samedi 23 mai 2015

LA PRESQU ILE DE LA CARAVELLE ET LES MYSTERIEUX GRAFFITIS DE L HABITATION DUBUC












La Presqu’Ile de la Caravelle, déjà rien que le nom c’est tout un programme, toute l’Histoire ancienne qui semble resurgir avec ses galions anciens…et le nom des baies : baie du Galion, baie du Trésor ! Allons-nous découvrir des trésors engloutis dans des frégates du temps jadis ?...

Rêvons donc…

Plus sérieusement, cette « Caravelle » se projette dans l’Océan Atlantique comme une petite île, malgré le pédoncule, large de seulement neuf cents mètres, qui la relie à la côte orientale de la Martinique.

Battue au nord par des houles violentes, elle prend à l’Est des allures de Pointe du Raz avec ses falaises déchiquetées de la Pointe du Diable, de la Pointe Caracoli et sa poussière d’ilots.

Au Sud en revanche, elle domine un ensemble de baies paisibles et lumineuses qui la découpent profondément : baie du Galion, baie Grandjean, baie du Trésor.

Même variété à l’intérieur : forêts tropicales, savanes herbacées…Petit univers de la flore et de la faune martiniquaises, la Caravelle est d’ailleurs en partie une réserve Naturelle du Parc Régional.

Très peu peuplée elle appartenait presqu‘entièrement, au XVIIIème siècle, à la puissante famille des Dubuc de Rivery, dont la fille connut une étrange destinée : née au Robert à l‘Habitation Marlet, à côté, en 1776 et vague cousine et amie de Joséphine de Beauharnais sa voisine, Aimée Dubuc de Rivery fut capturée en pleine mer alors qu’elle se rendait en France pour parfaire son éducation et livrée comme esclave aux Turcs. Très belle, elle devint l’épouse favorite du sultan Abdül-Hamid, et lui donna un fils, Mahmud II. Ainsi le dit la tradition, car aucune preuve, malgré es recherches entreprises, n’a pu confirmer ce fabuleux destin…Notons également pour compléter l’anecdote qu’avec Joséphine elle était allée voir une diseuse de bonne aventure qui lui aurait dit : « tu seras reine, et toi Joséphine tu seras plus que reine ». Quand on sait que l’une deviendra la sultane Validé et l’autre Impératrice…

 




Ce château Dubuc est d’ailleurs chargé de mystères…On y découvre les imposantes ruines d’une habitation construite vers 1740 : « habitation » au sens créole du terme, c’est-à-dire une propriété consacrée à la culture de la canne à sucre. Très étendue – ce qu’il en reste en témoigne – l’Habitation Dubuc prit peu à peu le nom de « Château Dubuc », lorsqu’elle fut réduite à ‘état de vestiges.

La culture de la canne à sucre ne fut certainement pas sa seule activité…Il est à peu près certain que, profitant de leur isolement et de leur magnifique emplacement au fond de la baie du Trésor (nom bien évocateur !), les Dubuc de Rivery ne se gênèrent pas pour se livrer à une active contrebande avec les îles anglaises (marchandises et esclaves). On raconte également que, pendant la nuit, ils installaient des lumières à la pointe de la presqu’île pour attirer les navires qui s’y échouaient alors, livrant leurs richesses …Au XVIIème siècle corsaires et flibustiers se réfugiaient volontiers dans les abris naturels et sauvages de la Presqu’ile de la Caravelle : un caravelle aurait, à cette époque, déversé son chargement d’or dans cette baie du Trésor, d’où son nom… Personne ne s’est encore vanté d’avoir retrouvé « le » trésor…

La famille Dubuc construisit dans le fond de la baie une imposante habitation-sucrerie et planta toute la presqu’Ile en cannes. Le manque d’eau fit péricliter la plantation, la forêt reprit ses droits et seules subsistent les impressionnantes ruines des nombreuses constructions composant l’ »habitation » : grand-case, moulin, sucrerie, purgerie, hangar à sucre, four à chaux… On y visite parmi les vestiges un ancien four à pain, restauré et aménagé en bureau d’accueil ( !) avec les anciennes cuisines attenantes, séparées comme il se doit du bâtiment principal, et qui ici sont recouvertes d’une terrasse. Sur la droite un petit musée « didactique » a été créé à partir de matériel de fouilles ce qui donne un aperçu très intéressant sur la vie dans une habitation à cette époque. Sur le même terre-plein, l’habitation principale comprenait deux étages et l’on peut remarquer les encadrements des portes et des fenêtres en pierre de taille et l’emploi de blocs de coraux taillés en complément de la pierre. Un escalier extérieur donne accès au second étage, recelant un cachot où l’on a découvert des graffitis de bateaux.

En contrebas, du côté Est, se trouvaient les cachots d’esclaves.

En descendant la pente de l’autre côté, on découvre le moulin à canne, qui était mû par des animaux, et la sucrerie de huit cuves ( on remarque les ouvertures pour l’alimentation du feu). En direction du bord de la mer et de la mangrove, les restes d’un four à chaux où l’on calcinait des madrépores. Puis l’embarcadère et une série d’entrepôts, puis encore d’autres entrepôts et enclos vers l’extérieur. Le système d’irrigation était très au point dans cette zone sèche : ponceau à voûte, bassin, réservoir, rigoles…

De beaux sentiers balisés permettent de faire le tour de la Presqu’Ile, d’aller admirer le superbe point de vue depuis la table d’orientations du Phare construit en 1861 à 149 mètres d’altitude, et visiter les ruines du Château Dubuc et son petit musée (payant . Les paysages y sont intéressants avec des minéraux (jaspes rouges et verts de la Pointe Caracoli), sa flore (mangrove littorale et forêt sèche à l’intérieur), sa faune (crabes, oiseaux, mangoustes…)

 

Les graffitis de l'habitation La Caravelle dite Chateau Dubuc presqu’ le de la Caravelle, commune de la Trinité Martinique

En 2006, des rumeurs de cachot sous l’escalier du « château Dubuc » s’étendaient dans la presse, les magazines, et les sites internet, à la grande stupéfaction de la famille Du Buc et d’historiens qui n’avaient jamais entendu des propos aussi absurdes, car il n’y avait aucune preuve écrite dans les archives, y compris dans les souvenirs des anciens.


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Sous l’escalier, à l’abri de la pluie et des canonnades ennemies, les gardes nationaux de Trinité s’apprêtent à repousser les Britanniques, entre le 5 et le 6 février 1794. A l’aide d’une pointe, ils gravent dans l’enduit du mur le type des navires amarrés devant l’Ilet Trésor et l' îlet Monsieur, tandis que le gros des troupes d’invasion débarque à la rivière du Galion. Pris à revers, les défenseurs se replient vers la Redoute de Beauséjour puis sur le Vert-Pré en laissant ce témoignage de leurs observations.

Alors, dès 2006, Y.B. du Buc de Mannetot s’est penché sur cette rumeur… Y a-t-il eu un cachot et des prisonniers sous l’escalier du « Château Dubuc » ? Et bien non ! Voici l’explication qui, d’ailleurs avait été déjà reproduite en partie dans le livre paru en septembre 2008 « Si la Martinique m’était contée… à travers l’histoire des chevaliers du Buc de la Normandie à la Martinique…en passant par la Turquie 1493-1848 » (page 18), complétée par les historiens locaux, et reprise dans « La Saga des Du Buc » en juillet 2013 (pages 348-349-350 du tome I) :

« Ces bateaux gravés sur les murs de l’église de Trouville, témoignent que ce village comprenait beaucoup d’armateurs-seigneurs, de marins-villageois, de gardes des rives, de « tisseuses de filets », de vendeurs de produits des Antilles dont le fameux rhum des Du Buc et des Du Quesne qui habitaient le village. Un graffito a même été réalisé par moulage en 1995 par Anne-Sophie Auger qui s’est beaucoup intéressée sur ces bateaux gravés non seulement sur les églises mais aussi sur les granges et châteaux des environs…

C’est l’historienne réputée du canton de Pont-Audemer, Mme Madeleine Jotte, qui a apporté le résultat de ses recherches avec les témoignages de :

-Mr André et Mme Gisèle MERCIER demeurant au domaine du château de Guesville, et Mr Raymond et Mme Yveline ROSAY demeurant au chemin Perrey proche le château, rencontrés le samedi 1er août 2009.

-Mme Maria LERICQUE et son fils Mr Pascal LERICQUE, propriétaires du domaine abbatial de Trouville-La-Haule (manoir et  ferme de La Haule) rencontrés le samedi 1er août 2009.

-Mme Mamita ROTA, demeurant proche l’église, rencontrée le 21 août 2009.

-Mme Evelyne DESMARAIS, maire de Trouville-La-Haulle, rencontrée le 11 décembre 2009 avec ces mêmes personnes.

D’après la tradition, en gravant leurs bateaux, les seigneurs-armateurs du village (les Du Quesne, les Du Buc à Trouville-La-Haule ou encore les Fortin à Quillebeuf par exemple) et les marins-villageois demandaient la protection de Dieu pour leur bateaux qui partaient pour de longs voyages.. Ces murs gardent donc le souvenir de la grande aventure océane à travers de tels graffiti.

