nous travaillons sur l'ordinateur pour relooker notre site web et écrire pour Le Rayon Vert.
Lorsque nous avons pu nous connecter, la première urgence a été de passer des coups de fil à la famille. Il existe des logiciels qui permettent de téléphoner à bas prix par l'intermédiaire d'Internet. C'est vraiment super d'entendre les voix de ceux qu'on aime et qui sont de l'autre côté de la planète. Nous faisons attention au décalage horaire. Quand il est midi en Polynésie, il est minuit en France.
Et puis nous avons du changer d'hébergeur pour notre site. Les téléchargement étaient beaucoup trop longs. Nous en avons découvert un plus performant et maintenant nous sommes tout fiers car nous avons un nom de domaine. C'est à dire que l'adresse du site est devenue très simple : www.prosperaim.fr !
Ce site, c'est le journal de notre voyage. Nous y mettons quelques textes et surtout beaucoup de photos. C'est le meilleur moyen que nous avons trouvé pour partager avec nos proches notre belle aventure autour du monde.
Vendredi 27 juin 2008 (matin) - Fare sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Ce matin nous avons rendez-vous à 8h sur le ponton avec Annie qui est monitrice de plongée.
Cinq passes permettent de pénétrer dans le lagon d'Huahine. Celle du sud est rarement praticable pour y plonger parce que le courant y est trop fort. Comme nous sommes à Fare sur la côte ouest, Annie a choisi de nous emmener plonger dans la passe Avapehi.
Avamoa et Avapehi sont deux passes proches l'une de l'autre à proximité du village. Pro's Per Aim est mouillé sur un banc de sable entre les deux.
Nous venons avec notre matériel : combinaison, palmes, masque, stab et araignée. La stab, c'est le gilet que l'on gonfle d'air pour être plus léger. Quant à l'araignée, on l'appelle comme ça car plusieurs tuyaux partent du détendeur que l'on fixe sur la bouteille. C'est super, ça permet de respirer sous l'eau et de se prendre pour un poisson.
La plongée dans des eaux, claires, transparentes et chaudes est un délice. Autant on est maladroit sur terre tellement on est lourd quand on est équipé avec tout ce matériel, autant dans l'eau tout devient facile et agréable. Attention ! La plongée n'est pas sans risque et il y a des règles de sécurité à respecter. Tout cela s'apprend.
Il faut 5 minutes avec le bateau d'Annie pour rejoindre la bouée où elle s'amarre à l'extérieur du récif. A moins de 50 mètres de nous, des surfeurs profitent des énormes déferlantes qui s'abattent sur la barrière de corail. Ce sont de superbes vagues comme celles des concours de surf qu'on voit à la télé ou sur les magazines. J'admire leur habileté et leur courage, parce que moi, les déferlantes, ça me fiche la trouille ! Encore plus depuis que nous avons affronté celles de la passe Garue à Fakarava.
Nous nous mettons à l'eau. La descente s'effectue doucement et 10 m plus bas nous sommes au fond. Depuis que nous sommes dans le Pacifique, nous avons la nostalgie des magnifiques récifs coralliens des Caraïbes. Le nord de la Martinique et Bonaire particulièrement, nous ont laissé des souvenirs inoubliables. Là-bas, la faune comme la flore sont variées et d'une grande richesse. Ici, le corail, par comparaison, est pauvre et les poissons multicolores n'abondent pas. Par contre on voit des requins, des raies léopard, des manta et des pastenagues, en veux-tu en voilà. Pour les amateurs de frissons, c'est génial !
Ce qui vaut aussi le coup c'est de se laisser entraîner par le courant et de faire ce qu'on appelle une dérivante. Le bateau nous largue à un endroit et nous reprend plus loin. On ne peine pas, on se laisse juste emmener par le flot.
Mais pas de dérivante aujourd'hui. Le bateau est amarré à une bouée et il faudra bien y revenir. Il y aura donc un moment où nous aurons à lutter contre le courant. C'est un coup à vider sa bouteille rapidement. Mais pour avancer sans se fatiguer ni s'essouffler, il suffit de se coller au fond et de progresser sans palmer mais en s'accrochant aux morceaux de corail. Et là il faut bien les choisir parce qu'il y en a qui blessent et d'autres qui brûlent. On l'appelle d'ailleurs le corail de feu.
A 30m de fond, nous passons sous un banc de barracudas. Ces sinistres prédateurs sont tous alignés dans le même sens. Ils attendent leurs proies. Les passes sont des lieux de chasse privilégiés. Des carangues nous dépassent à toute vitesse. Et plus loin, Annie nous montre des requins gris. Pour les attirer plus près, elle nourrit les petits poissons qui nous entourent. Ils sont si peu farouches qu'ils en sont collants. Ils passent au ras de nos masques ou slaloment entre nos palmes. Il y a beaucoup d'agitation autour d'elle quand elle lance des morceaux de pain. Un poisson chirurgien donne un coup de queue tout près de sa main. On l'appelle comme ça car il est doté d'un terrible scalpel de part et d'autre du pédoncule caudal. Ces épines sont des armes de défense que les poissons chirurgiens utilisent par un mouvement brusque de la queue. Annie en fait les frais. Son doigt est profondément entaillé et elle saigne beaucoup. Sous l'eau le sang n'est pas rouge, il est vert ! Mais son odeur se propage sur des centaines de mètres et ça rend les requins agressifs. Annie voulait qu'ils se rapprochent et si nous restons là nous allons effectivement les voir arriver et pas forcement avec les meilleures intentions. Pas question de jouer avec ces grosses bêtes pleines de dents. Vite ! Annie comprime son doigt avec son autre main et nous fait faire demi-tour. Elle aura droit à 3 points de suture et des antibiotiques en traitement préventif.
Vendredi 27 Juin 2008 (après-midi) - Fare sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
A bord nous avons 6 bouteilles camping-gaz, pour notre gazinière. Une bouteille dure environ 3 semaines. Depuis les Antilles nous n'avons pas pu échanger les vides pour des pleines fraîchement sorties de l'usine, repeintes et ré-éprouvées. C'est ce genre de détail qui montre que ceux qui ont étudié et construit notre bateau n'ont pas d'expérience du grand voyage. Sinon, ce serait un coffre pour deux bouteilles alu au standard international qui serait aménagé.
Ce qui nous paraît dommage c'est que notre constructeur n'ait jamais pris la peine de nous demander ce qu'il faudrait modifier pour que leurs modèles soient plus adaptés à la croisière au long cours dans les mers lointaines. Mais revenons à nos malheureuses bouteilles de camping-gaz vides.
Le coffre prévu pour leur stockage n'est pas étanche et il se remplit régulièrement d'eau. Comme elles sont en ferraille, elles rouillent à toute vitesse. A chaque utilisation, quand elles sont vides, Guy les ponce, leur passe une couche d'anti-rouille puis un coup de peinture bleue. Nous n'avons pas d'autre choix que celui de les entretenir afin qu'elles restent en bon état et qu'elles ne se mettent pas à fuir.
En Amérique du Sud et à Panama nous avions réussi à les faire remplir. En Polynésie, nous n'avons pas trouvé de camping-gaz sur les îles où nous sommes passés. Et, ici, personne ne remplit les bouteilles vides. Les Polynésiens fonctionnent avec des grosses bouteilles de 13kg et il n'y a rien d'autre. Il a donc fallu trouver une solution. Comme nous n'avons pas la place sur Pro's Per Aim pour une grosse bouteille de 13kg, pas possible de changer de format. Alors on bricole !
Nous achetons une grosse bouteille de 13kg, nous la vidons dans 4 de nos petites camping-gaz et nous rapportons la consigne vide. Ce n'est pas compliqué, il faut juste un tuyau pour relier la grosse à la petite. On met la grosse en l'air et à l'envers et la petite plus bas. Et ça coule par gravité ! Ca va plus vite quand le soleil chauffe la grosse et qu'on refroidit la petite avec des linges mouillés. On pèse la petite pour savoir quand elle est pleine. Il faut plusieurs heures pour faire le plein des 4 petites mais ça marche très bien. Fini le stress avec le risque de pénurie de gaz depuis que nous connaissons cette combine, c'est à dire depuis les Marquises.
Quand nous étions aux Marquises, il y avait des grèves à Tahiti. L'essence et le gaz n'étaient plus livrés dans les archipels lointains. Nous étions alors sur Tahuata une petite île proche d'Hiva Oa et nous avions sympathisé avec Cyril.
En allant à la petite boutique du village demander du gaz, nous l'avons rencontré et il nous a expliqué qu'il n'était pas possible de trouver une bouteille à cause des grèves. Cyril nous a tout simplement proposé de nous dépanner avec sa bouteille de réserve. C'est un geste caractéristique de la gentillesse polynésienne ! Il ne sait pas quand les livraisons recommenceront, il peut avoir besoin de sa réserve mais généreusement il nous l'offre. Nous lui avons demandé combien coûtait la recharge. Il a répondu 2000 francs pacifique que nous lui avons donnés. Nous avons appris par la suite qu'elle vaut en réalité 2300 francs. Jamais nous n'avons rencontré ailleurs un accueil et une chaleur pareils.
Petite digression : Tahuata est réputée pour être l'île des sculpteurs. La plupart travaille le bois mais Cyril préfère les os et les cornes de cervidés. Son travail est magnifique. Il tire son inspiration des images traditionnelles. Il crée des bijoux et des objets décoratifs et sa réputation s'étend jusqu'à Tahiti et même au-delà.
Lundi 30 Juin 2008 - Baie d'Avea sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Cela fait douze jours que nous sommes arrivés à Huahine et que Pro's Per Aim est mouillé devant le village de Fare. Nous avons passé beaucoup de temps sur l'ordinateur et Internet. Notre travail de mise à jour du site web est terminé. Les courriers e-mails sont partis. Les courses de frais sont faites et nous avons notre plein de gaz. Même les jerricans d'essence pour le moteur de l'annexe ont été remplis.
Il est donc temps de lever l'ancre et d'aller voir plus loin. On dit le plus grand bien de la baie Avea au sud de l'île. Pour s'y rendre, on emprunte le chenal balisé entre l'île et la barrière extérieure. Les latérales rouges sont « côté île » et les vertes « côté récif ». Il n'y a pas à se tromper. La navigation est tranquille.
Nous longeons toute la côte ouest depuis le nord jusqu'au sud.
Le littoral des Iles Sous Le Vent est caractéristique. De multiples bras de mer s'enfoncent dans les terres entre les pentes abruptes des montagnes. Le vert de la végétation luxuriante tranche avec les bleus du lagon. De-ci, de-là, une plage de sable blanc souligne les rangées de cocotiers. C'est beau … tout simplement. Les mots me manquent pour faire partager ce que mes yeux voient.
La baie Avea est un petit paradis. Nous y serons bien. C'est un mouillage dont on aura du mal à repartir.
Mardi 1er Juillet 2008 - Baie d'Avea sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Pro's Per Aim est ancré devant une immense plage de sable blanc. Derrière, la montagne élève rapidement ses pentes couvertes d'arbres et de fleurs. Il reste peu de place sur le littoral. Juste assez pour y construire un fare au bord de la petite route qui fait le tour le l'île.
Quelques habitants de la baie ont ouvert une pension de famille. Il y a peu d'hôtels sur Huahine et ils sont plutôt luxueux. Les pensions de famille sont donc une solution un peu moins onéreuse et permettent de partager le mode de vie des polynésiens.
Nous débarquons avec notre annexe sur la plage du restaurant « Chez Tara ». Tara et Mauna, son mari, ont aussi trois petits fare sur leur terrain pour accueillir des touristes. Mauna est là, le râteau à la main, il ramasse les feuilles tombées sur la pelouse. Deux fois par jour, le terrain est nettoyé. Les arbres et les fleurs sont entretenus et pour rentrer à l'intérieur de la salle du restaurant, on se déchausse. Partout, en Polynésie, on a ce sentiment de propreté. Non seulement les paysages sont beaux mais tous les habitants apportent le plus grand soin à leur environnement.
Mauna nous autorise à laisser notre annexe sur sa plage, à remplir nos bidons d'eau et à jeter nos ordures dans sa poubelle. Une fois les corvées terminées, nous entamons la conversation. Mauna est un privilégié car il a voyagé. Il est venu à Paris plusieurs fois avec sa femme Tara parce qu'elle est première adjointe de Huahine et qu'à ce titre ils vont à une réunion des maires de France une fois par an.
Mauna aime son île et il la raconte avec enthousiasme. Il nous explique que le découpage de Huahine en 8 districts date de la nuit des temps.
Il y a très longtemps vivait sur Huahine un homme qui était de la famille des chefs des Iles Sous Le vent. Il avait une fille du nom de Hotu Hiva. C'était une enfant jolie et pleine de vie. Elle passait ses journées en compagnie de son compagnon de jeux Te-ao-nui-maruia. La vie était douce et les deux enfants grandissaient côte à côte.
Les responsabilités du père de Hotu Hiva le contraignirent à quitter Huahine en emmenant sa fille et à s'installer sur Raiatea. A son grand désespoir, il vit Hotu Hiva tomber malade. De jour en jour elle dépérissait et les guérisseurs appelés à son chevet se succédaient en vain. L'idée de perdre sa fille bien-aimée le rendait fou de chagrin. Peut-être était-elle la seule à détenir les clés de sa guérison. La voyant de plus en plus faible, il la pressa de questions. Elle lui répondit que ce n'était pas son corps mais sa pensée qui était malade. Il comprit que Hotu Hiva se languissait de son ami Te-ao-nui-maruia et qu'elle ne pouvait vivre sans lui.
Hotu Hiva embarqua avec son père dans un frêle esquif qui, poussé par des vents contraires pendant deux jours et deux nuits, dériva vers Bora Bora. Pendant ces deux longues journées, il invoqua les dieux pour que les vents leur soient favorables. Enfin, il fut entendu et, vaille que vaille, l'embarcation atteignit Huahine.
Ils accostèrent à la pointe nord qui s'appelle depuis ce jour la pointe Manunu.
Hotu Hiva était épuisée par sa maladie et les journées en mer mais la perspective de revoir son bien-aimé lui redonna du courage. Elle se mit à la recherche de Te-ao-nui-maruia.
Non loin de la pointe Manunu, il y avait un village du nom de Maeva. Le chef de Maeva fut averti qu'une très belle jeune femme était arrivée sur l'île et il envoya deux princes guerriers pour la lui ramener. Immédiatement il tomba sous le charme de Hotu Hiva et l'épousa. Mais Hotu Hiva aimait Te-ao-nui-maruia.
Par dépit, ce chef cruel la livra chaque soir à un homme différent. Arriva le jour où il la donna pour une nuit à Te-ao-nui-maruia sans savoir que ce guerrier était son rival détesté. Hotu Hiva et Te-ao-nui-maruia se reconnurent. Te-ao-nui-maruia tua le chef du village, prit sa place et épousa Hotu Hiva. Leur union scella l'unification de l'île et inaugura la dynastie Te-pa'u-ri-hau-roa dont descend la célèbre reine Pomare. Ensemble ils eurent 4 fils, puis Te-ao-nui-maruia mourut et Hotu Hiva eut encore 4 fils avec un autre chef. Les huit garçons se partagèrent l'île et ce découpage demeure encore de nos jours.
Mauna et Tara sont bien organisés. On peut louer une voiture à partir de chez eux. Inutile d'être à Fare la grande ville. Nous allons pouvoir faire le tour de l'île à partir de ce mouillage tranquille. Une journée de location sera suffisante car Huahine n'est pas très étendue.
Nous pouvons même commencer aujourd'hui à pied. Il y a un marae sur la plage de la passe sud. On l'appelle le marae Anini et c'est à moins d'une demi-heure de marche. Allons-y !
Les marae sont des sites archéologiques. Ce sont d'anciens lieux sacrés inséparables des fondements de la civilisation polynésienne. Aux Marquises, on les trouve au fond des vallées, bien cachés par la végétation. Des arbres sacrés, comme le majestueux banyan aux racines arbustives, donnent aux sites une atmosphère étrange et une allure grandiose. Aux Tuamotu, les marae sont plus rares et sont constitués de corail car c'est le seul matériau de construction sur les atolls de cet archipel perdu. Dans les îles de la Société, on les trouve souvent au bord du lagon.
Le marae Anini domine la passe sud de Huahine. Cette passe est déconseillée aux navires. Nous comprenons pourquoi. Elle est étroite et agitée. Le courant y semble fort et les cartes indiquent qu'elle est peu profonde.
Construit aux alentours de l'an 1300 ap. JC, le marae Anini a été parfaitement restauré. Edifié avec des pierres dressées, il comprend un vaste ahu de forme rectangulaire et très allongée. L'ahu était la partie la plus sacrée d'un marae. Il était consacré aux dieux et aux ancêtres et n'était accessible qu'à quelques prêtres.
Le marae Anini était voué au culte d'Oro, le dieu de la guerre et aussi à la vénération de Hiro, le dieu des voleurs.
Une jolie légende lie Huahine et Hiro le dieu des voleurs. Huahine est dérivé d'une expression polynésienne qui signifie « corail brisé ». Quand on regarde une carte, on constate que Huahine est en fait formée de deux îles très proches l'une de l'autre et reliées par un pont d'une centaine de mètres. Le dieu Hiro aurait partagé Huahine en deux avec sa pirogue. Il y a donc Huahine Nui ce qui veut dire la « grande Huahine » et Huahine Iti. « Iti » veut dire « petit » en tahitien.
Les avis sont partagés sur l'origine du nom de l'île. Quand on est au large, certains voient dans la silhouette de Huahine une femme allongée avec un ventre arrondi. Une autre interprétation de l'origine du nom Huahine serait « femme enceinte ».
Nous rentrons au bateau.
Guy s'installe confortablement dans le cockpit pour bouquiner et j'allume l'ordinateur pour écrire. Il fait beau. Une brise légère rafraîchit l'air. Tout est calme. La baie d'Avea est si belle.
Un moteur d'annexe allant à toute vitesse trouble tout à coup la sérénité des lieux. Guy lève les yeux et reconnaît Dennys, l'anglais dont nous avions fait connaissance sur Toau chez Gaston et Valentine. Dennys se dirige vers une annexe vide. Guy imagine que ses occupants ont jeté le grappin pour faire un peu de plongée avec tuba autour. Quelques secondes passent et je l'entends crier : « L'annexe ! L'annexe s'est barrée ! ». Je lâche le clavier et je sors en toute hâte.
Elle était attachée comme d'habitude à l'arrière et flottait tranquillement en clapotant. Le nœud ne devait pas être bien souqué et il s'est défait. Le courant a lentement fait dériver notre petit bateau. Heureusement Dennys a vu l'annexe qui s'éloignait et il est allé la chercher.
Un grand merci Dennys !
« You are welcome, nous a-t-il répondu, vous en auriez fait autant pour moi, n'est-ce pas ! ».
C'est sûr que nous lui aurions rendu le même service ! Nous savons trop bien à quel point une annexe est indispensable pour aller à terre. Sans ça il faudrait s'y rendre à la nage ! Même quand on est sportif, ce n'est pas toujours possible. Comment rapporter des provisions quand on fait les courses sans cette précieuse embarcation ? Et ce n'est qu'un exemple !
Mercredi 2 Juillet - Ile de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Vous savez maintenant qu'on trouve deux îles dans le lagon d'Huahine. Nous avons loué une voiture pour les parcourir. Sur la plus petite des deux, celle qu'on appelle Huahine Iti, il y a une plantation de vanille près du village de Haapu. Elle se situe sur les pentes de la montagne à quelques dizaines de mètres de la seule et unique petite route qui fait le tour de Huahine.
Nous entrons dans la propriété. La végétation est foisonnante, si dense qu'on ne voit tout d'abord personne. Puis un chien arrive, suivi par son maître, un polynésien à la superbe musculature. Il est torse nu et son bras droit est orné d'un beau tatouage. Sur sa poitrine, bien centré, est écrit « François TAUMIRO ». C'est plutôt amusant comme tatouage ! A-t-il peur d'oublier son nom ?
En général, les tatouages polynésiens sont très travaillés. Ils soulignent et mettent en valeur la forme des muscles. C'est aux Marquises que nous avons vu les plus beaux. Cyril, le sculpteur de Tahuata, très fier de ses origines marquisiennes, nous avait expliqué plein de choses à propos de cet art des tatoo.
En Polynésie, selon une tradition locale, la pratique du tatouage serait d'origine divine. Elle aurait été créée par les deux fils du dieu Ta'aroa.
Hina était la fille aînée du premier homme et de la première femme. Hina signifie « caractère impétueux » en polynésien. En grandissant, Hina devint tellement impétueuse qu'elle fut recluse pour préserver sa virginité. Mais les deux fils du dieu Ta'aroa, décidés à la séduire, inventèrent le tatouage, s'ornèrent du motif appelé Tao Maro Mata et réussirent ainsi à arracher la belle Hina au lieu où elle était jalousement gardée.
Au début le tatouage fut pratiqué par les dieux et pour les dieux. Puis ces derniers l'enseignèrent aux hommes. Les deux fils du dieu Ta'aroa devinrent donc les dieux que l'on invoquait toujours avant d'entreprendre un tatouage, afin que l'opération soit parfaite et que les dessins se révèlent agréables à l'œil.
Le terme « Tatau » en langue polynésienne se prononce « ta-ta-ou » et exprime l'action du tatoueur : faire des points, des signes, des marques sur la peau. Il est à l'origine du mot actuel.
Le sens que donne la mythologie au tatouage est celui de la valeur esthétique et de l'attrait sexuel. Il est devenu un véritable rite initiatique.
L'opération était douloureuse mais supportable, le tatouage s'effectuait en une seule séance.
On tatouait les filles avant qu'elles atteignent la puberté. Quant aux garçons, on commençait à les tatouer entre onze et douze ans mais leur ornementation était rarement achevée avant l'âge de 30 ans.
La technique de tatouage est de la responsabilité d'un prêtre tatoueur. Il disposait de deux instruments : une sorte de peigne et un petit bâton. Le peigne consistait en un manche de bois auquel était fixé des dents animales ou humaines finement aiguisées. Certains peignes pouvaient avoir jusqu'à 36 dents.
Pour faire pénétrer cet instrument sous la peau, le prêtre tatoueur disposait d'un bâtonnet qui lui servait de marteau. Il frappait avec le petit bâton pour faire rentrer les dents du peigne sous la peau.
C'est là que ça devait faire mal !
Le prêtre tatoueur était considéré comme un détenteur privilégié d'une science à transmettre fidèlement aux générations futures.
Ces pratiques ne furent pas du goût des missionnaires venus évangéliser la Polynésie. La pratique tomba donc en désuétude, d'autant plus que le tatouage avait moins d'intérêt puisque les corps étaient recouverts d'habits occidentaux. On assiste depuis plusieurs années à un véritable renouveau de cet art ancestral.
Revenons à François, puisque son tatouage nous a appris son nom.
Il nous conduit dans la plantation et nous affirme que la vanille des Iles de la Société est exceptionnelle. Vous ne lui ferez pas dire le contraire. Il nous explique qu'elle n'a rien à voir avec celle de Madagascar. Son parfum est d'une richesse sans pareille. C'est la vanille la plus chère du monde ! Rendez-vous compte ! Elle coûte plus de 175 € au kilo !
D'après François, l'histoire et le succès de la vanille seraient liés étroitement au cacao.
Comme le cacao, la vanille est originaire d'Amérique centrale. Elle foisonne au Mexique. En langue aztèque, la vanille était appelée « tlilxot chitl » c'est un nom absolument imprononçable pour un européen et cela signifie « gousse noire ». Les Aztèques connaissaient la préparation qui permettait à l'épice de conserver son arôme et ils l'utilisaient probablement depuis des siècles dans la préparation de boissons cacaotées, afin d'adoucir l'amertume du chocolat.
Les premiers plants de vanille arrivèrent en 1848 à Tahiti.
Deux ans plus tard, ils fleurirent dans le jardin du gouverneur. La culture de la vanille s'intensifia vers 1880, pour devenir une des principales activités économiques des Iles de la Société.
