Le 4 Janvier 1960, alors qu'il avait prévu de rentrer à Paris en train, Albert Camus se laisse tenter par la proposition alléchante de Gaston Gallimard : regagner la capitale à bord de son nouveau bolide. Décision fatale car les deux hommes ne survivront pas à un tragique accident de la route. En hommage à ce grand écrivain, homme incarnant la noblesse même, voici un échange de lettres avec son premier instituteur, Louis Germain. Camus lui écrivit, quelque peu après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature en 1957, une lettre de remerciement et ce magnifique instituteur lui répondit par une vibrante profession de foi en son métier et en l'école laïque.
19 novembre 1957
Cher Monsieur Germain,
J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j'ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d'honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être votre reconnaissant élève.
Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus
...
30 Avril 1959
Mon cher petit,
(...) Je ne sais t'exprimer la joie que tu m'as faite par ton geste gracieux ni la manière de te remercier. Si c'était possible, je serrerais bien fort le grand garçon que tu es devenu et qui restera toujours pour moi « mon petit Camus».
(...) Qui est Camus ? J'ai l'impression que ceux qui essayent de percer ta personnalité n'y arrivent pas tout à fait. Tu as toujours montré une pudeur instinctive à déceler ta nature, tes sentiments. Tu y arrives d'autant mieux que tu es simple, direct. Et bon par-dessus le marché ! Ces impressions, tu me les a données en classe. Le pédagogue qui veut faire consciencieusement son métier ne néglige aucune occasion de connaître ses élèves, ses enfants, et il s'en présente sans cesse. Une réponse, un geste, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais, et l'enfant, bien souvent, contient en germe l'homme qu'il deviendra. Ton plaisir d'être en classe éclatait de toutes parts. Ton visage manifestait l'optimisme. Et à t'étudier, je n'ai jamais soupçonné la vraie situation de ta famille, je n'en ai eu qu'un aperçu au moment où ta maman est venue me voir au sujet de ton inscription sur la liste des candidats aux Bourses. D'ailleurs, cela se passait au moment où tu allais me quitter. Mais jusque-là tu me paraissais dans la même situation que tes camarades. Tu avais toujours ce qu'il te fallait. Comme ton frère, tu étais gentiment habillé. Je crois que je ne puis faire un plus bel éloge de ta maman.
J'ai vu la liste sans cesse grandissante des ouvrages qui te sont consacrés ou qui parlent de toi. Et c'est une satisfaction très grande pour moi de constater que ta célébrité (c'est l'exacte vérité) ne t'avait pas tourné la tête. Tu es resté Camus: bravo. J'ai suivi avec intérêt les péripéties multiples de la pièce que tu as adaptée et aussi montée: Les Possédés. Je t'aime trop pour ne pas te souhaiter la plus grande réussite: celle que tu mérites.
Malraux veut, aussi, te donner un théâtre. Je sais que c'est une passion chez toi. Mais.., vas-tu arriver à mener à bien et de front toutes ces activités ? Je crains pour toi que tu n'abuses de tes forces. Et, permets à ton vieil ami de le remarquer, tu as une gentille épouse et deux enfants qui ont besoin de leur mari et papa. A ce sujet, je vais te raconter ce que nous disait parfois notre directeur d'Ecole normale. Il était très, très dur pour nous, ce qui nous empêchait de voir, de sentir, qu'il nous aimait réellement. « La nature tient un grand livre où elle inscrit minutieusement tous les excès que vous commettez.» J'avoue que ce sage avis m'a souventes [sic] fois retenu au moment où j'allais l'oublier. Alors dis, essaye de garder blanche la page qui t'est réservée sur le Grand Livre de la nature.
Andrée me rappelle que nous t'avons vu et entendu à une émission littéraire de la télévision, émission concernant Les Possédés. C'était émouvant de te voir répondre aux questions posées. Et, malgré moi, je faisais la malicieuse remarque que tu ne te doutais pas que, finalement, je te verrai et t'entendrai. Cela a compensé un peu ton absence d'Alger. Nous ne t'avons pas vu depuis pas mal de temps...