En principe, dans ces villages normands près de La Manche, les fils aînés des petits seigneurs de campagne reprenaient la terre, et les cadets devenaient militaires ou officiers-marins du roi. Les habitants étaient métayers, cultivateurs, marins. Beaucoup de femmes du village fabriquaient les filets de pêches. Il faut savoir, en effet, qu’un petit port dit le port de Courval existait à Trouville-La-Haule, près du lieudit « Le Bout-des-Hayes », semble t-il. Il y avait même, au temps de nos rois, les Dardes des Rives (police royale) pour protéger les bateaux des armateurs entre Quillebeuf et Trouville-La-Haule et même Vieux-Port… souligne l’historienne locale normande Madeleine JOTTE. On peut rappeler un naufrage qui resta dans les mémoires des villageois normands : le navire « Le Télémaque » avec son trésor perdu à jamais… Un café de Quillebeuf-sur-Seine en a d’ailleurs porté le nom de ce bateau en souvenir, comme le souligne Mamita ROTA, habitante de Trouville-La-Haule près de l’église.

         A titre personnel, j’ai connu durant ma jeunesse les fêtes religieuses en été à Port-en-Bessin, dans le Calvados, où toute la population, élus et religieux compris, participait à ces lectures religieuses, à ces gravures de bateaux sur bois ou pierre, et à ces décorations florales merveilleuses, aussi bien dans le port qu’à l’église. C’est au 15 août que cela se faisait.


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  L’escalier du château Du Buc situé sur la presqu’île de La Caravelle à la Martinique, était compris dans une tourelle carrée au sommet de laquelle se trouvait une cloche pour sonner les heures de travail, de repos, et de repas. Contrairement à ce qui peut être dit aujourd’hui, il n’y a jamais eu de cachot à La Caravelle. Et les inscriptions (gravures dans la pierre) situées au bas de l’escalier ne sont pas l’œuvre de prisonniers. Ces inscriptions de bateaux ont été faites lors de prières que les « femmes de marin - femmes de chagrin » récitaient selon la tradition des bénédictions religieuses « au nom du Père, du Fils, du Saint Esprit, bénissons la mer. Mettons sous la garde de Marie nos voiliers, nos doris, nos hommes embarqués, les filets, les voiles et les cordages ». Cette prière et ces gravures se faisaient tous les 15 août (fête de Marie) où lorsqu’un nouveau bateau venait d’être construit. Les curés normands (Fécamp, Dieppe, Le Havre, Quillebeuf-sur-Seine, Honfleur, Harfleur, Port-en-Bessin, Arromanches...) ou martiniquais (La Trinité, Fort-de-France, Saint-Pierre) récitaient ces prières en compagnie des femmes face aux bateaux sur lesquels étaient montés les marins. Des guirlandes de fleurs décoraient les rues du port, l’église, et les bateaux.

 

Ces prières sont reprises par le professeur Hervé Eveno dans son livre écrit en 2008 et intitulé « les dictons et expressions populaires de Normandie ». »
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Les graffitis de l'habitation La Caravelle dite « Château Dubuc » presqu’île de la Caravelle, commune de la Trinité Martinique


Sous l’escalier, à l’abri de la pluie et des canonnades ennemies, les gardes nationaux de Trinité s’apprêtent à repousser les Britanniques, entre le 5 et le 6 février 1794. A l’aide d’une pointe, ils gravent dans l’enduit du mur le type des navires amarrés devant l’îlet Trésor et l'îlet Monsieur, tandis que le gros des troupes d’invasion débarque à la rivière du Galion. Pris à revers, les défenseurs se replient vers la Redoute de Beauséjour puis sur le Vert-Pré en laissant ce témoignage de leurs observations.
 
 

Carte de localisation du « Château Dubuc »
 
Les vestiges de l'habitation La Caravelle se dressent au fond de la baie du Trésor, anciennement Cul-de-sac de La Tartane, à l'extrémité de la presqu'île qui s'avance vers l'Est depuis la côte au vent de la Martinique. Balthazard Dubuc de Bellefond y établit une sucrerie en 1725 et commença à y bâtir une belle demeure en pierre vers 1740. En 1771, la dernière propriétaire résidant sur les lieux, veuve de Louisy Dubuc du Gallion, s'embarquait pour la Guadeloupe, laissant son logis à l'abandon.
 
Au moment du dégagement des ruines, en 1972, une cavité de 1,12 m de large, 2,40 m de profondeur et 1,80 m de hauteur et située dans un coin de mur, servait de parc à cochon : c'était le dessous d'un escalier tournant en pierre conduisant à un étage.

Sitôt dégagé, le réduit révèle, sur l'enduit en chaux et sable madréporiques de sa paroi nord, une série de graffitis représentant des embarcations de haute mer. La presse est saisie de la chose et l'on peut lire dans un article d'août 1972 du journal France Antilles :

"lors d'une première reconnaissance, au début juillet, M. Mattioni a découvert dans un cachot servant de porcherie, des graffitis datant de plus de deux siècles. Dans ce réduit de moins de 4 m2 attenant à la maison, un prisonnier, sans doute esclave de Dubuc, a matérialisé son rêve d'évasion en dessinant sur le crépi des murs des bateaux parmi lesquels deux galions et une tartane. L'authenticité de ces dessins ne fait aucun doute ; les détails apportés par l'auteur de ces dessins sont trop précis."
Ces explications de 1972 accompagnaient dans le journal une photographie du graffiti central1 que M. Mattioni a également placée dans le micro-musée du site en 1976. Elle est d'autant plus précieuse que l'enduit dans lequel les trois navires sont gravés a connu depuis des dommages importants et que les moulages qu'il dit avoir fait prendre ont disparu2.
En 1976, M. Mattioni rédigeait un petit guide de l'habitation qui consacrait son surnom de "Château Dubuc", ainsi que la légende de l'esclave graveur :
"Hypothèses, bien sûr, et pourtant certains faits mis à jour (sic) par les fouilles sont là, indiscutables. Non sans oublier les graffitis de navires sur les parois d'un "cachot". Ils sont la silhouette classique des embarcations à voile du XVIIIè siècle, avec leur château de poupe, les sabords et les grands mâts. Il les a vus ces bateaux, celui qui a fixé les contours, avec la pointe d'un clou, peut-être, et il est émouvant de penser à cet esclave, à cet homme enfermé, qui a peut-être confondu en un seul symbole la mer, le grand large et aussi la liberté et son désir de la posséder3."
Plus loin, en décrivant le micro-musée, il signalait :

"de part et d'autre de la porte d'entrée, le moulage des graffitis des bateaux du cachot placé sous l'escalier de l'habitation principale.4"
Pourtant, si l'on doit rendre à M. Mattioni le mérite d'avoir reconnu et préservé un vestige archéologique particulièrement rare, il serait temps de revenir sur ses interprétations, à la lumière des investigations archéologiques que nous avons effectuées sur le site et de la connaissance de l'histoire de la presqu'île à laquelle nous sommes parvenus aujourd'hui.

La première cause des erreurs d'interprétation de M. Mattioni vient de ce que le dégagement complet des ruines n'a été achevé qu'en 1974 et qu'une étude des vestiges, avec un relevé architectural sommaire, n'a été entreprise qu'en 19865. L'étude d'archéologie menée en 1989 par Jean-François Barret s'est quant à elle cantonnée aux vestiges industriels.

M. Mattioni - comme C. Chanteur - croyait que l'escalier de pierre était extérieur au logis, ce qui rendait vraisemblable l'internement d'un esclave rebelle, voire dangereux :
"On accédait à l'étage par un escalier extérieur en pierre au-dessous duquel on avait aménagé un cachot.6" "L'escalier qui accède au second étage est extérieur.7"
Plan de localisation des graffitis
 

En réalité, le dégagement des fondations et la restauration des murs ont fait apparaître un plan classique de grand'case du XVIIIe siècle colonial français, avec un escalier intégré au corps du logis, symétrique sur la façade d'un "cabinet" et dont le dessous faisait fonction de réserve8: comment croire qu'on ait enfermé un individu dangereux à l'intérieur de la maison ?
L'analyse structurale des graffitis contribue, elle aussi, à invalider l'hypothèse de M. Mattioni.
La restauration du mur et le nettoyage de l'enduit, en 2005-2006, ont permis de faire apparaître plus de gravures que n'en avait dénombré M. Mattioni. Nous en avons compté une dizaine, sur deux niveaux et en trois groupes, mais il en existait d'autres là où l'enduit s'est complètement désagrégé. Une partie des graffitis a été réalisée par un homme accroupi, une autre par un ou deux hommes debout. Seules celles du centre, en bas et en haut, les plus complètes et les mieux conservées, ont été relevées et étudiées durant les mois de mars à mai 2006.
La conclusion de ce travail est que la répartition des gravures sur les parois, ainsi que l'inachèvement et la reprise de certaines, prouvent qu'il n'y a pas eu un mais plusieurs graveurs. L'hypothèse d'une exécution par la même main en plusieurs temps n'a pas été écartée sans examen, mais la différence de largeur et de profil des incisions, l'utilisation d'un outil tranchant et d'un clou - sans parler encore des sujets représentés qui s'intègrent à la mise en scène d'un événement bref et unique - la font repousser. Il y a bien eu plusieurs graveurs dans un même temps d'exécution, mais aurait-on enfermé plusieurs rebelles ensemble à l'intérieur de la maison ? A aucun moment ensuite, la documentation ne permet d'envisager que le réduit ait pu servir de prison civile ou militaire.
Les dimensions du réduit voûté et la présence, au fond, d'une lucarne pour l'éclairage permettent seulement d'envisager qu'il ait été aménagé pour servir de chambre à un domestique de nuit, sachant que les occupants comptaient une dame âgée, la veuve Dubuc du Gallion mère, (+ 1769) et un infirme, Louisy Dubuc du Gallion (+ 1770). Un esclave domestique - valet de nuit ou servante - ne peut être tenu pour l'auteur des graffitis, pour des raison de temps disponible d'abord, pour des raisons de capacités techniques ensuite et par incompatibilité chronologique enfin.

