vendredi 19 février 2016

Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)




Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)

Nous sommes en août 1557 sur les hauteurs de Saint-Malo. Au manoir de Limoëlou, l’ancien explorateur, chef d’escadre pour le compte de François 1er, poursuit la narration de ses différentes expéditions. Alors en disgrâce, il disparaîtra quelques jours plus tard, emporté par l’épidémie de peste sévissant dans la région.
 
 

    Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)Le galion La Grande Hermine de 100 tonneaux était accompagné par La Petite Hermine et L’Émerillon lors de la deuxième expédition de Jacques Cartier.Photo @ DR



    La première partie de cette entretien est disponible ici.

    -  C’est du vin bio ?
    Jacques Cartier : Oui, il pique un peu. Alors, nous en étions où ?
     -  Je vous demandais si ces territoires étaient luxuriants.
    J.C. : Après la baie des Chaleurs, notre but, je vous le rappelle, était de découvrir le fameux passage. Il y avait par ces terres de beaux arbres, prairies, champs de blé sauvage et de pois en fleur, aussi gros et aussi beaux que j’en vis jamais en Bretagne et qui semblaient y avoir été semés par des laboureurs. En continuant dans l’Ouest, nous sommes restés bloqués près d’une semaine par le mauvais temps dans une baie (Gaspé, ndlr.) À terre, nous y avons rencontré une autre peuplade (Les Iroquois, ndlr). Le 24 juillet, nous avons érigé une puissante croix en bois sur laquelle était gravé « Vive le roi de France ». Il a fallu parlementer avec le chef des sauvages qui avait bien assimilé notre but. Malgré la barrière de la langue, j’ai réussi à leur faire comprendre que nous ne voulions pas nous attribuer ce territoire mais simplement planter une sorte de balise pour une future visite dans ces lieux. Une semaine plus tard, alors que nous avions convié de force deux jeunes hommes à bord, nous avons contourné une île et nous nous sommes retrouvés face à un fort courant venant de l’Ouest. Persuadés d’avoir découvert notre voie vers Cathay, nous avons décidé de rentrer en France que nous rejoignons le 5 septembre, après cent trente-sept jours de périple.

    - Vous repartez assez rapidement, cette fois avec d’autres ambitions ?
    J.C. : Mon récit au retour a fait belle impression à la cour. Fort d’une cartographie précise et de descriptions de ces terres pleines de promesses, il a convaincu mes mandants. François 1er et surtout l’amiral Chabot qui ouvre le trésor royal pour une deuxième expédition. Il faut dire que nos deux invités sur le chemin du retour nous avaient décrit un pays, au-delà du passage, riche d’une grande quantité d’or et de cuivre rouge. Un argument frappant, non ? Avec trois excellents vaisseaux, le galion La Grande Hermine, La Petite Hermine et l’Émerillon, et cent dix hommes d’équipage, nous quittons Saint-Malo en mai 1535 avec quinze mois de vivres. Avec nous, des gentilshommes ayant soif d’aventures comme Claude de Pontbriand, échanson du Dauphin et futur Seigneur de Montréal, et Charles de la Pommeraye. Plus nos deux indiens, Domagaya et Taignoagny, baragouinant maintenant notre langue si je puis m’exprimer ainsi.


    Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)Le deuxième périple de Jacques Cartier aura duré une douzaine de mois.Photo @ DR


     -  Vous faites donc route vers le Canada ?
    J.C. : En fait, nous avons fait route vers le camp de Stadacana. Le mot village se dit Kanata dans le dialecte des indigènes emplumés. Le nom Canada est resté pour décrire toute la région, même si l’on parlait alors de Nouvelle-France. Le 10 août, jour de la Saint-Laurent, je donne le nom à une côte Nord du fleuve que nous sommes en train de remonter. Eh oui, l’eau s’adoucit. Nous atteignons le camp de nos amis indiens trois semaines plus tard. Le chef, Donnacona, averti par nos deux interprètes au fait de nos desseins, nous décourage de progresser encore plus en amont. Loin d’être sot, il avait rapidement saisi l’intérêt du commerce qu’il pouvait faire avec nous. Nous racontant même que des diables habitaient ces contrées. Je persiste et progresse sur le fleuve avec l’Émerillon et donc quelques hommes. Nous sommes à un moment donné obligés de continuer avec deux chaloupes. C’est là, le 2 octobre, que nous nous retrouvons devant un fortin, tout rond et clos de bois nommé Hochelaga (aujourd’hui Montréal, ndlr). Il y avait une cinquantaine de maisons couvertes de grandes écorces. Elles étaient vastes, avec une grande place par terre où les habitants faisaient leur feu et vivaient en communauté. Elles possédaient aussi un grenier où ils mettaient leur blé avec lequel il fabriquaient leur pain.

