Il y a le stress qui monte, il y a l’émotion. Mais les jours de départ des grandes courses marquent toujours une forme de libération. Les 79 duos engagés dans la Transat Jacques Vabre ont vécu des dernières journées à terre très intenses pour finaliser leur préparation, répondre à de multiples sollicitations. La fête a été belle, mais il était grand temps de larguer les amarres, de lâcher les tensions. Désormais, place à la compétition, enfin.
Les 79 bateaux s'élanceront à destination de Fort-de-France en Martinique, une première dans l'histoire de la course bi-annuelle, créée en 1993. Quatre classes sont représentées: les Ultimes (32 m) et les Ocean Fifty (15 m) pour les multicoques, et les Imoca (18 m) et les Class 40 (12 m) pour les monocoques.
Les Ultimes (5 bateaux en lice) doivent parcourir 7500 milles nautiques (13.890 km), ce sera 5800 nm (10.741 km) pour les Imoca (22 bateaux) et les Ocean Fifty (7 bateaux) qui feront le même parcours, et 4600 nm (8519 km) pour les Class 40 (45 bateaux).
le Cloass40, un bateau « facile » fait pour le large
Ce type de voilier séduit tous les profils de marins, de l’amateur éclairé au professionnel chevronné. Dimanche, 45 équipages prendront le départ de la Transat Jacques Vabre, au Havre, à bord de ces bateaux de 12 mètres.
À ses débuts, en 2004, la Class40 (monocoques de 12 mètres) était considérée comme une classe réservée aux amateurs éclairés, voire aux semi-professionnels de la voile, et était parfois regardée avec condescendance. Puis elle a connu un superbe éclat grâce à la victoire de Yoann Richomme lors de la Route du rhum 2018.
Voilà qu’un des plus brillants professionnels de sa génération démontrait de manière magistrale qu’un bateau simple, sans foils, construit en fibre de verre – à l’exception du mât, de la bôme et du bout-dehors en carbone – était aussi un bateau très rapide, capable à certaines allures de tenir des moyennes de 18 nœuds, facile d’emploi, aux coûts contraints et, surtout, ne nécessitant pas une équipe pléthorique pour assurer son fonctionnement à l’année.
Un an plus tard, en 2019, c’est le duo Ian Lipinski-Adrien Hardy, à bord de Crédit mutuel, un scow dessiné par l’architecte et longtemps coureur au large David Raison, un bateau à l’étrave arrondie, qui remporte la Transat Jacques Vabre, dessillant d’un coup les yeux du monde hauturier. Ce dessin signe alors une « rupture technologique » que ce même Raison, en 2011, avait déjà lancée en remportant la Mini-Transat sur des lignes similaires sur son bateau de 6,50 mètres, laissant les observateurs de l’époque bouche bée.
« Bateaux à taille humaine »
Alors que les budgets des derniers Imoca et Ultime sont hors de portée, la Class40 se tient à l’écart d’une surenchère technologique et financière et connaît une accélération des mises en chantier pour la prochaine Route du rhum puisqu’on parle aujourd’hui de 17 bateaux neufs pour l’édition 2022. Dimanche 7 novembre à 13 h 30, ils seront 45 équipages de Class40 sur les 79 embarcations au départ de la quinzième édition de la Transat Jacques Vabre, course transatlantique en double entre Le Havre et, pour la toute première fois, Fort-de-France en Martinique.
Top départ
Tous seront alignés sur la même ligne pour un départ au même moment (dimanche à 13h27) devant Sainte-Adresse. La flotte passera ensuite à la bouée d'Étretat pour sortir de la Manche puis se diriger vers la pointe Bretagne.
Ils traverseront alors le golfe de Gascogne pour franchir le cap Finisterre et descendre pour attraper les alizés avant que chacun prenne sa route au sud des Canaries.
Imoca et Ocean Fifty mettront le cap sur l'archipel brésilien de Fernando de Noronha, soit une boucle de 5800 milles nautiques (10.741 km) qui leur fera traverser deux fois l'équateur et de fait, deux fois le terrible Pot-au-noir, avant de rallier La Martinique.
Les Class 40, moins puissants, ont un parcours plus court en distance. Ils ne passeront pas le Pot-au-noir ni l'équateur.
Un tiers de tour du monde
Les plus rapides bateaux de course au monde, les Ultimes, feront presque un tiers de tour du monde. Ils auront à contourner l'archipel brésilien de Trindade et Martim Vaz, au large de Rio de Janeiro, ce qui leur fera passer par deux fois l'équateur et le Pot-au-Noir.
Les vainqueurs de chaque classe sont attendus deux semaines après le départ dans la baie de Fort-de-France.
Disputée par 80 bateaux répartis en quatre classes, cette 15e édition de la Transat Jacques Vabre, prestigieuse course en double bi-annuelle créée en 1993, délaisse pour la première fois l'Amérique latine pour une arrivée inédite en Martinique.
Parmi les trois parcours de la Transat Jacques Vabre 2021, qui s'élance ce dimanche (13 h 27, 08h27 ici en Martinique), un est réservé aux Class40. Il s'agit du plus court : 4 600 milles. Les 45 duos au départ devront laisser l'île de Sal à tribord, au Cap Vert, avant de filer à l'Est vers la Martinique.
C’est un parcours différent.