Les graffitis sont ordinairement classés suivant leur nature, leur fonction, les graveurs ou scripteurs et les thèmes abordés.

Obtenus par incision de l'enduit du mur à l'aide d'un instrument métallique pointu et tranchant (pour les traits) et d'un clou (pour les points), les graffitis de la Caravelle sont des dessins, sans date ni inscription quelconque. Les formes représentées excluent toute fonction de protection ou de reconnaissance religieuses (ex-voto), tout projet de fabrication ou de construction, mais font penser à la trace d'un passage ou au témoignage d'un événement. Il s'agira d'examiner si les scripteurs ont pu être des prisonniers, des gardes ou des membres d'un corps de métier, l'éventualité de pèlerins étant à écarter sans appel.
Quant au thème, il est unique : il s'agit d'un ensemble de navires, les uns liés (groupe central), les autres isolés ou par petits groupes sans attache à droite, à gauche et au-dessus. Cette unité du thème donne encore plus de valeur à cet ensemble glyptographique, H. Cahingt rappelant en effet :

"… les graffiti de navires doivent être considérés comme des sources sérieuses de documentation. Ils ont le net avantage sur les œuvres des artistes d'être souvent, plus que ces dernières, conformes au modèle présenté. L'artiste est facilement tenté de ne voir le navire que comme un élément, sujet à interprétation artistique… Il n'y a, le plus souvent, que le peintre, dit de la marine, qui ait ce respect. L'auteur du graffito est généralement un simple qui n'a pas le don d'invention et qui exprime, grossièrement peut-être, mais avec fidélité, ce qu'il a couramment sous les yeux. Et si le graffito isolé peut être considéré comme une preuve insuffisante, un ensemble de graffiti portant régulièrement la même indication, peut être considéré comme une preuve certaine de la réalité de tel ou tel caractère9".
Photographie des graffitis
Photographie des graffitis
 
La quille10 et le gouvernail du navire le plus important sont dessinés avec exactitude, ce qui suppose qu'ils sont apparus aux observateurs à marée descendante : aucun terrien, libre ou esclave, n'est capable d'y faire attention dans sa vie ordinaire, encore moins d'imaginer qu'ils existent. La voilure et les gréements sont peu détaillés mais parfaitement justes en formes, en positions et en proportions, mais ce qui est particulièrement technique est le dessin de l'antenne de charge avec le hauban supportant un filet pour permettre l'embarquement ou le débarquement des marchandises lourdes et volumineuses, ici des caisses. Les sabords et les ponts sont bien dessinés, mais cela n'est pas vraiment significatif. Ce qui frappe, c'est la justesse du rapport de taille entre les six bâtiments complets et celle de leurs proportions respectives. En outre, on reconnaît sans risque d'erreur une bouée d'amarrage et des câbles qui la relient à deux navires, eux-mêmes attachés à deux plus petits, soit un total de quatre bâtiments au mouillage.
Tous les navires amarrés à la bouée et entre eux (quatre) sont représentés sans voile, en fait il n'y a qu'un gros navire, en haut à droite, qui semble croiser au large sous voiles.
Le rendu des graffitis est également significatif : il comporte des reprises (ou "repentirs") dues à la maladresse des graveurs, à la relative grossièreté du support et à leur outillage, mais aucune erreur de tracé.

La mise en relation du sujet des gravures avec le contexte culturel rend encore plus improbable leur exécution par un esclave, surtout à l'époque où la grand'case était habitée par ses maîtres (1740-1771).


On remarquera d'abord que les graffitis ne représentent que des navires et une bouée : de tels sujets ne sont en rien révélateurs de la présence d'un esclave ou d'un prisonnier enfermé. Tous les graffitis de cachots, connus par les études et publications de R. Villeneuve prouvent, qu'en cellule, l'homme ordinaire compte le temps (si le comput lui est connu), grave ses initiales (si l'écriture lui est connue) ou des signes ésotériques de protection ou de libération, mais surtout se dessine lui même, son visage et ses organes les plus frustrés par la détention. Il laisse parfois trace des éléments de son métier, mais jamais du souvenir de sa maison ou de la végétation extérieure. En outre, dans les civilisations traditionnelles qui ignorent l'hédonisme de notre société marchande, la mer ne fait même pas rêver ceux qui y travaillent11. Aux autres, elle n'inspire rien ou alors seulement de la crainte. En tout cas, dans l'Afrique traditionnelle comme dans l'Europe préindustrielle, la mer et les navires sont tout sauf des symboles de liberté.
Au contraire, les graffitis de navires européens répertoriés pour les XVIIe et XVIIIe siècles sont presque toujours le fait d'hommes de la mer ou ayant fréquenté la mer, installés librement à terre, comme à Dieppe (XVIIe s.), ou prisonniers comme à Peterborough (Angleterre, 1er Empire), au Maroc (1er Empire) ou à La Rochelle (XVIIIe s.)12.
Des graffitis similaires, représentant des navires existent sur l'îlet Chancel (anciennement îlet Monsieur puis Ramville) et sur les parois du "Château Perinnelle", à Saint-Pierre. Sur l'îlet, ils se trouvent sur la paroi d'un petit réduit à proximité des ruines de la poterie qui alimentait "La Caravelle". En fort mauvais état, ils attendent d'être photographiés, relevés et datés. Ceux de "Perinnelle", aujourd'hui invisibles, ont clairement été rattachés par les archéologues aux troupes de Marine qui casernèrent dans l'ancienne habitation des jésuites en 1762 puis en 1794-1802 : ils représentent des vaisseaux de haut bord à trois mâts du XVIIIe siècle. Ceux de "La Caravelle" pourraient dater, au plus tôt, de 1793, moment où l'habitation a été placée sous séquestre par les révolutionnaires puis occupée par les troupes, donc bien après son abandon par les propriétaires.
Relevé partiel par Marie-France Barouh, 2006
Relevé partiel par Marie-France Barouh, 2006
Pour avoir pu représenter correctement les gréements et les proportions des parties des navires, les auteurs des graffitis étaient incontestablement, sinon des hommes de mer, du moins des hommes habitués à observer la mer et les embarcations, certainement pas des esclaves africains ayant voyagé à fond de cale et qui, par leurs cultures d'origine, ignoraient absolument tout des embarcations qui les transportaient. Par ailleurs, on voit mal comment des prisonniers graveurs auraient pu dessiner "sur le sujet", car, du fait de la disposition des lieux par rapport à la baie, ils ne pouvaient voir ni la mer ni le moindre navire du fond de leur "cachot" et devaient nécessairement se déplacer dehors pour observer.
Les conclusions de l'étude des formes représentées sur le mur du dessous d'escalier et ce que l'on sait de l'abandon et de la ruine précoce de la grand'case (1771) conduisent à écarter sans appel toutes autres mains que celles d'hommes libres, familiers de la mer. Dans un premier temps, il faut donc penser que l'on a affaire au passe-temps de matelots ou de soldats de la marine qui se seraient réfugiés là pour se mettre à l'abri et certainement pas d'esclaves au cachot.

Les galions espagnols n'ont disparu qu'à la fin du XVIIIe siècle, mais ce terme générique n'a jamais désigné un type précis de navire et le mot n'existe à la Martinique qu'en rapport avec la baie dans laquelle les Espagnols venaient relâcher avant l'arrivée des Français13. Il en va de même de la tartane et de la caravelle. En réalité, les graffitis ne représentent ni galion ni tartane, comme le croyait M. Mattioni, mais des bâtiments de guerre que la précision de leur rendu permet d'identifier avec certitude.