     -  Ces indigènes sont sympathiques ?
    J.C. : Plutôt chaleureux. Mais se méfiant de notre puissance tout autant que de nos pouvoirs qu’ils pensaient magiques. Aveugles, borgnes, boiteux et gens si vieux que les paupières de leurs yeux pendaient sur les joues nous ont demandé de les soigner. Dans mon embarras, j’ai lu l’Évangile et fait moult signes de croix. Avec de nombreux cadeaux, les relations ont été parfaites mais nous ne sommes restés qu’une seule journée. J’ai quand même eu le temps d’apprendre, en regardant depuis le promontoire que j’ai nommé mont Royal, que les terres au loin, au-delà d’une rivière appelée Saguenay, renfermaient l’or que nous recherchions.
    Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)Saguenay est devenue au fil du temps une ville prospère de 146 000 habitants et le grand carrefour commercial du Québec.Photo @ DR


      -  Pourquoi être restés si peu de temps ?
    J.C. : J’en savais assez. Il fallait retourner vers mes hommes restés à Stadacana avec mes deux vaisseaux principaux. Pendant ma courte absence, ils avaient commencé à édifier un fort. Nous nous méfiions de l’amabilité des Iroquoiens et de leur chef, Dannacona. Creusant même un fossé autour de notre enceinte. Et puis l’hiver est arrivé. Les breuvages gelaient dans les futailles et la neige recouvrait tout. Et commence la maladie autour de nous.
    Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)Malgré la bienveillance du chef Dannacona, Jacques Cartier s’est toujours méfié des Iroquois. Photo @ DR




    Elle montait aux hanches, cuisses, épaules et à la bouche si infecte et pourrie que toute la chair en tombait jusqu’à la racine des dents. De la mi-décembre au printemps, vingt-cinq de mes hommes sont morts de ce mal (le scorbut, ndlr). Ce qui m’obligea d’ailleurs à abandonner sur place La Petite Hermine, faute de navigants lors de notre retour en France. Les Indiens étaient eux-aussi touchés, dont Domagaya. Mais ils avaient leur remède. Le chef envoya deux femmes chercher des feuilles et de l’écorce d’anneda. Il fallait les piler, mettre tout à bouillir puis en boire, et mettre le marc sur les jambes enflées et malades. Un vrai miracle.



     -  Vous êtes donc obligés de pactiser avec vos amis ?
    J.C. : Évidemment. Nous en apprenons plus sur leurs rites et coutumes. Par exemple, ils sont persuadés que l’âme est immortelle et, une fois leur mort arrivée, ils rejoindront des étoiles où ils vivront dans de beaux champs, pleins de beaux arbres, de fleurs et de fruits somptueux. Stupidité. Heureusement, j’ai réussi à leur promettre le baptême pour en convertir quelques-uns à notre foi. Leurs mœurs sont plutôt dissolues. La conduite de leurs filles est fort mauvaise. Dès qu’elles sont en âge d’aller à un homme, elles sont mises dans une maison, abandonnées à tout le monde qui en veut jusqu’à ce qu’elles aient trouvé un mari. Les hommes sont fainéants et préfèrent jouer. Les femmes en revanche, à la belle saison, cultivent la terre. J’ai d’ailleurs essayé une de leurs plantes. Après l’avoir pilée, ils la font brûler dans un cornet et sucent par l’autre bout pour que de la fumée sorte par la bouche et par le nez. Une horreur ! Cela dit, il était temps de rentrer pour nous et sommes partis le 3 mai de l’an de grâce 1536.
    Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)Jacques Cartier reste peu vénéré en France alors qu’il est bien présent dans la mémoire de tous les Canadiens. Ici, l’une des rares reconnaissances du pays du célèbre navigateur. Un timbre français de 1934. Photo @ DR





     -    -       Comment êtes-vous accueillis en France ?
    J.C. : Nous débarquons à Saint-Malo vers la mi-juillet. Avec des Indiens que nous avions enlevés dont le chef Dannacona. Ils étaient pour moi la preuve de notre périple et les meilleurs témoins de nos découvertes de terres riches de la Nouvelle-France. Mais le roi François 1er a d’autres priorités et principalement l’annexion du duché de Savoie. Il a fallu que j’attende de nombreuses années pour repartir coloniser les terres occidentales et découvrir les gisements aurifères. J’y suis reparti en 1540 avec cinq navires. Mais vous narrer cette dernière expédition avec le seigneur de Roberval m’ennuie. Il a tellement été dit de bêtises que je préfère me taire.
    Cela serait pourtant l’occasion ?Jacques Cartier, Malouin de chez lui (2/2)Jacques Cartier, né en 1491 à Saint-Malo, y décède 66 années plus tard dans son lit, emporté par la peste, le fléau de l’époque.