L'actuelle vanille de Tahiti, qu'on appelle savamment "Vanilla Tahitiensis", serait un croisement des différentes vanilles importées au XIXe siècle. La richesse du sol des îles volcaniques et le "métissage" des plants expliqueraient les qualités incomparables de la vanille des Iles de la Société.
Raiatea, Tahaa et Huahine dans les Iles Sous Le Vent connaissent un développement important de la culture de la vanille. Les plantations se modernisent avec la culture sous combrières. Les combrières sont des sortes de serres très aérées qui protègent le vanillier des insectes et des oiseaux. François nous les montre mais nous n'y pénétrerons pas car elles sont interdites aux visiteurs !
Nous sommes donc dans le jardin extérieur. Des dizaines de plants poussent en plein air. Certains sont en fleurs, d'autres supportent des gousses encore vertes mais de bonne taille. Avec une grande délicatesse, François nous présente une fleur.
Il nous dit que la vanille est une orchidée grimpante, qu'elle peut même atteindre 50 mètres de long. Le vanillier est une liane exigeante. Pour la cultiver, il faut d'abord planter un tuteur qui lui servira à la fois de support pour grimper et de parasol ensuite. Au bout de 2 ans ces lianes commenceront à fleurir.
En Polynésie sa culture est tout un art. François est intarissable sur le sujet. Sans l'intervention humaine, il n'y a pas de gousses. Il nous raconte que les européens ont découvert la vanille au Mexique où elle poussait, fleurissait et donnait de superbes fruits naturellement. Ils ont essayé de l'implanter ailleurs. Mais à leur grande surprise, la plante fleurissait sans donner de gousses. Il fallut longtemps aux botanistes pour comprendre qu'au Mexique, c'est l'abeille Mélipone, un insecte endémique dans la région, qui féconde la fleur de vanillier. Cet insecte est irremplaçable et on ne le trouve nulle part ailleurs. Quelques années plus tard, en 1841, sur l'île de La Réunion, un jeune esclave noir, parvint, seul, à trouver comment se substituer à l'abeille Mélipone. Sa méthode est expéditive mais simple : il faut marier les fleurs à la main.
Le mariage est donc réalisé en Polynésie par la main de l'homme. Comme la fleur de vanille est éphémère, il doit être effectué rapidement, le plus souvent aux premières heures du jour. Cette opération délicate est souvent confiée à des femmes. Il faut les doigts fins des marieuses pour récupérer le pollen sur une minuscule baguette de citronnier et le déposer sur le pistil sans abîmer la fleur. Avec une bonne habitude, on peut « marier » environ 3000 fleurs en huit heures.
Après cette pollinisation manuelle, la liane de vanille porte plusieurs gousses disposées un peu comme les haricots verts chez nous. Six à huit mois sont nécessaires pour que les gousses arrivent à maturité. Le fruit a alors atteint sa taille définitive, il est d'un beau vert brillant, mais n'a aucun parfum. La récolte dure plusieurs semaines.
Et ce n'est pas fini. Pour développer leur arôme, les gousses vont être séchées au doux soleil du matin, trois à quatre heures par jour, pendant plusieurs semaines. Après la séance de bronzage, la vanille, qui est encore chaude, est entassée dans des draps, puis mise en caisses afin de favoriser sa transpiration. Au cours de cette opération, les gousses vont perdre plus de la moitié de leur poids et se rider. Chaque gousse est régulièrement lissée et aplatie entre le pouce et l'index.
Ce travail va durer 6 mois. Petit à petit, elles vont diminuer de poids et prendre une couleur brun foncé.
L'affinage final est un secret propre à chaque plantation et jalousement gardé.
Il faut le sentir pour le croire. La vanille qui sèche en plein air embaume l'atmosphère dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres. Ce parfum n'a rien de comparable avec les parfums de synthèse ni même avec les bâtons que l'on trouve dans les rayons pâtisserie des supermarchés.
Nous sommes encore sceptiques. A Madagascar aussi cela doit sentir bon dans les séchoirs ! François s'insurge ! Contrairement à la vanille de Tahiti, l'espèce malgache doit être cueillie avant sa maturité car sinon, la gousse s'ouvre. C'est pour ça que la vanille de Tahiti a davantage d'arôme. La gousse reste charnue et souple même quand elle est mûre.
François nous a convaincu. Sa vanille est extraordinaire et nous lui en achetons. La promenade dans le jardin continue. Nous passons sous des papayers, des pamplemoussiers, des manguiers. A chaque arbre, François s'arrête et nous cueille des fruits. Nous repartons les bras chargés de pamplemousses, de papayes, de mangues et d'ignames. Il tient à ce que nous le prenions en photo avec nous et nous donne son adresse car il voudrait qu'on lui envoie le cliché développé. Une dernière bise et nous nous quittons pour continuer notre tour de Huahine.
A Fare, la rue principale est barrée ! Heureusement il y a une autre, et une seule autre d'ailleurs, pour que les voitures circulent !
Que se passe-t-il ? Quel est la raison de cet attroupement sur la petite place donnant sur le lagon ?
Nous nous approchons. Des dizaines et des dizaines de tubercules gigantesques jonchent le sol. Des hommes s'affairent autour de ces monstres tout récemment sortis de la terre où ils étaient enfouis. Les femmes regardent. Pour l'occasion, elles ont mis leur plus belle robe. Leurs cheveux sont ornés d'une couronne de fleurs. Celles qui craignent les terribles rayons du soleil tropical ont un chapeau qu'elles ont pris soin de décorer avec des couronnes de fleurs lui aussi.
Nous observons les hommes qui s'agitent. Elles sont si lourdes ces ignames qu'il faut trois ou quatre hommes pour en porter une seule. Le monstrueux tubercule est déposé dans une bâche que l'on suspend à une balance. Cette balance est accrochée à un tronc d'arbre que plusieurs hommes soulèvent avec peine jusqu'à ce que l'igname décolle un peu du sol. Le juge écrit alors le poids de l'énorme rhizome sur sa liste. Nous sommes en train d'assister à un concours qui a lieu tous les ans en juillet pendant le Heiva. Pendant l'année qui précède ce grand jour, chacun s'affaire dans son jardin en grand secret pour obtenir LE plus gros igname ayant jamais poussé en terre polynésienne. Le résultat est ahurissant ! Il faut le voir pour le croire ! Les gagnants du concours atteignent les 200 kg comme qui rigole !
Heiva veut dire « fête » en tahitien. Le Heiva a lieu en juillet dans les toutes les Iles de la Société et il est particulièrement important à Tahiti. Ce sont des grandes fêtes populaires qui sont l'occasion de réunir les artistes, les sportifs et les artisans polynésiens. Les festivités sont variées. Nous avons vu le concours des ignames mais il y a aussi le lever de pierre par exemple.
Cette tradition vient de l'archipel des Australes. La pierre pèse entre 80 et 100 kg. Les concurrents ont droit à trois essais pour hisser la pierre sur leurs épaules. Autrefois elle est enduite de monoï pour compliquer la tâche des guerriers qui s'affrontaient.
Il y a une autre compétition curieuse : la course des porteurs de bananes rouges. Les coureurs portent de trente à cinquante kilos de fruits sur des distances de près de deux kilomètres. Certes, le premier arrivé est le gagnant de la course, mais, pour le jury, la tenue du coureur et son habilité, sont au moins aussi importantes que sa rapidité.
Depuis que nous sommes arrivés dans les Iles Sous Le Vent, nous admirons tous les jours la rapidité des pirogues qui passent autour de Pro's Per Aim. C'est l'entraînement pour les courses. Les plus importantes ont lieu dans la rade de Papeete à Tahiti
D'autres sports traditionnels polynésiens sont à l'honneur lors des manifestations du Heiva comme le lancer de javelots. Il faut atteindre une noix de coco, fixée à 7,50 mètres de hauteur sachant que les concurrents sont placés à 20 mètres du poteau. Les lanceurs font preuve d'une dextérité et d'une technique remarquable. Ils doivent déjouer les facéties du vent, et surtout percer la noix de coco. Les javelots utilisés mesurent de deux à quatre mètres de long et sont taillés dans un arbre local appelé « Purau ».
Les orchestres de percussions s'entendent à des kilomètres et nous en profitons même sur le bateau. Le soir, on peut assister à des spectacles de chants et de danses. On élit le meilleur danseur ou la meilleure chanteuse de himene.
Avant l'arrivée des Occidentaux, la danse faisait partie de la vie quotidienne. Les Polynésiens dansaient pour manifester leur joie mais aussi pour accueillir des visiteurs, défier un ennemi, triompher dans une compétition, ou implorer les dieux. C'était également un moyen d'exprimer leurs sentiments en laissant leur corps parler. La danse était aussi utilisée à but éducatif, elle permettait d'enseigner les histoires ou les légendes de la Polynésie.
L'extravagance, la liberté et le caractère érotique de certaines postures effrayèrent les missionnaires qui firent interdire la danse. Aujourd'hui, elle se pratique essentiellement à l'occasion des concours organisés durant les festivités de juillet.
Les mouvement de base sont le « ori » pour la femme et le « pa'oti » pour l'homme. L'homme a les talons joints, le haut du torse reste immobile et les bras sont tendus. Ses genoux s'ouvrent et se ferment en de grands battements. C'est donc le pa'oti. Le ori, pour les femmes, est une belle ondulation des hanches. Elles ont aussi les talons joints, le haut du torse immobile et les bras tendus
Pendant le Heiva, toutes les activités sont faites pour exalter la beauté et le charme des vahine ainsi que la puissance et la bravoure des hommes tatoués.
Dimanche 6 Juillet 2008 - Baie d'Avea sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Cela fait deux jours que nous salivons rien que d'y penser. Ce midi, nous allons découvrir le fameux four tahitien ! C'est en discutant avec Mauna le patron de la pension de famille « Chez Tara » que nous avons appris qu'il faisait aujourd'hui un ahimaa. Il nous a proposé d'y participer. Nous avons entraîné avec nous au banquet des copains voyageurs. Tout le monde a sauté sur l'occasion car le four tahitien demande une préparation importante et il est beaucoup moins pratiqué de nos jours.
Le ahimaa est le terme tahitien qui désigne le four tahitien. En effet « ahi » signifie « feu » et « maa » la « nourriture ». Ce type de cuisson se fait à l'étouffée.
Mauna nous avait déjà montré son four et nous avait expliqué comment il s'en sert. Cette nuit il s'est levé à 3h du matin pour allumer le feu.
Ce four est constitué d'un trou creusé dans la terre d'environ 50 à 80 cm de profondeur. Celui de Mauna est de forme rectangulaire et il fait environ 3m sur 2m. Ce trou est rempli de bois et de bourre de coco, auxquels on met le feu, afin d'obtenir des braises. Des pierres ont été disposées par dessus. Ces pierres volcaniques et poreuses n'éclatent pas à la chaleur mais deviennent incandescentes.
La nourriture est enveloppée dans des feuilles de cocotier et de bananier et déposée dans un panier grillagé de la même dimension que le four.
Une fois la nourriture posée dans le four, l'ensemble est recouvert par des feuilles de bananiers, puis par une couche de sacs de coprah avec des pierres aux bordures. Le four est enfin comblé par une couche de terre qui permet la cuisson à l'étouffée.
Autrefois, les polynésiens pratiquaient le ahimaa tous les dimanches, c'était une coutume mise en place par les missionnaires catholiques. La plupart des familles possédaient un coin pour faire le ahimaa. On appelait cet endroit le « fare ahimaa» ce qui veut dire « la maison du four tahitien ». Le ahimaa était essentiellement préparé le samedi pour être ouvert le lendemain et servi après l'église ou le temple. De plus, lorsqu'une famille faisait un ahimaa , il était fréquent qu'elle invite ses voisins pour partager ce festin.
Tara, la femme de Mauna, a préparé de nombreux mets. A part la salade de poisson cru à la tahitienne, tout a cuit dans le four.
Nous goûtons à tout :
Il y a un ragoût de cochon sauvage et un mélange de légumes on l'on trouve de l'uru. L'uru est le fruit de l'arbre à pain et rappelez-vous, son histoire est intimement liée à la révolte du Bounty.
On trouve aussi du taro dont on mange le tubercule mais aussi les tiges et les feuilles. Sa valeur nutritive est, paraît-il, incomparable.
Nous découvrons enfin la banane rouge. On ne la mange que cuite et malgré ça elle reste un peu lourde à digérer. J'aime bien son goût mais Guy l'apprécie moins.
Pour le dessert nous dégustons du poe banane. Ce sont des bananes jaunes cuites dans l'eau, réduites en purée et mélangée avec de l'amidon. On met la préparation au four tahitien et quand on la sort on ajoute du lait de coco. C'est vraiment délicieux et j'en reprends.
Nous quittons la table, un peu lourds mais ravis. Bonne digestion !
Lundi 7 Juillet 2008 - Ile de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Sur Huahine, il existe une seule ferme perlière. C'est parce que les huîtres se plaisent davantage dans les eaux claires des lagons des Tuamotu que dans ceux des Iles Sous Le Vent. Sur l'atoll de Toau dans les Tuamotu, nous avions participé au travail sur les nacres chez Valentine et Gaston. Avec eux nous avions procédé au déparasitage des nacres et à la seconde greffe. Nous avions vu les splendides perles noires apparaître au bout de la minuscule pince que Valentine introduisait à l'intérieur de l'huître entrouverte. Ce furent des moments intenses et empreints d'émotion.
La ferme perlière d'Huahine est plus importante que celle de nos amis Valentine et Gaston. On ne peut pas y travailler comme nous l'avions fait à Toau. Un bijoutier y est employé. Il donne libre cours à son imagination et crée de jolis bijoux en montant sur de l'or ou de l'argent les perles de la ferme. Attention ! Ce n'est pas une bijouterie avec une vitrine donnant sur une rue commerçante. Non ! Pas du tout ! La boutique est un petit fare posé sur ses pilotis, au milieu du lagon, là où l'eau est moins profonde. Pour s'y rendre, la ferme perlière met à disposition des clients potentiels une pirogue à moteur. Sur le trajet, le soleil anime l'eau bleu turquoise de mille reflets et on arrive devant la bijouterie qui trône, royale, sur un haut-fond de corail où les poissons multicolores nagent tranquillement. Peut-on imaginer une plus belle mise en valeur des bijoux ?
Le créateur est là. Il nous montre ses œuvres. Il y en a avec les belles perles bien rondes mais également avec les keshi et les mabe. Mais qu'est-ce que c'est ça ?
Et bien, un keshi est en fait une perle ratée. Parfois la greffe ne prend pas et l'huître rejette le nucléus. Le greffon qui avait été introduit en même temps que le nucléus donne quand même sa couleur et il se forme dans le manteau de l'huître une perle minuscule et difforme qu'on appelle keshi. Pour donner une idée de la taille, « Keshi » signifie « graine de pavot » en japonais.
Quant au mabe, c'est une demi-perle qui se forme sur un noyau qui a été collé sur la coquille. Quand on le récupère, évidemment, on tue l'huître puisqu'il faut l'ouvrir et découper la nacre pour avoir le mabe.
Le keshi et le mabe sont très appréciés des bijoutiers pour leurs créations originales.
Dans la petite boutique au milieu du lagon bleu, nous ne savons pas où donner de la tête. Les bijoux sont tous plus beaux les uns que les autres. Nous ne pouvons pourtant pas tout prendre ! J'aime les boucles d'oreilles et Guy m'en offre deux paires qui nous plaisent particulièrement. Quel magnifique souvenir de la Polynésie !
Nous quittons cette extraordinaire bijouterie et la pirogue nous ramène sur Huahine. Pendant le trajet du retour, le polynésien qui conduit l'embarcation nous conseille d'aller voir les anguilles sacrées dans le petit fleuve qui serpente dans Faie. Sacrées ! ? Qu'ont-elles de sacré ? Il nous propose de poser la question aux enfants qui seront là-bas. Ils connaissent la légende de ces anguilles aux yeux bleus.
Ils sont là ! Une demi-douzaine d'enfants jouent près du petit pont qui enjambe la rivière de Faie.
Iaorana ! Bonjour !
« Tu veux voir les anguilles Madame ? Regarde, elles sont là, dans le trou sur le bord du cours d'eau. »
Un enfant descend dans le fleuve. Oh ! Pas de risque qu'il se noie … il y a moins de 50 cm d'eau. Les anguilles ont l'habitude. Elles pointent la tête hors de leur trou. Elles savent que l'enfant va leur donner un peu de poisson. Et nous les voyons sortir lentement, ondulant avec grâce. Elles se rapprochent de la main qui leur tend un peu de nourriture. Leur yeux nous apparaissent en pleine lumière. C'est vrai qu'ils sont bleus ! On ne nous a pas raconté d'histoire ! Incroyable ! Elles mesurent toutes plus d'un mètre de long. Les plus grosses atteignent bien deux bons mètres pour un diamètre très honorable … comme ma cuisse à peu près ! Nous les observons longuement.
La question nous revient en mémoire. Qu'ont-elles de sacré ? Les explications fusent, cela nous semble bien embrouillé, chacun y va de sa version. Il est question de princesse, non, ce n'est pas une princesse mais une déesse ! Elle s'appelle Hina. Là-dessus, ils sont tous d'accord. Elle doit se marier. Bon ! Et puis ? Les enfants continuent avec une histoire d'anguille et tout se termine avec le premier cocotier. Nous sommes un peu perplexes. Le récit n'est pas très clair, c'est le moins que l'on puisse dire. Il va falloir trouver de la documentation un peu plus structurée.
Mauruuru ! Merci !
Nana, Parahi ! Au revoir !
Voici la version de la légende de l'anguille et du cocotier que nous avons dénichée :
Il était une fois une très belle princesse nommée Hina qui vivait à Tahiti dans le district de Mataiea. Elle était la fille du Soleil et de la Lune.
Un beau matin Hina, la jolie princesse, se leva la première, bien avant l'aube. Hina réveilla ses deux servantes et toutes trois partirent cueillir des fleurs blanches de tiare et celles multicolores des frangipaniers. Il leur fallait aussi un bougainvillier. Ses fleurs rouges et mauves complèteraient agréablement la tenue de Hina. Les deux servantes choisirent les plus belles feuilles et les plus belles fleurs et composèrent une couronne superbe, qu'elles posèrent sur les longs cheveux bruns et lisses de leur princesse.
Hina, pendant ce temps avait drapé gracieusement autour de son corps un pareu d'une éclatante blancheur. Ce jour là devait être jour de fête car la princesse allait épouser le roi du lac Vaihiria. Hina n'avait jamais vu son futur époux.
Parée de ces insignes royaux Hina, impatiente et curieuse, se mit en marche vers le lac Vaihiria. Ses serviteurs, ses servantes et tous les membres de sa famille marchaient derrière elle. Des musiciens rythmaient la marche avec des percussions. Hina, légère et joyeuse, remonta la rivière Vaihiria sautillant de rocher en rocher. Le chemin devint plus étroit et plus raide. Hina comprit qu'elle était presque arrivée. En effet, quelques instants plus tard, le lac était devant ses yeux. Son eau verte, un peu sombre, était à peine troublée par le léger souffle du vent.
Tout à coup, du centre du lac, s'éleva un tourbillon étincelant, qui éclata en mille gouttelettes d'argent autour d'une anguille géante, magnifique, l'anguille royale du lac Vaihiria. Elle était superbe, longue et large comme un tronc d'arbre. Sa peau était aussi luisante qu'un rayon de lune. Dressée, elle se tenait droite, immobile et regardait tendrement sa fiancée. C'était Fa'aravaia nuu, le royal époux à qui la princesse avait été promise...
Terrorisée, horrifiée, la pauvre princesse ne pouvait détacher ses yeux de cette longue forme ondulante. L'anguille avançait sans bruit, lentement, si lentement, totalement fascinée par la beauté lumineuse de Hina.
Tout à coup, Hina, bousculant serviteurs et servantes musiciens et parents, se sauva .
Elle fuit et alla se mettre sous la protection du grand Maui. De la falaise de Vairao où ils s'étaient réfugiés, tous deux aperçurent l'anguille qui venait chercher Hina. Maui jeta son hameçon qu'il avait appâté avec une mèche des beaux cheveux de la jeune fille et s'écria :
"De mon fief, aucun roi ne peut s'échapper, il deviendra nourriture pour mes dieux. ".
L'anguille avala l'appât et l'hameçon, et fut capturée.
"Hina, tu ne pourras pas m'oublier, dit-elle. Un jour tu prendras ma tête dans tes mains, tes yeux chercheront mes yeux et tes lèvres se poseront sur ma bouche."
A ces mots, Maui ne put contenir sa colère. Il saisit sa hache et d'un seul coup décapita le monstre. Il enveloppa la tête dans un morceau de tapa et la donna à Hina. Il lui recommanda de ne pas poser le paquet à terre avant d'être arrivée chez elle :
" La tête de l'anguille renferme de grands trésors pour ton peuple et toi. Va et n'oublie pas mes paroles. "...
Hina, délivrée, apaisée, remercia Maui. Elle prit le paquet étrangement léger et se mit en route.
Au bout de quelques heures de marche, Hina eut soif. Il faisait si chaud ! Par bonheur, une rivière longeait le sentier. Elle posa le paquet et but l'eau fraîche. Elle la trouva si claire et si limpide qu'elle eut envie de se baigner.
A peine avait-elle plongé dans l'eau, qu'elle se souvint des paroles de Maui. Elle remonta en hâte sur la rive et constata que le tapa s'était dénoué laissant échapper la tête de l'anguille. La terre avait englouti la tête du monstre. A l'endroit même où elle avait disparu, une plante jaillit du sol et se mit à grandir. Elle devint un arbre étrange, ressemblant à une immense anguille dressée, la tête vers le soleil : le premier cocotier venait de naître.
Les jours passèrent. Une grande sécheresse survint et seul le cocotier résista.
Hina qui avait regardé l'arbre grandir et fleurir, se souvint des fruits étranges qu'il portait. Elle prit une des noix. Une eau chantait à l'intérieur. Pour la boire, elle fit débourrer la noix et percer un des trois yeux. C'est alors qu'elle se souvint des paroles du roi du lac de Vaihiria.
"Un jour, tu prendras ma tête dans tes mains et tes yeux chercheront mes yeux et tes lèvres se poseront sur ma bouche"
Hina sourit, un peu troublée, et but à long trait cette eau si fraîche.
Les hommes, les femmes et les enfants goûtèrent eux aussi ce fruit qui contenait une eau sucrée et sur lequel apparaissaient trois taches sombres, dessinant les yeux et la bouche de l'anguille.
Et c'est depuis ce temps là que les cocotiers poussent dans les îles .
Jeudi 10 Juillet 2008 - Baie de Faaroa sur Raiatea dans les Iles Sous Le Vent
Nous avons quitté Huahine ce matin. Les prévisions météo annoncent de la pluie pour les jours à venir et il était plus agréable de faire la navigation sous le soleil. La passe pour sortir était calme même si nous étions encadrés par de superbes déferlantes de part et d'autre. Des surfeurs s'en donnaient à cœur joie. Leur habilité à glisser sur ces monstrueuses montagnes d'eau bouillonnante est impressionnante. Le bruit des vagues qui s'écrasent sur le récif donne une touche dramatique à l'ensemble. Qu'il est petit, cet être humain sur sa planche quand il s'élance pour prendre une déferlante !
Nous voici devant la passe Irihu à l'ouest de Raiatea. La navigation a été sans histoire et courte car les îles d'Huahine et de Raiatea sont proches. A chaque nouvelle passe, nous sommes tendus. Dans les Tuamotu, nous avions vécu des instants difficiles avec celle de Fakarava. La leçon d'alors a porté ! Nous nous préparons toujours au pire.
L'entrée dans le lagon de Raiatea se fait tranquillement. Peu de vent, pas trop de houle et tout se passe bien. Tant mieux, c'est plus cool comme ça !