Identification des navires
Identification des navires
 
Quatre bâtiments complets sont au centre, deux autres sont placés respectivement à gauche et au-dessus, un dernier ne subsiste qu'à moitié ; c'est à ces sept images que nous avons limité le travail d'identification.
Recherchant d'abord des navires français, nous avons essayé de reconnaître, dans le groupe central, une goélette franche pour le plus important et deux sloops pour les plus petits, le second, moins lisible, demeurant inconnu.
L'hypothèse des sloops a été confirmée, mais celle de la goélette a été rapidement écartée à cause des deux mâts de charge et de la forme du gouvernail.
En poursuivant nos investigations, nous nous sommes étonnés du rassemblement autour d'une bouée de bâtiments aussi divers et nous avons fini par reconnaître dans le navire inconnu une canonnière et dans celui dessiné au-dessus une frégate. Dans le groupe central, la canonnière est vue de haut, par le travers arrière, alors que sur un graffiti placé à l'extrême droite elle se présente de côté, avec le même gréement caractéristique. Le château arrière de la frégate est inachevé ou détruit, mais le gréement des trois mâts ne laisse aucun doute.
La reconnaissance de trois embarcations de guerre donnait dès lors une signification au rassemblement des navires et nous conduisait à rechercher dans l'histoire de la presqu'île les épisodes de relâches et de stationnement d'une flotte française ou ennemie.

Bien que depuis Blénac (1677-1693) les administrateurs de l'île n'aient cessé de venter le port de La Trinité et de pourvoir à sa défense, aucune flotte de guerre française n'y a jamais stationné. En revanche, c'est à quatre reprises qu'une escadre britannique s'y est présentée, soit pour effectuer un débarquement en 1759, 1762 et 1809, soit pour le simuler, en 1794.

Les opérations navales de la guerre de Sept ans (1756-1763) nous sont mieux connues par la documentation britannique que par les sources ou études françaises14. Nous avons en particulier la chance de disposer d'une vue du port de la Trinité et du débarquement du 11 février 1762, peinte à l'huile par le Français Dominique Serres (1719-1793)15. Serres accompagna la flotte britannique en Nouvelle-Écosse et aux Antilles jusqu'à la fin de la guerre, s'installa à Londres en 1765 et devint peintre officiel de la marine16..Dessinées sur le sujet, sa toile et les gravures qui en ont été tirées permettent de reconnaître des vaisseaux de ligne, des frégates, des goélettes et des sloops mais pas de canonnière. Par ailleurs, on sait que ce débarquement n'a pas affecté la presqu'île de La Caravelle. Il est donc peu probable que les graffitis datent de cette époque.
Carte des opérations de 1794. La carte des opérations britanniques à partir d’Alexandre Moreau de Jones
Carte des opérations de 1794. La carte des opérations britanniques à partir d’Alexandre Moreau de Jones
Serres n'a pas participé aux guerres de la Révolution et de l'Empire et personne, pas même le Révérend Cooper Wylliams, aumônier de la flotte britannique, ne nous a laissé d'images de l'attaque sur Trinité en 1794. Cependant, les représentations précises qu'il donne de l'attaque du Marin et de Fort de France permettent de comparer les navires de cette invasion avec les graffitis. En outre, la documentation écrite, française et anglaise, est particulièrement riche à propos de cet épisode et nous y avons trouvé la clé du mystère des graffitis.
Les sources anglaises nous donnent le cadre de l'invasion et les détails de la flotte :
"La flotte approcha de la Martinique à la fin de l'après midi du 4 (février), la division de Trinité composée de quatre vaisseaux (warships) sousles ordres de Thompson, avec près de 2.000 hommes de la 2de Brigade de Dundas, en même temps que le 2d Bataillon de Grenadiers et le 1er d'Infanterie légère, se séparèrent de l'ensemble du corps et firent route vers l'est de l'île. Après une autre nuit en mer, tandis que les troupes de débarquement de Trinité se mettaient en position, les attaquants se positionnèrent face à leur cible le 5 février17."
Pelauque atteste que, du côté français, ces manœuvres ont été clairement perçues et que la présence à l'entrée de la baie du Galion de cinq bâtiments de guerre a bien été remarquée :
"D'après cette connaissance, ils se montrèrent le 4 février, et signalèrent leurs projets. ‑ Dans la matinée du 5, ils parurent encore élevés au plus à la distance de 4 lieues au‑dessus des côtes de la Tartanne, et après avoir louvoyé quelque tems dans cette partie, cinq bâtiments de guerre qui, avec quelques transports et quelques bateaux armés, composaient cette division, se déployèrent et mirent le Cap, les uns sur la Tartanne, d'autres sur la Caravelle, d'autres enfin sur le Robert18".
Une lettre de Bellegarde à Rochambeau, rédigée par Pelauque, confirme le fait :
"Trinité 18, 5me. mois, l'an 2me. (6 février) de la République une et indivisible
Citoyen Général,
J'ai passé la nuit et toute la matinée en observation. Voici l'état des choses : un vaisseau, deux frégates et trois transports avec trois bâtiments légers sont mouillés dans la baie du Gallion très près de terre et cinq gros bâtiments dont trois paraissent du 1er rang croisent dans les parages de la Tartane…19".
S. Daney explique que "le dessein de l'ennemi, en se partageant ainsi sur trois points, était de forcer aussi les Français à diviser leurs forces et de rendre, de cette manière, son débarquement plus facile20".
Mais avant de pouvoir débarquer, et même de pouvoir mouiller en sûreté, les Britanniques devaient réduire au silence les batteries côtières.
"Dundas brisa de façon spectaculaire le dos de l'ensemble de la défense intérieure de l'île. Son débarquement à la baie du Galion le 5 se distingua par la conduite impétueuse du capitaine Robert Faulkner du sloop Zebra qui devait laisser une marque indélébile sur cette expédition. Faulkner conduisit l'escadre vers la baie du Galion et plaça son navire à proximité de l'une des batteries côtières21, chassant ses occupants par une bordée de canon. Les vaisseaux suivants s'enfilèrent dans le passage et Dundas débarqua sans opposition ses troupes dans l'obscurité. Le jour suivant, il fit mouvement vers Trinité22."
Cette partie des évènements nous donne la certitude qu'une partie importante de la flotte d'invasion a stationné en face de l'habitation La Caravelle, à partir du 5 février 1794, qu'au moins un sloop de guerre a attaqué les batteries du nord de la baie du Galion et surtout que tous ces navires ont pu être observés, depuis la presqu'île, par des graveurs dont il reste à préciser l'identité grâce à une source française.
Dès 1793, Rochambeau avait confié la défense de la côte au vent (ou Capesterre) au lieutenant-colonel Bellegarde et à ses bataillons de Chasseurs de couleur. Grâce à son secrétaire, nous avons le récit détaillé des opérations menées par Bellegarde. Ancien avocat au conseil supérieur du Cap français et favorable aux idées nouvelles, Jean Marie Pelauque rencontre Rochambeau, devient son secrétaire le 14 janvier 1793 et s'embarque à sa suite pour la Martinique. Peu de temps après, il fait la connaissance de Bellegarde, quitte son maître et s'attache, toujours comme secrétaire, au colonel qui ne savait pas écrire.23. Grâce à lui nous connaissons les détails de la défense française de la Caravelle à peine évoquée par Rochambeau lui-même, S. Daney ou H. de Poyen.

En février 1794, lors du débarquement britannique dans le quartier de La Trinité, "il y avait les trois compagnies (en réalité bataillons) d'hommes de couleur avec officiers blancs, commandés par Bellegarde, Edouard Meunier et l'Enclume24".