Le début de course est assez similaire à l’ancien mais il y a un passage obligé, au Cap-Vert, qui change un peu la donne. Il permet peut-être moins d’ouverture de stratégie. Après, je ne vois pas de pièges particuliers. Avant le départ, j’ai le sentiment que ce parcours est plus simple que l’ancien. Je me trompe peut-être mais en tout cas, il n’y a pas de Pot-au-Noir. Là où les scows sont vraiment avantagés, c’est au reaching. Il y en aura peu sur ce parcours. Mais, au portant, ils marchent quand même très bien. Je suis persuadé que ce sera un bateau récent qui gagnera. Après, c’est sûr qu’on est content, ça laisse encore un peu de place à nos bateaux. L’aspect technique jouera un peu moins.
Les 158 concurrents de la Transat Jacques Vabre qui partira du Havre dimanche ont terminé à peu près, vendredi, d’embarquer leur approvisionnement pour la course. Diététiciens et nutritionnistes les ont aidés à établir une liste de menus, sachant qu’en course, la nourriture à bord en course est l’un des nerfs de la guerre. Alors, ils mangeront quoi, les skippers, pendant cette 15e Jacques Vabre ? Fournisseurs et skippers ont répondu à Voiles et Voiliers.
Principe de base : le poids est l’ennemi des voiliers en course, surtout les voiliers volants. Depuis plusieurs années, les skippers ont donc tendance à privilégier la nourriture lyophilisée, c’est-à-dire cuits et séchés à terre. Donc pas d’eau à transporter. À charger pour les skippers d’ouvrir le sac de ration, d’y ajouter de l’eau chaude, de touiller un peu et d’avaler. Mais ça peut être bon. Parfois même très bon.
62 des 79 bateaux engagés ont fait leurs courses chez Lyophilisé and Co
Patronne de la société lorientaise Lyophilisé & co, Ariane Pehrson, a pris l’habitude de fournir les grands teams de course au large. « Sur cette Transat Jacques Vabre, dit-elle, je fournis 62 des 79 bateaux engagés. Il y a de tout dans les commandes mais c'est vrai qu’en ce moment, les plats qui fonctionnent bien, c’est le porc effiloché ou bien des plats végétariens comme le Chili ou le Thaï curry. Mais, il y a aussi des incontournables, des plats qui fonctionnent toujours. Ceux à base de pâtes, par exemple ».
« Pour les desserts, l’incontournable, c’est le crumble aux pommes mais ils sont de plus en nombreux à prendre aussi des crèmes catalanes. Ils ont l’air d’adorer. Ils n’ont pas tort, j’ai goûté : c’est réussi, je trouve aussi. Je travaille aussi avec une femme qui vient de se lancer à La Trinité-sur-Mer. Elle fabrique une gamme de six plats dont une super brandade de morue qui sont en train de monter en puissance. Pour l’appertisé, je me fournis aussi avec la société Bon Bag ».
Antoine Boucher est le patron de la Société Le Bon Bag, en plus d’être un passionné de voile. « Sur le dernier Vendée Globe, j’avais des amis-ambassadeurs. Jean Le Cam, par exemple, qui ne supporte pas bien l’idée du lyophilisé et du sec. Mes appertisés, cela veut dire une cuisson à 121° pendant deux heures, en détruisant le moins possible les principes d’un ingrédient. En fait, c’est du bocal de grand-mère, mais dans un sachet aluminium ».
Louis Burton, aura même des exclusivités gourmandes sur cette course
« Il y a des incontournables dans mes plats, ajoute-t-il. Des indémodables. Dans les restaurants, il y a des chefs qui essayent d’enlever des plats datant un peu trop mais les clients les redemandent, alors ils les remettent à la carte. Moi, c’est pareil avec le rougail saucisse mais aussi avec le petit salé aux lentilles ou le -cassoulet antidépresseur. Cette année, j’ai rajouté à ma carte du caponata, une sorte de ratatouille sicilienne. Quand les skippers arrivent dans les mers chaudes, ils ont envie de ça plutôt, juste avec un trait de vinaigre et d’huile d’olive par-dessus. L’un d’eux, Louis Burton, aura même des exclusivités gourmandes sur cette course. C’est mon ambassadeur en mer ».
Variations autour du homard et du pigeonneau
Sur cette Jacques Vabre, Isabelle Joschke et Fabien Delahaye auront ainsi droit à des plats aseptisés cuisinés par le chef étoilé nantais Eric Guérin de La mare aux oiseaux. « II nous a faits je crois des petites variations autour du homard et du pigeonneau. Ça va être le top des tops et franchement, sur un voilier, en course, s’il existe un moyen de rebooster les troupes pour quelques grammes emportés en plus, moi, je n’hésite pas une seconde ».
Le docteur Jean-Yves Chauve, toubib officiel de toutes les grandes courses au large est plus que d’accord avec Isabelle Joschke et Louis Burton : « La nourriture à bord, c’est fondamental et heureusement, ils sont de moins en moins nombreux les skippers qui font l’impasse sur ce sujet. Il faut savoir qu’un skipper en course dépense souvent plus de 5000 kilocalories par jour. Comme ils dorment peu, ils ont besoin d’un apport en énergie supplémentaire. Rien que le fait d’être en équilibre tout le temps vous fait consommer 800 à 1500 kilocalories en plus quotidiennement. Bien sûr qu’il existe des barres énergétiques mais je me répète : bien se nourrir, c’est fondamental ! ».