La semaine où le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, présente son plan anti-tabac liberticide, Elisabeth Borne se fait sermonner à l’Assemblée nationale par une élue de l’opposition, l’infirmière « insoumise » Caroline Fiat. « La loi est la même pour tout le monde ! » a lancé la députée, trop contente de pouvoir coincer le Premier ministre qui vapotait dans l’hémicycle.
Trop souvent, nous demeurons sans voix devant l’extraordinaire sens des priorités dont nos gouvernants font preuve. Tout un chacun conviendra sans peine qu’il n’y avait rien de plus impérieux, de plus urgent que de concocter une loi visant à interdire de fumer à la plage. Il y va, nous assure-t-on, de la santé de nos bronches et du bon exemple à donner aux bambins affairés à bâtir – eux aussi, comme si souvent ces mêmes gouvernants – sur du sable. D’ailleurs, avec la loi nouvelle, il serait également prohibé à l’avenir de pétuner – comme on ne dit plus de nos jours, hélas !- aux abords des monuments publics et, plus particulièrement, si nous avons bien compris, des lieux que fréquente la belle jeunesse de ce pays : écoles, centres de vacances, patronages (s’il en subsiste), centres aérés et, bien entendu, les points de deal dont on sait combien ils sont prisés de certains jeunes qu’il serait très injuste – et discriminant – de tenir à l’écart de ces mesures de salubrité publique.
Enfumage !
Monsieur le ministre de la Santé a exposé par le menu les tenants et aboutissants de son urgentissime croisade devant les parlementaires. Le lendemain, une députée de la France Insoumise lui succédait à la tribune. On s’attendait tout naturellement à la diatribe woko-gaucho-éructo habituelle, mais voilà bien que, sortant soudain de son répertoire de référence, la dame s’interrompt et s’en prend très directement à Madame la Première ministre qui, ne prévoyant pas, elle non plus, devoir entendre quoi que ce soit de bien neuf, attendait tranquillou sur son banc que ça se passe. Elle patientait en vapotant, histoire de meubler le vide, vraisemblablement. Nous avons en effet un Première ministre vapoteuse. C’est sa marque distinctive. D’autres hôtes de Matignon se sont illustrés en leur temps, par exemple en s’attaquant pour de vrai au chômage, en tâchant de juguler l’inflation, voire en s’efforçant de remettre de l’ordre dans le Landerneau, de replacer l’école et son enseignement au centre du village républicain, l’actuel cheffe du gouvernement, elle, vapote. Sera-ce suffisant pour lui assurer une place dans l’histoire ? L’avenir nous le dira.
Cependant, j’ai trouvé injustes et surtout inappropriées les remontrances de madame la parlementaire. Quelle mouche l’a-t-elle donc piquée d’aller ainsi titiller l’intéressée sur ce dont elle-même, son gouvernement, sa majorité, se sont fait une spécialité dans laquelle tous se montrent parfaitement insurpassables : l’enfumage?
Tout au contraire, il aurait été autrement piquant que l’oratrice encense l’intrépide pour ne pas craindre de jouer crânement la transparence en « enfumant » ainsi la représentation nationale au vu et au su de la France entière. Non point au figuré, en l’occurrence mais au sens propre. Si la chose, le geste, la pratique sont délibérés, on aura rarement vu une telle franchise, un tel panache (si, si..) à un si haut niveau de la sphère politique. Cela vous aurait alors un petit parfum d’aveu canaille, impertinent, mêlé d’un soupçon de pied de nez, de bras d’honneur presque bon enfant. Pour un peu on en sourirait. On applaudirait à tant de subtilité.
Est-ce que vapoter, c’est fumer ?
Cela dit, toujours dans le souci de coller à l’urgence des priorités, je pense que nous ne devrions pas tarder à voir se constituer une commission parlementaire ayant pour enjeu de démêler l’épineuse question de savoir si vapoter c’est fumer, puisque fumer est interdit dans l’hémicycle. Une loi ad hoc, peut-être? Un 49.3 ? Probablement. Quel qu’en serait le résultat, Madame la vapoteuse de Matignon aurait tout de même, croyons-nous, une petite chance d’entrer dans l’histoire. La loi porterait sans doute son nom.
Un peu comme la loi Marthe Richard, voyez-vous. On a les gloires qu’on peut.