Par une lettre reçue trop tard, Rochambeau laissait toute latitude à Bellegarde pour organiser la défense et plaçait sous ses ordres une compagnie de L'Enclume et la garde nationale de La Trinité :
45"du Lamentin 18, 5me mois l'an 2me (6 février)
"J'ai appris à Saint-Pierre, à huit heures du soir, que le signal fait à République-Ville à quatre heures était que la Trinité demandait du secours. (…) Je vous laisse l'ordre par cette lettre de disposer de la garde nationale du Rochambeau25 et de Ste-Marie pour vous renforcer et veiller les parties du Robert, du François et de la Trinité. (…).26"
Une lettre de Bellegarde à Rochambeau, rédigée par Pelauque, nous permet de connaître le mouvement de l'ennemi qui s'attaquait aux batteries du sud de la presqu'île pour libérer l'entrée de la baie du Galion :
" depuis la Trinité 18, 5me mois, l'an 2me (6 février 1794)
(…) Depuis hier, on tente du côté de Spoutourne un débarquement qui a toujours été empêché par la compagnie de mon frère et par celle de feu La Grenade. (…)27"
Dans la journée du 4 février, Bellegarde avait déjà décidé de poster des troupes à l'extrémité méridionale de la presqu'île, mais une initiative du comité révolutionnaire le détermine à les déployer jusqu'à l'habitation Dubuc :
"Bellegarde (…), reçut le 5 un arrêté des officiers municipaux de la Trinité, par lequel il étoit requis d'envoyer des forces suffisantes à la Caravelle et dans les environs pour s'opposer au débarquement".
"D'après cet ordre, et d'après sa propre opinion qui le portoit à croire que ces points du vent de l'île, avoient besoin d'être soigneusement gardés, il envoya la première compagnie des chasseurs commandée par Hyacinthe, son frère à l'habitation la Spoutourne. ‑ La compagnie de Lagrénade commandée par Chamand, fut établie sur les hauteurs de la Tartane pour surveiller cette côte. ‑ Reinaud commandant de la garde nationale de la Trinité, se rendit à l'habitation de la Caravelle…28"
Une note de Pelauque nous permet d'être certains de la présence de cette unité dans les murs de ce que l'on appelle aujourd'hui le "Château Dubuc":
"Le soin de maintenir l'ordre dans les environs de la Trinité et dans le bourg auroit regardé lagarde nationale, mais elle étoit avec le commandant Reinaud à la Caravelle, pour y empêcher la descente des anglais29".
Alors que les Chasseurs étaient presque tous des esclaves sortis des habitations, attirés par la promesse qu'avait faite Rochambeau de leur accorder la liberté au terme de leur service, les gardes nationaux étaient des gens des bourgs et des villes, tous libres et majoritairement blancs, pas toujours créoles, ou alors "petits blancs" gagnés aux idées révolutionnaires. Ces hommes du port de La Trinité, qui n'étaient sans doute pas des marins, sont envoyés sur l'avant poste le plus extrême de la presqu'île, sur l'habitation la Caravelle. Pendant qu'ils progressent à pied, observant la baie, Pelauque raconte :
"Deux frégates et un vaisseau, pilotés apparemment par un pilote bien pratique de la baye du Gallion, y étaient entrés le 5 vers les quatre heures après midi avec une inconcevable facilité. - Ils avoient été suivis de deux transports et de deux bateaux armés, de manière qu'en cet état de choses, aux craintes que le débarquement s'effectuait à la Tartanne ou à la Caravelle où les ennemis se tenoient toujours en panne et assez près de terre, se joignaient les craintes non moins fondées de voir ce débarquement s'entreprendre à l'ouest de la baye du Gallion, vers la rivière de ce nom, ou du côté du Robert." (…)
" Ces dispositions ainsi faites et envoyées à l'instant même au général, Bellegarde se rendit du côté de la Caravelle et de la Tartane où les bâtimens faisoient toujours le simulacre d'undébarquement ‑ Par cette raison il y laissa les trois compagnies qu'il avoit envoyé la veille, avec ordre de ne pas se déplacer sans nouvel avis30." (…)
Au "Château Dubuc", les gardes nationaux cherchent un endroit pour échapper à la pluie. Pelauque precise en effet : "La soirée du 5 avoit été très pluvieuse. ‑ Cette pluie se renouvella souvent pendant la nuit, et la rendit obscure31". On sait que la toiture de la grand'case avait déjà disparu à cette date et qu'il n'y avait pas d'autre refuge que la cuisine et le dessous d'escalier : c'est dans ce dernier endroit que deux ou trois gardes se sont installés. Après avoir observé la flotte ennemie depuis le 4, ils allaient y rester de la fin de la journée du 5 au milieu de la nuit comme le raconte Pelauque :

"La nuit s'avançoit. ‑ Bellegarde, n'osant plus espérer des secours du second bataillon des chasseurs, se décida à rappeler Hyacinthe son frère, avec la compagnie qu'il avoit à Spoutoume. ‑ La garde nationale commandée par Reinaud, et la compagnie La Grenade reçurent le même ordre32(…) des chasseurs se hasarderent, avec success, à traverser le Petit Brésil33, pour porter à la redoute l'ordre de faire retraite". (…)
"La compagnie de la Grenade, et celle des gardes nationales de la Trinité, qui étoient bien plus éloignées que celle d'Hyacinthe, ne pouvant pas nous joindre assez promptement, l'ennemi leur coupa la communication ‑ Il leur tua quelques hommes qui vouloient forcer le passage, ce qui les mit dans l'obligation de se retirer à la redoute (aujourd'hui Pointe La Martinière ou de la Batterie).
"Ces deux compagnies et celle de Ponthonier qui commandoit alors ce poste, profitèrent de l'obscurité de la nuit, pour passer dans les pièces de Canes à sucre, entre les habitations Laurencin (aujourd'hui Desmarinières) et du Grand Fonds (aujourd'hui encore Grand Fond). ‑ De cette manière, il leur fut possible, mais avec beaucoup de peine, d'aller au fort de la République par le chemin du Verpré34".
Ainsi s'achevait la nuit de la Caravelle pour les deux ou trois bons observateurs de la Garde nationale de La Trinité qui avaient eu le temps de laisser un souvenir des évènements dramatiques du 4 au 5 février 1794.

Grâce aux sources françaises, il est possible d'affirmer que les navires représentés correspondent aux bâtiments britanniques qui ont stationné devant Tartane, devant la baie du Trésor et devant la baie du Gallion, une partie d'entre eux ancrés à quelques encablures de l'îlet Trésor pour simuler un débarquement et émietter la défense française. La confrontation entre les sources anglaises donnant la composition de la flotte avec les navires représentés a même permis de retrouver le nom de certains.

Sur dix dessins, lisibles en 1972 ou aujourd'hui, nous avons reconnu :
  • Bouée d'amarrage (1),
  • Brick marchand, correspondant à un transport armé en flute (1),
  • Sloop de guerre (5 ou 6)
  • Canonnière (1 ou 2)
  • Frégate (1)
D'après les archives britanniques, la partie de la flotte d'invasion postée à l'Est était composée de :
  • Vaisseau de second rang : Boyne (98 canons)
  • Vaisseaux de troisième rang : Vengeance (74 canons), Irresistible (74canons)
  • Vaisseaux de quatrième rang: Veteran (64 canons)
  • Frégates (8) dont La Blanche (32 canons)
  • Sloops de 16 canons : Zebra, Seaflower, Rattlesnake, Nautilus
  • Galiote à bombes : Vesuvius
  • Transports de 44 canons armés "en flute" : 3 dont 1 ravitailleur (storeship) : Dromedary
  • Canonnières : Spiteful, Tickler, Tiezer, Tormentor, Venom, Vexor
Pour des raisons nautiques, aucun vaisseau de haut-bord (premier à quatrième rang) n'a pu stationner à proximité de la côte, ni même venir s'ancrer près de l'îlet du Trésor à l'entrée de la Baie du même nom en contrebas du "Château Dubuc". Les gardes nationaux n'ont pu les observer que de loin puisqu'ils ont pénétré dans la baie du Galion à la nuit tombante et sous la pluie. Il en va de même pour le navire hôpital. En revanche, à l'exception de la galiote à bombes à laquelle aucun graffiti ne correspond, tous les autres bâtiments ont été représentés sur la paroi du dessous d'escalier :
  • 1 frégate avec ses trois mâts (n° 5) sans doute La Blanche, déjà venue en 1793 pour débarquer Gimat, chef des émigrés. Le dessin rappelle les frégates H.M.S. Diana et Unicorn, construites en 1794.
  • 1 navire à deux mâts en plein déchargement de caisses d'armes et de munitions (n° 2). La forme de sa coque et la baume arrière du grand mât font d'abord songer aux brigantins ou bricks anglais de la fin des années 1750, mais la forme de la poupe et l'emplacement du mât avant ne correspondent pas. En revanche, la liste anglaise signale les transports comme "armés en flûte", ce qui oriente l'identification. La flûte est à l'origine une construction hollandaise destinée au commerce qui évolue du XVIIe au XVIIIe siècle. Sa coque affecte la forme d'une caravelle avec une proue basse et une poupe arrondie vers le bas. En coupe, le pont apparaît plus étroit que la coque en dessous. A la fin du XVIIIe siècle, les navires marchands britanniques empruntent ces formes qui augmentent la capacité de charge, mais conservent le gréement du brick qui permet plus de vitesse et de meilleures allures. Ce type de bâtiment, dont le modèle est le brick Unicorn (1790), prend le nom de "brick marchand" au cours du XIXe siècle. Le dessin représente presque certainement le Dromedary, seul transport réservé aux marchandises dans la flotte de 1794.
  • 5 ou 6 sloops dont certains chargés de caisses d'armes. Appelé "naval sloop" ou "sloop of war" par l'utilisation que les Britanniques en font au XVIIIe siècle, le sloop ou "bateau bermudien" est une création originale de l'Amérique maritime originellement conçu pour se livrer à la contrebande. Il comporte un mât droit, une voile aurique et un foc, file 11 nœuds, porte 75 hommes et plus de 14 canons. Le Zebra destructeur des batteries figure sans doute parmi les graffitis, mais le chiffre de 5 ou 6 sloops est supérieur à celui de la liste des archives anglaises (4).
  • 1 ou 2 canonnières, car le dessin coupé en deux de l'extrémité droite pourrait aussi bien représenter un sloop. Avec son gréement caractéristique, la canonnière (gunboat) du XVIIIe siècle est armée d'un canon de 24 livres devant le mât et de deux caronades de 12. Après l'expédition de 1794, les Britanniques innovent en équipant le canon du H.M.S. Gunboat William (1795) d'une sorte de tourelle pivotante.
  • La correspondance entre la liste britannique et les graffitis est donc parfaite au niveau des types de navire ; la discordance en nombre s'explique par la présence ensemble de plusieurs scripteurs.
  • Une chose est sûre : sans les graffitis du dessous d'escalier, personne aujourd'hui n'aurait pu imaginer que la presqu'île avait connu un important épisode militaire et naval. Ignorés ou considérés comme des curiosités par les visiteurs, ces documents archéologiques seront désormais protégés, mis en valeur et expliqués grâce à la diligence du Parc naturel régional de la Martinique.
 