Devant nous s'ouvre une grande baie étroite et profonde. C'est la baie de Faaroa dans laquelle nous nous proposons de passer quelques jours. Il est difficile de mouiller sur Raiatea car les fonds avoisinent souvent les 25-30 mètres et c'est beaucoup. Mais au fond de la baie de Faaroa, nous jetons l'ancre par 15m de fond. Ca ira, le bateau est bien accroché et le soleil est encore haut dans le ciel. Comme il est prévu qu'il pleuve demain, nous voulons profiter de la belle lumière de l'après-midi et nous prenons l'annexe pour nous diriger vers l'embouchure du fleuve Aoppomau. Il se jette au fond de la baie et il est le seul cours d'eau navigable de Polynésie. En France quand on parle de fleuve, on pense tout de suite à la Loire ou à la Seine. Un peu comme si un fleuve était une grande rivière. Evidemment, ici, l'Aoppomau est bien un fleuve puisqu'il se jette dans la mer mais il est très modeste. D'ailleurs le passage de l'embouchure est délicat parce que l'hélice du hors-bord risque de toucher le fond. C'est dire !
Tout de suite le petit cours d'eau s'enfonce dans la végétation luxuriante. Au bout d'une centaine de mètres, il se resserre et les arbres des deux rives rejoignent leurs feuillages pour former une voûte au-dessus de nos têtes. La lumière est extraordinaire. Pas une ride ne trouble la surface du fleuve qui offre aux cocotiers et aux bananiers un miroir où le vert de leurs palmes se détache sur le bleu du ciel.
Nous continuons doucement notre pénétration dans cette jungle. On s'attendrait presque à entendre des singes hurleurs comme à Panama mais nous savons bien qu'il n'y en a pas ici. Au bout d'un bon kilomètre de remontée nous atteignons des rapides. Le courant n'y est pas très fort mais il n'y a plus assez d'eau pour continuer en annexe. C'est le moment de faire demi-tour. Nous redescendons en pagayant pour mieux profiter des bruits de la jungle. Au détour d'un méandre, un homme nous interpelle depuis la rive.
Bonjour ! Iorana !
Il est en train de s'occuper de ses bananiers et nous propose un régime. Il en a trop et les fruits vont se perdre. Dieu n'aime pas cela, nous dit-il. Nous acceptons le cadeau avec plaisir et nous chargeons l'annexe. La conversation commence, d'abord sur tout et rien. Il s'appelle Mingo.
Nous lui demandons s'il est né sur Raiatea. Non ! Il vient de Tahaa. C'est presque pareil puisque les deux îles sont enfermées dans le même lagon. Tahaa est au nord et sa grande voisine Raiatea occupe le sud.
J'avais lu quelque part une légende sur la formation de ces deux îles. Je pose la question à Mingo. S'il la connaît, peut-il nous en parler ?
« Non ! Pas question, répond-il vivement ! Toutes ces histoires sont fausses. Il n'y a qu'une seule vérité, celle de Dieu. C'est lui qui a créé le monde et l'homme. Quand mes ancêtres croyaient à ces légendes, ils étaient des sauvages. Heureusement que l'Evangile est arrivé en Polynésie avec les missionnaires pour nous sauver moi, les miens et tous les peuples des mers du Sud. »
Nous échangeons un regard avec Guy. Tout ce discours nous rappelle celui de Valentine ou d'Emile ou d'autres polynésiens avec lesquels nous avons discuté. Nous constatons une fois de plus à quel point les missionnaires ont été efficaces dans leur mission d'évangélisation commencée il y a un peu plus de 200 ans.
Mais j'aime les légendes et les mythes fondateurs. Rentrée sur Pro's Per Aim, je recherche dans mes documents et je retrouve l'histoire que je vais vous raconter.
Il y a très longtemps, Raiatea et Tahaa ne formaient qu'une seule grande île appelée Ha-va-i-'i-nui ce qui signifie en tahitien « Grand-espace-invoqué-qui-remplit ».
Un jour, les prêtres entreprirent la construction d'un nouveau marae. Pour que rien ne trouble l'atmosphère sacrée, le silence devait être total. Aucun coq ne devait chanter, aucun chien ne devait aboyer, personne ne devait se déplacer. Il ne fallait surtout pas risquer la colère des dieux.
Pendant cette période, une belle jeune fille nommée Terehe n'en fit qu'à sa tête et alla se baigner dans la rivière. Les dieux, irrités, firent sortir d'un trou une grande anguille, qui avala d'une seule bouchée la belle Terehe. La jeune fille s'empara de l'esprit de l'anguille qui devint enragée. Elle bondissait de tous côtés en détruisant tout sur son passage. Elle dévora ainsi le milieu de l'île, ce qui forma' un détroit qui sépara la grande île de Ha-va-i-'i-nui en deux îles distinctes.
C'est ainsi que se formèrent dans le même lagon les deux îles de Raiatea et Tahaa.
L'histoire de cet animal mythique en Polynésie ne s'est pas terminée ainsi. Voici la suite :
L'anguille grandit de plus en plus et devint un énorme poisson. Les dieux le confièrent au grand sorcier Tu-rahu-nui qui mît le gigantesque poisson sur sa tête et se dirigea vers l'Est. L'étrange équipage prit le nom de TAHITI-NUI.
OROHENA, la première nageoire dorsale était la partie la plus haute de cette île curieuse qui dérivait vers l'Est. TAHITI-ITI et MOOREA étaient la deuxième nageoire dorsale, mais Moorea tomba à l'eau tandis que Tahiti-Iti suivait dans le sillage de Tahiti-Nui. Le poisson TAHITI s'arrêta enfin, mais il était nécessaire de l'empêcher de bouger pour qu'il demeure éternellement à la même place.
Des guerriers arrivèrent en pirogue pour couper les tendons du poisson. Ils essayèrent, tour à tour, mais en vain. Le célèbre Ta-fa'i alla chercher une hache très grande et très lourde qui avait beaucoup de pouvoir. Il invoqua Tino-rua, seigneur de l'océan, et la hache devint légère dans ses mains. Tafa'i se mît à couper le poisson Tahiti et il cessa lorsque tous les tendons furent tranchés.
La grande chaîne de montagnes, qui dominait Tahiti, fut ainsi coupée en deux parties. L'endroit où Tafa'i frappa, forma un isthme appelé maintenant Taravao. C'est ainsi que le territoire du grand Tahiti devint stable.
De nos jours, l'isthme de Taravao sépare Tahiti en deux parties. Au nord la plus grande des deux s'appelle Tahiti-Nui et au sud la petite se nomme Tahiti-Iti. En tahitien, Nui veut dire « grand » alors que Iti signifie « petit ». Le plus haut sommet de Tahiti-Nui s'appelle Orohena comme la première nageoire dorsale du gigantesque poisson. Il culmine à plus de 2000m.
Quant à Moorea, l'île proche de Tahiti, souvenez-vous, c'est une part de la deuxième nageoire dorsale qui était tombée à l'eau entre Raiatea et l'arrêt du poisson Tahiti.
Dans la mythologie tahitienne, Raiatea est donc considérée comme l'île la plus ancienne, celle qui a donné naissance aux autres îles alentours.
Dimanche 13 Juillet 2008 - Baie d'Hotupuu sur l'île de Raiatea dans les Iles Sous Le Vent
Il pleut depuis plusieurs jours. Le temps est maussade, le ciel est gris. Les températures sont fraîches, c'est l'hiver polynésien ! Le soir, on endure un tee-short et la nuit, on dort avec le drap. Ce n'est pas très grave, nous avons du temps et quelques jours sans un beau soleil ne vont affecter notre moral.
Ce fut même le prétexte à une super soirée « crêpes » vendredi soir avec nos amis américains Tom et Dawn. Nous étions bien au chaud dans le carré à nous régaler pendant que la pluie martelait le pont.
Ils sont partis pour Tahaa dès le lendemain matin et nous sommes restés dans la baie de Faaroa avec l'intention de suivre la côte au vent vers le sud dès que le soleil se montrera.
Ce matin, il fait meilleur et le ciel est peu nuageux. Nous appareillons pour la baie d'Hotopuu. Ce n'est pas très loin. Une bonne heure de navigation et nous y serons. Juste avant d'entrer dans la baie qui s'enfonce profondément dans les terres, nous longeons les fameux marae du site de Taputapuatea.
On reprend TA-POU-TA-POU-A-Té-A. On respire...
Certains noms polynésiens à rallonge sont vraiment difficiles à dire. Il y a plein de voyelles et notre langue française ne nous a pas habitués à cette gymnastique.
La baie d'Hotopuu est grande. Pourtant aucun autre voilier n'y est mouillé. C'est normal ! Les fonds atteignent 30 à 35 m et cela rend les mouillages compliqués et moins sûrs. Pour la première fois, nous laissons filer toute la chaîne et nous en avons 70m. Mais cela ne suffira pas, il faut rallonger avec du câblot. Nous connaissons la théorie mais nous n'avons jamais eu besoin de passer à la pratique. Nous cafouillons un peu puis nous trouvons la technique pour passer de la chaîne au câblot et unir le tout, sans perdre la chaîne et l'ancre au fond par maladresse. Nous lâchons 20m de câblot en plus des 70m de chaîne. Parfait, nous sommes bien accrochés.
Zut ! Il se met à pleuvoir. Heureusement que les manœuvres de mouillage sont terminées ! Nous déjeunons puis, à la faveur d'une éclaircie, nous prenons l'annexe pour aller visiter le site des marae que nous avons aperçu depuis Pro's Per Aim tout à l'heure. Le ciel reste couvert mais il ne pleut plus.
Raiatea échappe au tourisme qui dévaste Tahiti et Bora Bora. D'ailleurs peu d'entre nous connaissent son existence. Cette île est pourtant le berceau de la culture polynésienne et le centre politique, culturel et religieux des anciennes civilisations de l'ensemble du Pacifique.
Là il faut faire un peu de géographie. Si on ouvre un atlas à la page « Pacifique », on trouve au nord-est les îles Hawaï, au sud-est la fabuleuse île de Pâques et complètement de l'autre côté, à l'ouest, la Nouvelle Zélande. Ce sont les trois sommets de ce qu'on appelle le triangle polynésien. Si on le trace, on constate que Raiatea en est le centre.
Les légendes racontent que c'est à partir de Raiatea que les Polynésiens ont conquis l'ensemble de la Polynésie Française actuelle, l'île de Pâques, les îles Hawaï et la Nouvelle Zélande. De Raiatea, centre du triangle, ils se seraient peu à peu installés sur toutes les îles du triangle polynésien.
Mythe ou réalité ?
Ce n'est pas à moi de trancher mais ce qui est certain c'est qu'il reste à Raiatea de nombreux vestiges de cette
- Premièrement une fonction religieuse : c'était un lieu de culte
- Deuxièmement une fonction politique : tous les gouvernements devaient avoir un marae, c'était le lieu de consultation des chefs
- Troisièmement une fonction sociale : il indiquait la position sociale. Plus un marae était ancien et important, et plus les ayant droits étaient d'un rang élevé.
- Quatrièmement une fonction foncière : le nom du marae était toujours placé avant le nom d'un propriétaire. Il indiquait non seulement le rang mais servait aussi de titre de propriété.
A ce propos il y a une histoire amusante.
Lors de son départ de l'île de Raiatea, le Capitaine anglais Cook fut bien ennuyé lorsque le chef Oro lui demanda le nom de son marae. Pour un polynésien, un homme qui n'avait pas de marae ne pouvait pas être un grand chef. Or le Capitaine Cook était considéré comme un grand chef. Le célèbre explorateur anglais ne manquait pas de répartie et il s'en tira en donnant le nom de sa paroisse londonienne...
Le site des marae de Taputapuatea est le plus grand d'Océanie. Le marae le plus important dans ses proportions a été qualifié de « marae international » car, au XVIIIè siècle, sa renommée était très étendue et la plupart des îles de la Polynésie le considérait comme le siège de la Connaissance, de la Religion et de l'Adoration. Régulièrement, les plus importants chefs religieux de tous les archipels se rassemblaient à cet endroit pour de grandes cérémonies religieuses. Ils venaient dans de grandes pirogues doubles, proches de nos actuels catamarans, et apportaient avec eux leurs offrandes dédiées au dieu Oro.
C'est ce passé historique qui a donné, à Raiatea, son surnom d'île « sacrée ».
A quoi ressemble un marae ?
Ce qu'il en reste, ce sont de grandes aires rectangulaires et dallées avec de gros blocs de pierres basaltiques ou de corail. Parfois on y voit des ahu qui furent des autels où les prêtres officiaient et qui étaient interdits au commun des mortels. Les ahu sont des sortes de terrasses qui dominent la surface pavée. Des pierres dressées servaient à la fois de reposoir aux ancêtres ou aux Dieux, et de dossiers aux officiants. D'après la tradition orale et les récits des premiers explorateurs, on sait que le site comportait également des constructions comme le "fare ia mahana" c'est à dire « la maison des trésors sacrés ». Ces trésors n'étaient autres que les tambours, les nattes, ou les vêtements des prêtres par exemple. N'oublions pas le "fare tupapa'u", où l'on célébrait le culte des morts.
Il y a donc plusieurs marae sur ce site.
Celui d'Hauviri se trouve au bord du lagon, face à la passe. Il était facile d'accès pour les pèlerins venus en pirogues apporter leurs offrandes. Au XVIIIè siècle, alors que le culte d'Oro, le dieu de la guerre, était à son apogée, on y pratiquait des sacrifices humains.
Sur le marae de Tauraaa, le « roc blanc de l'investiture » est une monumentale plaque de corail contre laquelle était placé le fauteuil du prince ou de la princesse maori durant la cérémonie d'investiture. Les plus folles histoires courent sur ce gros caillou : on raconte que sous chaque angle, on avait enterré vivant un homme dont l'âme montait la garde autour du prince ou de la princesse.
Depuis les Marquises nous avons visité de nombreuses ruines de Marae, mais celles-ci sont les plus imposantes de toutes et parmi les mieux restaurées. Malheureusement il n'en reste que peu de chose, les missionnaires ayant exigé qu'ils soient tous détruits … Vous avez dit ethnocide … ?
Lundi 14 Juillet 2008 en pleine navigation dans le chenal qui mène au sud de Raiatea.
Nous levons l'ancre avec l'idée de contourner Raiatea par le sud et de rejoindre un mouillage près de la passe Toamaro qui ouvre le lagon sur l'océan au sud-ouest de l'île.
Nous savons d'après les instructions nautiques que c'est une navigation difficile à cause des nombreuses patates de corail qui parsèment le lagon au sud. D'ailleurs les loueurs de bateaux la déconseillent à leurs clients de peur qu'ils ne s'échouent sur les récifs.
Mais nous tentons l'aventure, forts de nos 60 cm de tirant d'eau. Pro's Per Aim est un OVNI, c'est à dire un dériveur en aluminium ce qui nous autorise des audaces que les quillards ne peuvent pas se permettre.
Une surprise nous attend le long de la côte sud. Les eaux sont très troubles, on ne voit plus les fameuses couleurs du bleu profond au turquoise très clair qui guident d'habitude notre navigation. Les cartes ne sont pas très exactes, il n'y a que quelques balises de loin en loin pour nous indiquer où passer. Nous sommes tendus, Guy avance très lentement et même si je ne vois pas les fonds, je suis à l'avant. Dans ces cas-là, nous trouvons le temps long et nous profitons mal du paysage. Pourtant les montagnes se découpent sur le bleu du ciel et leurs pentes vertes plongent directement dans le lagon laissant à peine la place à une étroite bande à peu près plate le long du rivage. C'est là que sont les fare, ces maisons polynésiennes autrefois recouvertes de niau, c'est à dire de palmes de cocotiers, et maintenant protégées par des tôles ondulées ce qui est nettement moins exotique mais certainement plus pratique.
Nous voici enfin arrivés. Un vrai mouillage de carte postale !
Devant nous, un idyllique petit motu ourlé d'une magnifique plage de sable blanc. Il est couvert de cocotiers et les hibiscus apportent leur touche colorée. Le soleil décline sur l'horizon et la lumière y est si belle !
Mardi 15 Juillet 2008 - Motu Toamaro sur l'île de Raiatea dans les Iles Sous Le Vent
Nous décidons d'aller faire un tour sur le motu. L'approche avec l'annexe est lente car il faut faire très attention au corail qui affleure par ci par là. A peine à terre, alors que l'annexe n'est même pas encore attachée à un cocotier, nous sommes attaqués par des moustiques. Un nuage de ces sales bestioles nous entoure et bien évidemment, nous n'avons pas pensé à nous enduire de répulsif. Les petites bêtes l'emportent sur les deux grosses. Nous battons précipitamment en retraite.
Vu de loin, on imagine que le petit motu de Toamaro est un paradis sur terre, mais en fait c'est l'enfer !
Nous en profiterons de loin au coucher du soleil, lorsque la lumière rasante dorera le sable de la plage et les palmes des cocotiers.
En attendant ce soir, nous en faisons le tour et de l'autre côté, dans les déferlantes de la passe, des surfeurs s'en donnent à cœur joie, nous offrant un joli spectacle.
Mercredi 16 Juillet 2008 - Motu Toamaro sur l'île
de Raiatea dans les Iles Sous Le Vent
Pas un souffle d'air aujourd'hui. Pas un nuage, pas une ride sur l'eau. Il y a moins de 3m d'eau sous le bateau, une eau claire et parfaitement transparente sur un beau fond de sable.
Toutes les conditions sont réunies pour que nous essayions de réparer le radar. Il faut dire qu'il est fixé sur le portique, au-dessus de l'eau, à l'arrière du bateau. Si nous laissons tomber une vis ou un outil, il nous sera possible de le récupérer sous l'eau. Jamais nous n'avons eu une si belle opportunité depuis qu'il ne fonctionne plus.
C'est parti ! Guy ouvre le couvercle et il constate tout de suite que la courroie qui entraîne le bidule qui tourne et qui envoie des ondes pour repérer les navires au loin, bref … que cette courroie a sauté. Ce n'est pas la première fois que ça arrive et il se doutait que cela pouvait être la cause de la panne. Nous avions même eu un échange standard avant de quitter la France et le nouveau radar était retombé en panne tout pareil. Ce doit être un défaut de ce modèle. Au fait … le bidule qui tourne s'appelle « l'antenne » paraît-il.
Comme un fait exprès, il nous manque LA clé pour resserrer l'axe minuscule qui entraîne la courroie. Un seul bateau est au mouillage à côté de nous. Ce sont deux américaines, des surfeuses qui passent leur temps dans les déferlantes de la passe toute proche. Nous attendons qu'elles reviennent et Guy va leur soumettre notre problème. Super ! Elles ont pile poil l'outil qu'il nous faut.
Le radar fonctionne à nouveau. Il reste un autre disfonctionnement mais la réparation est du ressort d'un spécialiste. Nous devrions quand même pouvoir l'utiliser pour nos prochaines traversées. Mais dès que possible, nous remplacerons ce radar défaillant par un tout neuf et surtout plus fiable.
Vendredi 18 Juillet 2008 - Marina CNI sur l'île de Raiatea dans les Iles Sous Le Vent
Hier nous avons quitté le mouillage du motu de Toamaro et nous sommes maintenant accrochés à un corps-mort du Chantier Naval des Iles au nord de Raiatea. Si on excepte Tahiti, Raiatea est la seule base nautique de Polynésie. On y trouve des chantiers navals et il y a la possibilité de sortir le bateau pour un carénage ou une mise à sec.
Demain c'est samedi, nous voulons donc faire nos courses au supermarché d'Uturoa aujourd'hui. Uturoa est la seconde ville de Polynésie après Papeete. Ca n'est pourtant qu'un petit village malgré tout équipé d'un quai grandiose qu'ils appellent «quai d'honneur». Les paquebots de croisière y accostent. Il y a deux rues principales, parallèles au lagon et dont on fait le tour rapidement.
Uturoa est à plusieurs kilomètres du Chantier Naval. Ce n'est pas un problème car le stop marche bien en Polynésie. En moins de 5 minutes nous trouvons un pick-up flambant neuf qui nous dépose en ville.
Il nous faut du matériel de pêche. On peut trouver de tout au quincaillier-bazar. Ensuite nous filons au supermarché avec l'intention de faire un gros plein. Comme la grande majorité des commerces, le quincaillier et la grande surface sont tenus par des chinois.
On raconte que les premiers chinois seraient arrivés à Tahiti à la fin du XIXè siècle en 1851. Toujours est-il que le 28 février 1865, un homme d'affaire écossais, peu scrupuleux à ce qu'il paraît et pour lequel les indigènes ne voulaient pas travailler, fit venir un premier contingent de 329 chinois. Employés comme main-d'oeuvre, ils étaient destinés à planter du coton dans une vallée de l'île. D'autres chinois arrivèrent ensuite. Le projet fit faillite et les chinois ne purent pas être tous rapatriés. Ils s'installèrent dans toute la Polynésie et, au fil des années, se convertirent en habiles commerçants, s'intégrant sans difficulté à la population autochtone. Actuellement, les Polynésiens d'origine chinoise forment 5 % de la population. Bien que l'aspect visible de l'impact de la communauté chinoise se remarque surtout dans le domaine commercial, il n'est pas rare aujourd'hui de voir des Polynésiens d'origine chinoise dans toutes les professions libérales, dans le secteur tertiaire et même religieux. Ils sont particulièrement présents dans la perliculture.
Raiatea est une île plus grande et plus peuplée que Huahine où nous étions le mois dernier. Paradoxalement, le supermarché y est plus petit et moins bien achalandé. Nous avons quand même deux chariots pleins quand nous arrivons à la caisse. Nous ne sommes pas inquiets pour le retour au bateau avec tout ce chargement car nous savons qu'ils livrent. Il suffit d'en avoir pour plus de 15 000 francs pacifique, autrement dit 125 euros et ils nous ramèneront au Chantier Naval où nous avons laissé l'annexe. Vu les prix en Polynésie, nous dépassons la limite requise à l'aise et nous revenons en camionnette avec nos cartons remplis.
Il était temps de rentrer car la pluie se met à tomber et la météo prévoit un temps bien pourri pendant plusieurs jours. Pas grave ! Nous avons des bricolages à faire à bord et puis nous sommes dans une zone wifi ce qui signifie qu'on reçoit Internet sur Pro's Per Aim. Nous pourrons donc consulter nos e-mails et mettre notre site web à jour.
Fin Juillet 2008 - Ile de Bora-Bora dans les Iles Sous Le Vent
Il y a quelques jours déjà que nous avons quitté Raiatea, première des îles Sous-le-Vent par le nombre d'habitants et pourtant beaucoup moins connue que Bora-Bora.
Qui n'a jamais entendu parler de Bora-Bora ?
Des photos de ses extraordinaires paysages couvrent les murs et les devantures des agences de voyage partout dans le monde. On y voit les eaux translucides de son lagon exceptionnel qui miroitent au soleil. Les dégradés de turquoise et de saphir contrastent avec les verts des pentes montagneuses de l'ancien volcan. La silhouette unique et si élégante des sommets se découpe sur le bleu du ciel que les petits cumulus des alizés décorent. Le récif-barrière abrite de nombreux motu, ces îlots recouverts de cocotiers, et dont les plages de sable blanc font le bonheur des visiteurs.
Bora-Bora, dite « La Perle du Pacifique », le paradis sur terre !
Revenons à des propos plus terre-à-terre. On sait que Bora-Bora est en Polynésie et plus précisément au nord-ouest de Tahiti. 275 kilomètres séparent ces deux îles. Bora-Bora est une des plus anciennes îles de la Société. Son motu principal ne fait que 9 km de long sur 4 de large et le lagon occupe trois fois plus de surface que l'ensemble des terres émergées. En fait, Bora-Bora est presque un atoll, à mi-chemin entre les vrais atolls des Tuamotu et les îles hautes comme Tahiti ou Moorea . Pour vous donner une idée, Bora-Bora serait âgée de 7 millions d'années environ et Tahiti n'aurait que 2 à 3 millions d'années.
Toutes les îles de la Polynésie française ont la même origine volcanique. Ce qui fait qu'elles sont si différentes les unes des autres, c'est leur âge.
Il y a longtemps, très, très longtemps, entre 10 et 40 millions d'années, les atolls des Tuamotu étaient des volcans dominant l'océan depuis leurs pentes couvertes de lave. Tout autour de ces îles hautes, dans les eaux peu profondes, le corail se mit à se développer pendant que la montagne s'enfonçait doucement dans la mer. Au fur et à mesure que le sol s'enfonçait, le corail continuait à se développer en hauteur, cherchant la lumière du soleil. Et ces belles montagnes à la végétation luxuriante s'entourèrent d'un récif corallien protégeant les lagons aux eaux bleu turquoise. Inexorablement les montagnes poursuivirent leur descente au fond de l'océan. Les millions d'années passant, elles finirent par disparaître ne laissant que les récifs entourant des mers intérieures qu'on appelle lagons.
