"L'île est dévastée" : Un Saint-Pierrais au cœur du cyclone Béryl qui frappe de plein fouet le sud des Antilles

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Pierrick Quédinet se trouvait sur l'île de Carriacou, à Grenade, lorsque le cyclone Béryl, alors toujours classé catégorie 3, a frappé le territoire lundi dernier. Un cyclone dévastateur, premier d'une saison cyclonique annoncée comme majeure pour le bassin Atlantique, le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes par Météo France et l'agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA)

Prendre la route vers le sud de l'arc antillais, direction l'archipel des Grenadines. Les cyclones ayant l'habitude de toucher plutôt le nord des Antilles, mettre à l'abri son bateau sur l'une des quatre îles qui compose la Grenade, ou même Trinité-et-Tobago, c'est le choix fait par de nombreux marins à l'approche de la saison des cyclones dans le bassin atlantique. Une saison qui s'étend généralement de juin à novembre, et prévue hyperactive et majeure pour 2024 par les différents instituts de prévisions des phénomènes météorologiques.


Pierrick QuĂ©dinet pratique la mer depuis longtemps. Chaque annĂ©e, Ă  la mĂŞme Ă©poque il reste vigilant face aux risques liĂ©s Ă  la saison cyclonique en approche. "L'annĂ©e dernière, j'ai passĂ© la saison Ă  flot, Ă  Marie-Galante au dĂ©but, puis je suis descendu en Martinique, pour minimiser les risques de prendre un parpaing dans la tronche" lance-t-il alors que nous prenons de ses nouvelles après le passage de l'ouragan BĂ©ryl. Les Saint-Pierrais et Miquelonnais auront tout de suite l'image du "parpaing dans la tronche" dont parle Pierrick. Nos autres lecteurs peuvent imaginer alors se prendre en pleine face une pierre de plusieurs kilos. L'image est forte, mais le risque est non nĂ©gligeable.

J'ai sorti mon bateau de l'eau pour la saison

Pierrick Quédinet

Cette année, le Saint-Pierrais prend acte de sagesse et descend encore plus au sud, direction l'île de Carriacou, où il sort son bateau de l'eau pour la saison. Cette île est réputée être un endroit sécuritaire et surtout le moins cher des Antilles pour caréner.

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Ă€ l'approche de la tempĂŞte, Pierrick nous confie que "tout le monde espĂ©rait qu'elle remonte plus au nord comme Ă  l'habitude, mais pas cette fois". BĂ©ryl est alors un ouragan rĂ©trogradĂ© en catĂ©gorie 3, mais annoncĂ© nĂ©anmoins comme "important et dangereux" par le Centre national des ouragans (NHC) de Miami.

Très rapidement les prĂ©visionnistes rĂ©visent leurs analyses et reclassent BĂ©ryl en catĂ©gorie 4. Les habitants de Carriacou sont alors tenus informĂ©s de l'arrivĂ©e du phĂ©nomène, et s'organisent au mieux. "Les bateaux au mouillage dans la baie se sont tous rĂ©fugiĂ©s dans la mangrove, amarrĂ©s aux palĂ©tuviers. De mon cĂ´tĂ©, Ă©tant Ă  terre, j'ai dĂ©grĂ©Ă© mon bateau et enlevĂ© tout ce qui pouvait faire de la prise au vent". Le marin retire alors panneaux solaires, voiles, bĂ´mes, et leste sa quille au maximum, avec mille litres d'eau.

J'ai surtout eu peur pour mon bateau que je croyais perdu a coup sûr. Il est resté debout...

Pierrick Quédinet

Quand le temps s'est dégradé, Pierrick est allé s'abriter chez une connaissance, dans une maison en dur. "On était sept et deux enfants. On a vissé des planches en travers des châssis, bloqué les portes avec des meubles et on a attendu" raconte-t-il.

Très rapidement l'ouragan est monté en puissance, des vents jusqu'à 240 km/h s'abattent sur l'île, et c'est l'effroi.

Nous étions dans une maison en dur, pas une construction en bois, et le toit s'est arraché.

Pierrick Quédinet

 Ă€ ce moment-lĂ , le Saint-Pierrais confie avoir peur pour son navire, qu'il pense perdu. Avec ses hĂ´tes, ils s'abritent dans une chambre attendant l'Ĺ“il du cyclone pour se mettre en sĂ©curitĂ©.

Ici 90% des gens ont perdu leur maison, leur bateau... L'île est devastée, ainsi que d'autres îles des Grenadines

Pierrick Quédinet

Le voilier de Pierrick Ă  tenu le coup, c'est le seul, ou presque. "Sur le chantier, tous les monocoques sont tombĂ©s. Des catamarans se sont retournĂ©s. Un vrai carnage". Un mouvement solidaire se met rapidement en place. Des voiliers arrivent de Martinique, de Guadeloupe, de Saint-Martin, avec du matĂ©riel et "de l'huile de coude, surtout" lance Pierrick prĂŞt Ă  aider autant que possible. Sur l'Ă®le il n'y a plus d'Ă©lectricitĂ©, ni d'eau courante. Certains bateaux Ă©quipĂ©s de connexion satellite partagent leurs wifi Ă  la population. 

"Ce genre de phĂ©nomène, de cette ampleur et Ă  cette pĂ©riode n'est jamais arrivĂ© auparavant dans le coin" explique Pierrick, "beaucoup de propriĂ©taires sont absents, et laissent leurs embarcations en carĂ©nage ici pour la saison. J'ai postĂ© un mot sur un groupe communautaire des marins des CaraĂŻbes, qui me demandent des nouvelles de leur bateau. Je les ai cherchĂ©s, j'ai envoyĂ© des photos et j'imagine avec peine leurs rĂ©actions". Comme le confie Pierrick, informer les propriĂ©taires que leur bateau est dĂ©truit n'est pas une tache agrĂ©able, mais "j'aurais aimĂ© qu'on le fasse pour moi" lance-t-il. 

L'heure est maintenant à l'entraide, sauver ce qui peut l'être et "se dépanner les uns les autres". Pierrick va bien, et sort malgré tout "chanceux" de cette triste aventure.