Bibliographie :

Sur les graffitis :
- Auger-Sergent, Anne-Sophie, "Les graffitis à sujets maritimes de la Normandie", dans Cahiers Havrais de Recherche Historique, n° 55, 1996, p. 53-70.
- Cahingt, Henri, "Les graffiti" dieppois", dans Le navire et l'économie maritime, 1er Colloque international d'histoire maritime (1956), Paris, SEVPEN, 1957, p. 53-70.
- Cahingt, Henri, Les murs qui parlent, Dieppe, 1990.
- Bucherie, Luc, Enquêtes sur les graffiti de marins anglais, prisonniers de guerre en France au XVIIIe siècle, Académie des sciences, arts et belles lettres de Touraine, Mémoires, 2002.
- Bucherie, Luc, "Panorama des graffiti maritimes des côtes du Ponant", Actes du VIIe colloque international de glyptographie de Rochefort-sur-Mer, Centre international de Recherches Glyptographiques, Tome II, 3-8 juillet 1990.
- Graffiti marins des églises du Val de Saire. Réville, Quettehou, Morsalines, Musée Maritime de Tahitou, 2002.
- Le Roc’h Morgere, Louis, Navires mémoire de la mer, Paris, Rempart patrimoine vivant, 1990.
- Serander, Arnaud, "Les graffiti marins de l'église d'Hénouville", Hénouville Contact, n° 29, janvier 2000, p. 6.
- Site internet créé par Eric Leconte 2003 : http://graffitimarins.free.fr
Sur les grand'cases du XVIIIe siècle
- Cauna, Jacques de, "La création des grands domaines", Voyages aux Iles d'Amérique, Paris, Archives nationales, 1992, p. 179-183.
- Dearborn Edwards, Jay, and Kariouk Pecquet du Bellay de Verton, Nicolas. A Creole Lexicon. Architecture, Landscape, People, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2004.
- Debien, Gabriel, "Les grand'cases des plantations à Saint-Domingue aux XVIIè et XVIIIè siècles", Annales des Antilles, n° 15, 1970, p. 1-39.
Sur le "Château Dubuc"
- Barret, Jean-Baptiste, Rapport de reconnaissance archéologique dans la presqu'île de la Caravelle, Fort-de-France, C.E.R.A., avril 1989, 5 p., 11 planches.
- Chauleau, Liliane, Notes sur l'habitation Dubuc, manuscrit, Archives départementales de la Martinique, sans date.
- Chanteur, Catherine, Château Dubuc, Mini-mémoire de Licence d'Histoire, 1986, levés d'architecte par Alix de Raynal.
- Huyghues-Belrose, Vincent, L'habitation La Caravelle dite "Château Dubuc", Trinité, Rapport d'enquête, Fort-de-France, SRA-PNRM, juin 1998.
- Mattioni, Mario, "Etude de la réserve de la Caravelle, 1ère phase : restauration et aménagement du château Dubuc", Parc naturel régional de la Martinique, a.u.p.t.m., juin, 1972, 8 p.
- Mattioni, Mario, Le Château Dubuc, Fort-de-France, SIVMANO, Imprimerie Désorrmeaux, sans date (1976 ?), 13 p.
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Sur l'histoire militaire de Trinité et de la presqu'île de la Caravelle
- Pelauque, J. M., Le mistère dévoilé, ou Exposition de quelques faits relatifs aux mouvements de la Martinique, depuis le 4 Février 1793, jusqu'au 24 Mars 1794, (Paris), De l'imprimerie de Pain, Passage Montré, (1795), 148 p. (BnF, LK 12 1158).
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- Duffy, Michael, Soldiers, sugar and sea power : the British expeditions to the West Indies and against revolutionary France, Oxford, Clarendon Press, 1987.
- James, William, Naval History of Great Britain from the declaration of war by France…, London, Baldwin, Cradock & Joy, 1822-1824, 5 vol. Réédition en 6 vol., London, Conway Maritime Press, 2002.
- Willyams, Reverend Cooper, An account of the campaign in the West Indies in the year 1794, London, G. Nicol B. and J. White, J. Robson, 1796, réédition en fac simile Basse-Terre, Société d'Histoire de la Guadeloupe, 1990.
Cartographie
- "Carte de la Coste du Vent de l'Isle de la Martinique où les débarquement de l'armée Anglaise furent opérés par surprise en 1794 et 1809", CAOM, F3, 293 2/2.
- "Carte des débarquements Anglais de 1794, 1er juillet 1816", CAOM, DFC 16A 17 520 A.

Notes

1  La légende de cette photographie dit : "Un galion qui symbolisait la liberté dans l'esprit du prisonnier."
2  D'après Thierry Dorival, ingénieur de recherche à la DRAC, ces moulages n'ont jamais été faits.
3  MATTIONI, M., Le "Château" Dubuc, 1976 ?, p. 8.
4  MATTIONI, M., Le "Château" Dubuc, 1976 ?, p. 11-12.
5  CHANTEUR, C., Château Dubuc, 1986. Relevés par Alix de Raynal, architecte DPLG.
6  MATTIONI, M., Le "Château" Dubuc, 1976 ?, p. 9.
7  CHANTEUR, C., Château Dubuc, 1986, p. 32.
8  Voir DEBIEN, G., "Les Grand'cases", 1970, EDWARDS and KARIOUK, A Creole Lexicon, 2004 et mon étude sur l'habitation.
9  CAHINGT, Henri : "Les graffiti" dieppois", 1957, p. 54.
10  Identifiable sur la photographie de 1972, elle n'est plus visible aujourd'hui.
11 CAHINGT, Henri : "Les graffiti" dieppois", 1957, p. 69.
12 Sur les graffiti de La Rochelle (fin XVIIIè-début XIXè), comparables à ceux de la Martinique et exécutés par des corsaires britanniques capturés pendant la guerre de course, on se reportera à l'émission télévisée "Thalassa" du 7 août 1998 qui montre les procédés de moulage utilisés pour leur conservation et leur étude.
13  Un dernier galion espagnol a fait relâche à Trinité en 1717, mais ce gros navire n'a jamais pénétré dans la baie du Gallion, encore moins dans celle du Trésor.
14  Voir en particulier PARES, Richard, War and Trade in the West Indies (1739-1763), London, Franck Cass & Co Ltd, 1963 et JAMES, W., Naval History of Great…, 1822-1824, vol. 2.
15 A View of the Port of La Trinité and all the north side of Martinique, vers 1765. National Maritime Museum. Gravures par Peter Charles Carnot, Londres, vers 1769 et par G. Lizeidt, Augsbourg, vers 1770 (Collection des Prospects).
16  RUSSETT, Allan, Dominic Serres R. A. : 1719-1793. War Artist to the Navy, Londres, Antique Collectors' Club, 2005.
17  DUFFY, M., Soldiers, sugar and sea power, 1987. p. 69 d'après Willyams, An account, 1796,p. 15‑16 et archives PRO, Admiralty papers, ADM 2/1346 : Instructions to Jervis, 16 Nov. 1793.
18  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 95.
19  DANEY, S., Documents, 1858, p. 172-173.
20  DANEY, S., Histoire de la Martinique, 1963, 3, p. 229.
21  Batterie de la Pointe de la Batterie ou batterie de la Pointe à Chaux.
22  DUFFY, M., Soldiers, sugar and sea power, 1987. p. 74.
23  Tous les détails biographiques proviennent du mémoire édité par Pelauque en 1795
24  DANEY, S., Histoire, 3, p. 229. POYEN, H. de, Les guerres, 1896, p. 50. Les lieutenants de compagnies du bataillon de Chasseurs commandé par Bellegarde étaient son propre frèreHyacinthe, La Grenade et Octavius. La Grenade meurt avant le 4 février et Poyen, précise que "la compagnie d'Octavius appartenait au bataillon de gens de couleur du mulâtre L'Enclume".
25  Fort Rochambeau, le nouveau nom donné au fort de La Trinité en 1793. DANEY, S., Histoire de la Martinique, 1963, 3, p. 229.
26  DANEY, S., Documents, (1857) 1960, p. 172.
27  DANEY, S., Documents, (1857) 1960, p. 173-174.
28  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 96.
29  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 99 note 43.
30  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 100. En fait les compagnies ont été envoyées le jour même (5 février) comme Bellegarde et Pelauque l'indiquent plus haut.
31  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 100.
32  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 108.
33  Lieu dit au sud du bourg de la Trinité, au bord de la rivière Epinette, où se retirèrent des Hollandais du Brésil en 1654.
34  PELAUQUE, J. M., Le Mistère, 1795, p. 111.
35  DUFFY, M., Soldiers, 1987, p. 70-71.