Doucement, très doucement mais sûrement, l'île principale de Bora-Bora s'enfonce. Un jour, il n'y aura plus que le lagon et les motu sur le récif extérieur. Mais ce n'est pas pour tout de suite ! Soyez rassurés !
Pour le premier jour, nous mouillons sur un banc de sable face à l'océan, protégés des vents dominants par le motu Toopua. Nous sommes seuls, loin des autres voiliers qui ont préféré jeter l'ancre dans des eaux plus profondes, loin également de l'hôtel dont nous distinguons à peine les bungalows à la pointe sud du motu. Nous sommes à l'ouest et nous allons pouvoir profiter du coucher du soleil sur l'océan. A chaque fois, nous guettons le rayon vert mais il faut de la chance pour que le soleil nous l'offre. Il est rare que les petits cumulus de beau temps, ces jolis nuages portés par les alizés, soient absents du ciel tropical. Ce soir, aucun nuage ne nous cachera la chute de l'astre sur la ligne d'horizon.
Nos yeux sont rivés sur la boule rougeoyante qui tombe rapidement. Ca y est ! Elle touche l'océan ! Le soleil est entré dans l'eau. Dans quelques secondes, il aura disparu complètement. Mais juste avant, à l'instant ultime, peut-être … peut-être le verrons-nous le « Green Flash » comme disent Tom et Dawn, nos amis américains.
Nous retenons notre souffle … c'est bientôt le moment …
Waou ! Génial ! Belle émotion ! Nous l'avons vu ! Ce soir, il y a eu LE rayon vert et nous étions à Bora-Bora ! C'est magique ! La vie est belle ! Elle nous offre des moments uniques !
Nous avons promis à Tom et Dawn de les rejoindre pour passer avec eux les quelques jours qui leur restent en Polynésie Française. Ensuite ils continueront vers l'ouest.
Après une nuit dans notre mouillage isolé, nous les retrouvons dans la grande baie de l'île principale. Elle est dominée par la masse obscure du mont Otemanu. Les eaux y sont profondes, c'est pour cela que le Bloody Mary's, un restaurant connu de l'île, a installé des corps-morts pour les voiliers devant son ponton. L'endroit ne manque pas de charme et la décoration intérieure du resto est magnifique. Au fond de la salle de restaurant, près du vivier à langouste, une tombe recouverte de grosses pierres volcaniques nous surprend ! ! ! Elle est fleurie et entretenue. Qui donc a trouvé ici sa dernière demeure ?
Nous demandons…
Ce serait un employé du restaurant. N'ayant pas de famille, il avait souhaité rester parmi ses collègues dans le lieu où il avait travaillé si longtemps. Et là, je comprends votre étonnement. En métropole il y a des cimetières, on n'est pas enterré sur le lieu de son travail ! Dans les îles Sous Le Vent, c'est différent ! Devant la plupart des maisons, dans le jardin ou juste à côté de la terrasse, nous avons vu des tombes toujours fleuries. Ce sont les ancêtres qui reposent là où ils ont vécu. Les sépultures sont parfois sommaires mais très souvent elles sont abritées sous un petit toit et entourées d'une barrière.
Revenons à Tom et Dawn qui nous proposent un tour à la ville principale où ils veulent faire quelques achats. En dix minutes d'annexe nous y sommes. Le mythe de Bora-Bora se lézarde, laissant apparaître un commencement de réalité. Autant les villages polynésiens que nous avons vu jusqu'à maintenant étaient charmants, propres, bien entretenus et fleuris, autant Vaitape, la capitale de Bora-Bora, est sale et poussiéreuse. Dans la rue principale, les boutiques de souvenirs se disputent la place avec les bijouteries où les perles noires se vendent au prix fort. Il n'y a pas de trottoirs et les voitures passent vite sans prendre garde aux piétons et en soulevant des nuages de poussière. Depuis notre arrivée aux Marquises en mars, nous nous étions habitués à un accueil chaleureux. Mais, ici, les sourires et les bonjours spontanés se font rares.
L'histoire de cette île est un peu différente de ses voisines. Comme les autres, jusqu'au XIXe siècle, Bora-Bora a préservé son mode de vie traditionnel face au développement du reste du monde. On ne pouvait l'atteindre qu'en bateau et seuls quelques privilégiés profitaient de son lagon enchanteur. Mais la seconde guerre mondiale a mis brutalement l'île face à la triste réalité du monde moderne. Suite à la défaite de Pearl Harbour dans les île Hawaï, les Etats-Unis ont eu besoin d'une base dans le Pacifique. 5 000 soldats américains investirent l'île en décembre 1942. Ce fut l'opération « Bob-cat ». 20 000 tonnes de matériel furent débarqués. Une piste d'aviation longue de 2 000 mètres et 8 pièces d'artillerie furent installées. Entre-temps, le front s'était fixé dans les Philippines et la piste servit simplement d'escale aux long-courriers. Les Américains se retirèrent en juin 1946, laissant derrière eux quelques tankers, des bébés aux yeux bleus et la piste d'aviation qui relie dorénavant Bora-Bora au reste du monde.
Avec le développement du tourisme, profitant de l'extraordinaire cadre qui leur est offert, les hôtels de luxe ont investit les lieux. Aucun motu n'y échappe. Nous trouvons ces complexes hôteliers très laids. Les bungalows se donnent un air traditionnel avec leur toit en palme de cocotiers mais ce sont tous les mêmes, alignés en rang d'oignon sur des pilotis. Ils empiètent largement sur le domaine maritime et leur présence a complètement dénaturé le site grandiose de Bora-Bora. Ces bungalows nous ont semblé vides mais il paraît que l'air y est climatisé et que les touristes fortunés s'y confinent … Je veux bien, même si je trouve bizarre de parcourir la moitié du monde pour s'enfermer dans une chambre d'hôtel fut-elle « les pieds dans l'eau », comme ils disent !
Nous en avons vu quand même des touristes tout rouges de coups de soleil dans les magasins de Vaitape et sur les jet-skis, lancés à fond de moteur sur le lagon. Drôle de façon de profiter des beautés de la perle du Pacifique ! Cet avis n'engage que moi. Par contre il semblerait que les raies manta aient déserté le lagon. De là à penser que cette agitation mécanique et bruyante les a dérangées, il n'y a qu'un pas à franchir !
Ben, un polynésien né à Bora-Bora, tient un petit snack devant la seule plage publique qui reste sur l'île. Le seul endroit, d'ailleurs, où nous avons vu des familles locales profiter de leur dimanche de repos. L'évolution de son île attriste beaucoup Ben. Il nous a même dit que Bora –Bora avait perdu son âme.
Nous ne retrouvons pas à Bora-Bora la Polynésie que nous aimons tant. Ca nous serre le cœur de voir comment la cupidité de quelques-uns et la profonde sottise d'autres ont pu abîmer à ce point un des plus beaux lagons du monde.
Mercredi 23 Juillet 2008 - Baie de Povai sur l'île de Bora-Bora dans les Iles Sous Le Vent
Ce soir, nous allons dîner à terre dans le petit snack où Ben fait d'excellents cheese-burger comme en Amérique. Nous avons laissé l'annexe au ponton du Bora-Bora Hôtel. C'est le plus vieil hôtel de l'île et le seul que nous avons trouvé beau. Il est bien intégré dans le paysage et on s'y sent bien. Nous avons appris avec stupéfaction qu'il va être rasé car il ne soutient pas la comparaison avec les complexes hôteliers concurrents. Tout doit être refait. Qu'adviendra-t-il du seul endroit qui possède encore une âme ? Les polynésiens disent « mana » pour parler de cette impression quand on rentre dans un site, qu'il est riche de son passé et qu'il possède une vie qui lui est propre.
Après dîner, nous retournons donc au ponton du Bora-Bora Hôtel pour reprendre notre annexe et rentrer sur Pro's Per Aim. Un attroupement attire notre attention. Une bonne dizaine de japonais sont là avec des caméras numériques. On entend des « Oh ! », des « Ah ! » d'étonnement et d'admiration. Curieux, nous nous approchons et nous regardons là où tous les yeux sont rivés. Nous voici pris par le même tic ! « Oh !, Ah ! ».
Une énorme raie manta de 3m d'envergure environ, exécute un joli ballet dans les eaux éclairées le long du ponton. Elle va, elle vient, elle fait des loopings, nous montrant une fois son dos noir et le coup d'après son ventre blanc. Son énorme gueule est constamment ouverte pour filtrer le plancton dont elle se nourrit. Sa grâce est telle que des frissons nous parcourent. Quel bonheur ! C'est d'une beauté à couper le souffle.
Nous avions déjà rencontré ces magnifiques poissons mais jamais nous avions eu droit à un spectacle pareil.
La première fois c'était aux Marquises. Plusieurs manta, faisant entre un et deux mètres, avaient dansé autour de notre annexe pendant quelques minutes. C'étaient déjà de belles bêtes et, à l'idée qu'elles avaient la force de soulever notre embarcation, nous étions à moitié rassurés. Depuis, il nous est arrivés d'en voir voler. Elles sautent hors de l'eau et elles planent sur quelques mètres avant de retourner dans leur élément naturel.
Vendredi 25 Juillet 2008 - Motu Piti Aau sur l'île de Bora-Bora dans les Iles Sous Le Vent
Hier matin nous avons fait tout le tour de l'île principale de Bora-Bora et ce n'est qu'à l'extrême sud-est que nous avons pu mouiller dans un endroit tranquille et encore à peu près sauvage.
On nous a dit qu'au sud du mouillage, entre le motu Piti Aau et le récif-barrière, on peut nager dans le Jardin de Corail. Allons-y ! C'est à 5 minutes en annexe.
Déception ! Le Jardin de Corail ! Voilà une appellation bien pompeuse et même mensongère !
Certes il y a eu du corail puisque nous zigzaguons avec l'annexe entre les patates dans un à deux mètres d'eau. Mais il est mort. Les patates sont toutes blanches et pas un poisson ne nage autour. Que s'est-il passé ? Pollution, réchauffement des eaux ? Nous ne savons pas mais les dépliants touristiques continuent à appeler l'endroit « Jardin de Corail ».
A une centaine de mètres devant nous, un bateau est amarré à une petite bouée et trois enfants sont dans l'eau avec leur masque autour de leur père qui a pied. Que font-ils ? Il doit y avoir quelque chose à regarder sous l'eau. Nous nous approchons et nous nous mettons à l'eau nous aussi avec nos palmes, nos masques et nos tubas. Autour de l'homme et de ses enfants, nagent des dizaines de raies pastenagues et quelques requins pointes-noires.
Génial ! Nous évoluons avec eux. C'est une sensation extraordinaire que celle de nager avec ces gros poissons ! Les raies nous frôlent avec élégance, passent et repassent. Nous évitons les mouvements brusques pour ne pas qu'elles se sentent agressées. Elles ont quand même un dard sur leur longue queue qui les peut les rendre dangereuses. A ce propos, nous en croisons quelques-unes qui ont perdu leur bel appendice. Pourtant, elles se déplacent aussi bien que les autres, un peu comme les lézards sur terre, qui s'accommodent fort bien de la perte de leur queue.
Les requins ! Je les aurais presque oubliés. Il faut dire qu'ils sont moins effrontés que les raies. Ces grands prédateurs gardent un peu plus leurs distances quoique tout soit relatif ! Parce qu'aujourd'hui, c'est le pompon ! Jamais ils n'ont été aussi près de nous. Ils sont à deux ou trois mètres et semblent nous ignorer. Depuis que nous sommes en Polynésie, nous nous sommes habitués à nager avec eux. Il faut dire qu'ici, soit on accepte leur présence silencieuse et à tout dire, un peu inquiétante, soit on ne se met pas à l'eau.
Nous n'avions pas oublié notre appareil photo étanche. La lumière est superbe et les requins et les raies se détachent merveilleusement sur le fond de sable clair. Le zoom est inutile tellement les uns et les autres sont proches. Je fais une belle série de clichés pour immortaliser ces instants incroyables.
Pour l'après-midi, nous avons prévu une balade au lagoonarium. Avec l'annexe, il nous faut une vingtaine de minutes pour nous y rendre. Il est situé au beau milieu d'une zone remplie de bungalows hôteliers. D'après un dépliant touristique que je cite :
« Tortues, requins, raies et plein d'autres espèces de poissons du lagon et du large, nagent librement dans un parc à poissons étendu et peu profond où les guides expérimentés répondront à toutes vos questions. C'est sans danger et très informatif. »
Cette pub nous a laissé un tantinet circonspects. Nous n'apprécions pas les zoos et ça y ressemble. Allons voir quand même !
Une fois sur place, nous mesurons toute l'abomination de la chose ! Une petite baie le long d'un motu a été fermée par un filet, très moche par ailleurs, lequel filet emprisonne les poissons qui ont été mis dans cette immense piscine mi-naturelle, mi-artificielle. L'horreur, ce sont les cris que l'on entend. Vous savez comme dans les piscines archi-bondées l'été. Les visiteurs pataugent là-dedans en hurlant. Les requins, les raies et autres bestioles qui survivent à ça doivent avoir le cœur solide !
Demi-tour ! Nous ne rentrerons pas dans cet enfer. Un titre de Françoise Sagan nous revient en mémoire : « Bonjour tristesse » !
Mardi 29 Juillet 2008 - Baie de Povai sur l'île de Bora-Bora dans les Iles Sous Le Vent
Les prévisions météo sont bonnes. Nous partirons demain matin. Nous sommes restés neuf jours en tout et pour tout sur Bora-Bora, la soi-disant « Perle du Pacifique ». Les derniers jours nous les avons passés avec tous nos amis américains et canadiens qui continuent vers l'ouest alors que nous revenons vers l'est, vers Tahaa d'abord, puis Moorea et Tahiti.
Le ressenti est le même, sans exception, pour tous nos amis voyageurs. Bora-Bora a du être un des plus beaux lagons du monde mais il a été saccagé par des programmes immobiliers et touristiques anarchiques. Bora-Bora n'est plus du tout représentatif de la merveilleuse Polynésie que nous parcourons depuis déjà presque six mois et vers laquelle nous nous empressons de retourner.
Mercredi 30 Juillet 2008 - En mer entre Bora-Bora et Tahaa
Aujourd'hui est un jour un peu particulier !
Pour la première fois nous rebroussons chemin. Pro's Per Aim ne navigue plus vers l'horizon où se couche le soleil. Il pointe son étrave vers l'Est. Nous revenons vers Tahiti. Il va falloir remonter les alizés et cela risque de ne pas être très confortable. Avant Tahiti, nous avons prévu une escale à Tahaa qu'on surnomme l'île « vanille ».
Notre problème, c'est de remonter au vent dans des conditions acceptables. Nous avons choisi de partir ce matin parce qu'il y a une bonne fenêtre météo. Ce qui veut dire que les alizés et la houle sont modérés. Nous allons tenter de rallier Tahaa à la voile en tirant des bords mais Pro's Per Aim n'est pas très fortiche quand il s'agit de naviguer au près. C'est un dériveur et il préfère le vent arrière. S'il le faut nous nous aiderons du moteur de façon à arriver au mouillage avant la nuit. On est pas là pour se faire du mal.
A vol d'oiseau, Tahaa est à une quinzaine de milles vers l'est-sud-est mais ce que nous pouvons faire de mieux c'est de tirer un bord vers le sud en serrant le vent au plus près. De toutes façons, il faut contourner Bora-Bora dont la passe est sur la côte ouest. Au bout de deux petites heures nous virons de bord. L'île qui s'était éloignée se rapproche à nouveau. Pro's Per Aim tire des bords carrés. Par rapport à la route directe, nous allons parcourir le double de la distance et mettre trois fois plus de temps.
Courage ! Notre fidèle voilier affronte les vagues une par une. Il tape à chaque fois et on enfourne. Pas question de laisser le moindre capot ouvert. L'air à l'intérieur du carré devient moite et il y fait très chaud.
Le vent tourne un peu … mais pas du bon côté. Si nous continuons ainsi nous nous encastrerons dans le récif-barrière du sud de Bora-Bora. Mais nous avons le temps avant d'être obligés de virer de bord à nouveau.
La ligne de traîne est à l'eau. Nous l'avons équipée d'un superbe poulpe sur les conseils de Jean-Baptiste.
Un personnage, ce Jean-Baptiste !
Lorsque nous l'avons rencontré, nous étions un peu perplexes devant le rayon d'articles de pêche de la quincaillerie de Raiatea. Nous sentant amateurs en la matière, il avait pris les choses en main. Il nous avait expliqué que les poissons polynésiens aiment la nacre. Il ne faut pas utiliser un simple poulpe mais on se doit de faire tout un montage. Il faut d'abord se décider sur la fameuse tête en nacre. L'une d'entre elles lui plaisait particulièrement. Elle avait des reflets roses qui ferait de notre leurre un vrai tueur, promesse de Jean-Baptiste ! Sur la base de la tête en nacre, il faut ensuite fixer deux poulpes en plastique de couleurs différentes. Attention ! Pas n'importe quelles couleurs ! Elles doivent être assorties avec les reflets de la nacre. L'hameçon, quant à lui doit être double et il faut le cacher dans les tentacules du poulpe. Un bon câble en acier d'au moins un mètre relie le leurre au fil de traîne.
Préparer une ligne est un art et Jean-Baptiste nous a fait partager sa passion pendant une heure dans le magasin. Le choix de la nacre et des deux poulpes ne pouvait pas se faire dans la précipitation. Et puis, il y eut des palabres avec un copain à lui qui n'était pas d'accord sur la taille de l'hameçon. Pendant ce temps, le chinois attendait, impassible, derrière sa caisse enregistreuse que nous nous décidions.
A l'aller, entre Raiatea et Bora-Bora, notre merveilleux poulpe à la tête nacrée n'avait fait aucun ravage chez les poissons. Pas une touche !
Nous nous rapprochons du récif sud de Bora quand la ligne se tend violemment et une grosse bête argentée se cabre dans le sillage. C'est une belle prise, pour sûr ! Pas question de la perdre !
Il faut commencer par arrêter le bateau si nous voulons réussir à la ramener à bord. Quand on est à la voile, pour stopper le navire, on se met à la cape. C'est un peu technique comme terme, mais, en gros, ça signifie que le bateau se retrouve en biais par rapport au vent et qu'il dérive gentiment. Ca veut dire qu'on continue à avancer mais tout doucement et pas dans la direction souhaitée. En l'occurrence, nous allons droit sur le récif. Mais, en bateau, tout est lent et nous avons le temps de remonter notre poisson et même de le débiter avant de devoir changer de cap.
La bestiole semble bien ferrée mais il nous est déjà arrivé de perdre un beau thon au dernier moment alors qu'on allait le hisser à bord. Le poisson se débat et tente de s'échapper. Il n'a pas l'intention de se laisser faire et la ligne de traîne est tendue comme une corde de piano. Guy doit mettre des gants pour la remonter faute de quoi il risquerait de se blesser les mains. Mètre par mètre, la ligne s'entasse dans le cockpit et la bête est ramenée au cul du bateau.
La deuxième étape commence. Le poisson est énorme ! C'est le plus gros que nous ayons jamais attrapé. Il va falloir le remonter à bord. Guy se contorsionne pour se glisser sous l'annexe qui est suspendue à l'arrière quand nous sommes en navigation. Il est donc sur la jupe, accroupi sous l'annexe et au ras de l'eau. Nous avons un manche muni d'un crochet à son extrémité pour aider à remonter les grosses prises. Je passe l'outil à Guy. De sa main gauche, il tient la ligne et de la main droite il tente de crocheter l'animal qui n'est décidément pas coopératif. Son cuir est si épais que le crochet ne s'y enfonce pas. La bagarre dure plusieurs minutes avant que Guy ne réussisse son coup. Il est toujours dans une position très inconfortable sous l'annexe. Maintenant qu'il le tient mieux, mon Capitaine parvient à glisser une main dans les ouies et avec l'autre à attraper le poisson au niveau de la queue.
Ca y est, l'animal est enfin à bord, posé sur le banc du cockpit. Il meurt en passant par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. C'est une superbe dorade coryphène. En Polynésie, on l'appelle mahi-mahi. Sa chair blanche est savoureuse et nous allons en profiter pendant plusieurs jours car notre mahi-mahi mesure 1,40m et pèse 13 kg.
Séance photo pour le souvenir et la troisième étape de notre pêche démarre.
C'est toujours Guy qui s'active. Bien que mes petits bras soient musclés, ils ne le sont pas assez pour découper ce gros mahi-mahi. Quand le poisson est plus petit, nous le débitons en darnes, c'est plus facile et nous perdons moins de chair. Mais avec celui-ci, c'est impossible. Ce mahi-mahi a une vraie colonne vertébrale que le couteau n'entame même pas. Par contre, il entaille la main de Guy. Je jouerai à l'infirmière tout à l'heure quand tout sera fini. Nous décidons de lever les filets et nous jetons le reste aux requins. Il nous en reste 6 kg. Inutile de remettre la ligne à l'eau, nous ne saurions pas quoi faire d'une nouvelle prise.
Ne croyez pas que ce soit fini ! La course de Pro's Per Aim le conduit droit sur les récifs qui sont proches maintenant. Il est grand temps de reprendre le bon cap. Pendant cet intermède nous avons reculé. En plus le vent est encore moins favorable qu'avant. Si nous voulons arriver à Tahaa avant la nuit, il faut arrêter de jouer aux puristes de la voile et mettre en route le moteur.
Dès que le bateau est en sécurité, la dernière étape de la pêche commence. A grands coups de seaux d'eau de mer, nous lavons le pont et le cockpit. C'est fou ce que ça peut saigner une grosse bête comme ça. En plus il y a des écailles et des restes de chair et de tripes qui se sont coincés dans le caillebotis. Il faudra fignoler le nettoyage quand nous serons au mouillage.
Ceux qui pensent qu'on s'ennuie sur un bateau se trompent. Il y a toujours quelques chose à faire. Cette pêche nous a occupés presque trois heures en tout !
La passe de Tahaa est en vue. Il faut ferler la grand-voile et préparer notre atterrissage. L'entrée dans le lagon se fait sans difficulté malgré la grosse houle et le courant qui agitent la passe.
Nous voici dans la baie Apu au sud-ouest de Tahaa. Au loin, nous apercevons cinq ou six voiliers au mouillage devant le Taravana Yacht Club. Ca s'appelle « Yacht Club » mais c'est juste un restaurant qui donne sur le bord du lagon. Un petit ponton permet de débarquer avec l'annexe. Pour s'assurer la clientèle des voyageurs de passage, le propriétaire des lieux a installé des corps-morts, ce qui n'est pas un luxe car il y a entre 25 et 35 m de fond devant chez lui.
Il reste des bouées libres et Guy dirige doucement Pro's Per Aim vers l'une d'elles. Je suis à l'avant et j'attrape la dite-bouée avec la gaffe pour y accrocher une aussière. Guy coupe le moteur et nous mettons l'annexe à l'eau pour doubler l'amarrage avec une seconde aussière. On n'est jamais trop prudent !
Ensuite nous allons proposer un morceau de notre pêche aux copains du mouillage. C'est toujours sympa de partager une belle prise. Ce soir, elle passera au barbecue sur BARAKA, le voilier de Jan et Dave qui nous ont invités à partager leur dîner avec Brad, Sally et Erik du voilier PAX VOBISCUM. Nous avons de quoi régaler tous nos copains américains.
Début août – Ile de Tahaa dans les Iles Sous Le Vent
Tahaa et Raiatea sont dans le même lagon. Lorsque nous étions sur Raiatea en juillet, j'avais eu connaissance d'une légende expliquant la présence de deux îles bien distinctes entourées par le même récif-barrière.
