Aller là où le
temps qu'il fait et le temps qui passe s’égalisent. Il n’y a que le doux
mouvement de l’air pour faire miroiter la surface de l’eau. C’est dans l’île
tropicale que l’eau chaude prend sa valeur miraculeuse. Réfugiée dans ma
couchette, j’entends la mer clapoter de l’autre côté de la coque. Je sais
qu’elle est là et son chant, seul, parvient à me faire quitter le livre ou le
sommeil où je tentais de m’absorber. Magie des eaux chaudes qui invitent à
nager libre, ondoyant comme une algue, elles permettent un instant de croire le
corps soluble. C’est là que je préfère mouiller mes ancres pour découvrir,
paupières mi- closes, main en visière au dessus des yeux, la frange de
cocotiers qui se balancent dans le lointain. C’est une course vers les eaux
tropicales, mais il faut se méfier de l’apparente douceur des îles.
Nostalgies……..
Le monde de la voile est essentiellement masculin. Seraient-ils partis sans
nous les femmes ?
Je n’en suis pas sûre. On dit que 60 % des femmes s’accrochent au rêve de
l’homme et suivent.
Nous prenons conscience un jour ou l’autre de l’extrême dépendance dans
laquelle nous nous sommes fourrées. Sans aucune des compensations des anciennes
activités personnelles. Quelques unes s’y usent et repartent, car cette vie ne
peut longtemps être « subie » : ni amour, ni sens du devoir n’y résistent.
Et puis nous ne sommes pas faites pour vivre sur l’eau, constamment en
équilibre incertain, toujours à la recherche de stabilité. Il m’arrive parfois
d’avoir des envies de coquetterie, elles sont vite refoulées en pensant au
débarquement de l’annexe, mouillée en petite robe. Et les cheveux ? Faut-ils
qu’ils soient courts ou les laisser s’emmêler au vent et les retrouver formant
un bouchon dans les pompes de cale, un désastre pour le skipper.
Nous avons en mer un manque énorme de stimulants (cinéma, théâtre, revues) et la chaleur
n’incite pas à la réflexion intellectuelle. Le soir dans les cockpits on refait
le monde, on se raconte les épopées de chacun, la route que nous ferons, les
problèmes posés par l’entretien semi permanent de nos bateaux, toutes choses
qui animent nos soirées. Nous avons tendance à nous regrouper par nationalité.
Partout, même sans attirance, ni affinité particulière, nous nous identifions,
reconnaissons nos codes ou notre jargon. J’apprécie ces contacts spontanés, peu
conventionnels mais emprunts de courtoisie, dans lesquels n’interviennent
jamais ni le milieu social, ni l’âge et encore moins le niveau de la caisse de
bord.
Je participe comme tout le monde, à cette particularité des gens de mer, qui
s’identifient par leur nom de bateau. On parle de Baloo, des Eoliis ,de
Taravana ou des Biquets et on identifie le couple. On s’échange des livres en
inscrivant toujours le nom du bateau et le lieu de l’échange et nous avons pu
avoir entre les mains des livres qui avaient eux aussi, bien voyagés.
Il est très important dans cette vie de recevoir du courrier aux escales. En
plus du bonheur de recevoir des nouvelles, qu’elles soient brèves ou longues
missives, nous ne sommes pas oubliés, que malgré l’éloignement et les années,
nous sommes en « correspondance » avec eux, les gens de terre. Non, nous ne
sommes pas indifférents aux détails de vos vies. C’est vrai que de nos jours
nous avons le virtuel, les mails ne remplacent pas la lettre en papier, il est
rare de relire un mail, l’internet n’est pas accessible partout, par contre une
carte postale ou une lettre, on la lit et la relit.
Les nostalgies faisaient parties du voyage et finalement lui donnaient du
poids……