List of illustrations

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TitlePhotographie des graffitis
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TitleRelevé partiel par Marie-France Barouh, 2006
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TitleIdentification des navires
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TitleCarte des opérations de 1794. La carte des opérations britanniques à partir d’Alexandre Moreau de Jones
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References

Electronic reference

Vincent Huyghues-Belrose and Marie-France Barouh, « Les graffitis de l'habitation La Caravelle dite « Château Dubuc » presqu’île de la Caravelle, commune de la Trinité Martinique », Études caribéennes [Online], 7 | Août 2007, Online since 04 February 2008, connection on 23 May 2015. URL : http://etudescaribeennes.revues.org/361  ; DOI : 10.4000/etudescaribeennes.361

vendredi 22 mai 2015

DANS LE SILLAGE DE LA FAYETTE A BORD DE L HERMIONE

Dans le sillage de La Fayette
À bord de l’Hermione
l hermione
L'arrivée à Las Palmas est un mélange étrange pour l'équipage de L'Hermione. Nous savons qu'il ne s'agit ici que d'une transition. Que d'une pause dans notre véritable voyage. Pourtant, nous apprécions aussi l'idée de toucher terre, d'aller faire un tour à la plage, d'aller boire un coup et manger des tapas, d'aller refaire le plein des stocks de chocolats et bonbons. De nous ré-armer physiquement et psychologiquement pour le véritable morceau de bravoure, cette transatlantique qui nous attend, des Canaries à Yorktown... La première pour une immense majorité d'entre nous. Nous avons le sentiment que quelque chose de différent nous attend.

JAMES COOK




 
James Cook, l’insatiable
 
 
 
Nous sommes le 13 février 1779 sur une plage de sable blanc de la plus grande des îles Sandwich. Une noix vient d’éclater un crabe des cocotiers à nos pieds. James Cook retire sa veste d’apparat de capitaine de vaisseau et reprend le fil de son histoire…
 
Voyage CookLe HMS Resolution et le HMS Adventure en baie de Matavai sur la côte Nord de Tahiti (peinture de William Hodges)
 
James Cook : Où en étions-nous ?
 
 Nous venions d’achever votre premier périple à bord de l’Endeavour…


James Cook :
 
 Yes ! Alors la Royal Society ne tarde pas à me proposer une autre expédition pour compléter la découverte de l’hémisphère austral. Cette fois-ci, avec plus de moyens puisque nous partions à deux navires. Encore fallait-il choisir les mieux adaptés. J’avais préconisé des bâtiments du même type que l’Endeavour. Comme mes vues coïncidaient avec celles de lord Sandwich, très impliqué dans le projet, l’Amirauté décida d’acheter et de rebaptiser le HMS Resolution jaugeant 462 tonnes, et l’HMS Adventure annonçant lui, 336 tonnes. Je prenais le commandement du premier. Le second étant confié à Tobias Furneaux, un ancien lieutenant du capitaine Samuel Wallis. Après plusieurs mois de préparatifs, nous avons quitté Plymouth fin juin 1772, accompagnés de scientifiques et du peintre paysagiste William Hodges. Embarquant les meilleurs instruments de navigation tel le chronomètre de Kendall, de la nourriture adaptée aux longs périples, un matériel de réparation conséquent. Et tout le saint-frusquin comme des munitions et des marchandises destinées aux échanges avec les naturels contre des vivres, ou pour simplement gagner leur estime.
 
James CookPortrait de James Cook réalisé par John Webber, embarqué sur l’HMS Resolution lors du troisième voyage
 
 
 Quelle était votre mission cette fois-ci ?


J.C. : Je reçus mes instructions le 25 juin. Elles me demandaient de rallier Madère avant de continuer ensuite jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Ceci pour rafraîchir les équipages avant de plonger vers le Sud pour chercher le cap Circoncision découvert il y a une trentaine d’année par le Français Charles Bouvet de Lozier. Le but était de savoir si ce cap faisait partie de la Terra Australis ou s’il n’était qu’un simple bout de caillou. Dans ce cas, je devais le visiter et faire route dans le Sud aussi longtemps qu’il y aurait quelque chance de rencontrer le continent. Si oui, j’avais à me maintenir dans de hautes latitudes et poursuivre mes découvertes aussi près du pôle Sud jusqu’à ce que j’aie accompli la circumnavigation du globe.


Le cap Circoncision était la pointe d’un continent ?
J.C. : Nos observations ont coupé court à cette idée. Nous étions début janvier. Ce qu’avait découvert Bouvet n’était autre chose que des montagnes environnées de bancs de glace flottants. Par la suite, notre progression s’est déroulée vers l’Est dans un froid intense et humide. Les rations de boissons fortes, des braies, des jaquettes magellaniques ainsi que des chausses de drap Fearnought réchauffaient nos marins. Outre quelques forts coups de vent, nous étions la plupart du temps dans le brouillard. Le pis était que depuis des semaines la glace adhérait si bien aux agrès, voiles et poulies qu’on ne pouvait les manier sans de vives douleurs. Nos matelots surmontèrent cependant ces difficultés avec fermeté et persévérance. C’est aussi dans cette brume épaisse que nous avons perdu contact avec l’Adventure, le 7 février 1773, malgré les nombreux coups de pierrier-de-quatre pour qu’il nous entende et nous positionne

Votre route dans ces contrées glacées se termine comment ?
J.C. : Vers le 18 mars, je mis le cap au Nord, ayant décidé de quitter les hautes latitudes méridionales et de cingler vers la Nouvelle-Zélande afin de retrouver Furneaux et de reposer mes hommes. Dix jours plus tard, nous mouillâmes dans la baie de Pickersgill (nom d’un des lieutenants de James Cook, ndlr.) Nous avons aperçu quelques naturels mais ces derniers ne semblaient pas s’intéresser à nous malgré les brimborions que nous essayâmes de leur offrir. Nous n’avons eu par la suite que très peu de contacts réels. En bordure de la mer, toutes les terres sont couvertes de bois épais propres à construire des navires. Alors que la flore n’offre guère de fruits comestibles, en revanche, la faune y est abondante. Comme différentes espèces de canards dont une semblable à la sarcelle. La petite mouche noire des sables, une vraie plaie, demeurant l’animal le plus malfaisant de ces contrées. Un peu de lait de coco ?
 
île de PâquesCarte de l’île de Pâques réalisée par l’expédition de La Pérouse. Elle tient son nom du navigateur hollandais Jakob Roggeven qui y accosta le dimanche de Pâques 1722.
 

Oui, merci. Vous avez retrouvé l’Adventure ?
J.C. : Effectivement. Le 18 mai, alors que nous étions au travers du canal de la Reine-Charlotte. Il était là depuis six semaines. Nous avons enfin pu continuer notre périple de conserve le 7 du mois suivant. Nos routes, malheureusement, se sont à nouveau séparées vers la fin novembre après une tempête. Pour ma part, l’option était de progresser jusqu’à la longitude de 140 à 150° Ouest, et si aucune terre n’était découverte, de continuer vers Tahiti avant un retour vers la Nouvelle-Zélande. C’est ce qu’il advint. Nous sommes restés quelques temps dans l’archipel de la Société (nom donné par James Cook en hommage à la Royal Society de Londres, ndlr.) Soignant les malades du scorbut dans un premier temps, et surtout visitant les nombreux îlots et leurs populations. Nous sommes même allés jusqu’aux îles de l’Amitié (les Tonga de nos jours, ndlr.) avant de rejoindre à nouveau la Nouvelle-Zélande le 21 octobre.
 
 Le retour vers l’Angleterre s’annonçait ?
J.C. : Loin de là ! Nous avons continué notre recherche du continent méridional. Louvoyant parmi d’immenses îles de glace. Certaines dépassaient la portée du regard. Il fallait plus de deux yeux pour voir leur longueur ! Je ne crois pas qu’on ait vu dans les mers du Groenland de montagnes semblables. Je n’ai rien lu, ni entendu dire de tel. Notre progression vers le Sud devenait périlleuse. Nous fîmes route vers l’île Davis ou île de Pâques. Les indigènes sur place, peu nombreux, ressemblent étrangement à ceux des îles plus occidentales. C’est d’ailleurs extraordinaire que la même race se soit répandue sur ce vaste océan faisant près d’un quart de la circonférence du globe. Nous ne connaissons pas leur religion. Là-bas, pas de Trinité ! Les gigantesques statues de pierre grise que les naturels appellent Moï, si souvent mentionnées, ne sont pas des idoles mais semblent plutôt des sépultures. Le travail en est grossier mais les visages ne sont pas mal indiqués. En particulier le nez et le menton, les oreilles quant à elles étant d’une longueur démesurée.
 
Moaï de PâquesLes Moaïs de l’île de Pâques demeurent toujours un mystère quant à leur signification…
 
Voilesetvoiliers.com : Le diable est dans les détails ! Et ensuite ?
J.C. : Après le passage aux îles Marquises, découvertes par Álvaro de Mendaña en 1595 si ma mémoire est bonne, nous avons tracé la route vers la haute terre de Tahiti atteinte le 21 avril. L’accueil fut chaleureux, et les échanges, surtout pour l’équipage, des plus généreux comme je vous le laisse imaginer… Là-bas, une chemise a autant de pouvoir qu’une pièce d’or en Angleterre. Peu de vols à signaler. Le seul pris sur le fait à l’aiguade, reçu deux douzaines de coups de queue-de-chat avec l’assentiment des chefs coutumiers... Je décidais de rester quelques temps pour radouber le bâtiment, le calfater et réparer les agrès si sollicités dans le Sud. Et pour faire le plein de vivres avant de rallier les îles de l’Amitié, puis l’île de Mallicolo au sein des îlots des Nouvelles Hébrides que nous abordâmes en août.
 