Avant de terminer, je veux te dire le mal que j'éprouve en tant qu'instituteur laïc, devant les projets menaçants ourdis contre notre école. Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu'il y a de plus sacré dans l'enfant: le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. Lorsqu'il était question de Dieu (c'est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d'autres non. Et que dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu'il voulait. De même, pour le chapitre des religions, je me bornais à indiquer celles qui existaient, auxquelles appartenaient ceux à qui cela plaisait. Pour être vrai, j'ajoutais qu'il y avait des personnes ne pratiquant aucune religion. Je sais bien que cela ne plaît pas à ceux qui voudraient faire des instituteurs des commis voyageurs en religion et, pour être plus précis, en religion catholique. A l'École normale d'Alger (installée alors au parc de Galland), mon père, comme ses camarades, était obligé d'aller à la messe et de communier chaque dimanche. Un jour, excédé par cette contrainte, il a mis l'hostie « consacrée» dans un livre de messe qu'il a fermé ! Le directeur de l'École a été informé de ce fait et n'a pas hésité à exclure mon père de l'école. Voilà ce que veulent les partisans de « l'École libre » (libre.., de penser comme eux). Avec la composition de la Chambre des députés actuelle, je crains que le mauvais coup n'aboutisse. Le Canard Enchaîné a signalé que, dans un département, une centaine de classes de l'École laïque fonctionnent sous le crucifix accroché au mur. Je vois là un abominable attentat contre la conscience des enfants. Que sera-ce, peut-être, dans quelque temps? Ces pensées m'attristent profondément.
Sache que, même lorsque je n'écris pas, je pense souvent à vous tous.
Madame Germain et moi vous embrassons tous quatre bien fort. Affectueusement à vous.
Germain Louis
Source des textes : Albert Camus, Le premier homme. Image : AP/SIPA
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Depuis la mort de Samuel Paty, cette lettre d’Albert Camus à son premier instituteur devient virale
Quelques jours seulement après avoir reçu le prix Nobel de littérature, Albert Camus remerciait Louis Germain dans un superbe courrier.
Cette lettre a été écrite le 19 novembre 1957, quelques jours après que l’écrivain a reçu le prix Nobel de littérature. Albert Camus l’a destinée à Louis Germain, son premier instituteur, à qui il souhaitait rendre un hommage appuyé.
Un courrier qui, ces jours-ci, résonne, encore plus fort.
« 19 novembre 1957
Cher Monsieur Germain,
J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur.
On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous.
Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé.
Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.
Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus »
À travers ce magnifique courrier, c’est toute une profession qui est honorée.
Remise de la Légion d'honneur, orchestre de la Garde républicaine, lettre d'Albert Camus... Retrouvez le programme de la cérémonie d’hommage à Samuel Paty.Son fils devient pupille de la Nation.
La France rend mercredi un hommage national à Samuel Paty à la Sorbonne, alors que sept personnes seront présentées dans la journée à un juge antiterroriste en vue d'éventuelles mises en examen après l'assassinat de l'enseignant. Voici le déroulé de la cérémonie.
>Début à 19h30
La cérémonie, en présence de 400 invités dont une centaine d'élèves d'établissements d'Ile-de-France, débutera à 19h30 dans la cour de la Sorbonne, lieu symbolique de l'esprit des Lumières et de l'enseignement.
>Écrants géants
L’hommage se déroulera en présence de la famille de l'enseignant et des corps constitués de l'État. Deux écrans géants seront installés devant la Sorbonne pour le public, rapporte BFMTV.
Selon l'Elysée, le président Emmanuel Macron devrait arriver un peu avant pour remettre la Légion d'honneur à titre posthume à l'enseignant et le faire commandeur des Palmes académiques
>Lettre d’Albert Camus
La lettre d'Albert Camus à son instituteur Louis Germain lu le jour où il a reçu le prix Nobel de littérature sera lue durant cette cérémonie, selon nos confrères de BFMTV.
>Garde républicaine et maîtrise de Radio France
Après l'arrivée du cercueil, un chant sera interprété par l'orchestre de la Garde républicaine et la maîtrise de Radio France et deux textes seront lus par des élèves et des enseignants.
>Discours d’Emmanuel Macron
Le chef de l'Etat prononcera ensuite un bref discours, suivi d'une minute de silence en hommage au professeur d'histoire-géographie.
En raison du couvre-feu en vigueur à Paris, la cérémonie devrait prendre fin à 20h30.
Sa mémoire a été saluée tout au long de la journée de mardi: des milliers de personnes ont participé à une marche blanche à Conflans-Sainte-Honorine pour dire non à la barbarie. Et l'ensemble des députés ont observé une minute de silence, réunis sur les marches du Palais Bourbon.
Samuel Paty, 47 ans, a été décapité vendredi près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines)par un réfugié d'origine tchétchène de 18 ans, après avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors d'un cours sur la liberté d'expression.
🖤 [Hommage à Samuel Paty]
Ce mercredi 21 octobre, devant l'hôtel de ville de Perros-Guirec, un rassemblement solidaire s'est déroulé en présence du Maire, Erven LÉON, des élus, des agents de la ville et des Perrosiens invités à se recueillir. Suite à l'hommage de monsieur le Maire, une longue minute de silence a été observée en soutien à la communauté éducative et en mémoire de Samuel PATY, professeur d’histoire-géographie, victime d’un attentat terroriste le vendredi 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Citation de Gandhi lors du message d'Erven LÉON maire de Perros-Guirec :
"La règle d'or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu'une part de la vérité et sous des angles différents." Gandhi.