Il y a longtemps, très très longtemps, il n'y avait qu'une seule et même grande île. Un jour, les dieux, irrités par les hommes, y ont envoyé une anguille enragée … si tant est qu'une anguille puisse attraper la rage ! La monstrueuse bête avait dévoré toute une partie de l'île la partageant à tout jamais en deux.
Nous avions visité Raiatea et nous n'avions pas séjourné sur Tahaa.
Tahaa n'a pas d'aéroport puisque qu'il y en a un sur Raiatea, sa grande sœur toute proche. Le bateau est donc le seul moyen de mettre le pied sur l'île « vanille ». Les locaux l'appelle ainsi car ils disent qu'on y trouve la meilleure vanille de la Polynésie Française.
La vie sur Tahaa est paisible et tranquille. Comme sur les autres îles hautes où nous avons fait escale, il n'y a qu'une route goudronnée qui en fait le tour et seules quelques pistes pour 4x4 permettent de pénétrer l'intérieur. La population est concentrée sur l'étroite bande de terre entre le lagon et les pentes des montagnes.
Sur Tahaa, les polynésiens vivent de la vanille et du coprah. Partout, au cours de nos promenades à pied ou à vélo, nous avons vu les serres qui abritent les plants de vanille les protégeant des insectes. Quand ce n'étaient pas les plantations de vanille, c'étaient les séchoirs à coprah. Autant la vanille qui bronze au soleil sent bon, autant il émane du coprah qui sèche une odeur désagréable.
Le coprah n'est autre que la chair blanche des noix de coco que les locaux font sécher en plein air. Les morceaux de noix séchés sont acheminés dans des sacs de jute vers l'unique huilerie située à Tahiti. Broyés en une farine très fine et chauffés à 125° puis pressés, ils fournissent l'huile de coprah brute. Une petite partie de cette production est de nouveau affinée pour obtenir une huile raffinée de très grande qualité, conforme aux normes du marché international.
Cette huile, tout le monde la connaît puisqu'elle est la base du monoï. Pour fabriquer du monoï, il faut également des fleurs de tiare. Cette petite fleur d'une blancheur immaculée est présente sur tout le territoire polynésien. Par tradition, chaque Polynésien possède un pied de tiare dans son jardin.
Quand elles sont au stade de boutons prêts à s'ouvrir, les fleurs de tiare sont cueillies très tôt le matin. Puis elles sont mélangées dans les 24 heures avec de l'huile de coprah raffinée. Elles vont y macérer pendant une bonne dizaine de jours. L'appellation d'origine protège la fabrication du monoï. Selon des normes très strictes, un minimum de dix fleurs par litre d'huile de coco doit être utilisé. C'est pendant cette extraction douce et naturelle que les petites fleurs de tiare vont donner à tout jamais leur senteur légendaire à l'huile raffinée.
Le monoï est une huile très agréable pour les massages. Il protège aussi de la déshydratation et quand il est parfumé à la citronnelle, il est un répulsif anti-moustiques efficace et naturel.
Sur le bateau, ces sales bêtes ne nous ennuient pas. Les moustiques n'aiment pas le vent et souvent, Pro's Per Aim est ancré hors de portée de leurs petites ailes. Par contre, pour aller à terre, je m'enduis de monoï à la citronnelle et je ne me fais pas piquer.
A terre, nous y allons tous les jours pour marcher sur l'unique route de Tahaa. Nous y croisons des enfants qui jouent. Un peu plus loin des musiciens accompagnent à l'ukulele des danseuses. Ils répètent pour un spectacle qu'ils vont donner au restaurant du Taravana Yacht Club devant lequel nous sommes mouillés depuis plusieurs jours. Je vous l'ai dit ! La vie est douce et tranquille sur l'île « vanille ». La Polynésie invite à la nonchalance et ici c'est d'autant plus vrai que les voitures sont rares.
Nos journées sont faites de petits riens, une promenade à vélo ou à pied, une conversation avec les copains américains du mouillage, le coucher du soleil assis dans les confortables fauteuils du Taravana Yacht Club où Maui nous sert l'apéritif. Nous le dégustons à petites gorgées en guettant le rayon vert qui se refuse à nos yeux parce que l'horizon n'est pas assez clair en ce moment.
Maui est le manager du Taravana Yacht Club. Quand nous ne sommes pas avec des amis, il prend le temps de discuter avec nous. Il est né à Bora-Bora. Son père est américain et sa mère est polynésienne. Il parle un excellent anglais et la chaleur de son accueil a fait la réputation de son Club. Les voiliers y faisant escale sont nombreux.
Le mardi soir, il prépare un buffet avec des spécialités locales et le groupe que nous avons vu répéter vient faire un spectacle de chants et de danses. Nous nous y rendons avec Brad, Sally et Erik du voilier PAX VOBISCUM ainsi que Dave et Jan de BARAKA. Pendant le repas les conversations vont bon train … en anglais bien sûr ! Guy a retrouvé toute son aisance et je fais de gros progrès. Ma langue se délie.
Le spectacle a lieu après le dîner. Les danses des hommes sont guerrières. Des percussions les accompagnent. Ils exécutent des mouvements avec leurs jambes. C'est le «pa'oti» : les genoux s'ouvrent et se ferment en de grands battements. Les danses des femmes sont lascives. Un ukulele et des chants rythment l'ondulation sensuelle de leurs hanches.
Les jours suivants, la vie reprend son cours et rien de notable ne la trouble. C'est doux et serein. Nous lisons, nous écrivons, nous allons à terre dire bonjour à Maui. Aujourd'hui, ce n'est pas un « bon jour » pour lui car il doit aller chez le médecin à Raiatea, l'île voisine. En faisant du kite-surf il est tombé sur une patate de corail et son poignet lui fait très mal. Il s'est sans doute cassé quelque chose. En plus la blessure est vilaine. Mais ça, il en a l'habitude. Il sait soigner les plaies dues au corail. Il commence par un grossier nettoyage à l'eau, puis il y met du citron et termine avec une désinfection classique. Il ne faut pas négliger une plaie sous les tropiques. Cela s'infecte très vite et méchamment.
Nous le regardons s'éloigner dans son speed-boat vers Raiatea tandis qu'un joli voilier jaune se rapproche et prend une bouée à nos côtés.
Nous reconnaissons le bateau. Il s'appelle REMI 2. Lorsque nous étions à Panama en janvier, Guy avait passé deux jours à bord de REMI 2 pour aider au passage du canal. Quand on est dans les écluses, il faut être six par bateau pour les manœuvres. Guy et d'autres copains avaient donné un coup de main à Arnaud et Isabelle pour leur transit. Isabelle était peu disponible à cette époque-là car elle s'occupait de Titouan. En janvier, Titouan venait d'avoir 3 mois et il réclamait toute l'attention de sa maman.
Aujourd'hui, il a bien grandi. Cela fait 6 mois que nous ne l'avons pas vu et à cet âge là, on change vite. Cet adorable poupon aux yeux rieurs a déjà parcouru pas mal de milles. Comme nous, il est passé par les Marquises et les Tuamotu. Il s'est même arrêté aux Galapagos où Pro's Per Aim n'a pas fait escale. Nous nous retrouvons avec plaisir et chacun raconte ses histoires de mer.
Le cas de Titouan n'est pas unique. Nous avons croisé d'autres familles au cours de notre voyage. Sur leur bateau règne toujours une belle joie de vivre. Les enfants sont autonomes très vite. On les sent curieux et ouverts. Les parents avouent que, ce qui est un peu lourd, c'est d'assurer l'école avec les cours du CNED. Sans compter que c'est parfois compliqué à récupérer. Faute d'adresse postale, tout se télécharge sur Internet et en Polynésie les connexions sont aléatoires et lentes. Arnaud et Isabelle n'en sont pas encore là avec Titouan. D'ailleurs c'est l'heure de son déjeuner et ils nous quittent pour rentrer sur REMI 2.
Cela fait quinze jours que nous vivons des heures paisibles sur Tahaa celle qu'ils appellent « l'île vanille » mais que je surnommerais volontiers « l'île tranquille ». Nous y sommes bien mais il va falloir partir. La météo nous promet dans deux jours des vents d'Est faibles et comme nous allons vers l'Est ce sera plus facile à remonter. Nous avons envie de retourner sur Huahine, notre île préférée parmi les Iles Sous Le Vent. Puis ce sera Moorea et Tahiti.
Samedi 16 Août 2008 – Fare sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Nous sommes contents de revenir sur Huahine. L'île est agréable. Elle a gardé une authenticité que Bora-Bora a perdu.
Et puis, nous y avons nos habitudes. Ca n'a l'air de rien, mais à chaque fois que nous arrivons dans un endroit où Pro's Per Aim n'a jamais pointé son étrave, il faut partir en exploration. Nous avons plein de petits problèmes pratiques à résoudre, des choses qui sont évidentes quand on habite à terre et qui ne le sont plus quand on vit sur un bateau.
Notre premier souci est de savoir où débarquer avec l'annexe. Parfois il faut se beacher sur une plage. Quand il n'y a pas de rouleaux, c'est facile et on a juste les pieds mouillés. Mais si la houle s'éclate en de belles vagues sur le sable, il faut laisser l'annexe au large avec un grappin pour l'ancrer et gagner le rivage à la nage. Heureusement, la plupart du temps, on trouve un ponton ou quelque chose qui y ressemble pour y amarrer notre dinghy et descendre à terre sans se mouiller.
Nous voilà donc sur la terre ferme à la recherche d'une poubelle pour déposer nos ordures. Ensuite nous nous renseignons pour savoir où nous pouvons prendre de l'eau pour remplir nos bidons. Sur Pro's Per Aim, pour économiser l'eau produite par le dessalinisateur, nous avons une centaine de litres dans de petits bidons. Avec cette eau, pas toujours potable, nous remplissons la bâche qui est accrochée sous le portique. C'est une douche solaire avec laquelle on fait la vaisselle et on se lave.
Et puis nous demandons s'il y a une épicerie ou bien un petit supermarché pas trop loin car nous en reviendrons chargés. De temps en temps on a besoin d'aller à la poste, de trouver un quincaillier ou une station essence.
Quand nous sommes proches d'une zone wifi, c'est royal car nous avons Internet sur le bateau. Dans les Iles de la Société, cela nous arrive assez souvent. Mais aux Marquises et encore pire aux Tuamotu, il fallait aller à la poste de la ville principale pour trouver un ordinateur branché sur le web et se connecter.
Le plus compliqué, en Polynésie, c'est de faire laver le linge. Pour les draps et les serviettes en éponge, c'est plus facile en machine qu'à la main. Mais en Polynésie, il n'y a pas de laverie automatique. Dans certains endroits, des particuliers offrent leurs services moyennant finance. En général, ce n'est pas donné mais ça dépanne.
Quand nous revenons dans un endroit où nous avons déjà séjourné, ces petites tracasseries nous sont épargnées.
A peine mouillés devant Fare, sur Huahine, nous sommes déjà dans la petite « grande-surface » de la ville pour faire quelques courses de frais. On est samedi et la station essence est déjà fermée. Par contre, elle ouvre demain matin. Nous avons l'intention de faire le plein de gasoil et comme le dernier date de six mois, nous devrons faire plusieurs allers-retours avec nos bidons entre la station et Pro's Per Aim.
Dimanche 17 Août 2008 – Fare sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Nous sommes debout de bonne heure et prêts pour le bidonnage. Ce terme vous a peut-être fait sursauter ! Pour les voyageurs de la mer, il a une signification bien particulière et très différente du sens habituel. Bidonnage, bidonner, bidon…
Nous n'avons pas d'autres mots pour parler de ce que nous allons faire ce matin. Le bateau est au mouillage à 500 m de la côte et la station essence n'est pas au bord de l'eau. Nous allons donc faire le plein du tank à fuel avec des bidons que nous irons remplir à la pompe. Que ce soit pour l'eau ou pour le gasoil, on utilise le même mot. On dit que l'on « bidonne ».
Nous avons besoin de 310 litres de fuel et avec nos bidons, nous ne rapportons que 70 litres à chaque fois. Faites le compte, nous ferons cinq voyages. Entre la station et le quai où est amarrée l'annexe, on nous prête un chariot pour transporter nos 70 litres. C'est moins pénible qu'à bout de bras !
Arrivés sur le bateau, Guy transvase le contenu des bidons dans le tank et ajoute un produit anti-bactérien. Le gasoil que l'on trouve sous les tropiques n'est pas toujours de bonne qualité. Sans ce produit préventif, des bactéries se développent dans le tank et forment une boue qui bouche les filtres et empêche l'alimentation du moteur en gasoil. Non seulement le moteur tombe en panne mais c'est très compliqué de vidanger le réservoir et de le nettoyer pour se débarrasser des bactéries boueuses. Il vaut donc mieux prévenir que guérir !
Lors de notre troisième voyage, le chinois qui tient la station essence, nous dit qu'il va fermer parce que c'est l'heure de la messe. Il sera ouvert à nouveau demain. Nous terminerons donc la corvée du bidonnage lundi matin.
Mardi 19 Août 2008 – Baie d'Avea sur l'île de Huahine dans les Iles Sous Le Vent
Hier, dès que le réservoir de gasoil a été plein, nous avons quitté Fare pour le joli mouillage de la baie d'Avea au sud de Huahine.
En ce début d'après-midi, l'eau du lagon éclate en milliers de reflets sous le soleil. Nous montons dans l'annexe avec l'idée d'aller explorer le récif-barrière, là où l'océan se brise sur l'immense jetée naturelle qui protège l'île de la houle. La couleur de l'eau est extraordinaire. Il faudrait d'ailleurs dire LES couleurs.
L'eau est si transparente que nous voyons le fond sans difficulté. Parfois il est très proche et la mer est jaune pâle comme le sable ou bien aussi marron que la patate de corail qui affleure. Suivant la profondeur tous les bleus se déclinent depuis le bleu turquoise très clair jusqu'au plus foncé.
La promenade est agréable. Nous avançons lentement pour profiter de l'incroyable lumière qui illumine les eaux du lagon. Nous sommes déjà loin de Pro's Per Aim. La grande barrière est là, tout près ! D'énormes déferlantes s'y écrasent. Le grand rythme ondulatoire de l'océan avec toute sa force et toute sa puissance est arrêté net, à quelques dizaines de mètres de nous par ce mur de corail, cette digue vivante mi-animale, mi-minérale. Là où nous sommes l'eau est calme, ce sont deux mondes si différents et pourtant si proches.
Fascinés par ce contraste, par la beauté du récif sur laquelle l'eau se fracasse en grands coups de tonnerre, nous n'avons pas remarqué que l'annexe prend l'eau.
Tout à coup nous réalisons qu'il y a déjà cinq centimètres d'eau au fond et que ce n'est pas normal. Je trouve l'entrée d'eau immédiatement. Elle est sous mes yeux.
Notre annexe est semi-rigide, ce qui signifie que le fond est en plastique dur avec des boudins gonflables autour. Ce fond est percé à l'avant pour y fixer un anneau. Dans cet anneau nous accrochons un palan ce qui nous permet de soulever l'annexe afin de la sortir de l'eau pour la nuit. Tous les jours depuis presque trois ans maintenant, le poids de l'annexe a été supporté par cet anneau à chaque relevage. La coque s'est fendillée et aujourd'hui, elle n'en peut plus. Il y a un trou par lequel l'eau rentre.
Pas de panique ! Nous ne courrons aucun risque. Il suffit que j'écope tranquillement le temps de rebrousser chemin et de retourner à bord.
Par contre il va falloir réparer. La réparation devra être assez solide pour qu'on puisse continuer à soulever l'annexe par cet anneau et elle devra assurer une étanchéité parfaite. Pas question d'écoper à chaque fois.
Mon Capitaine ne manque pas d'idées. Deux plaques en plastique, une tige filetée, des rondelles, deux écrous et le fameux anneau vont faire l'affaire. Je n'ai pas cité l'élément essentiel : le mastic-colle, le précieux « sicaflex ». Cette pâte blanche est magique. Elle sert à la fois de colle et de joint. Avec ça on répare tout. Même les chaussures de Guy ont eu droit à une seconde vie grâce au « sicaflex ».
Il y a donc un trou d'un centimètre de diamètre dans la coque de l'annexe. Nous allons le boucher par les plaques de plastique, une à l'extérieur, l'autre dedans et la pâte magique fera l'étanchéité. Au travers de tout ça, on fera passer la tige filetée sur laquelle sera vissé l'anneau côté intérieur.
Mine de rien, la réparation nous prend pas loin de trois heures. Peu importe ! Après 24h de séchage, l'annexe sera comme neuve et peut-être même plus solide qu'avant au niveau de ce point faible qu'est l'anneau de relevage.
PRO'S PER AIM DANS LES ILES DU VENT
du 22 août 2008 au 24 septembre 2008
du 22 août 2008 au 24 septembre 2008
Vendredi 22 août 2008 – Baie d'Opunohu sur l'île de Moorea dans les îles Du Vent
Nous avons quitté Huahine et les Iles Sous Le Vent hier après-midi de façon à arriver en milieu de journée à Moorea. Une vingtaine d'heures de traversée contre le vent et de nuit c'est toujours un peu fatigant. Notre radar fonctionne à nouveau mais nous avons préféré veiller à tour de rôle car il y a beaucoup de bateaux dans le secteur et puis c'est un terrain de jeu pour les baleines à bosses.
Aucun souci dans la passe. Pro's Per Aim a ensuite enroulé les balises latérales signalant le récif pour venir mouiller au pied du mont Rotui. Sa silhouette trapue et massive domine les baies de Cook et d'Opunohu dont le cadre spectaculaire est à l'affiche dans les agences de voyage. Les pics se succèdent sur un arc de cercle montagneux qui entoure les deux baies. La flèche du Mont Mouaroa est particulièrement impressionnante. La beauté du site est à couper le souffle. La baie d'Opunohu s'enfonce profondément à l'intérieur des terres mais nous avons jeté l'ancre à l'Est de l'entrée, entre le chenal navigable et le récif extérieur.
Avant de s'appeler Moorea, l'île se nommait Aimeo, ce qui veut dire « manger caché ». Il faut dire que Moorea est très proche de Tahiti et qu'elle a longtemps constitué le refuge des guerriers tahitiens en fuite. Son nom actuel, qui signifie « lézard jaune », lui a été donné par un grand prêtre. Il aurait eu la vision d'un beau lézard jaune sur un marae, lieu de culte des anciens polynésiens.
Moorea a aussi des surnoms.
On l'appelle la « petite sœur » de Tahiti parce qu'elle n'est pas très étendue et à seulement 17 km au nord-ouest de Tahiti.
Je préfère la nommer l'île « cœur ». Pour comprendre ce surnom, il suffit de regarder une carte de l'île qui ressemble à un coeur. Elle est si caractéristique que les bornes kilométriques en ont pris la forme.
Moorea et Tahiti font partie des Iles du Vent. Ce sont des îles hautes et volcaniques. Une autre Ile du Vent est également très connue. C'est le minuscule atoll de Tetiaroa. Quand l'acteur Marlon Brando est venu en Polynésie pour tourner « Les révoltés du Bounty », il est tombé sous le charme de cet atoll idyllique et en a fait l'acquisition.
Le Bounty, rappelez-vous …
C'est le nom du navire anglais que commandait le capitaine William Bligh. Sa mission était de recueillir, à Tahiti, le plus grand nombre possible de plants de uru et de les transporter aux Caraïbes pour fournir de la nourriture aux esclaves de ces colonies. L'uru en Polynésie, c'est le fruit de l'arbre à pain.
Le 26 octobre 1788, le Bounty arrive donc à Tahiti où il reste cinq mois. L'équipage a eu amplement le temps de s'habituer à cette île de rêve où le climat est agréable et les femmes accueillantes. En dépit de sa sévérité, le capitaine Bligh peine à rassembler ses hommes à bord et il lève l'ancre pour les Antilles via le Cap Horn.
Trois semaines après, une mutinerie éclate sur le Bounty à l'initiative de Christian Fletcher qui s'empare du navire. Le capitaine Bligh et dix-huit de ses hommes qui lui sont restés fidèles sont débarqués sur une chaloupe. Ils vont dériver sur 5000 km avant de toucher une terre.
Pendant ce temps les révoltés continuent leur route et échouent finalement sur Pitcairn. Ils finissent par s'entre-tuer et Fletcher trouve la mort dans la bagarre. Les survivants s'établissent sur cette petite île jusqu'alors inconnue et de nos jours, leurs descendants peuplent encore Pitcairn.
Mais revenons à Moorea où nous sommes accueillis dès notre arrivée par José et Betty, des amis que nous n'avions pas vus depuis le passage de Panama en janvier dernier. Les échanges sont animés et chaleureux. Nous avons plein de choses à nous raconter. C'est toujours un vrai plaisir de retrouver un bateau connu au hasard d'un mouillage.
Dimanche 24 Août 2008 – Baie d'Opunohu sur l'île de Moorea dans les îles Du Vent
Guy a décidé ce matin de graisser l'hélice du moteur de Pro's Per Aim. C'est une hélice un peu spéciale dont le sens des pâles s'inverse quand on passe la marche arrière. Du coup le bateau est beaucoup plus manœuvrant lorsqu'on recule. En plus, quand le moteur est arrêté et qu'on navigue sous voile, cette hélice se met en drapeau et le bateau n'est pas freiné comme avec une hélice classique.
Bref ! C'est top comme technique mais c'est bourré d'engrenages et il faut les entretenir avec de la graisse. Là, ça se complique vu que l'hélice est sous l'eau. Pourtant, nous ne pouvons pas attendre la mise au sec de Pro's Per Aim car elle est devenue dure et, l'autre jour, elle ne s'est pas enclenchée immédiatement quand Guy a passé la marche arrière pour freiner le bateau. Sur un bateau, il n'y a pas d'autre moyen pour s'arrêter. Si ça ne fonctionne plus, nous courrons droit au devant des ennuis ...
A me lire, vous allez penser qu'on est toujours en train de bricoler sur un bateau pour l'entretenir ou réparer ce qui casse. Eh bien, vous n'avez pas tort. Un bateau mal entretenu devient rapidement dangereux. Donc nous y passons le temps qu'il faut.
Nous devons tout d'abord retrouver la petite pompe à graisse spéciale pour l'hélice. Nous passons deux heures à retourner le bateau de fond en comble si j'ose m'exprimer ainsi. Rien à faire ! Nous sommes incapables de mettre la main dessus, elle a disparu ! Guy se résout à utiliser la grosse pompe. Il faudra bien la rincer quand le travail sera fini car il n'est pas certain qu'elle apprécie un bain dans l'eau de mer.
Il va falloir travailler sous l'eau. En apnée, ce serait trop difficile. Guy s'équipe donc avec une bouteille et plonge sous le bateau avec le tournevis. Je suis en poste sur la jupe à l'arrière prête à lui passer les outils à la demande. Il me rapporte une grande vis et repart avec le graisseur. Je trouve le temps long. Les bulles remontent régulièrement crever en surface. Il va donc bien mais il doit avoir des soucis d'ordre technique. Il revint me dire qu'il ne parvient pas à fixer le graisseur à la place de la vis qu'il a ôté. Sous l'eau, il ne peut pas mettre ses lunettes et il voit mal. Il y retourne, retente … sans succès. Comme il ne pensait pas passer beaucoup de temps sous l'eau, il ne s'est pas équipé d'une combinaison et il commence à avoir froid. Ses doigts sont tout blancs et il tremble. Il risque d'échapper un outil ou une vis au fond.
Il replonge avec un tournevis pour gratouiller le corail qui s'est développé sur l'hélice. Et là ! Révélation ! Il voit apparaître les deux minuscules vis qu'il doit ôter pour fixer le graisseur et injecter de la graisse dans les engrenages. La grande vis qu'il avait ôté tout à l'heure n'était pas la bonne. Il est maintenant complètement transi et il ne sent plus ses doigts. Il y retourne quand même et cette fois tout va très vite. Les engrenages de l'hélice reçoivent une bonne dose de graisse et elle tourne dans les deux sens sans frottement. Voilà un bon boulot de fait !
Je laisse Guy se rincer à l'eau douce sur la jupe pendant que je range les outils et que je lui prépare un chocolat bien chaud. C'est qu'il est tout bleu mon Capitaine, tellement il a froid ! Le soleil des tropiques ne parvient même pas à lui rendre sa couleur dorée habituelle.
