Billet de blog 5 août 2024

Les dieux grecs du cyclisme étaient là

Les organisateurs n’avaient pas répertorié la rue de Belleville comme une difficulté particulière ; erreur. Quiconque a enfourché un vélib’ de 20 kg à République pour rallier Jourdain sait qu’elle ne laisse pas les mollets indifférents.

Il fallut une demi-heure pour dénicher l’emplacement idéal. La rue de Belleville ne faisait pas débat, c’était une évidence. Depuis des mois, je savais que c’était là que je verrai passer l’épreuve olympique de cyclisme sur route le samedi 3 août 2024. Une course qui allait serpenter dans le Paris populo. Écartée la butte Montmartre, trop touristique, trop m’as-tu-vu. Les organisateurs n’avaient pas répertorié la côte de Belleville comme une difficulté particulière ; erreur. Quiconque a enfourché un vélib’ de 20 kg à République pour rallier Jourdain sait qu’elle ne laisse pas les mollets indifférents. Elle peut faire mal, surtout au niveau du MacDo lorsqu’on s’apprête à croiser la rue des Pyrénées. Là, tout d’un coup les bruits de la ville s’estompent pour laisser place aux battements du cœur. Poum poum, poum poum.

Oui mais voilà, où poser son baluchon et être sûr le moment venu d’être au point névralgique ? Compliqué. A l’instant où les coureurs n’étaient encore qu’aux alentours de la côte de Bièvres à cent vingt kilomètres de l’arrivée je descendais très en avance à la station Belleville, m’arrêtant un instant à la sortie de la bouche de métro pour humer l’ambiance électrique qui s’était installée dans ce lieu de Paris où on n’avait pas l’habitude de voir passer les stars mondiales du vélo. Le quartier est plutôt un capharnaüm sympathique de cuisine du monde où s’affrontent quotidiennement le ramen, le pad thaï, le canard laqué, le chawarma et les boulettes de kefta pour ne citer qu’eux. Ici, on peut encore becqueter pour moins de douze euros. Si mes souvenirs sont bons, en 1996 à la terrasse du restaurant Le Soleil, on pouvait se taper un couscous pour moins de 40 francs. Eh oui Madame.

Je remontais la rue sous les regards incrédules des commerçants chinois affairés sur leur portable à faire des prévisions quant à l’heure exacte de passage. Je m’arrêtai un instant pour m’alimenter à L’auberge de Belleville dont la réputation des plats à emporter de la région de Canton n’est plus à faire. Le plus grand danger dans une course cycliste de 273 kilomètres, c’est la fringale. On n’allait pas m’y prendre. Je repartais vers le sommet. Puis je rendais hommage à ce restaurant thaïlandais Lao Siam qui est là depuis toujours, une institution. Au niveau du 60, je fis de nouveau une pause. Là officie une librairie que je recommande chaudement, Le Genre Urbain. J’en ressortais quelques minutes plus tard avec un recueil de poèmes de Friedrich Hölderlin. "Alors va ! avance sans armes / Le long de la vie, ne crains rien" (Courage du poète).

Et alors que j’atteignais, tout excité, les quelques dizaines de mètres les plus raides, j’hésitai une minute entre m’installer au niveau de la boucherie Ifri (n°78) ou en face devant le « Retouches Belleville (tous vêtements tissu cuir et sacs) ». Après avoir étudié la qualité de l’asphalte, le positionnement du soleil et l’inclinaison de la pente, j’optai pour l’artisan couturier. Celui-ci d’origine Kazakh arborait un drapeau aux couleurs de son pays sur les barrières de sécurité. C’est le bleu turquoise de l’emblème qui m’attira. Je m’assis sur le trottoir satisfait, il ne me restait plus que deux heures à attendre.

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Fast Forward. Vers 16h30, le belge Remco Evenepoel et le français Valentin Madouas s’extirpent du peloton au deuxième passage de la butte Montmartre. Le belge est favori mais le français s’accroche, il sait qu’à 20 kms de l’arrivée c’est le bon wagon. S’il arrive à tenir la roue du coureur champion olympique du contre-la-montre une semaine plus tôt, il peut espérer une médaille, voire la gagne si Remco a un coup de pompe. Dans la descente de Ménilmontant, les deux hommes sont à bloc à plus de 80 km/h. Puis ils virent sur le boulevard de Belleville avant d’entamer la côte du même nom sous les clameurs incandescentes de la foule. Les deux hommes ne sont plus qu’à 15 kms de l’arrivée, c’est l’avant dernière difficulté. Il ne restera plus qu’à passer une dernière fois sur la butte Montmartre et ça sera la descente vers le pont Alexandre III. Evenopoel est plus fort, il le sait. Mais Madouas est bon grimpeur, il faut compter sur lui. Alors que je les aperçois arriver à ma hauteur sur cette pente à 6.5%, le belge, la socquette légère, se met en danseuse et après une dizaine de coup de reins lâche le jeune breton qui est au max. Cela s'appelle Mettre une Mine. Le breton coince. Poum poum, poum poum. Par miracle mon téléphone se fraie un chemin à travers les supporters hystériques pour capter la magie de l'instant où le belge file seul vers la victoire. Les poils se dressent sur mes avants bras, je hurle « Allez Valentin ! Allez ! ». Rien n’y fera.




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Alors que je les aperçois arriver à ma hauteur sur cette pente à 6.5%, le belge, la socquette légère, se met en danseuse et après une dizaine de coup de reins lâche le jeune breton qui est au max. Cela s'appelle Mettre une Mine. Le breton coince. Poum poum, poum poum. Par miracle mon téléphone se fraie un chemin à travers les supporters hystériques pour capter la magie de l'instant où le belge file seul vers la victoire. Les poils se dressent sur mes avants bras, je hurle « Allez Valentin ! Allez ! ». Rien n’y fera.

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Valentin Madouas © Sylvainpö

Quarante-cinq seconde plus tard, le peloton passe à son tour. Nous crions, exaltés, heureux. Les coureurs sont passés, mes voisins sont comme moi un peu sonnés, je redescends sur un nuage la rue de Belleville, quel bonheur. Je m’arrête un instant pour voir la fin de l'épreuve dans un café qui a installé un écran sur le trottoir. Il y a là mille nationalités qui ne perdent pas une miette des derniers kilomètres. Remco Evenepoel franchit la ligne d’arrivée et soulève son bicloune devant la tour Eiffel, comme s’il remerciait les dieux olympiens du cyclisme. Je les vénère aussi un moment, j’étais là où il fallait au moment où il fallait pour immortaliser la bataille, ça ne peut être que grâce à eux. Merci.

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La rue de Bellevile en fête © Sylvainp