Sur un fil…
Une chronique de Monsieur Nostalgie
Quelques mots sur la « fantasque » Maria Pacôme (1923 -2018), qui aurait eu 100 ans cet été
Derrière le caractère tonitruant, explosif, la brisure est apparente. C’est justement ce va-et-vient, ce courant alternatif, de l’envolée lyrique au débit filant à une forme de silence, d’introspection d’entre les morts ; là, précisément où le rire joue à la courte-échelle avec les larmes, on ne sait jamais vraiment qui l’emportera à la fin, que Maria Pacôme a posé sa voix si reconnaissable. Voix d’hier, délicieuse et improbable. Voix du Théâtre ce soir et des rideaux rouges. Voix des salles pleines et d’un cinéma non-sédatif. Voix d’une société du spectacle qui faisait la part belle aux artisans et aux fausses bourgeoises, n’ayant pas peur des stéréotypes pour mieux s’en amuser. On aimait l’exagération de cette rousse aux dents du bonheur, la crise poussée à son paroxysme, cette liberté qui fait exploser toutes les coutures, l’allure et le charme d’un féminisme en friche, décousu, qui ne s’apprenait pas alors à l’école des cadres, les mots en pagaille, la mauvaise foi aussi, car elle vous retournait un public d’un plissement de paupières, laissant Jean le Poulain ou Michel Roux, pantois et aphones. Et il en fallait du cran et du métier pour contrecarrer les plans de ces barbons de la scène et leur clouer le bec.
Reine du vaudeville
Danseuse « aux jambes trop courtes », élevée dans la raideur et la justice d’un foyer communiste, reine d’un vaudeville débarrassé de toute vulgarité, tragédienne des portes qui claquent, auteur reconnu pour sa plume tendrement désabusée, elle était de ces comédiennes qui s’inscrivent, s’installent durablement dans l’imaginaire des spectateurs et téléspectateurs. On la voyait une fois, on l’aimait pour la vie.
Nous les sous-doués, nous lui décernions l’Oscar des vendredis et samedis soir. De l’aplomb qui peut virer au rouge furibond, capable de faire rire ou d’agacer prodigieusement ses partenaires, elle faisait trembler les foules et puis, un mouvement de répit, d’abandon, comme un désespoir qui emplit les yeux et suspend le temps, elle vous momifiait un auditoire par une émotion propre aux très grandes. Le génie est forcément injuste. Il ne s’explique pas. Les artifices n’y suffiraient pas, la fragilité sans les trémolos à ce point ne se feint pas, elle est innée.
L’élégance de la réserve
C’était l’actrice des points de suspension, après la mitraille, le verbe qui cascadait, l’horizon se brouillait, les nuages voilaient les sentiments et l’âme pouvait divaguer à sa guise, comme libérée des contraintes matérielles. Quand je pense à Maria Pacôme, me revient ce vers de René Guy Cadou dans son poème « Hélène et le règne végétal » de 1946 : « J’ai toujours habité de grandes maisons tristes ». Pacôme est cette belle demeure fantasque, puissante, pleine de bruit et d’éclat, qui, au creux de la nuit, se replie, s’isole par nécessité et pudeur. Nous sommes à l’ère des confessions malsaines, Pacôme avait l’élégance de la réserve. Et pourtant, elle carillonnait fort dans l’exercice de sa profession. Elle avait quelque chose de sauvage, une terre inatteignable, celle des songes, un pays plus grave et moins fantasque que ses personnages pouvaient laisser transparaître. D’ailleurs, elle ne se considérait pas comme une comique, elle préférait le qualificatif de « fantaisiste ». Le fantaisiste est sur un fil. S’il force trop le trait, veut absolument déclencher un effet, il cabotine et échoue. Alors que s’il alterne, il surprend, il accélère, il appuie sur le champignon et s’offre un tête-à-queue, c’est un acrobate léger qui ne s’enferme dans aucune habitude. Celle qui se présentait comme « horriblement timide », dévoilant quelques bribes de son histoire personnelle chez Chapier ou Bouteiller, acceptant sa caricature, son emploi alimentaire sans fausse modestie, dont le talent fut certainement sous-estimé sur grand écran, continue d’enchanter par sa tenue et sa folie contenue. Que savions-nous d’elle ? Elle aimait les chouettes et avait été mariée passionnément à Maurice Ronet. Elle avait perdu un frère au combat, résistant fusillé sous l’Occupation et son père était revenu de Buchenwald. De tout ça, elle n’en faisait pas l’apanage, les douleurs intimes acceptent mal les déballages. Elle avait caché dans sa maison de l’Essonne, les amours de Jean-Paul et d’Ursula (revoir l’émission Une maison, un artiste en replay). Dans sa pièce « Apprends-moi Céline », quand l’apprenti-cambrioleur Daniel Auteuil la menace d’un « Haut les mains ! », elle répond : « Pour quoi faire ? ». Tout est dit.
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