Vendredi 29 Août 2008 – Baie d'Opunohu sur l'île de Moorea dans les îles Du Vent
A part un aller-retour à terre pour porter la poubelle et faire le plein d'eau, nous restons toute la journée à bord. Nous étudions les guides nautiques pour la suite du parcours.
La prochaine saison des cyclones commence en novembre et nous avons prévu de retourner aux Marquises pour nous mettre à l'abri des colères conjuguées de Neptune et d'Eole. Nous quitterons la Polynésie Française en avril 2009 pour continuer notre voyage vers l'ouest. Nous devrions … remarquez que je parle au conditionnel car en bateau, les plans de route changent facilement. Je disais donc, nous devrions prendre la route nord et passer par les Cook, les Samoa, Wallis (la petite île française) et les Vanuatu (ex-Nouvelles Hébrides) avant de faire escale en Nouvelle Calédonie. Mais la Nouvelle Calédonie est en zone cyclonique. Nous devrons la quitter en novembre 2009 au plus tard pour descendre en Nouvelle Zélande qui se trouve hors de la zone à risques.
Tout ça nous occupe une bonne partie de la journée. Il est temps de préparer le bateau pour partir demain car la nuit va tomber. Depuis quelques jours nous suivons les prévisions météo. Elles ne sont pas bonnes à partir de dimanche. Le vent va souffler à 20-25 nœuds pendant au moins une semaine et la houle va être énorme. Non seulement le mouillage de Moorea risque d'être inconfortable mais en plus, nous allons être coincés ici pour un certain temps. La mer sera trop mauvaise pour que l'on puisse s'aventurer confortablement dessus. Il faut donc profiter de la dernière journée de calme avant longtemps pour rallier Tahiti. La baie de Phaéton dans l'isthme entre les deux îles de Tahiti est un abri parfait. Nous y serons en sécurité pendant la période de mauvais temps qui s'approche.
Mardi 2 Septembre 2008 – Baie de Phaéton sur l'île de Tahiti dans les îles Du Vent
Ce matin, exceptionnellement, le réveil a sonné ! Nous voulons être prêts à temps pour ne pas louper le bus pour Papeete. Il paraît qu'il passe vers 7h30 devant la marina. Au fait ! On dit : « Pa-pé-é-té ».
L'orthographe des mots tahitien ne comporte pas d'accents, le « e » se prononce « é » et le « u » se dit « ou ». En plus on ne met pas de « s » pour marquer le pluriel. « Phaéton », la baie où nous sommes, n'est pas le nom tahitien. Les locaux l'appellent « Baie de Teva »
Précisons ! Nous sommes sur Tahiti depuis trois jours et nous devons faire notre entrée officielle auprès des douanes de Papeete. Quand nous étions arrivés aux Marquises en mars dernier, les gendarmes nous avaient fourni une attestation provisoire. Il faut donc régulariser nos papiers en allant à la capitale de la Polynésie Française.
Mais Tahiti est une grande île et nous avons jeté l'ancre dans la baie de Phaéton à 60km au sud de Papeete. Pro's Per Aim est mouillé devant la petite marina TNC où nous le laisserons au sec de mi-octobre à mi-novembre, le temps d'un séjour en France.
Voilà pourquoi nous nous dirigeons vers la route qui fait le tour de Tahiti. Il est 7h15, nous avons un quart d'heure d'avance pour assurer le coup. Pourtant le bus passe sans s'arrêter devant nos yeux alors que nous n'avons pas encore atteint la sortie de la marina. Et zut ! On nous a dit qu'il n'y en avait qu'un seul par heure. Quand nous demanderons les horaires à l'office du tourisme de Papeete, on nous dira qu'ils existent mais qu'ils ne sont pas respectés. D'une façon générale, les Polynésiens n'ont pas le même rapport au temps que les occidentaux. Il suffit de le savoir et de faire avec !…
Nous décidons donc de lever le pouce. Le stop nous a toujours réussi en Polynésie Française. Mais ici, sur l'île « capitale », les voitures passent vite et ne s'arrêtent pas. Pourtant, dans la plupart d'entre elles, le conducteur est seul. Il doit y avoir sur Tahiti des gens importants et pressés comme en métropole. Finalement, au bout d'une demi-heure, une petite Ford Fiesta se gare sur le bas-côté. Une jeune et jolie tahitienne nous fait monter. Nous avons de la chance car elle va à Papeete. Son nom polynésien est compliqué et je ne réussis pas à le retenir. Nous l'appellerons donc Lala comme le font tous ses amis.
Une bonne heure de route nous attend, le temps de faire connaissance. Lala a une passion : elle est surfeuse ! Avant la naissance de son fils, il y a un an, elle faisait même de la compétition. Elle est allée surfer en Nouvelle Zélande, à Hawaï, sur la côte ouest des Etats Unis et aussi à Biarritz. Le goût des voyages nous rapproche mais elle s'étonne que nous n'ayons plus de maison où revenir de temps en temps.
Sinon, elle gagne sa vie comme aide-comptable et aujourd'hui elle a pris sa journée pour accompagner ses jeunes cousines au lycée.
Une petite digression s'impose. Ses cousines viennent des Tuamotu. Déjà, pour aller au collège, elle avaient du quitter leur petite île familiale pour être internes sur Hao, un des trois ou quatre atolls des Tuamotu à posséder un collège. Mais il n'y a pas de lycée dans cet archipel perdu et pour entrer en seconde, il faut s'éloigner davantage de papa et maman et se rendre sur Tahiti. La famille s'organise et s'entraide. Les futures lycéennes ont dormi chez leur tante qui vit à Tahiti et c'est Lala qui s'est chargée de faire le taxi ce matin de très bonne heure pour les conduire au lycée. Lala retournera les chercher ce soir vers 16h. D'ici là elle est libre comme l'air et décide de nous piloter dans Papeete.
La gentillesse et la disponibilité ne sont pas de vains mots en Polynésie. Lala nous offre son temps et sa compagnie pour toute la journée sans contrepartie aucune. Une fois de plus, nous avons de la chance. Il aurait été dommage de ne pas rater le bus. Nous aurions été privé d'une super rencontre.
Revenons à nos préoccupations administratives. Nous savons que les Douanes sont sur le port. Mais c'est grand. Lala se renseigne : il faut aller sur le Motu Uta et pour cela faire tout le tour du port en prenant le pont qui relie l'île au petit motu. Nous trouvons le bâtiment sur les docks. Lala rentre avec nous et attend, assise sur un banc dans le couloir, que nous ayons terminé nos démarches. Dans une vie de voyageur, elles prennent du temps et sont parfois compliquées. C'est comme le mauvais temps, on doit s'en accommoder en attendant patiemment que ça passe.
Nous sommes avec le fonctionnaire qui doit nous accorder un report de date pour notre départ. En tant que Français, nous avons droit à un an sur le territoire polynésien pour être considérés comme des voyageurs en transit. Si nous voulons rester plus longtemps nous deviendrons des résidents et nous aurons à payer une taxe appelée « Papeetisation ». Cette taxe s'élève à 20% de la valeur du bateau. C'est trop cher pour nous.
Comme nous sommes arrivés le 3 mars 2008, il faudrait repartir à la même date en 2009. Sauf que nous allons sortir de Polynésie pendant cinq semaines puisque nous devons rentrer en France en avion. Ces cinq semaines sont décomptées à condition de remplir tous les formulaires adéquats. Nous avons tous les justificatifs nécessaires et le fonctionnaire reporte notre date limite de départ à la mi-avril 2009. Il faudra juste lui apporter les talons de nos billets d'avion au retour de France.
Lala attend toujours sur le banc. C'est terminé pour ici mais, maintenant, il faut trouver le bureau d'immigration et celui des affaires maritimes. Il paraît que c'est en ville au niveau du quai des ferries. Pas de problème ! Lala a le temps… Nous reprenons tous les trois la Ford Fiesta et quelques minutes plus tard, elle est garée sur le parking devant les bureaux où nous devons nous rendre. Il est déjà 11h et nous proposons à Lala d'aller boire un verre avant de continuer nos démarches. De l'autre côté de la rue nous entrons dans le café « Les 3 brasseurs ». En fait c'est une vraie brasserie ! A l'intérieur de la salle, un peu à l'écart, trônent deux superbes et rutilantes cuves en cuivre dans lesquelles est fabriquée la bière locale. On me dit qu'elle est bonne mais moi, je préfère les jus de fruits frais. Celui qu'on me sert est excellent et rafraîchissant à souhait.
Nos démarches administratives ne sont pas terminées et nous éprouvons des scrupules à faire attendre Lala. C'est pourquoi nous lui proposons de nous quitter. Nous pouvons rentrer en bus. « Pas question » nous répond Lala. « Je vous ai amené jusqu'à Papeete et quand vous aurez fini, je vous ramènerai au mouillage à Taravao. ».
Le ton est sans appel. Nous la laissons à la brasserie où elle a retrouvé une amie et nous nous dirigeons vers le bureau de l'immigration. Nouveaux formulaires, nouveaux tampons et une saisie de tout ça sur l'ordinateur, modernité oblige ! Nous sommes presque en règle. En effet, le fonctionnaire nous annonce que nous devons passer au bureau voisin voir son collègue qui est responsable du Port Autonome. Nous frappons à la vitre … Personne ! Ce monsieur est, semble-t-il, en réunion et il ne reviendra que vers 13h30.
Nous passons prévenir Lala avant d'aller faire un tour au marché. Lala déjeune avec son amie à la brasserie. Quant à nous, nous trouverons bien un sandwich en ville.
Le marché est un des pôles d'attraction de Papeete. L'animation y est quasi-perpétuelle de 4h du matin à 6h du soir. Nous arrivons à un moment un peu plus calme puisque c'est la pause déjeuner. Ce lieu de vie est haut en couleur. Les marchands de fruits et de légumes proposent des produits du terroir comme les uru, les ignames, le taro, les patates douces, le gingembre, la vanille et les bananes fei. Les fruits sont moins abondants en ce moment. Ce n'est pas la saison puisque qu'on est encore en plein hiver austral.
Un peu plus loin les étals des poissonniers sont fermés. Il faut venir de bonne heure le matin pour profiter du spectacle. Les gros spécimens sont accrochés sur des trépieds métalliques et les poissons de taille plus modeste sont étalés sur des grandes tables.
De l'autre côté, vers le front de mer, l'odeur enivrante des fleurs tropicales nous attire. En fermant les yeux on se croirait au paradis. L'art des marchands consiste à créer des bouquets éclatants de couleurs.
Le premier étage n'occupe pas toute la surface du rez-de-chaussée qu'il surplombe. Adossés à la balustrade, on a une autre vue des étals. Nous y restons un bon moment à regarder quelques mètres plus bas le va-et-vient qui anime la zone des fruits et légumes. Mais le premier étage, ça n'est pas que ça. Ce sont aussi les boutiques des artisans de toute la Polynésie. Ils viennent des Marquises avec leurs tiki sculptés, des Australes avec leur pahu de cérémonie qui sont des grands tambours ou des Tuamotu avec les nacres polies et gravées et les colliers de coquillages.
Il est l'heure de retourner au bureau du Port Autonome. C'est rapide, le fonctionnaire se contente juste d'apposer un coup de tampon sur un de nos formulaires. Nous rejoignons Lala qui préfère nous ramener avant l'heure des terribles embouteillages de Papeete. Il est 15h30 quand elle nous dépose à Taravao. Elle n'a pas le temps de venir visiter Pro's Per Aim, ce sera pour une autre fois. Au revoir Lala ! A bientôt.
ISABELLE ET GUY SUR L'ILE DE PAQUES
du 25 septembre 2008 au 1er octobre 2008
du 25 septembre 2008 au 1er octobre 2008
Mercredi 24 septembre 2008
Depuis quelques jours, Pro's Per Aim est amarré au ponton de la marina où il sera en sécurité pendant notre semaine d'absence. Cela faisait neuf mois qu'il n'avait pas touché un quai. Nous avons largement profité de l'eau douce à volonté et du branchement électrique pour faire du nettoyage et travailler sur l'ordinateur.
Aujourd'hui nous préparons nos sacs à dos. Nous avons ressorti les polaires, les jeans et les Kway car il va faire frais sur l'île de Pâques. Le printemps austral vient tout juste de commencer.
Eh, oui ! Vous avez bien lu ! Nous prenons l'avion ce soir pour Rapa Nui, c'est comme ça que les polynésiens appellent la mystérieuse et envoûtante Ile de Pâques.
Pourquoi en avion et pas avec notre Pro's Per Aim ?
Parce que, en quittant Panama en janvier, nous avons choisi la route nord vers les Marquises. Maintenant que nous sommes à Tahiti, il serait difficile de retourner vers le sud-est car les alizés nous seraient contraires. Il faudrait donc tirer un long bord vers le sud jusqu'à ce que l'on se retrouve dans la circulation d'ouest. Nous aurions alors à affronter l'énorme houle des 40ème rugissants. Plus d'un mois de mer peu confortable pour atteindre l'île mythique et là un autre problème nous attendrait car il n'y a aucun abri sûr pour les bateaux sur Rapa Nui. Il existe quelques mouillages de beau temps et c'est tout ! On ne fait pas un mois de mer dans les 40ème pour faire le tour d'une île et en repartir illico parce que le vent et la houle rendent impossible l'escale.
Ce soir, nous attendons donc le taxi qui nous emmènera à l'aéroport. Cinq heures d'avion sont nécessaires. L'île de Pâques est à 4000 km de Tahiti, à peu près à mi-chemin entre Tahiti et Santiago du Chili. D'ailleurs, elle est considérée comme l'île habitée la plus isolée au monde. Les voisins les plus proches sont sur Pitcairn et c'est quand même à 2000 km.
Nous aurons 4h de décalage horaire avec Tahiti. Pendant l'heure d'été, il y a 12h de décalage entre la France et Tahiti.
Jeudi 25 Septembre 2008 (le matin)
Il est 9h45, heure locale, quand l'avion atterrit sur l'île de Pâques. L'aéroport est tout petit. Par contre, la piste fait plus de 3 km de long. Les américains l'ont rallongée pour le cas où la navette spatiale aurait à y atterrir. Elle n'est jamais venue mais cela a permis au Concorde de se poser plusieurs fois sur Rapa Nui.
Nous récupérons nos bagages et nous sortons. Le ciel est couvert et le vent est frais. Nous avons réservé une chambre dans la pension « Chez Jérôme ». C'est justement lui qui nous accueille avec des colliers de fleurs. Dans le mini-van qui nous emmène vers la pension, nous faisons connaissance avec Daniel et Catherine. Ils vont également loger chez Jérôme.
Une fois nos sacs déposés dans la chambre, nous rejoignons tout le monde dans la salle à manger. Nancy, la femme de Jérôme nous offre un jus de fruits et quelques gâteaux secs. Nancy est pascuane mais elle parle un français parfait et sans accent Cela fait quatorze ans qu'elle vit avec Jérôme et ils ont même passé 3 ans en France, il y a quelques années.
Nous sommes tout de suite à l'aise. L'accueil est très chaleureux. La maison est propre et agréablement décorée.
Jérôme nous donne rendez-vous à 15h pour la première visite de l'île en sa compagnie.
Jeudi 25 Septembre 2008 (l'après-midi)
En attendant l'heure de la visite-conférence, nous flânons dans Hanga Roa. C'est le seul village de l'île. Des cavaliers croisent quelques 4x4. Des touristes vus dans l'avion empruntent la même rue que nous. Nous allons tous à l'unique banque de l'île pour échanger nos dollars contre des pesos chiliens.
Un peu plus tard, nous sommes devant la dizaine de barques de pêche amarrées dans le petit port de Hanga Roa. Ce port est minuscule et les barques sont amarrées solidement car la houle y rentre en force et malmène les bateaux. L'accès au port par la mer est plutôt sportif car les barques doivent surfer sur les déferlantes de la baie. Deux tortues, habituées des lieux, nagent entre les bateaux. Un peu plus loin des surfeurs font le spectacle. Nous retrouvons Daniel et Catherine. Cela fait une quinzaine d'années qu'ils sont installés à Tahiti. Avant, ils ont fait d'autres pays d'outre-mer. Ils nous parlent de Wallis qu'ils ont beaucoup aimé. Nous sommes tout ouïe car nous y ferons escale dans quelques mois.
Jérôme est ponctuel. A 15h, il est là avec son mini-van et nous commençons par la montée vers le volcan Vaiatare. A mi-hauteur, nous découvrons un splendide panorama de l'île de Pâques. Nous sommes sur l'un des trois volcans ayant formé Rapa Nui. Le plus ancien a trois millions d'années et le plus jeune n'a que 300 000 ans. Ils ont donné à l'île sa forme caractéristique de triangle isocèle dont ils sont les trois sommets. D'ailleurs, il y a 300 000 ans, il y avait trois îles bien distinctes. L'éruption de 70 volcans secondaires et les coulées de lave ont réuni les trois îles par la suite.
L'île de Pâques est très différente des autres îles hautes polynésiennes car ses reliefs sont aussi doux que les côtes sont accidentées et inhospitalières. Il n'y a que deux plages. Elles sont sur la côte nord. La végétation est pauvre. Rapa Nui a été couverte de forêts mais depuis longtemps déjà, les arbres ont disparu. La déforestation serait la conséquence d'incendies et d'une surpopulation de rats. Ces rongeurs de sinistre réputation mangeaient les fruits des arbres, les empêchant ainsi de se reproduire.
Arrivés au sommet du volcan, notre regard plonge deux cents mètres plus bas au fond du cratère Rano Kau. Incroyable ! Il est parfaitement circulaire et abrite un lac partiellement recouvert de roseaux. L'endroit est fascinant. La surface du lac est étrange avec ses taches de verdure. Entre le cratère et les falaises surplombant le Pacifique, le village d'Orongo a été restauré. Il était habité quelques semaines par an durant la cérémonie de l'homme-oiseau, le Tangata Manu.
Ce culte extraordinaire est né suite à la terrible période de guerres tribales qui a mis fin à la grande époque de construction des statues. Auparavant une seule tribu détenait le pouvoir sur toutes les autres. Le culte de l'homme oiseau a permis que d'autres tribus accèdent au pouvoir royal et symbolique sur la société pascuane. Chaque année les tribus désignaient donc leur meilleur guerrier pour les représenter lors des épreuves du Tangata Manu. Il s'agissait de s'emparer du premier œuf d'une petite sterne noire, un oiseau migrateur qui vient se reproduire au printemps sur l'île de Pâques. La compétition était très physique et fort dangereuse. Bien des guerriers ont du y laisser leur vie.
Ils partaient du village d'Orongo, tout en haut du cratère, et descendaient la falaise vers la mer. Il faut les imaginer, impitoyables, ne se faisant aucun cadeau, allant sans doute jusqu'à se pousser dans le vide les uns les autres. En bas de la falaise, l'océan se fracasse sur les rochers. Les guerriers devaient se jeter à l'eau et nager vers un îlot à 2 km au large. A cette époque de l'année, les requins étaient nombreux autour de ce gros caillou difficile à aborder. Ceux qui avaient survécu à la descente de la falaise et aux requins devaient trouver sur cette petite île le premier œuf des sternes. Souvent ils devaient attendre plusieurs jours qu'une sterne se décide à pondre. L'œuf était fixé avec un bandeau sur le front et le guerrier entamait son périlleux retour vers le village. Les requins n'avaient pas déserté leur poste, il fallait nager en leur compagnie pendant les 2km puis grimper le long de la falaise jusqu'à Orongo. Le vainqueur devenait le Tangata Manu autrement dit l'homme-oiseau et il permettait à sa tribu d'obtenir le pouvoir pour un an. Cette cérémonie s'est déroulée pour la dernière fois en 1867.
Je remonte le col de mon polaire. Est-ce le vent froid qui me fait frissonner ou le site impressionnant où j'imagine ces valeureux guerriers risquant leur vie pour rapporter un œuf bien fragile et offrir par leur victoire le pouvoir à leur tribu ?
Vendredi 26 Septembre 2008
L'île de Pâques est célèbre dans le monde entier. Qui n'a pas entendu parler de ces immenses statues sur lesquelles les hypothèses les plus folles ont été échafaudées ?
De nos jours, le mystère demeure entier ! On sait comment les Moaï ont été sculptés. Mais ce qui reste encore une énigme pour les archéologues, c'est la façon dont ils ont été transportés et dont ils ont été érigés sur la plate-forme appelée « Ahu » d'où ils veillaient sur leur village.
Jérôme, notre guide, est intarissable. Le sujet le passionne. Il a fait plusieurs stages avec le plus grand archéologue pascuan, Sergio Rapu ce qui lui a permis de devenir guide certifié de l'UNESCO pour l'île de Pâques. Depuis 1995, l'île est classée au Patrimoine Mondial de l'UNESCO.
Savez-vous pourquoi on l'appelle l'île de Pâques ? C'est simple à deviner …
1722, dimanche de Pâques. Une expédition néerlandaise, découvre par hasard une île perdue au coeur du Pacifique, à 3700 km des côtes chiliennes.
Cette île était habitée depuis un millénaire environ. Selon la tradition, Hotu Matu'a serait le premier roi de l'île. On pense qu'il est arrivé de l'ouest entre le Vème et le IXème siècle après JC sur une pirogue double en compagnie de tout un groupe de polynésiens.
Un site archéologique symbolise cet événement capital pour les pascuans. Les seuls géants de Rapa Nui qui regardent la mer représentent les sept premiers explorateurs. Ils seraient les sept fils du premier roi Hotu Matu'a. Quand on est devant l'ahu du site d'Akivi, si petits devant les sept Moaïs, on ne peut s'empêcher d'imaginer le destin extraordinaire de ces hommes qui ont bravé l'océan pendant des semaines sur une embarcation précaire avec leur famille. Rien ne leur assuraient qu'ils trouveraient une terre. Une fois en vue de Rapa Nui, il fallait réussir à débarquer. Quand on fait le tour de l'île, l'inhospitalité des côtes fait froid dans le dos.
Le roi Hotu Matu'a aurait débarqué sur la plage d'Anakena.
Notez que je parle au conditionnel parce qu'en fait, on a peu de certitudes sur la civilisation si particulière de l'île de Pâques. La culture et la transmission des connaissances était uniquement orale. L'arrivée des premiers européens a marqué le début du déclin de Rapa Nui. Comme dans toutes les autres îles polynésiennes, les missionnaires se sont attachés à détruire la culture locale. Il faut savoir également que la population comptait 20 000 individus avant l'arrivée des Européens en 1722, et seulement 111 cent cinquante ans plus tard ! Il y a plusieurs causes à ce génocide. Tout d'abord, au début du XIXème siècle les baleiniers, porteurs de maladies vénériennes décimèrent la population. Puis en 1859, des marchands d'esclaves péruviens emportèrent 2000 habitants pour les faire travailler dans des mines. 15 seulement d'entre eux survécurent. Les malheureux furent renvoyés chez eux quelques années plus tard. Ils étaient porteurs de maladies qui portèrent un coup fatal à la population de Rapa Nui.
Mais revenons au débarquement du roi Hotu Matu'a sur l'une des deux plages de l'île de Pâques. Jérôme nous y conduit. Le site est extraordinaire. Les sept Moaï de l'Ahu Anakena ont été relevés et ils tournent le dos à la mer. Ils sont parfaitement conservés suite à la longue période qu'ils ont passé enfouis dans le sable de la plage. Depuis quelques dizaines d'années, les sites sont restaurés petit à petit. Redresser ces colosses est un travail énorme. On pense que les Moaï ont été couchés pendant les guerres tribales qui opposèrent les différents clans de l'île au cours du XVIIème siècle. Les Moaï représentaient les ancêtres et leur regard était dirigé vers le village qu'ils protégeaient. Dans le cadre des guerres, les vainqueurs renversaient les statues des vaincus. Le sable blanc de la plage d'Anakena a préservé les géants de pierre de l'érosion. Ils regardent la cocoteraie qui borde la plage. Derrière eux, la baie est tranquille. Elle est à l'abri de la houle et des vents dominants et c'est le seul endroit de Rapa Nui où l'on peut débarquer sans risque. Le reste de la côte pascuanne est couverte de récifs et les vagues y déferlent rendant les débarquements dangereux voire impossibles.