Voilesetvoiliers.com : Votre voyage est aussi ethnographique. Les peuplades rencontrées se ressemblent-elles ?
J.C. : A peu près. En revanche, lors de notre découverte de la Nouvelle Calédonie, nous avons rencontré des indigènes particuliers. Plus robustes. J’en ai remarqué quelques uns qui avaient les lèvres épaisses et le nez épaté, des joues pleines et jusqu’à un certain point les traits et l’aspect des nègres. Si j’avais à donner mon opinion sur l’origine de ce peuple, je le considérerais comme une race intermédiaire entre les habitants de Tanna et les Néo-Zélandais ; ou encore un mélange des trois. Leur caractère, en revanche, les surpasse en aménité et en probité.
 
Port RésolutionEntrée de la baie de Port Résolution, découverte par le capitaine James Cook à l’extrémité Sud-Est de Tanna, dans l’archipel des Vanuatu (gravure de Campbell)
 
Le retour en Angleterre a lieu quand ?
J.C. : Nous avons mouillé à Spithead le 29 juillet 1775 après un passage par le cap Horn. L’Adventure était là depuis un an. Furneaux était rentré par le cap de Bonne-Espérance. Comme je l’ai appris plus tard, dix de ses hommes avaient été massacrés en Nouvelle-Zélande
.
 
Charles ClerkePortrait du capitaine Charles Clerke réalisé par Nathaniel Dance.
 
 Encore une fois, votre soif de découverte prend le dessus ?
J.C. : J’avais été nommé Captain et la Royal Society, après m’avoir décerné la médaille Copley, m’avait accordé une retraite honoraire en tant qu’officier au Greenwich Hospital. Malgré tous ces honneurs, la mer me manquait. Me voilà donc à la tête de cette nouvelle aventure. Toujours avec mon fier HMS Resolution, avec comme maître d’équipage Willian Bligh (rendu célèbre plus tard par la mutinerie de la  Bounty, ndlr.). Cette fois-ci, c’est le HMS Discovery qui nous accompagne avec à sa tête Charles Clerke, l’un de mes fidèles lieutenants. Nous avons quitté Plymouth le 12 juillet 1776. Les navires étaient chargés de cadeaux pour les habitants de Tahiti. Sa Majesté avait même ordonné que l’on emmenât quelques animaux utiles, un taureau, deux vaches et leurs veaux, et des brebis. Rien ne nous fut refusé de la part du Bureau de l’Amirauté pour le confort de l’équipage, nous fournissant également nombre d’instruments astrologiques et nautiques. Après un passage au cap de Bonne-Espérance, nous avons atterri en Nouvelle-Zélande via les îles Marion, Prince- Edward (Crozet de nos jours), Kerguelen et la Tasmanie.
 
 
 
une tempête. Devant à la Providence leur survie alors que dix-sept autres compagnons d’infortune avaient péri. Les nouvelles liaisons qu’ils y avaient formées sur place suffisaient à justifier leur refus de repartir avec nous. Dix jours après avoir abandonné ce lieu désolé, nous avons croisé les petites terres basses que j’avais nommées Palmerston lors de mon précédant passage (Lord Palmerston était à l’époque à la tête de l’Amirauté britannique, ndlr.). Nous sommes le 13 avril 1777. La base en est partout une roche de corail. Le sol est formé de sable et de corail où presque partout les débris végétaux pourris se sont mêlés en formant une sorte de terreau. Il y a donc de fortes présomptions pour que ces petits espaces de terre ne soient pas très anciens. Excusez-moi mais je grelotte de soif, encore une rasade de lait de coco ?
 
 
Pirogue maoriPirogue maori en appareil cérémoniel, vue par Sydney Parkinson, compagnon de James Cook
 
 Je veux bien, merci. Vous atteignez ensuite le principal but du voyage ?
J.C. : Nous sommes d’abord passés par les îles de l’Amitié. Selon les renseignements pris, elles seraient au nombre de cent-cinquante. Les plus importantes étant Hamoa, Vavaou et Fidji mais je ne les ai pas visité. Nous avons gagné Tahiti début août où nous avons fait nos adieux à Omaï. C’est là d’ailleurs que j’avais pris goût au lait de coco il y a quelques années. J’essayais même un stratagème pour convertir mes hommes à ce breuvage. Arguant que pour la découverte d’un passage entre le Pacifique et l’Atlantique dans l’hémisphère septentrional, ce qui aurait pour conséquences de larges récompenses, ils devaient se priver de rations de boissons fortes pendant au moins un an. Ma proposition fut approuvée sur-le-champ. On ne servit plus de grog excepté le samedi. L’alcool devenait « Tabou » comme on dit dans ces contrées de tout ce qui est interdit. Nous filons après vers l’île Christmas que je découvre la veille de Noël 1977, puis les îles Sandwich avant faire route plein Nord
.
 
 Il vous fallait trouver votre fameux passage ?
J.C. : Le 6 mars, nous avons vu deux veaux marins et plusieurs baleines. Les difficultés commencèrent à s’accroître. Et notre tâche a été impossible. Nous avons même dû relâcher pour remplacer le mât de misaine et les mâts majeurs après dix jours de mauvais temps. Toutes nos tentatives ont été vaines, et ce malgré les cartes de Vitus Behring. Je nommai le cap du Prince-William l’extrémité la plus orientale présentement connue de toute l’Amérique. Elle est par 65° 54’ de latitude et 191° 45’ de longitude. Un temps, je décidais d’hiverner sur place mais le 26 octobre dernier, j’ordonnais de faire route à nouveau vers les îles Sandwich.
 
 Le climat y est agréable et les autochtones semblent sympathiques ?
J.C. : Nous ne sommes là que depuis le 16 janvier. L’équipage ne semble pas regretter notre échec pour regagner l’Atlantique Nord. La compensation d’enrichir notre voyage par une découverte qui, bien qu’elle fût la dernière, paraît être à bien des égards la plus importante qu’eussent faite jusque-là les Européens, sur toute l’étendue de l’océan Pacifique…
 
Mort de CookLa mort du capitaine James Cook dans la baie de Kealakekua à Hawaï en 1779 (aquarelle de John Cleveley)
 
 Je vous remercie pour votre patience Captain.
J.C. : Appelez-moi James !
 
 
Propos libres recueillis par Serge Messager le 13 février 1779, veille de la mort de James Cook à Hawaï.

CUISINE FACILE




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La recette du Nutella homemade par moi
L’ennui, c’est qu’elle est tellement bonne, avec en prime, cet argument healthy anti-culpabilisation, que j’avoue avoir du mal à ne pas en avaler des kilos… Mais pour un brunch en famille, une soirée crêpes ou n’importe quelle occasion festive, où vous ne vous retrouverez pas seule face au pot : je vous la recommande chaudement ! Je l’ai tirée d’un livre de recettes frenchies publié en anglais par Cécile (The Easy Everythinh French Cookbook, ça s’appelle), la cuisinière la plus divine que je connaisse, et l’ai adaptée à ma manière très… gourmande, disons.
 
 
- Dans une casserole, versez 250 millilitres de crème fleurette + 20 grammes de sucre de canne, et portez à ébullition en remuant régulièrement.
 
- Dans un grand bol, mélangez grossièrement 150 grammes de pépites de chocolat (noir, mais vous pouvez aussi essayer avec du blanc) + 200 grammes de purée de noisette (personnellement, j’ai utilisé de la purée d’amande, et c’était extra).
 
- Versez sur cette préparation le mélange crème-sucre bouillant et mélangez soigneusement. Ajoutez 10 millilitres d’huile de noisette, et mélangez jusqu’à obtenir une pâte homogène.
 
- Goûtez, oui oui, goûtez ! Et là, ajustez : si c’est trop chocolaté pour vos papilles, par exemple, vous pouvez rajouter de la crème, ou du beurre de noisette… Du bon gras, quoi ! Une fois que c’est par-fait, versez dans des pots de confiture recyclés, laissez prendre une heure au réfrigérateur : et voilà !
 
PS : il est indiqué dans la recette originale qu’il faut sortir du réfrigérateur et laisser à l’air libre une demi-heure avant de commencer à déguster, mais je peux vous dire que c’est léché à la petite cuillère à même le pot et directement sorti du frigo que ce Nutella est à son top ! Foi de gourmande décadente
 
 
La théorie du gâteau sans cuisson
Saviez-vous qu’il y avait tout un monde au-delà du tiramisu ?! Toujours à la pointe de l’actu la plus chaude côté fourneaux, Marabout publie un livre sobrement nommé Le Gâteau sans cuisson. Le concept a l’air dément (non mais vous avez vu cette couverture de dingue ?!), on peut visiblement tout faire, même le gâteau au chocolat, et c’est idéal à préparer avec des petits, ou avec un(e) grand(e) maladroit(e), car c’est le frigo qui fait office de four, en quelque sorte… Nos amis de Marabout Côté Cuisine ont testé, et comme ils disent là-bas, nom d’une petite chantilly à la violette, ça a l’air chouette !