Nous remontons dans le mini-van de Jérôme qui se dirige vers l'incontournable site de Tongariki. Là aussi les Moaï tournent le dos à l'océan Pacifique. L'Ahu Tongariki est imposant. Quinze colosses de pierre sont alignés. Un seul d'entre eux possède sa coiffe rouge que l'on appelle Pukao. C'est un cylindre taillé dans une pierre volcanique rouge. On ne sait pas si cette coiffe symbolise un chignon ou un chapeau. Comme tous les Moaï, les quinze statues de Tongariki avaient été renversées pendant les guerres tribales. Un tsunami en 1960 a achevé de détruire le site transportant certains Moaï à 150m de l'Ahu. Ils pèsent pourtant plusieurs dizaines de tonnes. La force de l'océan en colère est fantastique. La restauration du site, menée par une entreprise japonaise, a commencé en 1993. Le résultat est spectaculaire ! On se sent minuscules devant les géants de pierre qui nous dominent.
L'atmosphère de l'île ne peut pas laisser indifférent. Les Moaï, relevés ou encore au sol sont omniprésents. La végétation est pauvre. Les pentes douces des volcans sont balayées par les vents salés qui traversent le Pacifique sur des milliers de kilomètres sans rencontrer une seule terre.
Le volcan Rano Raraku est proche de la baie de Tongariki. 95% des Moaï ont été sculptés dans le tuff basaltique du cratère. Nous entrons avec Jérôme sur le site de la carrière. Des dizaines et des dizaines de statues inachevées jonchent les pentes du volcan. Certaines sont encore prisonnières de la montagne. D'autres ont été détachées et redressées pour que les sculpteurs terminent leur dos. Depuis la terre les a recouvertes en partie ne laissant apparaître que la tête. C'est impressionnant ! Rien que les têtes sont deux fois plus grandes que nous.
En général, le géant était taillé directement dans la roche du volcan, face vers le haut. Il restait donc fixé à la montagne par son "dos". Le dos était progressivement creusé sur les côtés jusqu'à prendre l'apparence d'une quille. Cette quille était enfin brisée et la statue relevée en position verticale. Il restait à sculpter le dos du Moaï. On estime que cette étape durait un an environ.
Le deuxième étape consistait à transporter le colosse jusqu'à l'ahu où il devait être érigé. La méthode employée reste encore une énigme de nos jours. Il faut savoir que les habitants de l'île de Pâques ne connaissaient ni le métal ni la roue. En plus, il n'y avait à l'époque ni chevaux ni aucun autre animal susceptible d'aider au transport.
Les légendes expliquent que les Moaï étaient animés par la force de "mana", utilisée par les prêtres pour faire avancer le Moaï. Ces légendes précisaient que les Moaï "marchaient et dansaient" jusqu'à leur destination. Des archéologues ont donc imaginé plusieurs techniques de transport basées sur une position verticale de la statue. Deux théories semblent actuellement assez convaincantes : la première propose un Moaï debout sur une sorte de traîneau en bois, lui-même roulant sur des rondins. Cette méthode a été reprise dans le film « Rapa Nui ». La seconde suggère un système à l'aide de troncs et de cordes permettant des bascules successives du Moaï un peu comme quand on déplace un frigo en le gardant debout.
On pense qu'il fallait deux ans en moyenne pour amener le géant devant son Ahu. Tous n'arrivaient pas à bon port car on retrouve des Moaï couchés et brisés sur les routes entre la carrière et les différents villages.
La troisième étape était celle de l'érection de la statue sur l'Ahu, la plate-forme sacrée qui accueillait les Moaï. Non seulement il fallait le redresser mais il fallait aussi lui mettre son Pukao au sommet du crâne. Rien que ce chapeau rouge pouvait à lui tout seul peser jusqu'à 10 tonnes ! Là aussi les archéologues ne savent pas exactement comment faisaient les pascuans pour que la statue soit enfin en bonne place, tournant le dos à la mer, le regard vers le village qu'elle protège.
Le mystère reste entier. Et ce n'est pas le moindre des charmes de l'île de Pâques.
Dimanche 28 Septembre 2008
Le dimanche matin, l'église est pleine. Le prêtre célèbre même deux messes : une à 9h et l'autre à 11h. Elles sont animées par des musiciens et les fidèles chantent à plusieurs voix les cantiques polynésiens. Des touristes sont là, parmi les pascuans. Certains par conviction et les autres pour le spectacle. Tout le monde n'a pas de place assise. Des dizaines de personnes sont debout au fond.
Le prêtre, un collier de fleurs autour du cou, est vêtu d'une chasuble blanche. Il officie avec des laïcs, des femmes vêtues elles aussi de grandes chasubles blanches.
Après la communion, tout le monde chante. C'est gai et nostalgique à la fois. Un mouvement anime soudain la foule. Les mains se retrouvent. Chacun est maintenant en communication directe avec ses voisins. Les polyphonies continuent faisant monter l'émotion.
La messe se termine. Avant de se quitter, on se serre la main ou on embrasse ses voisins. Le prêtre sort sur le parvis de l'église et il a une parole pour les fidèles qui s'arrêtent le saluer.
Lundi 29 Septembre 2008
Les chevaux de Rapa Nui n'ont pas toujours fait partie du paysage de l'île. Avant l'arrivée des premiers européens le dimanche de Pâques 1722, les pascuans ne connaissaient que les poules et les rats. Les unes comme les autres étaient venus avec les premiers explorateurs polynésiens conduits par Hotu Matu'a.
Quand nous sommes arrivés sur l'île, nous avons été frappés par le nombre de chevaux en liberté. On nous a dit qu'il y avait environ 1700 chevaux pour les 4000 habitants.
Les chevaux sont petits, robustes, leur pied est sûr et ils n'ont peur de rien.
Ils ont longtemps été le seul moyen de transport. Et même encore aujourd'hui, des cavaliers viennent en ville avec leur monture pour faire quelques courses.
Aussi loin que remontent ses souvenirs, Guy a toujours voulu faire le tour du monde à la voile et il a tout mis en œuvre pour réaliser son rêve.
Et bien moi, ma passion depuis toute petite, ce sont les chevaux ! J'ai donc réussi à convaincre mes parents et j'ai appris à monter. Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai pu m'offrir un cheval. C'était un bel anglo-arabe qui répondait au nom de Ramsès. Il était beau … royal même ! Nous avons vécu de belles années tous les deux.
Je ne suis pas montée depuis longtemps mais l'équitation, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas ! Par contre, Guy est débutant. Pas de problème nous a assuré Pantu : les petits chevaux pascuans sont calmes et il n'y a aucun risque si ce n'est celui d'avoir très mal aux fesses ce soir !
Quand nous arrivons dans le ranch de Pantu, les chevaux sont déjà prêts. Il nous prête des chaps en cuir comme ceux que portent les cow-boys pour protéger leur jean. Hop-là ! A cheval ! Et nous voilà partis pour 3-4 heures de balade dans la pampa. L'un des trois volcans à l'origine de Rapa Nui n'est pas accessible en voiture mais les chevaux vont nous y conduire. Pas question de se traîner au pas ! Pantu donne le signal et nous voilà au trot puis au galop. Guy s'accroche à la crinière et c'est parti. Je suis fière de mon Capitaine. Pour quelqu'un qui n'a jamais galopé, il se débrouille très bien. Les chevaux avancent sans hésiter sur les sentiers montagneux du volcan. A mi-chemin, nous passons devant l'Ahu Akivi, le site des sept Moaï représentant les sept premiers explorateurs, fils du roi Hotu Matu'a. Nous passons derrière eux, les laissant regarder la mer comme ils le font infatigablement depuis des siècles.
Courageusement les chevaux grimpent vers le sommet. Régulièrement, ils repassent au pas pour souffler un peu. Un claquement du fouet de Pantu les remet au galop. Ils auront droit à une grosse pause une fois arrivés en haut, pendant ce temps nous profiterons de la vue.
Depuis le sommet du volcan Terevaka, nous dominons l'île et c'est sa sauvagerie qui nous frappe. Si on excepte le village d'Hanga Roa, minuscule petite tache au sud-ouest, aucune construction, aucun fil électrique ne perturbe l'harmonie du paysage. C'est vrai que l'île est pelée ! Une tache vert foncé attire quand même notre regard. Il y a une tentative de reboisement au centre de l'île : des eucalyptus en majorité car ils résistent bien aux incendies provoqués par les brûlis.
Pendant que nous admirons le panorama, les chevaux paissent en liberté. Pantu leur a passé les rênes par-dessus l'encolure et elles traînent au sol. Jamais je n'aurais fait un truc pareil avec Ramsès, mon cheval. Il n'aurait eu qu'une seule idée : rentrer à fond de train à l'écurie en se prenant les pattes dans les rênes ! Autres lieux, autres mœurs ! Ici les chevaux n'ont pas vraiment d'écurie et il y a partout de l'herbe pour se remplir la panse. Alors pourquoi se fatiguer en allant ailleurs chercher ce qu'on a sous la patte !
Il faut rentrer maintenant. Nous ramassons les rênes et nous les repassons sur l'encolure. Pied gauche dans l'étrier, une poussée, jambe droite par-dessus la croupe et nous revoilà en selle, prêts à la descente. Celle-ci se fera tranquillement. Un cheval, chargé d'un cavalier, risque de trébucher et de chuter s'il galope dans une descente. Deux ou trois fois, la pente s'adoucit et nous piquons un petit galop pour le plaisir. Nous arrivons au ranch. Un câlin de remerciement à notre monture et nous rendons nos chaps à Pantu.
Pas de courbatures pour l'instant : c'est demain que les muscles endoloris nous rappelleront notre belle balade d'aujourd'hui.
Mardi 30 Septembre 2008
Nous avons loué un petit 4x4 pour retourner sur les lieux que nous avons envie de revoir avant de rentrer sur Pro's Per Aim qui nous attend à Tahiti.
Et puis nous voulons découvrir les lavatubes. Ce sont des formations géologiques très particulières. Lors des éruptions des volcans, la lave a coulé sur les pentes jusque dans la mer. Elle était assez liquide pour que certaines coulées se solidifient en surface pendant que la rivière de feu continuait dessous. Une fois l'éruption terminée, la lave incandescente laissait place à un tunnel.
Par endroit, la voûte de ce tunnel s'est effondrée. La lumière du soleil inonde le trou et les vents si desséchants de Rapa Nui ne peuvent y pénétrer. De merveilleux oasis se sont développés dans ces abris naturels. On y trouve des bananiers, du taro et d'autres plantes tropicales.
Ailleurs, peut-être par mimétisme avec ces effondrements de lavatube, pour réussir à faire pousser de quoi se nourrir, les hommes protégeaient les cultures de l'air salé à l'intérieur des « manavai ». Ces manavai étaient des murs de pierres en forme de cercle d'une hauteur d'un mètre environ pour un diamètre de deux à trois mètres maximum. On en trouve partout sur l'île.
Le lavatube «Ana Kakenga » est particulièrement spectaculaire. Pour y entrer il faut se faufiler à quatre pattes dans un conduit pendant une quinzaine de mètres. Puis on se redresse prudemment tout en continuant à progresser voûtés. Malheur à celui qui oublie sa lampe de poche. On n'y voit rien pendant plusieurs dizaines de mètres. Tout à coup deux taches de lumière nous aveuglent. Le bruit des vagues venant se briser au pied de la falaise nous oblige à hausser la voix pour nous entendre. Ce lavatube est surnommé la « grotte aux deux fenêtres » parce qu'il débouche par ces deux ouvertures à mi-hauteur de la falaise. Le point de vue sur la côte et les brisants est exceptionnel. Un léger vertige m'envahit. Une chute en contrebas serait fatale !
Mercredi 1er Octobre 2008
Nous avons le 4x4 jusqu'à ce soir, alors nous partons pour un dernier tour sur les pistes.
Pétroglyphes, sites en ruines, pampas désolées où l'herbe dispute la place aux roches et aux cailloux. Des chevaux … partout … en liberté. Une petite forêt sur les pentes du volcan Rano Kau où serpente le sentier du Tangata Manu.
Un dernier dîner à la pension : le cuisinier chilien de Jérôme fait des merveilles et nous a régalé tous les soirs.
Il est l'heure de quitter l'île de Pâques et de prendre l'avion qui nous ramènera à Tahiti. Dans quelques jours nous nous envolerons à nouveau. Cette fois, ce sera pour passer un mois en France. Nous serons de retour à Tahiti mi-novembre.
PRO'S PER AIM DANS LES ILES DE LA SOCIETE
du 15 Novembre 2008 à mars 2009
du 15 Novembre 2008 à mars 2009
Mardi 2 Décembre 2008 - Vaiare sur l'île de Moorea dans les îles Du Vent
Cela fait maintenant quinze jours que nous sommes revenus chez nous. « Chez nous », ça bouge, ça flotte, ce n'est jamais au même endroit. « Chez nous » c'est Pro's Per Aim ! En ce moment, notre fidèle voilier est en Polynésie et pour être exact à Moorea, celle qu'on appelle l'île « sœur » de Tahiti tellement elles sont proches l'une de l'autre.
Il nous a fallu deux semaines sur Tahiti pour remettre le bateau en ordre et faire un avitaillement de six mois.
Descendus de l'avion vers minuit, arrivés sur le bateau 2h après, nous avons dormi quelques heures mais pas assez pour récupérer des 24h de voyage et des 11h de décalage horaire. Et puis la vie en France est si trépidante ! Les « métros » vivent à un rythme infernal auquel les gens des îles ne sont pas habitués. Toujours est-il que nous n'étions pas très en forme au petit matin quand Yvan, le chef du carénage, nous a proposé de remettre Pro's Per à l'eau. Pourtant nous avons accepté. Un bateau au sec est si misérable !
Quatre jours plus tard, nous étions au nord de Tahiti au mouillage de Taina. Même si elle est peu agréable, l'escale était incontournable. Il y a un hypermarché à proximité et nous avions à remplir les coffres de conserves, lait, farine et autres denrées que nous aurions du mal à trouver par la suite dans les Tuamotu et les Marquises.
Si vous avez la carte sous les yeux ou dans la tête, vous vous demandez ce que nous faisons à Moorea à l'ouest de Tahiti alors qu'il était prévu de retourner vers l'est où sont les Tuamotu et les Marquises…
Les projets en mer sont faits pour être changés. On s'adapte ! Cela dépend des saisons, du vent, de la mer, de l'âge du capitaine et d'un tas d'autres facteurs qu'il serait fastidieux d'énumérer ici.
Ces derniers jours, nous avons consulté les sites météo du Pacifique. Cette année ne sera pas une année « El Nino ». Ce qui signifie que la température de l'océan est suffisamment basse pour que les risques de cyclones en Polynésie Française soient quasi nuls.
Alors nous avons eu la flemme de remonter le vent et la mer pour aller nous mettre à l'abri dans l'archipel des Marquises. Celui qui s'est déjà trouvé sur un voilier dans ces conditions, sait de quoi je parle. Il faut tirer des bords en serrant le vent au plus près. Le bateau souffre, l'étrave doit attaquer les vagues une par une. Après chacune d'elle, le bateau tombe dans le creux qui suit avec un fracas qui peut laisser croire que la coque s'est déchirée et que le naufrage est proche. Le temps passe et le bateau flotte toujours : c'est fou ce que c'est solide ! A l'intérieur, on survit comme on peut : chaque mouvement relève de la prouesse, il faut s'accrocher en permanence. Les repas sont simplifiés et on évite les liquides chauds de peur de s'ébouillanter. On réussit à dormir quelques heures par-ci par-là écrasés par la fatigue.
Voilà pourquoi nous sommes restés dans les Iles de la Société. Tout simplement pour échapper à une navigation d'une semaine dans des conditions inconfortables. Nous ne sommes pas de grands aventuriers et nous ne rechignons pas au confort quand il est possible.
Dès que l'avitaillement a été terminé, nous avons quitté Tahiti. Le mouillage de Taina étant proche de Papeete, il est bruyant, agité et particulièrement sale. Le lagon est pollué par les rejets de la ville. En Polynésie, il n'y a pas de traitement des eaux et, pour les ordures, tout est rassemblé dans un immense dépotoir quand le ramassage existe. Sur les îles plus petites, chacun se débrouille et très peu savent que les plastiques, en brûlant, envoient dans l'atmosphère des gaz extrêmement toxiques. La prise de conscience n'a pas encore eu lieu et la préservation de l'environnement n'est pas le souci principal. Dans ces îles des Mers du Sud, tout pousse facilement et le poisson était abondant. Les Polynésiens ont toujours vécu au jour le jour et culturellement il semble qu'il leur soit difficile de se projeter dans l'avenir.
Revenons à Moorea où nous sommes mouillés à quelques encablures du quai de débarquement des ferries de Vaiare. L'eau du lagon est transparente et nous y plongeons plusieurs fois par jour pour nous rafraîchir. La saison chaude et humide est bien installée maintenant. La chaleur moite n'est supportable que quand les alizés soufflent. Les pluies tropicales remplissent nos récupérateurs et nous ne manquons pas d'eau. Les touristes sont rares. Dans les marinas, les bateaux de location languissent à quai.
Nous ne sommes que deux voiliers au mouillage. Sur l'autre, notre ami Georges, le marin solitaire doit être au travail sur un nouveau roman. Georges est écrivain. Il nous a demandé de lire son dernier manuscrit pour les corrections.
Ce matin il fait beau. Nous décidons d'aller louer une voiture pour faire le tour de Moorea. Comme d'habitude, nous amarrons l'annexe à un ponton de la petite marina de Vaiare à côté d'un bateau acier tout de vert peint et répondant au nom de TE OTAHI. Cette fois, le propriétaire est assis dans son cockpit. En quelques minutes, nous avons fait connaissance avec Jean-Louis qui nous propose de nous promener autour de l'île dans son véhicule. Le temps de prendre un café à son bord et on y va. TE OTAHI veut dire « le solitaire » en tahitien. Mais Jean-Louis n'est plus seul. Il s'est récemment marié avec une chinoise qui ne parle ni anglais ni français alors que lui ne dit pas un mot de chinois. Ils réussissent à communiquer avec un traducteur électronique. Jean-Louis n'est pas un voyageur. Il vit sur un voilier qui ne quitte pas le ponton. A bord, il a tout le confort qu'apporte l'électricité : son excellent café, par exemple, vient d'une machine à expresso. Dans son carré, la climatisation me fait frissonner, elle est un peu fraîche et je ne suis pas habituée.
Nous montons dans la petite voiture de Jean-Louis ravi de montrer et de raconter l'île où il vit depuis quinze ans. Nous passons devant l'ancien Club Med. Il était installé à la pointe nord-ouest de Moorea en face des deux superbes motu aux plages de sable blanc ourlées de cocotiers. L'endroit est exceptionnellement beau. Seulement voilà ! C'est fermé ! Cet établissement était un des plus beaux et des plus anciens du groupe de Monsieur Trigano. Le terrain était loué avec un bail de trente ans à une centaine de propriétaires indivis. En Polynésie, c'est comme ça. Les terrains ont souvent des dizaines de propriétaires, c'est peut-être la raison pour laquelle le terrain avait été loué au lieu d'être acheté. Le bail est parvenu à échéance il y a quelques années et, à l'occasion du renouvellement, les propriétaires indivis ont voulu augmenter le loyer. Ils n'ont pas su être raisonnables. Il paraît qu'ils ont multiplié par dix le montant et n'ont jamais voulu en démordre.
Le Club Med a refusé et a abandonné le site en laissant tout sur place. Les locaux ont voulu reprendre cette bonne affaire à leur compte. Manque d'organisation ? Mauvaise entente entre eux ? Je ne sais pas ! En trois ou quatre mois les bungalows sont devenus des ruines. Tout a été démonté et pillé. En passant devant le site dévasté on voit des carcasses de fare envahies par la végétation qui a repris ses droits.
Sur ces îles d'origine volcanique, les routes traversières sont rares car les montagnes sont trop escarpées pour être franchies. Sur Moorea, une seule piste pénètre à l'intérieur, elle parcourt la vallée entre les baies de Cook et d'Opunohu. On l'appelle « la vallée aux ananas » parce que des champs de ce fruit à la chair jaune, sucrée et si parfumée en couvrent les pentes. A mi-chemin, Jean-Louis s'arrête chez un ami américain qu'il tient à nous présenter. Un personnage nous dit-il ! Alex est installé dans cette vallée perdue depuis des années. Il s'est marié à une tahitienne dont il a eu une fille. On le trouve les mains dans le cambouis d'une jeep de 1944 laissée par les américains à Bora-Bora. Retaper ces vieilles mécaniques est sa passion. Mais ce qui l'occupe à plein temps, c'est la rédaction de son magazine mensuel, le « TAHITI PACIFIQUE » qu'il rédige avec sa fille. Presse indépendante, contre-pouvoir au groupe Hersant qui détient tous les canards locaux, son mensuel dénonce les excès, les abus de pouvoir, les détournements de l'argent versé par la France qui paie pour les nombreux essais nucléaires de Mururoa et leurs conséquences. Dans un français parfait et sans accent, Alex nous raconte qu'on a essayé d'arrêter sa publication en l'achetant puis, parce qu'il avait refusé, en brûlant ses locaux.
Une dernière pause au bar du restaurant qui domine un golf de 18 trous admirablement dessiné entre la montagne et le lagon. Le gazon vert anglais est entretenu comme il se doit et quelques cocotiers offrent une ombre rare aux joueurs. Comment peut-on faire un 18 trous sous ces latitudes ? Même les Polynésiens à la peau cuivrée cherchent à se protéger du soleil ardent des tropiques. Un blanc peut-il faire un parcours entier sans échapper à une insolation mortelle ? La question se pose ! D'ailleurs aucun joueur n'arpente le green. Nous ne voyons personne sur la belle pelouse aux allures britanniques. Jean-Louis nous confirme que c'est toujours comme ça quand il passe devant. Il se demande pourquoi ce tout nouveau golf a été construit sachant que celui, si proche, de Tahiti est presque en faillite faute de clients. La question du montage financier se pose mais il n'a aucun renseignement à ce sujet.
Nous avons passé une excellente matinée en ta compagnie, Jean-Louis ! Merci et à demain pour un apéro à bord de Pro's Per Aim.
Lundi 15 Décembre 2008 - Vaiare su l'île de Moorea dans les îles Du Vent
Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Pro's Per Aim. Il y a trois ans exactement qu'il a été mis à l'eau aux Sables d'Olonne. Je me souviens qu'il faisait froid, le pont était couvert de givre tous les matins. Début janvier 2006 nous avions quitté les côtes françaises pour passer six mois en Méditerranée via Gibraltar. En juin, nous étions de retour aux Sables pour un certain nombre de réparations sous garantie avant de retraverser en septembre le Golfe de Gascogne. Ce furent ensuite l'Espagne, le Portugal, Madère et les Canaries, la transat en novembre 2006 et les Caraïbes jusqu'à la fin 2007. Il y a un presqu'un an nous passions le Canal de Panama et depuis début mars 2008 nous sommes en Polynésie Française.
J'aime cette vie nomade avec Guy. Nous sommes ensemble 24h/24 et nous partageons tout : les rencontres insolites, chaleureuses, la beauté des paysages, les extraordinaires couchers de soleil et les rares rayons verts.
Pour les trois ans de notre voilier, nous sommes mouillés au pied du Mont Mouaputa qui élève sa sombre masse verte à 830 m au-dessus de Vaiare. On aperçoit une étrange tache blanche à son sommet. Sous les tropiques, à cette altitude, ce ne peut pas être de la neige. Le mont Mouaputa s'appelle aussi la « montagne percée ». Cette tache blanche n'est autre qu'un trou dans la montagne qui laisse passer la lumière.
Les polynésiens ont une jolie légende à ce sujet. Hiro était le dieu des tricheurs et des voleurs. En tant que tel il a fait les 400 coups dans les îles des mers du sud. Une de ses idées les plus fumeuses fut la tentative de vol Mont Rotui qui est entre les deux célèbres baies de Cook et d'Opunohu au nord de Moorea et de le rapporter à Raiatea d'où Hiro était parti avec ses comparses. Cette montagne n'est pas un petit caillou, même un dieu ne l'embarque pas comme ça sur un coup de baguette magique !
Hiro et sa bande de voleurs attachèrent de longues lianes au sommet de la montagne et commencèrent donc à la tirer.
C'était sans compter avec Pai. Pas n'importe qui ce garçon ! Laissons Hiro et ses complices tirer sur leurs lianes et racontons l'histoire de Pai un pauvre orphelin au destin incroyable. Dès son plus jeune âge, il fut recueilli par Taaroa lui même. Evidemment cela ne vous dit peut-être rien, mais Taaroa était carrément le dieu créateur. Trop occupé à gérer son Panthéon, Taaroa confia la garde du petit Pai à des dieux subalternes.
Lorsque Pai devint un adolescent beau et fort, Taaroa vint le trouver. Il était accompagné par les dieux Pape-rurua et Pape-hau qui portaient un rouleau de fin tapa. Taaroa pris la précieuse étoffe et enroula Pai dans cette immense ceinture en le proclamant "Digne Fils des Dieux". Chaque fois que Pai portait ce vêtement il possédait un pouvoir surhumain.
Quelques temps après, Pai se fabriqua une lance de combat exceptionnelle. Il la tailla dans un purau. C'est un arbre d'un bois particulièrement dur, il l'avait arraché devant la caverne de deux sorcières qui terrorisaient le village de Tautira et qu'il avait tuées sans trop de difficulté grâce au vêtement de tapa qui le rendait aussi puissant qu'un dieu. Raffinement extrême, il fixa un os du bras des deux mégères à chaque extrémité de sa lance pour lui donner un pouvoir magique. Armé de sa lance de combat et revêtu de sa ceinture en tapa, Pai devint un guerrier invincible aux exploits innombrables.
Et nous voici revenus à la fameuse nuit où Hiro et ses voleurs tentèrent de décrocher le Mont Rotui. Pai était sur Tahiti et il dormait du sommeil du juste quand ses parents adoptifs le réveillèrent. Ils avaient vu en songe la terrible scène qui avait lieu sur Moorea et implorèrent Pai d'agir.
Alors, Pai se leva, se vêtit de sa ceinture de tapa et prit sa lance magique. Il gravit la colline Tataa qui, sur Tahiti, fait face à Moorea et jeta sa lance sur l'île. Elle traversa la mer qui sépare Tahiti de Moorea et transperça en son sommet le mont qui domine notre mouillage actuel. Depuis ce jour funeste, ce sommet est connu sous le nom de Mouaputa qui signifie « montagne percée » en tahitien. Le fracas du choc et les vibrations réveillèrent tous les coqs de Moorea. Ces volatiles à petite cervelle, pensant qu'il était l'heure, se mirent à chanter à qui mieux mieux. Hiro et ses voleurs, craignant le lever du jour, cessèrent leur méfait et s'enfuirent. Ils avaient malgré tout réussi à arracher sur les flancs du Mont Rotui, une colline en forme de cône qu'ils emmenèrent à Raiatea et installèrent non loin du rivage d'Opoa. Cette colline s'y trouve toujours. Elle est couverte de petits toa, arbres de fer, semblables à ceux du mont Rotui et contrastant étrangement avec la végétation environnante.
Revenons à la lance magique : elle ne s'arrêta pas en si bon chemin, continua au-dessus de l'océan et arriva elle aussi dans le sud de Raiatea. Il faut savoir que Raiatea est à 200 km à vol de lance de Tahiti et qu'au passage, la dite lance avait troué une montagne. L'arme se figea au sommet d'une colline restée échancrée depuis. Je vous avais bien dit que ce n'était pas n'importe qui ce Pai !
Jeudi 18 Décembre 2008 – Baie de Cook sur l'île de Moorea dans les îles Du Vent
Pro's Per Aim s'est déplacé de quelques milles. Il est mouillé au nord de Moorea dans la baie de Cook et nous voyons l'autre face de la Montagne Percée. La baie de Cook est magnifique mais moins spectaculaire à mon goût que la splendide baie d'Opunohu, sa voisine. Il paraît que Cook lui-même préférait Opunohu à la baie qui a gardé son nom.
Un grand explorateur de la fin du XVIIIe siècle, ce Capitaine James Cook !
Issu du milieu paysan, il fut placé comme apprenti dans un chantier naval où il apprit la navigation à bord d'un charbonnier. Il profita de la Guerre de Sept Ans pour s'engager dans la marine et se fit remarquer de ses supérieurs en dressant une cartographie remarquable de Terre-Neuve.
C'est ainsi qu'il se retrouva, en 1769, à la tête de l'expédition anglaise dont la mission officielle était l'observation du passage de la planète Vénus à Tahiti, ceci dans le but de calculer la distance de la Terre au soleil. La mission officieuse et tenue secrète était la recherche du supposé continent austral. Il était bien sûr entendu que les îles visitées seraient repérées en latitude et en longitude et leurs côtes cartographiées.
En mars 1769, Cook relâcha à Tahiti où Bougainville, sujet de Sa Majesté Louis XV, Roi de France, avait passé quelques jours l'année précédente. Le capitaine Cook explora les îles de l'archipel qu'il nomma « Iles de la Société » en l'honneur de la Société Royale de Londres qui avait commandité de voyage. C'est donc à un anglais que l'on doit le nom d'un archipel dépendant de la France.
Pendant cette exploration des Iles de la Société, il vint donc mouiller à Moorea dans les deux grandes baies du nord dont l'une porte son nom.
Pendant une douzaine d'années, à l'occasion de trois expéditions, il explora le Pacifique depuis les latitudes les plus australes où il chercha le Continent Antarctique qu'il ne put évidemment découvrir à cause des glaces, jusqu'au Détroit de Béring où il tenta de trouver un passage entre le Pacifique Nord et l'Atlantique.
Est-il possible d'imaginer ce que ses hommes et lui ont vécu en navigant sur des mers inconnues, dans l'inconfort le plus total pendant des mois entiers, à la merci des éléments, manquant de nourriture fraîche et d'eau douce ? Les nombreuses escales que Cook fit dans les Iles de la Société étaient comme une grande bouffée d'oxygène pour l'équipage.
Au cours de son troisième voyage, il découvrit les Iles Hawaï. « Hawaï » est le nom moderne de l'archipel qui est le 50ème états des USA. Hawaï évoque Honolulu, les vagues démentielles et les surfeurs qui les chevauchent mais aussi Pearl Harbour dont l'attaque surprise par les Japonais le 7 décembre 1941 provoqua l'entrée des Américains dans la seconde guerre mondiale.
Quand le Capitaine Cook découvrit cet archipel du Pacifique Nord, il le nomma « Iles Sandwich » en l'honneur du Comte de Sandwich, sujet de sa Majesté Georges III Roi d'Angleterre. Lord Sandwich avait beaucoup participé à la préparation des trois voyages de Cook et ce gentleman aimait à se faire servir des casse-croûtes faits de deux tranches de pain enfermant une tranche de jambon. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on avait donné son propre nom à son met favori.
Cook, dont le nom augurait peut-être la fin, fut tué et dépecé par les cannibales des Iles Sandwich. Une mort peu commune pour ce grand explorateur du XVIIIè siècle.
Mardi 23 Décembre 2008 - Fare sur l'île d'Huahine dans les îles Sous Le Vent
Nous avons passé la nuit en mer. Partis hier en fin d'après-midi de Moorea, nous venons d'embouquer la passe Avapehi à Huahine exactement en même temps que notre ami Georges, le marin solitaire. C'est une bonne surprise ! Nous aurions prévu de voyager ensemble que nous n'y serions pas parvenus. Georges est aussi fatigué que nous. Il a passé la nuit sur le pont à suivre les sautes d'humeur du vent qui ne savait pas quelle direction choisir et qui forcissait fortement sous les grains. Ce fut une navigation inconfortable sur un océan soi-disant « Pacifique » qui nous a malmené avec ses deux houles croisées habituelles. Heureusement cela ne dure pas longtemps et nous voici bien à plat dans le joli lagon d'Huahine où nous nous étions bien plus en juillet et août derniers puisque nous y avions passé plusieurs semaines.
Après une bonne sieste réparatrice, nous allons à terre faire le plein d'eau avec nos bidons. A l'extérieur du lagon, non loin de la passe, un voilier s'amuse à tirer des bords pour remonter le vent et atteindre l'île à la voile.
Un peu plus tard, installés dans le cockpit avec un bon livre, nous observons le voilier qui rentre maintenant dans la passe. Il est toujours sous voile, presque couché tellement il est obligé de serrer le vent. Faire l'andouille sous voile dans une passe avec le vent dans le nez relève de l'inconscience. Sans compter qu'il est tard et que le soleil n'éclaire plus suffisamment les patates de corail pour mouiller en toute sérénité sur le banc de sable. Pourtant, le bateau néglige le mouillage en eaux profondes de la passe et, toujours sous voile, vire à tribord après la cardinale. Il vient vers Georges et nous. J'espère qu'il sait ce qu'il fait car nous sommes dans moins de deux mètres d'eau. Pour nos deux dériveurs cela ne pose aucun problème, mais un quillard calant plus d'un mètre cinquante prend le risque certain de talonner car les patates sont nombreuses et hautes.
Le skipper du voilier imprudent a affalé le génois et il continue sous grand-voile seule. A-t-il le moteur en route au cas où, ou bien joue-t-il les puristes ? Il passe à quelques mètres de notre étrave et s'engage entre le bateau de Georges et Pro's Per Aim. Virement de bord, la grand-voile passe de l'autre côté et le voilà qui rase l'arrière de Georges. Si c'est un quillard, il l'a échappé belle car les patates sont à moins d'un mètre cinquante à cet endroit.
Il se décide à jeter l'ancre juste devant le bateau de Georges. C'est beaucoup trop près : les mouillages vont se croiser et toutes façons, il va bien trop vite pour que l'ancre accroche. La grand-voile est affalée quand on voit le voilier dériver vers l'étrave de Georges. L'ancre n'a pas tenu. L'équipage se met à crier et Georges pointe son nez sur le pont juste à temps pour se précipiter à l'avant et éviter les dégâts d'un abordage. Le voilier semble s'être stabilisé mais son arrière n'est qu'à deux ou trois mètres de l'avant de Georges qui nous fait des grands signes. Nous comprenons qu'il nous faut intervenir. Les jeunes que nous pensions frimeurs et imprudents doivent être en panne de moteur. Seule notre annexe bien motorisée avec son YAM ENDURO 9.9 qui fait la fierté du Capitaine, peut les tirer de ce mauvais pas. L'annexe de Georges n'est pas à l'eau et son moteur est trop faible pour un remorquage.
Guy démarre le hors-bord et s'éloigne vers le bateau en détresse. Assise dans le cockpit, je suis de loin les opérations de sauvetage.
Guy commence à se mettre à couple pour soulager le mouillage qui a fini par s'accrocher. Les jeunes le remontent à la main car ils n'ont pas de guindeau. Je les vois ensuite s'éloigner vers le chenal en tentant d'éviter la balise verte, ce qui n'a pas l'air facile car le vent souffle par rafales. Enfin, le voilier, aidé par l'annexe, passe le lit du vent et Guy s'accroche maintenant à l'avant. En marche arrière avec l'annexe, il tire le voilier. Doucement, tout doucement, ils prennent la direction du grand ponton de bois où nous débarquons quand nous allons au village de Fare avec notre annexe.
Le soleil est très bas, la nuit ne va pas tarder et j'ai l'impression que l'annexe peine. Je trouve le temps long. Enfin je les vois virer pour présenter le voilier face au vent et accoster. Ouf ! Ils sont tirés d'affaire pour cette nuit. Ils dormiront tranquilles sans avoir peur que leur ancre les lâche et que le bateau aille s'échouer sur le récif faute de moteur pour se sortir de là.
Guy revient avec une bouteille de bon Champagne que les jeunes lui ont donnée en remerciement et me raconte leur histoire.
Ce sont deux jeunes couples qui ont loué TOUPIDEL, voilier en aluminium, à un particulier pour les vacances de Noël. Ils sont partis de Tahiti hier et ont passé comme nous la nuit en mer. Comme nous, ils ont utilisé le moteur au moment où le vent a faibli vers minuit. Le moteur a tourné quatre heures et s'est arrêté brusquement. Ils n'ont jamais pu le redémarrer et ont du terminer à la voile. Ils ont fait l'arrivée qu'on connaît tout à l'heure dans le lagon d'Huahine.
Jeudi 25 Décembre 2008 - Fare sur l'île d'Huahine dans les îles Sous Le Vent
Noël en Polynésie ! Pas de neige mais une chaleur à peine tempérée par des grains qui remplissent nos seaux de récupération d'eau. La vie est douce sur Pro's Per Aim. Hier soir nous avons fait honneur à la bouteille de Champagne pour le Réveillon avec Georges.
TOUPIDEL, le voilier en panne, est encore au ponton. Le mécanicien que les jeunes ont fait venir hier n'a pas pu réparer. Ils ont téléphoné à la propriétaire du bateau. Elle doit arriver dans la journée et veut qu'ils aillent sous voile à Raiatea, la grande île voisine de façon à trouver un mécano compétent. Demain c'est vendredi, lendemain de Noël et veille de week-end. Espérons que l'intervention d'un spécialiste sera possible !
En attendant, Georges qui s'y connaît un peu en mécanique bateau est parti sur TOUPIDEL pour voir s'il peut faire quelque chose.
Nous le voyons revenir vers Pro's Per Aim accompagné de Sylvain, le skipper. C'est justement l'heure de l'apéro. Georges et Sylvain acceptent une bière et nous racontent leurs essais infructueux. Le moteur n'a toujours pas redémarré. Il y a eu de l'eau dans le gasoil. Ils ont démonté les filtres et les injecteurs sans réussir à la supprimer totalement. Georges pense que la pompe à injection peut en avoir pris un coup également.
La propriétaire est arrivée et a décidé de partir demain matin. Guy leur propose de les aider à décoller du quai. Sans moteur c'est plus difficile et un petit remorquage avec notre annexe est accepté avec empressement.
Pour aller à Raiatea, le vent sera favorable. Ils n'auront pas à tirer des bords comme quand ils sont rentrés dans le lagon d'Huahine. Ils espèrent vraiment pouvoir réparer demain après-midi, sinon leurs vacances seront bien compromises.
Vendredi 26 Décembre 2008- Fare sur l'île d'Huahine dans les îles Sous Le Vent
TOUPIDEL et son équipage ont quitté le ponton sans difficulté. Nous les avons accompagnés avec notre annexe jusqu'à la passe pour leur dire « au revoir ». Ils ont promis de nous écrire pour nous raconter la fin de l'histoire et ils ont tenu parole.
La navigation jusqu'à Raiatea a été bonne. Là-bas ils avaient prévu un remorquage pour entrer dans la marina et ils ont eu la grande chance d'être dépannés dans l'après-midi du vendredi. La pompe à injection n'était pas endommagée et le mécano a réglé le problème rapidement. Ils ont passé la fin de leurs vacances dans le lagon enchanteur de Bora-Bora.
Quant à nous, nous levons l'ancre pour un mouillage plus calme. En Polynésie, ils font la fête non-stop entre Noël et le jour de l'an et la musique à fond sur les plages nous oblige à dormir avec des boules Quies. Trois ou quatre milles plus au sud dans le lagon et nous devrions être tranquilles !
Vendredi 16 Janvier 2009 – Baie Faaroa sur l'île de Raiatea dans les îles Sous Le Vent
Il y a sur l'île de Raiatea un jardin botanique. Du moins c'est ce que vantent les guides touristiques. Lorsque nous étions venus en août dernier, nous ne l'avions pas trouvé. Aucune pancarte sur la route côtière ne l'indiquait au promeneur qui désirait flâner à l'ombre d'une jungle tropicale domptée.
Nous avions appris par la suite qu'on peut y accéder en remontant le fleuve Apoomau.
Il n'est pas encore midi, nous entrons avec Pro's Per Aim dans la baie de Faaroa. Elle est étroite, profonde et s'enfonce à l'intérieur de l'île telle un fjord. Comme presque partout sur Raiatea, il y a trop de fond pour mouiller facilement. Heureusement une ancienne base de location de voiliers a laissé là ses corps-morts et nous en profitons pour nous y amarrer.
Avec l'annexe nous gagnons le fond de la baie où se jette le fleuve Apoomau. Ce cours d'eau atteint une vingtaine de mètres de large à son embouchure mais la profondeur ne laisse passer que les tout petits tirants d'eau. Guy relève légèrement le moteur hors-bord pour qu'il ne croque pas et tout doucement nous commençons à remonter la seule rivière navigable de Polynésie. Très vite les deux rives se resserrent et les cocotiers et autres bananiers nous offrent une ombre rafraîchissante. Alpinia, monette et broméliacée décorent les berges de leurs fleurs aux couleurs éclatantes. Au détour d'un méandre, le parfum capiteux d'un tiaré se détache de la symphonie des odeurs.
Nous arrivons à un ponton dont une partie s'est écroulée dans la rivière. Nous y attachons l'annexe et nous pénétrons dans le jardin en enjambant un bananier déraciné. Un petit ruisseau longe le sentier qui serpente entre les plantations, puis il le traverse et nous voici les pieds dans l'eau. Pas grave ! Nos tongs en ont vu d'autres !
La promenade est bien agréable mais le site n'a rien à voir avec ce qu'on appelle un Jardin Botanique en Europe. Pas d'allées désherbées que l'on irait en chaussures de ville sans craindre de les abîmer, pas de petites pancartes indiquant le nom commun et le si poétique nom latin des différentes essences plantées. Rien de tout cela ! Disons que c'est un petit coin de jungle tropicale où l'on peut marcher en tong et sans le secours d'une machette. Heureusement d'ailleurs que nos chaussures ne craignent pas grand chose car nous nous embourbons par endroit comme dans la jungle de Panama où nous étions il y a plus d'un an déjà.
Nous ne croisons personne. Tout semble abandonné.
De retour au ponton, nous voyons arriver un polynésien dans un canoë en plastique bleu. La conversation s'engage, il nous a vu tout à l'heure lorsque nous remontions le fleuve. Nous le reconnaissons, nous l'avions salué en passant. Il s'appelle James. Je sais ! … Ca n'est pas très local comme prénom mais l'Amérique semble fasciner les îliens.
James, donc, se dit « guide écologique » et il vient vérifier l'état du jardin car il doit y amener des clients cet après-midi. Je ne sais pas ce qu'il va penser des lieux mais si des touristes payent pour une visite guidée ici, je trouve que c'est de l'arnaque. James nous propose gentiment de l'accompagner pendant son inspection. Nos rebroussons donc chemin et nous retournons patauger dans la gadoue à ses côtés. Ses explications sur les plantes et sur les arbres sont souvent confuses. Il semble manquer singulièrement de vocabulaire. Un peu plus tard, nous apprenons que sa langue maternelle est le tahitien et qu'il a appris le français à l'école. D'ailleurs son père parle si mal la langue de Molière que James lui sert d'interprète quand il doit signer des papiers à la mairie. Il faut dire que le père de James est un élu. Il est le 3ème adjoint d'Uturoa.
Uturoa , ça ne vous dit sans doute rien mais c'est quand même la deuxième ville de Polynésie Française par ordre d'importance après Papeete.
Le père de James est aussi le responsable du petit fleuve Apoomau. James nous donne des détails sur le travail qui incombe au dit « responsable ». C'est tellement embrouillé que nous ne comprenons pas grand-chose mais une anecdote nous laisse perplexes.
C'est l'histoire d'un chien … tristement réduit à l'état de cadavre et qui aurait flotté sur le fleuve sous le nez de touristes américains. Le 3ème adjoint et néanmoins responsable du site a fait venir les gendarmes, des métros en poste à Raiatea, pour constater le délit. Les fonctionnaires de la gendarmerie ne doivent pas chômer en Polynésie Française s'ils se déplacent pour chaque histoire de ce genre !
Le chien avait été reconnu comme appartenant à des locaux vivant sur les berges un peu plus en amont. Nous n'avons pas su si le chien avait été jeté volontairement à l'eau après sa mort ou s'il y avait une autre explication. James ne nous a pas dit la fin de l'histoire. Y a-t-il eu des coupables ? Coupables de quoi d'ailleurs ? Ont-ils été punis ?
La morale que James a tiré de cette histoire et qu'il s'est empressé de nous transmettre, c'est que la rivière est désormais polluée et qu'on ne peut plus s'y baigner.
Mardi 20 Janvier 2009 – Taravana Yacht Club sur l'île de Tahaa dans les îles Sous Le Vent
Pas moyen d'avoir la météo ce matin sur RFO. Il y a une émission spéciale pour l'investiture d'Obama. Pourtant il nous la faut car on ne plaisante pas avec le risque cyclonique en cette saison. Comme nous sommes amarrés à une bouée du Taravana Yacht Club à Tahaa, nous bénéficions d'une connexion Wifi. Internet à bord c'est royal ! Nous y trouverons les prévisions météo qui nous intéressent.
Sur le ponton du Taravana YC, nous rencontrons l'équipage d'un voilier de location. Géraud et Sylvie ont échappé aux rigueurs de l'hiver du Massif Central pour passer quinze jours dans les Iles Sous Le Vent. Ils ne sont pas des marins confirmés et ont préféré s'adjoindre les services d'un skipper professionnel. En fait de skipper, il faudrait plutôt dire skippeuse : Odile a commencé sa carrière dans les Antilles et maintenant elle navigue en Polynésie.
Nous sympathisons un verre à la main, enfouis confortablement dans les fauteuils du Yacht Club. Géraud et Sylvie nous posent de nombreuses questions sur notre mode de vie et nos choix. Nous sommes amenés à parler des mesures de sécurité que nous avons prises parce qu'elles nous semblent indispensables.
En particulier nous évoquons le risque de la perte d'énergie à bord en haute mer. On peut se retrouver en panne des instruments de navigation et en particulier du GPS. Guy explique qu'il saurait trouver sa route grâce à son sextant et une montre, instruments avec lesquels il avait fait ses transats en 1995-1996. La « Nav Astro », autrement dit la « navigation astronomique », il la connaît bien pour l'avoir pratiquée pendant des dizaines d'années avant l'arrivée du miraculeux et si pratique GPS. Quant à moi j'ai fait quelques mesures et calculs avec Guy mais faute de l'utiliser au quotidien, j'ai déjà oublié.
Odile, la skippeuse, est vivement intéressée. Comme il se doit, elle possède tous les brevets nécessaires à son métier de marin mais sa formation ne comprenait pas de « Nav Astro ». Pourtant elle a fait l'acquisition d'un sextant et a tenté d'apprendre avec des livres. Découvrir ça, toute seule, sans aide, ce n'est pas facile du tout. Ca fait plaisir à Guy de la lui enseigner et nous prenons rendez-vous pour début février. Odile viendra à bord de Pro's Per Aim quelques jours et nous ferons ensemble des points astro en mesurant la hauteur du soleil au sextant.
Vendredi 30 Janvier 2009 – Motu Tautau sur l'île de Tahaa dans les îles Sous Le Vent
Odile nous a annoncé sa venue pour lundi. Nous irons la chercher à Raiatea où elle arrivera par avion de Tahiti.
Cela fait plus d'une semaine que je m'entraîne à faire le point grâce au soleil. Il faut apprendre à manier le sextant pour mesurer la hauteur du soleil par rapport à l'horizon à la minute d'angle près. Un coup de patte est nécessaire et mes mesures sont de moins bonne qualité que celles de Guy. L'élève n'en est pas à dépasser le maître !
Ensuite il faut faire tout un tas de calculs en tenant compte de l'heure, des éphémérides, et d'autres tables de calculs construites à grands renforts de cosinus et de sinus. Un vrai bonheur quand on aime les maths ! Les premières fois il me fallait plus d'une heure pour savoir où j'étais. Maintenant, avec l'entraînement, en moins de dix minutes, je peux construire ma droite de hauteur.
Ouf ! Si le GPS tombe en panne ou s'il prend la fantaisie aux Américains de brouiller leur précieux signal satellite, je saurais regagner une terre en navigant à l'ancienne.